Permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires
N° 74
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 novembre 2000
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
tendant à permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires , par l' inscription de ces textes à l' ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale,
PRÉSENTÉE
par MM. Aymeri de MONTESQUIOU, Hubert HAENEL et
les membres du
Rassemblement démocratique et social européen
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Parlement |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que s'est achevée la présidence française de
l'Union européenne, notre pays demeure en 12
ème
position dans le tableau de suivi des directives : cent soixante-seize
directives sont encore en attente de transposition, la date de transposition
étant dépassée pour 136 d'entre elles et la plus ancienne
remontant à 1981. On ne peut que regretter cette situation, la France
apparaissant sous cet aspect peu respectueuse de la législation
communautaire.
Pourtant, la primauté du droit communautaire sur le droit interne a
été admise dans l'arrêt Costa/Enel du 15 juillet 1964 qui
signalait : "issu d'une source autonome, le droit né du traité ne
pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir
judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son
caractère". Les juges nationaux sont les garants de cette
primauté.
On doit parallèlement signaler que le droit dérivé
unilatéral a une importance de plus en plus grande en droit interne. Si
les règlements s'appliquent dès leur publication dans tous leurs
éléments directement à l'égard des citoyens, les
directives, en revanche, sont obligatoires à l'égard des seuls
Etats et doivent par conséquent être transposées pour
devenir effectives à l'égard des citoyens.
A propos des directives, plusieurs remarques doivent être
formulées :
- Tout d'abord, les institutions communautaires ont adopté des
directives d'un contenu de plus en plus précis au point de ne laisser
aucune marge d'appréciation aux instances nationales. La directive est
devenue ainsi un texte comportant un nombre considérables d'articles et,
en définitive, dans certains cas, se suffisant à lui-même.
Son introduction dans l'ordre interne se résume parfois à une
reproduction du texte communautaire, habillé selon les formes internes.
Au demeurant, même dans ces conditions, la France ne satisfait pas
à ses obligations
.
- Certaines sont d'ailleurs si précises que la Cour de Justice des
Communautés Européennes a considéré, face à
la lenteur de transposition de certains États, qu'à l'identique
des règlements, elles pouvaient être invoquées directement
par le citoyen alors même qu'elles n'avaient pas été
transposées (décision Van Duyn c/Home office du 4 décembre
1974).
- Néanmoins, au niveau interne, le Conseil d'État ne fait pas la
même interprétation en se référant aux termes
précis du traité. Ce dernier donnant aux directives une force
obligatoire à l'égard des seuls États, il refuse l'effet
direct de celles-ci à l'égard des actes individuels (CE 22
décembre 1978 Cohn-Bendit,
CE 13 décembre 1985 Zadkine).
Cependant, si les États restent libres tant que
l'échéance d'application n'est pas atteinte (5 avril 1979,
Ministère public/Ratti), passé ce délai, les citoyens
peuvent intervenir à l'égard de l'État
défaillant.
Plusieurs voies de droit sont ouvertes pour en obtenir l'application.
- Les ressortissants peuvent ainsi contester la légalité des
mesures réglementaires au regard des dispositions d'une directive
ignorée par l'Etat (CE 28 septembre 1984 Confédération
nationale).
- Ils peuvent également s'opposer en utilisant toute voie de droit
à l'application d'une règle de droit national contraire à
une directive, notamment l'exception d'illégalité.
- Ils peuvent parallèlement inviter les autorités dotées
du pouvoir réglementaire à prendre les mesures d'application
d'une directive ou à rectifier les règles devenues
obsolètes suite à l'adoption d'une directive.
- Au demeurant et surtout, l'État peut voir sa responsabilité
engagée vis-à-vis de ses nationaux pour non transposition d'une
directive (CJCE 19 novembre 1991 Francovich et Bonifaci/République
italienne ).
Or, en pratique, malgré ce dispositif relativement protecteur, les
gouvernements, et les gouvernements français en particulier, tardent
à faire transposer les directives.
Pour combler le retard, des moyens ont été mis en oeuvre.
- Les projets de loi portant Diverses Dispositions d'Adaptation au Droit
Communautaire ont été créés. Ils permettent de
réunir sous un même projet de loi la transposition de directives
touchant aux mêmes secteurs.
- L'utilisation des ordonnances pour prendre des mesures législatives
dans l'urgence, en l'espèce pour transposer de nombreuses directives, a
été demandée par le Gouvernement. Même si ce moyen
demeure exceptionnel, il apparaît aller à l'encontre de l'article
34 de la Constitution, la compétence législative relevant du seul
Parlement. En effet, le retard pris pour la transposition ne doit pas
entraîner le dessaisissement du Parlement par l'Exécutif :
" Nemo auditur propriam turpietudinem allegans ".
Devant l'insuffisance de résultats et l'inadéquation des
procédés, la France ayant reculé dans le tableau de
transposition des directives ces deux dernières années, il
apparaît indispensable de prévoir un nouveau dispositif permettant
une transposition des directives dans les délais requis.
La
France, pionnière de l'Europe, ayant oeuvré pour faire avancer
l'intégration européenne, ne doit plus être montrée
du doigt pour ignorance du droit communautaire.
L'Exécutif ne remplissant pas ses engagements communautaires avec
satisfaction, le Parlement doit être en mesure de pallier sa carence afin
que la France ne figure plus parmi les mauvais élèves
européens.
Un tiers des directives à transposer présente un caractère
législatif. Lorsque le Gouvernement tarde à faire transposer une
directive relevant de la compétence du Parlement, celui-ci doit
être amené à l'examiner automatiquement.
Ce nouveau dispositif possède deux avantages touchant à ses
moyens et à sa finalité:
-
respect des prérogatives du Parlement
: il permet un
déroulement normal de la procédure législative. Les textes
feront l'objet d'un véritable débat.
-
efficacité
: il instaure une inscription automatique de
projets de loi tendant à transposer les directives. Une
échéance étant fixée pour chaque texte, la France
ne connaîtrait plus de retard important.
C'est pour ces différentes raisons, qu'il vous est demandé,
Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi
constitutionnelle.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
Dans le
titre XV de la Constitution, après l'article 88-4, il est ajouté
un article 88-5 ainsi rédigé :
" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de
nature législative d'une directive adoptée en application des
traités visés au présent titre doit être
déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour
prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé
par cette directive pour sa transposition.
A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est
inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. "