EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a présenté, dans le cadre d'un paquet législatif sur l'utilisation durable des principales ressources naturelles1(*), une proposition de directive relative à la surveillance et à la résilience des sols, également appelée « directive sur la surveillance des sols ». Présentée tardivement, cette proposition de directive s'inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie de l'UE pour la protection des sols à l'horizon 2030, adoptée le 17 novembre 2021.
Cette stratégie vise ainsi à établir un cadre et des mesures pour la protection, la restauration et l'utilisation durable des sols, en cohérence avec les autres politiques du Pacte vert pour l'Europe2(*), en particulier le plan d'action « Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols »3(*). Il s'agit de définir une vision et des objectifs pour parvenir à des sols sains dans l'ensemble des États membres à l'horizon 2050, en s'appuyant sur des actions concrètes d'ici à 2030. Pour ce faire, la stratégie de l'UE prévoyait la présentation d'une nouvelle législation sur la santé des sols afin de garantir des conditions de concurrence équitables et un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé humaine. Cette législation doit aussi permettre de compléter la proposition de règlement relatif à la restauration de la nature4(*), qui a fait l'objet d'un accord provisoire, le 9 novembre 2023, entre le Parlement européen et le Conseil de l'UE, mais qui n'a pas encore été adoptée par les ministres de l'environnement en raison de l'absence de majorité qualifiée, en l'état actuel des positions d'un certain nombre d'états membres. Au cours de cette mandature, la Commission européenne s'est, en effet, engagée dans un travail d'élaboration d'outils législatifs afin de prévenir la pollution dans tous les milieux naturels et de préserver la biodiversité.
Le texte vise également à mettre en oeuvre les engagements internationaux de l'Union européenne, en particulier ceux qui ont été pris lors de la 15e conférence des parties sur la biodiversité (COP15), qui s'est tenue à Montréal en décembre 2022. Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté par 196 pays lors de cette conférence, établit un plan d'action qui comporte plusieurs cibles mondiales à atteindre, à l'horizon 2030 et au-delà, en vue de « la protection et de l'utilisation durable de la biodiversité ». Parmi ces cibles, figure la santé des sols qui doit contribuer à la restauration et à la préservation de la nature pour les populations.
L'Union européenne s'est aussi engagée en faveur du programme de développement durable à l'horizon 2030 intitulé « Agenda 2030 », adopté par les 193 États membres de l'Organisation des Nations-Unies, qui comprend notamment des objectifs de prévention de la dégradation des sols. L'objectif de développement durable 15.3 vise ainsi, d'ici à 2030, à « lutter contre la désertification, à restaurer les terres et sols dégradés, notamment les terres touchées par la désertification, la sécheresse et les inondations, et à s'efforcer de parvenir à un monde sans dégradation des sols ».
La proposition de directive sur la surveillance des sols,
qui est soumise au Sénat, a été bien accueillie par les
États membres. Un grand nombre d'entre eux a néanmoins
souligné la nécessité de respecter le principe de
subsidiarité et de veiller à limiter la charge administrative.
Les questions relatives à la connaissance et à la protection
des sols constituent des sujets particulièrement sensibles parmi les
États membres en raison de leurs nombreuses implications, que ce soit en
matière d'utilisation des pesticides, de décontamination des
sites industriels et miniers, ou d'exploitation des sols agricoles et
forestiers.
Les négociations au Conseil sur ce texte ont commencé sous la présidence espagnole et la présidence belge envisage d'adopter une orientation générale lors de la réunion des ministres de l'environnement du 17 juin prochain. Le Parlement européen a adopté la proposition de directive, en séance plénière, le 10 avril 2024 (336 voix pour, 242 contre et 33 abstentions), sur le fondement du rapport final de sa commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI), qui a assoupli certaines dispositions du texte de la Commission européenne. Les trilogues ne pourront commencer qu'après la mise en place du nouveau Parlement. Ainsi le calendrier ne permettra pas une adoption définitive du texte sous la mandature de l'actuelle Commission.
Cette proposition législative est fondée sur l'article 192, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit la mise en oeuvre d'objectifs de la politique environnementale par l'Union européenne, en particulier la préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement. Même si les sols ne sont pas identifiés en tant que tels comme relevant d'une compétence partagée entre l'Union et les États membres, leur protection et la prévention de leur dégradation contribuent bien aux objectifs de la politique environnementale de l'Union. L'action de l'Union européenne doit ainsi se concentrer sur l'état des sols ou du sous-sol, sans empiéter sur le droit de la propriété et le droit de l'urbanisme qui relèvent de la compétence de chaque État membre.
