EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 30 décembre 2022, l'Assemblée générale des Nations-Unies (AGNU) a demandé à la Cour internationale de Justice (CIJ) de donner un avis consultatif sur les conséquences juridiques de la politique israélienne dans le Territoire palestinien occupé.

C'est la seconde fois que la CIJ est saisie par l'AGNU d'un avis consultatif sur la Palestine. Le 8 décembre 2003, elle avait été saisie pour avis sur les conséquences de l'édification du mur qu'Israël, puissance occupante, était en train de construire en Cisjordanie. Israël affirmait alors que l'occupation de la Palestine s'exerçait dans le cadre de la « légitime défense » et considérait que les Conventions de Genève ne s'appliquaient pas dans le Territoire palestinien. Pourtant, l'avis de la CIJ rendu le 9 juillet 2004 a confirmé que la Cisjordanie, y compris Jérusalem Est, était un territoire occupé et que la colonisation de ces territoires, le changement de démographie et la privation des Palestiniens-nes de leur droit à l'autodétermination violaient le droit international. Malheureusement, cet avis n'a eu aucun effet concret. La politique israélienne de colonisation s'est au contraire poursuivie dans le silence ou avec la complicité des États, notamment occidentaux.

Fin 2023, vingt ans après cet avis resté lettre morte, l'AGNU a demandé à la Cour de se prononcer sur « les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Cinquante états et trois organisations régionales ont participé aux débats lors des audiences publiques qui se sont tenues en février dernier, une première en termes de nombre depuis la création de la Cour.

Depuis le 7 octobre 2023, la situation en Israël et en Palestine est devenue plus urgente que jamais. Cette date a marqué un tournant tragique avec l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas, qui a coûté la vie à 1 200 personnes en Israël et a conduit à la prise d'au moins 240 otages. Depuis lors, les habitants de Gaza subissent des bombardements incessants et un siège total, contraires au droit international, les privant d'accès à la nourriture, à l'eau, aux médicaments, à l'électricité et au carburant. Les bombardements israéliens ont entraîné, au 22 juillet 2024, la mort d'au moins 38 848 personnes, dont plus de 14 000 enfants. Ils ont plongé Gaza dans une spirale de destruction et de souffrance, rendant plus pressante que jamais la nécessité d'une résolution pacifique de la situation, permettant l'application du droit international.

Il convient ici de rappeler la situation d'horreur dans laquelle la bande de Gaza est plongée depuis plusieurs mois, et de la qualifier juridiquement, pour comprendre le contexte dans lequel la CIJ rend son avis sur le Territoire palestinien occupé et les conclusions que la France doit en tirer.

L'ONU a estimé le 31 mai 2024 que 55 % « des infrastructures totales de Gaza » ont été endommagées, parmi lesquels 36 591 logements entièrement détruits. Samedi 13 juillet, l'armée israélienne a bombardé le camp d'al-Mawasi, près de Khan Younès, pourtant déclaré « zone humanitaire » par Israël. Il s'agit d'une des frappes les plus meurtrières, où au moins 90 Palestiniens-nes ont été tué-es et 300 blessé-es. Selon la coordinatrice humanitaire de l'ONU pour le territoire, Sigrid Kaag, ce sont 1,9 million de personnes qui sont désormais déplacées dans la bande de Gaza, soit presque la totalité de la population. Pour l'ensemble de ces personnes déplacées et de manière globale pour la population gazaouie, c'est un combat quotidien de trouver de l'eau et de la nourriture. Lors d'une réunion à Bruxelles consacrée à l'envoi d'aide humanitaire à Gaza le 12 mars 2024, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a affirmé que « Israël encourage la famine et l'utilise comme une arme dans la guerre à Gaza ». Oxfam dénonçait dès le 26 octobre 2023 l'utilisation de la famine comme arme de guerre par le gouvernement israélien, en s'appuyant notamment sur la résolution 2417 du Conseil de sécurité de l'ONU du 24 mai 2018. Selon l'ONU, en mars dernier, 1,1 million de personnes dans la bande de Gaza, soit près de la moitié de la population, sont en risque imminent de famine. Israël empêche en effet délibérément l'entrée de l'aide humanitaire : avant le 7 octobre, 500 camions entraient en moyenne dans Gaza chaque jour, ce qui était déjà loin de satisfaire les besoins de la population. En février 2024, ce chiffre est tombé à 105 en moyenne.

