EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les collectivités territoriales - régions, départements, communes et leurs groupements - sont des piliers de la démocratie locale et les vecteurs principaux de l'action publique de proximité. Le principe de libre administration de l'article 72 de la Constitution consacre leur autonomie. Elles doivent pouvoir jouer un rôle central dans la réponse aux besoins essentiels des citoyens, qu'il s'agisse de la gestion des infrastructures, des services publics ou de l'adaptation aux défis de demain.

Cependant, ce principe constitutionnel est aujourd'hui gravement mis en péril. Depuis plusieurs années, les collectivités territoriales ont été progressivement privées de leurs ressources, en particulier fiscales, les rendant de plus en plus dépendantes des décisions budgétaires nationales, fragilisant par là même leur autonomie financière et compromettant leur capacité à remplir leurs missions.

Cette fragilisation est la conséquence des réformes successives de la fiscalité locale qui ont bouleversé la prévisibilité des finances des collectivités.

La suppression de la taxe d'habitation a privé les communes d'une ressource fiscale essentielle et lisible, malgré les compensations annoncées par l'État. Ces compensations, dépendantes des arbitrages budgétaires annuels, ne garantissent pas la prévisibilité des recettes des collectivités et fragilisent la construction de leurs budgets.

Par ailleurs, la réduction, puis la suppression annoncée de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), affaiblit, malgré les compensations promises, les ressources des collectivités - surtout des intercommunalités -, et en particulier de celles disposant d'un tissu économique industriel important. Elle coupe les collectivités qui la collectaient d'un lien direct avec la dynamique de leur tissu économique.

La dynamique moindre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et la faible marge de manoeuvre des départements pour agir sur leurs taux plongent certains départements dans une situation extrêmement difficile au point même que certains exécutifs départementaux n'hésitent pas à parler d'un risque d'effondrement budgétaire imminent.

Enfin, les mécanismes de solidarité entre collectivités, bien qu'indispensables, ne suffisent pas à compenser les inégalités entre territoires riches et pauvres et sont de plus en plus décriés car incompréhensibles (ou estimés injustes).

À ces pertes de ressources s'ajoutent des charges croissantes qui alourdissent les budgets locaux. L'inflation, le vieillissement démographique, ou encore la précarité croissante de la population ont entraîné une augmentation des dépenses d'intervention sociales et de fonctionnement. De plus, les collectivités se doivent de préparer leurs territoires, notamment en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique, sans que les moyens financiers nécessaires soient toujours alloués pour l'assumer.

Cette privation d'autonomie fiscale par la suppression de ces recettes construit une forme de recentralisation croissante des décisions budgétaires qui place désormais les collectivités dans une situation de dépendance préoccupante vis-à-vis des votes annuels au Parlement. Cette situation est contraire à l'esprit et à la lettre de l'article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités territoriales, qui suppose une capacité d'action autonome, notamment à travers des ressources propres et pérennes.

Les collectivités territoriales sont censées être des piliers de la transition écologique et elles en assument de nombreux financements. Elles jouent un rôle central dans la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des transports en commun, la préservation des terres agricoles et des espaces naturels, la gestion de l'eau et des déchets, ainsi que l'adaptation au changement climatique. Pourtant, faute de moyens suffisants et d'une autonomie financière réelle, elles peinent à assumer ces responsabilités, alors même que le climat s'emballe, que les catastrophes se multiplient et que le mur d'investissements indispensables grandit.

Face à cette situation alarmante, il est impératif de mener une réflexion approfondie sur les causes de l'érosion des ressources des collectivités et sur les conséquences de cette dépendance croissante vis-à-vis des décisions nationales.

La commission d'enquête mise en oeuvre par la présente proposition de résolution s'attachera à analyser l'impact des réformes fiscales récentes sur l'autonomie des collectivités et la pérennité de leurs ressources ainsi qu'à évaluer les mécanismes de compensation mis en place par l'État, leur efficacité et leur durabilité.

Elle évaluera les besoins en services publics de proximité portés par les collectivités au regard de leurs ressources.

Elle examinera également la soutenabilité financière des engagements et stratégies de transition écologique au regard des missions confiées aux collectivités et proposera des mécanismes de financement adaptés.

En créant cette commission d'enquête, le Sénat réaffirme son rôle de garant de l'équilibre institutionnel et de la solidarité territoriale. Cette initiative constitue une étape essentielle pour préserver et renforcer la capacité des collectivités à répondre aux défis actuels et futurs.

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