Selon le commissaire européen à
l'environnement, aux océans et à la pêche, M. Virginijus
SINKEVIÈIUS, « ce n'est pas une proposition
législative facile, étant donné que les tentatives
précédentes ont échoué. La première phase,
c'est la définition des sols en bonne santé avec un suivi
harmonisé dans toute l'UE pour une évaluation globale. Il faut
ensuite définir des pratiques globales sur la base de principes communs.
Nous souhaitons accomplir tout cela en cinq ans ».
L'objectif de la proposition est de combler l'absence de législation européenne dans le domaine de la protection et de la santé des sols. Si la première étape concerne la collecte des données sur les sols, de nouveaux objectifs pourraient être fixés, dans six ans, lors de la révision du texte. De fait, même si presque tous les pays européens ont pris des mesures qui s'appliquent directement ou indirectement aux sols, l'existence d'une législation spécifique dans ce domaine est variable selon les États membres.
La Commission européenne estime ainsi qu'il est « nécessaire de mettre en place un cadre européen car les incidences des sols endommagés sur l'environnement, l'économie et la société sont transfrontalières et considérables, et parce que l'aide apportée aux autorités nationales au niveau européen est efficace au regard des coûts »5(*).
I. Dix ans après l'échec du processus d'adoption d'une législation européenne relative à la protection des sols, l'élaboration d'un cadre juridique européen est toujours d'actualité
a. Une absence persistante de législation européenne en matière de protection des sols
Les sols sont « les grands oubliés du droit européen », comme le notaient, en juin 2021, les rapporteurs dans leur rapport portant sur la proposition de résolution demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières6(*). M. Philippe GILLET, professeur de droit public, directeur de l'Institut de droit de l'environnement de Lyon, faisait aussi observer, dans un article qui est paru en 2017, mais dont le constat reste d'actualité, que : « milieu physique ignoré du code de l'environnement, qui ne reconnaît comme tel que l'eau et l'air et ne le consacre vraiment que dans sa part d'ombre, lorsqu'il est pollué, le sol est l'arlésienne du droit de l'environnement »7(*).
En effet, en l'état actuel, il n'existe pas de
législation européenne spécifique concernant la
surveillance et protection des sols ainsi que la prévention de leur
dégradation, en tant que milieux naturels, contrairement à l'air
ou à l'eau. Des dispositions éparses relatives aux sols figurent
cependant dans plusieurs directives ou règlements européens.
Les sols sont aussi pris en compte dans différentes politiques
sectorielles de l'Union, notamment en raison du caractère transversal de
la politique environnementale.
Il n'est pas non plus défini en tant que tel dans notre droit national. La commission d'enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols avait pourtant souhaité introduire une véritable définition du sol afin de mettre en oeuvre une politique nationale ambitieuse de prévention et de gestion des sites et sols pollués. L'article premier de la proposition de loi8(*) issue des travaux de cette commission d'enquête en proposait l'introduction dans le code de l'environnement.
L'article L. 110-1 du code de l'environnement précise toutefois que les sols concourent à la constitution du patrimoine commun de la nation, et le titre IV du livre II du même code pose des principaux généraux de protection des sols visant à prévenir et réduire la pollution de ces derniers. Leur protection est aussi assurée par diverses dispositions qui relèvent des législations sur l'eau, l'agriculture, l'urbanisme, l'énergie, les déchets, ou les produits chimiques.
Pour autant, de nombreuses initiatives ont été prises au niveau européen pour définir des objectifs en matière de protection des sols dans l'Union européenne. Ainsi, dès 2002, la Commission a adopté une communication intitulée « Vers une stratégie thématique pour la protection des sols »9(*), qui a fait l'objet d'une actualisation en 200610(*). Sans portée législative, cette première stratégie ambitionnait de définir un cadre commun pour la protection des sols au même titre que celle dont bénéficient l'air et l'eau, et de prévenir leur dégradation.
Dans le sillage de cette stratégie, la Commission européenne a proposé, le 22 septembre 2006, une directive11(*) définissant un cadre pour la protection des sols. L'absence d'une législation européenne propre aux sols résulte principalement de l'échec, en 2014, du processus d'adoption de ce texte.