À ce titre, le rôle de l'United Nations Relief and Works Agency (UNRWA) dans la bande de Gaza mérite d'être souligné tant l'agence est indispensable pour apporter l'aide humanitaire nécessaire à la population palestinienne, mais aussi plus largement pour l'accès des Palestiniens-nes à l'éducation et à la santé. L'UNRWA mène une action essentielle que la France a soutenue à hauteur de 33 millions d'euros en 2024. Nous saluons donc la récente décision française d'augmenter sa contribution de cinq millions d'euros, la portant à 38 millions d'euros en 2024.

Dès le mois de novembre 2023, un grand nombre d'experts du Conseil des droits de l'homme de l'ONU ont alerté sur le risque de génocide dans la bande de Gaza. Dans son rapport du 25 mars 2024 intitulé « Anatomie d'un génocide », la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, a mis en garde sur le fait qu'il existe désormais « des motifs raisonnables de croire que le seuil du génocide par Israël est atteint ». L'ordonnance rendue le 26 janvier 2024 par la CIJ, qui a eu à examiner l'« application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza » à la demande de l'Afrique du Sud, va dans le même sens. Contraignante, cette décision demande à l'État d'Israël de prendre les mesures nécessaires « pour prévenir la commission, à l'encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d'application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ». L'ordonnance indique ainsi qu'il existe un « risque plausible de génocide » commis par Israël contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. C'est ce risque qui a conduit la Cour à ordonner des mesures conservatoires strictes. Le 28 mars 2024, elle a adopté une nouvelle ordonnance visant à prévenir ou mettre un terme le risque de génocide, en prenant en compte « la dégradation des conditions de vie auxquelles sont soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l'inanition ». Puis, le 24 mai, à la suite de l'offensive militaire israélienne débutée le 7 mai à Rafah, la Cour a ordonné à Israël de mettre fin à son offensive militaire et à toute action dans cette zone qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens-nes de Gaza à des conditions d'existence capables d'entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Elle y a également renouvelé « son appel en faveur de la libération immédiate et inconditionnelle » des otages détenus par le Hamas depuis l'attaque menée contre Israël le 7 octobre 2023.

Dans cette situation de violence inédite, la présente résolution vise à rappeler qu'il n'existe pas de possibilité de paix tant que les violations du droit international persistent. En ce qui concerne Gaza, dans son ordonnance du 26 janvier 2024 modifiée le 28 mars, la Cour s'est dite gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l'attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d'autres groupes armés, et a appelé à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. La Cour a aussi considéré qu'Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens-nes de Gaza à des conditions d'existence capables d'entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Les dirigeants d'Israël et du Hamas soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre dans la bande de Gaza doivent être traduits devant la Cour pénale internationale (CPI), qui devrait prochainement délivrer des mandats d'arrêt en ce sens.

La situation est tout aussi préoccupante en matière de droit international en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 19 juillet 2024 sur les conséquences juridiques des politiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé est à cet égard sans appel. La Cour considère que l'occupation par Israël du Territoire palestinien depuis 1967 est illégale et rappelle à Israël ses obligations en matière de droit international : les colons doivent se retirer et les terres et biens accaparés depuis 1967 être restitués, y compris à Jérusalem-Est.

En outre, au vu des éléments de preuve dont elle dispose, la Cour considère que « l'usage que fait Israël des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé n'est pas conforme aux obligations que lui impose le droit international ». En effet, elle estime qu'« en détournant une grande part des ressources naturelles au profit de sa propre population, notamment des colons, Israël manque à son obligation d'agir en tant qu'administrateur et usufruitier ». La Cour considère également que « en restreignant gravement l'accès de la population palestinienne à l'eau disponible dans le Territoire palestinien occupé, Israël agit de manière contraire à l'obligation qu'il a d'assurer un approvisionnement en eau qui soit approprié sur le plan de la quantité autant que de la qualité ». Compte tenu de son analyse, la Cour conclut que la politique d'exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé mise en oeuvre par Israël est « contraire à l'obligation qu'il a de respecter le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles ».

