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N° 138

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1995.

PROJET DE LOI

portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'États voisins,

PRÉSENTÉ

Au nom de M. Alain JUPPÉ,

Premier ministre.

Par M. Jacques TOUBON,

Garde des Sceaux, ministre de la justice.

(Renvoyé à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

Droits de l'homme et libertés publiques. - Rwanda - Tribunal international.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

À la suite de l'assassinat du président de la République rwandaise le 6 avril 1994, le conflit ethnique qui couvait dans le pays depuis plusieurs années a éclaté, entraînant le massacre de centaines de milliers de civils appartenant à la communauté tutsie ou considérés comme des hutus modérés.

L'opinion publique mondiale, alarmée par la perpétration de ces actes, a poussé les instances internationales à prendre des mesures pour qu'il soit mis fin à cette situation.

Le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies a décidé, à l'instar de ce qu'il avait déjà fait pour le conflit de l'ex-Yougoslavie, par la résolution 955 en date du 8 novembre 1994, de créer un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda.

Cette juridiction, aujourd'hui instituée, présente les mêmes caractéristiques que le tribunal international chargé de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie :

- une compétence limitée dans le temps et dans l'espace aux seules violations commises sur le territoire du Rwanda, ainsi que par des citoyens rwandais sur le territoire d'États voisins, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994 ;

- une compétence prioritaire sur celle des juridictions nationales de tout État pour les crimes considérés.

Les deux juridictions sont autonomes : ainsi, les juges siégeant dans les chambres de première instance du tribunal pénal international pour le Rwanda ne sont pas les mêmes que ceux siégeant dans les chambres de première instance du tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Néanmoins, le parquet et la chambre d'appel sont des organes communs aux deux tribunaux. Enfin, le règlement adopté par les juges du tribunal pour le Rwanda, qui régit les règles de procédure suivies devant cette juridiction, est le même que celui adopté par les juges du tribunal pour l'ex-Yougoslavie, sous réserve de quelques modifications tout à fait mineures.

La résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies faisant obligation aux États d'apporter leur pleine coopération au tribunal international, le présent projet de loi prévoit les mesures d'adaptation législative nécessaires à son application.

L'article premier définit l'objet même de la loi, à savoir la participation de la France à la répression des violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et par les citoyens rwandais sur le territoire d'États voisins, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994, et la coopération avec le tribunal pénal international pour le Rwanda. Il précise en outre la nature des infractions punissables. Il s'agit des infractions graves aux conventions de Genève de 1949 et au protocole additionnel II auxdites conventions du 8 juin 1977, des violations des lois ou coutumes de la guerre, du génocide ou des crimes contre l'humanité qui constituent également des crimes ou délits en droit français.

L'article 2 renvoie aux dispositions de la loi du 2 janvier 1995, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991, qui traitent du même objet. Cette loi prévoit que les juridictions françaises sont compétentes pour juger les auteurs d'actes barbares en ex-Yougoslavie (et désormais, en vertu de la présente loi, au Rwanda) dès lors que ceux-ci se trouvent sur le territoire français.

Néanmoins, le tribunal international disposant d'une primauté de compétence, les procédures en cours dont seront saisies les juridictions françaises devront être portées à la connaissance de ce tribunal, de façon à ce que celui-ci puisse, le cas échéant, leur demander de se dessaisir en sa faveur.

La chambre criminelle de la Cour de cassation sera seule compétente pour ordonner le dessaisissement, étant précisé que les demandes de la juridiction internationale transiteront par le ministère de la justice. Elle devra vérifier que les faits objets de la demande entrent dans le champ d'application de la loi et qu'il n'y a pas d'erreur évidente.

S'agissant de la coopération judiciaire avec le tribunal international, les demandes d'entraide émanant de cette juridiction seront adressées au ministère de la justice, sauf cas d'urgence, et seront centralisées par le procureur de la République de Paris, qui sera compétent sur l'ensemble du territoire national.

Les demandes d'arrestation et de remise seront examinées par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris dont la décision pourra faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Par ailleurs, la personne réclamée pourra, à tout moment, demander sa mise en liberté devant la chambre d'accusation.

Enfin, les articles 3 et 4 rendent applicables la présente loi et la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte. S'agissant de textes qui ne touchent pas aux compétences des collectivités concernées et ne procèdent à aucune adaptation liée aux spécificités locales, cette mention d'extension peut être adoptée sans consultation préalable des assemblées territoriales.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du Garde des Sceaux, ministre de la justice,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'États voisins, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté au Sénat par le Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article 1 er

Pour l'application de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 8 novembre 1994 instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ainsi que les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994, la France participe à la répression des infractions et coopère avec cette juridiction dans les conditions fixées par la présente loi.

Les dispositions qui suivent sont applicables à toute personne poursuivie des chefs de crimes ou délits définis par la loi française qui constituent, au sens des articles 2 à 4 du statut du tribunal international, des infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949 et au protocole additionnel II auxdites conventions en date du 8 juin 1977, des violations des lois ou coutumes de la guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité.

Art. 2.

Les articles 2 à 16 de la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 sont applicables aux personnes visées à l'article premier.

Toutefois, dans le texte des articles 2, 4 et 5 de cette même loi, les références à l'article premier doivent s'entendre comme visant les faits qui entrent dans le champ d'application de l'article premier de la présente loi.

Art. 3.

La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte en tenant compte des dispositions du code de procédure pénale applicables localement.

Art. 4.

Il est inséré, dans la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995, après l'article 16, un article 17 ainsi rédigé :

« Art. 17. - La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte en tenant compte des dispositions du code de procédure pénale applicables localement. »

Fait à Paris, le 13 décembre 1995.

Signé : ALAIN JUPPÉ.

Par le Premier ministre :

Le Garde des Sceaux, ministre de la justice,

Signé : JACQUES TOUBON

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