Cette proposition de directive visait à définir un cadre pour la protection des sols permettant d'identifier, de prévenir et de remettre en état les sols pollués ou dégradés. Les États membres auraient notamment été tenus de dresser un inventaire des sites pollués, basé sur la pollution intrinsèque et non sur l'évaluation du risque, et de procéder à leur assainissement afin d'éliminer tout risque sérieux pour la santé humaine ou pour l'environnement.
Ce projet a fait l'objet d'un vote négatif de quatre pays (Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne et Pays-Bas) et d'une abstention (France). Des critiques en termes de subsidiarité, de coûts excessifs et de charges administratives importantes ont notamment motivé la décision de retrait de ce texte en 201412(*). Ainsi la France s'est abstenue en raison du coût financier que représentait l'obligation d'inventaire des sites pollués, de diagnostic et de dépollution, susceptible de concerner près de 300 000 sites.
Il convient de rappeler que la France n'était pas, à l'époque, opposée à l'adoption d'une directive mais qu'elle avait soulevé plusieurs objections : d'une part, l'absence de priorisation dans le projet de directive, et, d'autre part, le choix d'un seul paramètre d'analyse chimique des sols, en contradiction avec le retour d'expérience français.
Par ailleurs, il convient de relever que la définition d'un cadre réglementaire européen en matière de sols se heurte au « régime de propriété » qui relève de la compétence propre des États membres. L'article 345 du TFUE dispose, en effet, que « les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres ». Cette réserve de compétence nationale restreint donc le champ d'intervention de l'Union en matière de gestion des sols.
b. Des résolutions du Sénat et du Parlement européen appelant à l'élaboration d'une législation européenne
Suite aux travaux de sa commission d'enquête sur la
pollution des sols dont le rapport a été adopté à
l'unanimité, le 8 septembre 202013(*), et qui a
préconisé l'introduction dans la législation
européenne et nationale d'un « véritable droit de la
protection des sols », le Sénat a adopté,
le
23 juillet 2021, sur proposition de sa commission des affaires
européennes, une résolution européenne14(*) appelant à relancer le
processus d'élaboration d'une directive européenne sur la
protection des sols et la prévention de leur dégradation par les
activités industrielles et minières, et à inclure dans ce
texte une injonction aux États membres d'établir une cartographie
nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions
des sols.
Comme le relevaient les rapporteurs dans leur rapport
d'alors sur la proposition de résolution plaidant pour une directive
européenne sur la protection des sols et la prévention de leur
dégradation par les activités industrielles et
minières15(*),
« cet échec montre la difficulté de concrétiser
une politique de protection des sols à l'échelle de l'Union
européenne.
Or l'adoption d'une proposition de directive-cadre sur
les sols devait être la pierre angulaire dans la mise en oeuvre d'une
véritable politique de protection des sols au niveau de l'Union
européenne ».
Les rapporteurs ont souligné l'importance que revêtent les sols en matière de protection de l'environnement et de préservation de la santé humaine. Ils appelaient à faire évoluer le cadre juridique européen pour parvenir à une harmonisation des législations et règlementations existantes aux niveaux européen et national afin de mettre en oeuvre avec efficacité les politiques environnementales, définies par l'Union européenne, dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
De fait, les législations et réglementations adoptées par les États membres de l'Union européenne concernant la protection des sols et la prévention de leur dégradation varient considérablement en fonction des États membres.
En effet, comme le relève le rapport de MM. Claude GITTON et Gérard FALLON, sur l'étude de parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des sols agricoles16(*), « tous les pays mènent une politique des sols, dont une partie seulement est directement liée à l'application de textes communautaires. [...] diverses initiatives reposant sur une caractérisation des sols et une information des usagers sont mises en oeuvre pour des motifs de sécuritéì alimentaire nationale, de santeì publique, d'aménagement du territoire ou de lutte contre le changement climatique ».
Le Parlement européen s'est également prononcé, le 28 avril 2021, pour « un cadre juridique commun à l'échelle de l'Union, dans le plein respect du principe de subsidiarité, sur la protection et l'utilisation durable des sols, qui aborde les principales menaces pesant sur les sols »17(*).
c. Le rôle central des sols pour la préservation de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique et la protection de la santé humaine
La nécessité d'une législation pour la protection des sols se justifie par leur importance à divers titres.
Les sols représentent une ressource limitée, non renouvelable, dotée de fonctions multiples, fragilisée par les différentes menaces qui s'exercent sur eux. Ils jouent un rôle essentiel pour le développement des activités humaines et constituent aussi un habitat et un réservoir de la biodiversité. Ils sont d'ailleurs au fondement de l'agriculture ; à ce titre, ils sont non seulement un moyen de production mais aussi un élément constitutif d'une exploitation agricole. Le sol en tant que support de la production alimentaire fournit ainsi 95 % des aliments.