Les avis consultatifs ne constituent pas des décisions au sens de l'article 59 du statut de la Cour. Ils ne sont pas contraignants, c'est-à-dire qu'ils sont deìpourvus de force obligatoire et sans autoriteì de la chose jugeìe, mais disposent toutefois d'un poids juridique et politique considérable, la CIJ étant l'organe judiciaire de l'ONU et « l'autorité juridique » de la société internationale. Les positions de la Cour constituent en ce sens une boussole en matière de droit international.

L'avis de la Cour affirme que la politique coloniale israélienne viole le droit international à deux égards. Elle constate que la politique coloniale israélienne, ses actes d'annexion et ses mesures discriminatoires violent le droit des Palestiniens-nes à l'autodétermination, un droit inaliénable protégé par le droit international. Elle constate aussi l'annexion israélienne du Territoire palestinien, violant ainsi l'un des principes les plus fondamentaux de l'ordre juridique international qui interdit l'acquisition de territoire par la force. Elle estime donc qu'Israël est tenu de « cesser toute nouvelle activité de colonisation » et que « Israël est également tenu d'abroger toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation illicite, y compris celles qui sont discriminatoires à l'égard du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que toutes mesures destinées à modifier la composition démographique de quelque partie de ce territoire ».

La Cour conclut aussi qu'Israël a mis en place un régime institutionnalisé discriminatoire contre les Palestiniens-nes qui viole l'article 3 de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) et constitue, dès lors, une politique de ségrégation raciale ou d'apartheid. Ce régime est caractérisé par une séparation physique des Palestiniens-nes et des communautés de colons via le système de permis de résidence et les réseaux routiers distincts. Cette séparation est aussi juridique, la population palestinienne étant soumise à la loi militaire israélienne et les colons à la loi civile. En 2015, le comité international de la Croix Rouge (CICR) évaluait ainsi à 850 000 le nombre de personnes palestiniennes plus ou moins longtemps détenues par les forces israéliennes depuis 1967. Ce chiffre représente presque un quart de la population de la Palestine occupée. La détention administrative consiste en l'arrestation et la détention d'une personne par l'autorité militaire sans inculpation ni jugement pour une durée inconnue, car initialement de six mois mais renouvelables indéfiniment. Ces procédures sont effectuées en violation du droit international des droits humains et du droit humanitaire de la guerre, en particulier l'article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les articles 42 et 78 de la quatrième convention de Genève, mais aussi la convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE) puisque l'incarcération est possible dès 12 ans.

Dans le résumé de son avis, la Cour note en outre que « l'expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est repose sur la confiscation ou la réquisition de vastes étendues de terre. Observant que, dans la présente procédure, les biens publics confisqués ou réquisitionnés pour le développement des colonies israéliennes profitent à la population civile des colons, au détriment de la population palestinienne locale, la Cour conclut que les politiques foncières d'Israël ne sont pas conformes aux articles 46, 52 et 55 du règlement de La Haye ».

La Cour estime qu'Israël a l'obligation de réparer intégralement les dommages causés par ses faits internationalement illicites à toutes les personnes physiques ou morales concernées. La réparation comprend la restitution, l'indemnisation ou la satisfaction. La restitution inclut l'obligation pour Israël de restituer les terres et autres biens immobiliers, ainsi que l'ensemble des avoirs confisqués à toute personne physique ou morale depuis le début de son occupation en 1967, et tous biens et bâtiments culturels pris aux Palestiniens-nes et à leurs institutions, y compris les archives et les documents. 

La Cour formule enfin plusieurs injonctions à l'égard d'Israël et des États-membres de l'ONU. Israël doit mettre un terme à sa présence continue illicite dans le Territoire palestinien et les États sont dans l'obligation de ne pas reconnaître comme licite cette situation d'occupation et de ne pas prêter aide ou assistance à son maintien.