Leur dégradation a des incidences considérables sur la protection des eaux, le changement climatique, la biodiversité, la protection de la nature mais aussi sur la santé humaine. La qualité des sols et la protection de leur santé constituent un enjeu majeur au regard de leurs fonctions et de leurs usages. Le concept de service écosystémique, qui a été initié dans les années 1970, vise à faire reconnaître la nécessité d'une protection des sols.
Selon les données les plus récentes, les sols contiennent, en effet, 59 % de la biodiversité totale de notre planète et abritent presque un quart des espèces vivantes connues. Ils forment donc un patrimoine biologique de tout premier plan. « Outre ce rôle patrimonial, ce réservoir de biodiversité permet de remplir de grandes fonctions (dépollution, recyclage des éléments minéraux, stockage du carbone...), elles-mêmes à la base des services dits « écosystémiques » sur lesquels repose la durabilité environnementale, mais aussi économique, de notre société »18(*), comme le souligne M. Lionel RANJARD, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Les sols plantés de forêts et de prairies constituent des puits de carbone, qui absorberaient, selon l'Agence européenne pour l'environnement, jusqu'à 80 millions de tonnes de carbone par an dans l'Union19(*).
Selon les auteurs du rapport sur l'étude de
parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des
sols agricoles,
« la multifonctionnalité des sols est de
mieux en mieux connue dans le monde de la recherche. Toutefois, cette
connaissance pénètre peu les sphères de décision,
que ce soit pour la gestion des sols agricoles ou pour la consommation de sols
agricoles par artificialisation ».
L'étude d'impact réalisée par la Commission européenne indique qu'environ 60 à 70 % des sols de l'UE sont actuellement en mauvais santé (dégradation, érosion, acidification, artificialisation, pollution, changement climatique...) et que l'on recense près de trois millions de sols potentiellement contaminés dont seuls 340 000 pourraient faire l'objet d'une dépollution. 650 000 sites en Europe ont été exposés, ou le sont encore, à des activités polluantes.
La Commission européenne considère que la dégradation des sols résulte principalement du changement d'affectation des terres, d'une gestion non durable des terres, des activités et des émissions industrielles, de l'imperméabilisation, de la contamination et de la surexploitation des sols, en lien avec les effets du changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes.
Cette situation concerne tous les États membres et
a tendance à s'aggraver ; elle n'est pas sans conséquences
sur les services rendus par les écosystèmes ainsi que sur les
défis environnementaux et climatiques que doit relever l'Union
européenne. Le coût estimé par la Commission de cette
dégradation est de l'ordre de 50 milliards d'euros par an, et celui
de l'inaction dans ce domaine s'élèverait entre 54 et
86 milliards d'euros
par an. Selon la Commission
européenne, les bénéfices liés à la
restauration des sols seraient six fois supérieurs aux coûts.
Par ailleurs, selon les estimations réalisées par le centre de recherche de la Commission européenne, l'érosion des sols entraîne une perte de productivité agricole estimée à 1,25 milliard d'euros par an dans l'Union européenne. Entre 2012 et 2018, plus de 400 km2 de terres en valeur nette ont été perdus chaque année au sein de l'UE.
Tout ceci justifie l'opportunité d'une législation protectrice des sols dans l'Union européenne.
II. Un cadre juridique moins prescriptif que la précédente initiative qui repose sur l'harmonisation de la collecte de données et des pratiques de gestion durable
L'objectif de la proposition de directive aujourd'hui sur la table est de parvenir à des sols « restaurés, résilients et bien protégés » à l'horizon 2050, conformément à l'ambition « zéro pollution » de l'UE, afin de leur permettre d'assurer l'ensemble de leurs fonctions dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la protection du climat et de l'environnement, et de la protection de la santé humaine. La Commission européenne considère, en effet, que « sans une gestion durable et une régénération des sols, la détérioration de la santé des sols sera au coeur d'une future crise de sécurité alimentaire ».
Pour y parvenir, le texte ne fixe aucun objectif juridiquement contraignant aux États membres et n'exige pas non plus l'élaboration de stratégies ou plans nationaux pour la santé des sols, mais il propose une approche progressive et échelonnée dans le temps pour mettre en oeuvre les principales dispositions du texte. Les mesures envisagées se concentrent essentiellement sur une évaluation de la situation de l'état des sols et le recueil de données précises.
Par ailleurs, la Commission européenne laisse aux États membres des marges de manoeuvre, notamment concernant la méthodologie utilisée, afin de permettre leur adaptation aux spécificités nationales et locales.
Pour reprendre le terme employé par M. Claude GITTON, inspecteur général de l'environnement et du développement durable, lors de son audition par les rapporteurs, le texte proposé par la Commission européenne est un « aiguillon » nécessaire pour faire converger les politiques publiques des États membres vers des pratiques harmonisées au niveau européen. Les auditions des rapporteurs n'ont pas permis d'identifier d'opposition de principe au texte. Les représentants du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont, d'ailleurs, souligné qu'il s'inscrivait dans le cadre des politiques européennes et nationales mises en oeuvre pour la préservation de la biodiversité, la capacité de résilience des sols et le stockage du carbone. Ils ont également précisé que son approche mesurée tenait compte des spécificités nationales et ne remettait pas en cause la législation en vigueur dans notre pays.
La proposition de directive s'articule autour de trois instruments principaux :
- la mise en place d'un système harmonisé de surveillance de la santé des sols au sein de l'Union s'appuyant sur des données partagées ;
- la définition de pratiques de gestion durable des sols ;
- une évaluation des risques en termes de santé humaine et d'environnement concernant les sols potentiellement contaminés.
a. La mise en place d'un cadre de surveillance harmonisé des sols dans l'UE
La proposition de directive prévoit un cadre commun de surveillance pour tous les sols et d'évaluation de l'état et de la qualité des sols dans l'ensemble de l'Union, basé sur les districts de gestion des sols (article 6). Ce cadre repose sur une méthodologie et des indicateurs communs à l'ensemble des États membres. Il vise à harmoniser, à l'échelle européenne, l'état de connaissances sur les sols et à disposer de référentiels. Il s'appuie également sur une définition de la santé des sols.
Les données recueillies seront issues des agences nationales ainsi que du programme de surveillance spatiale Copernicus de l'Union européenne. La création d'une base de données a déjà été prévue, dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe, et lors de la mise en oeuvre de la mission « un pacte pour des sols sains en Europe », dans le cadre du programme-cadre Horizon Europe.
Les rapporteurs partagent l'ambition de la Commission européenne de disposer de données comparables entre États membres et de favoriser le partage des informations et des connaissances dans le domaine des sols. Force est de remarquer que la quasi-totalité des États membres disposent de dispositifs de surveillance liés à la protection des sols, même si des lacunes importantes restent encore à combler. Comme l'indique l'étude de parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des sols agricoles, la connaissance des sols en France est très satisfaisante et elle est d'ailleurs souvent citée en exemple à l'étranger. Pourtant, aucun système d'information spécifique aux sols n'est prévu par le code de l'environnement, contrairement à ce qui est en place pour l'eau, la biodiversité et le milieu marin20(*). L'adoption de la directive conduirait à donner une base juridique à ce suivi de l'état des sols.
Cette tâche est néanmoins réalisée par le Groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GIS Sol), créé en 2001, qui assure la constitution d'une base de données sur les sols et sa gestion pour les pouvoirs publics. Ce groupement publie également des cartes sur la qualité des sols, fondées sur les bases de données qu'il exploite. Concernant les sols forestiers, la collecte des données repose sur le réseau RENECOFOR, créé en 1992 par l'Office nationale des forêts (ONF), et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).
Par ailleurs, le CEREMA est chargé de suivre le phénomène de consommation d'espace naturels agricoles et forestiers. Il analyse les fichiers fonciers, issus du retraitement des données fiscales, permettant de déterminer si une parcelle est à usage naturel, agricole, forestier ou autre. Un outil d'observation de l'occupation des sols à grande échelle (OCS-GE) est en cours de développement par l'IGN. À compter de 2025, il permettra d'observer, sur l'ensemble du territoire national, l'occupation des sols et leur couverture. Les données produites contribueront aussi à accroître les connaissances scientifiques et techniques à ce sujet.
Les districts de gestion des sols seraient établis
par les États membres, en fonction de paramètres physiques
homogènes, et constitueraient l'unité de gouvernance pour la
gestion des sols ainsi que pour l'application des mesures envisagées.
Par ailleurs, il reviendrait aux États membres de désigner une
autorité compétente pour s'assurer de la mise en oeuvre des
exigences de la directive pour chaque district
(articles 4 et 5).