En effet, dans le résumé de son avis, la Cour considère que, « compte tenu de la nature et de l'importance des droits et obligations en cause, tous les États sont tenus de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d'Israël dans le Territoire palestinien occupé. Ils sont également tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence. Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu'il soit mis fin à toute entrave à l'exercice du droit du peuple palestinien à l'autodétermination résultant de la présence illicite d'Israël dans le Territoire palestinien occupé. En outre, tous les États parties à la quatrième convention de Genève ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de s'assurer qu'Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention ».

Si les avis de la CIJ doivent guider les États en matière de droit international, il appartient ensuite aux organes ou institutions qui les ont demandés de décider, par les moyens qui leur sont propres, de la suite à donner à ces avis. Ils sont en tout cas tenus de prendre sérieusement en compte l'avis de la Cour.

La France est membre du Conseil de sécurité des Nations unies et l'un des moteurs de l'Europe, elle porte donc la responsabilité d'agir en faveur de la paix. Pourtant, la France s'est abstenue de voter la résolution de l'AGNU demandant l'avis à la CIJ, adoptée avec 87 voix pour et 26 contre. Cette abstention n'a pas été à la hauteur du devoir de responsabilité qui incombe à la France. Notre pays doit donc se saisir pleinement de la question des violations du droit international commises par Israël et déposer une résolution au Conseil de sécurité en reprenant les conclusions majeures de l'avis de la CIJ. Dans son mémoire écrit du 25 juillet 2023, la France dénonçait sans équivoque, et à juste titre, « les violations continues du droit international auxquelles Israël doit mettre un terme » et la « violation du droit des Palestiniens à l'autodétermination et à un État indépendant ».

Il n'y aura pas de paix sans respect du droit international par toutes les parties en Israël et en Palestine. La communauté internationale s'est enfermée ces dernières années dans un déni volontaire sur la question palestinienne auquel il faut mettre un terme. Notre pays doit renouer avec le rôle qui est le sien : se faire la voix du droit international et défendre la reprise d'un processus diplomatique permettant la fin des hostilités et traçant un chemin vers une solution à deux États. Dans ce moment historique, chacun doit être à la hauteur de ses responsabilités. Le Hamas doit libérer tous les otages, sans condition. Sans condition également, le gouvernement israélien doit mettre un terme au siège de Gaza et aux bombardements incessants, libérer les prisonniers politiques palestiniens, démanteler ses colonies et mettre un terme à l'occupation du Territoire palestinien tel que défini par les frontières de 1967.

Par cette résolution, le Sénat affirmerait le rôle crucial de la France dans la mobilisation de la communauté internationale pour permettre l'instauration d'une paix juste et durable. Après la cessation des hostilités, elle devra agir activement pour réunir les conditions indispensables à la paix :

- la reconnaissance des frontières de 1967 entre les deux États, celles de la « ligne verte » de 1967 avec Jérusalem comme capitale des deux nations, ce qui implique la condamnation ferme et explicite des implantations de colonies israéliennes en Cisjordanie et de toute tentative de déplacement des populations de Gaza. Les actes de colonisation, expansions territoriales qui se perpétuent en dépit des condamnations internationales, ne sont pas de simples obstacles à la création de deux États : ils en sont les antithèses. Ils constituent une violation flagrante du droit international et un frein incontestable à l'établissement d'un État palestinien viable et souverain. Israël doit mettre fin à ses colonies établies dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris à Jérusalem-Est ;

- la reconnaissance d'un État de Palestine comme demandé par l'Assemblée nationale et le Sénat dans des résolutions datant de 2014.

Nous sommes à un carrefour de l'Histoire où nos décisions et nos actions définiront l'avenir de la région et, par extension, celui de l'ordre mondial. Notre action doit aujourd'hui être guidée par la sagesse, le courage et la fermeté, pour que demain, la paix soit une réalité pour tous les enfants d'Israël et de Palestine.

Ainsi, nous invitons solennellement le Gouvernement à reconnaître l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 19 juillet 2024 et à en traduire les principales conclusions dans une résolution devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies.

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