Dans ce cadre, il serait demandé aux États membres d'assurer une surveillance de la santé des sols et de l'artificialisation des terres, en se référant à des descripteurs du sol, des critères relatifs au bon état des sols et des indicateurs d'artificialisation et d'imperméabilisation des sols, mentionnés à l'annexe I, et selon des méthodes de mesures définies (article 7). Les premières mesures devraient être effectuées quatre ans après l'entrée en vigueur de la directive, puis au moins tous les cinq ans.
L'ensemble de ces paramètres pourraient être adaptés et complétés par les États membres pour tenir compte des spécificités nationales et locales. L'évaluation de la santé des sols devrait être réalisée par les États membres tous les cinq ans, selon l'approche commune proposée de la définition d'un sol en bonne santé, qui pourrait néanmoins être adaptée en fonction des caractéristiques de certains sols (article 9).
Les autorités compétentes seraient chargées d'identifier, dans chaque district de gestion des sols, les zones présentant des sols en mauvais état de santé et de rendre publiques ces données. Un sol serait considéré comme ne présentant pas un bon état de santé dès lors qu'au moins un des critères visés n'est pas satisfait (salinisation, érosion, perte de carbone organique, compactage, excès de nutriments, pollution et capacité de retenir l'eau). Par ailleurs, le texte prévoit la mise en place d'un mécanisme volontaire de certification de santé des sols destiné aux propriétaires fonciers et aux gestionnaires de terres (article 9).
L'ensemble des données de surveillance seraient rendues accessibles au public via la création d'un portail numérique de données sur la santé des sols par la Commission européenne et l'Agence européenne pour l'environnement, deux ans après l'entrée en vigueur de la directive (article 19).
b. Les principes de gestion durable des sols et d'atténuation de l'artificialisation des sols
Le texte établit, dans une annexe III, les principes de gestion durable des sols (article 10) qui doivent permettre de maintenir ou d'améliorer la santé des sols tant en termes de fertilité, de productivité que de rendement et d'éviter, dans la mesure du possible, la perte de la capacité du sol à fournir de multiples services écosystémiques.
Ces pratiques ayant des incidences positives pour la gestion durable des sols seraient définies et mises en oeuvre progressivement par les États membres - quatre ans après l'entrée en vigueur de la directive - ; elles tiendraient compte des programmes, plans et objectifs requis par d'autres législations de l'UE, tout en y associant les gestionnaires des sols, les propriétaires fonciers et les autorités concernées. Il reviendrait ainsi aux autorités gestionnaires des sols de déterminer les mesures les plus appropriées et les modalités de leur mise en oeuvre à l'échelle nationale par les acteurs concernés. Un ensemble de mesures sont requises des États membres, telles que des actions de sensibilisation, l'incitation à la recherche, le transfert de connaissances ainsi que des actions financières.
Bien que le texte mentionne des méthodes de gestion durable et des pratiques régénératrices qui améliorent la santé des sols, ces pratiques ne sont pas, à ce stade, obligatoires. La Commission européenne ne fixe aucun objectif contraignant pour lutter contre la dégradation des sols et parvenir à un bon état de santé pour tous les sols à l'horizon 2050.
Toutefois il propose un principe de réduction de l'emprise sur les terres ou une compensation de la perte (article 11) de terres, qui repose sur la définition de la notion d'artificialisation, sans pour autant définir d'objectif.
La France a déjà mis en oeuvre des
politiques publiques qui encouragent les pratiques de gestion durable des sols,
notamment dans le cadre de différents programmes, plans et
stratégies nationales.
Par ailleurs, s'agissant du secteur agricole,
il existe en France des infrastructures qui permettent de tester,
d'améliorer et de transférer des pratiques de bonne gestion pour
la préservation des sols. On peut citer, par exemple, les Groupements
d'intérêt économique et environnemental qui sont
près de 500 et qui regroupent plus de 8 700 exploitations
agricoles, ou le réseau Dephy, qui est un programme d'action issu
du plan Ecophyto qui tend à développer des techniques et
systèmes agricoles économes en produits phytosanitaires.
En outre, les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) ont été renforcées dans le cadre de la nouvelle PAC. Les agriculteurs bénéficiant de paiements à la surface au titre de la PAC doivent ainsi respecter un ensemble minimal d'exigences en matière de protection des sols.
c. Le recensement des sites potentiellement contaminés
La Commission européenne propose que les États membres identifient, dans un délai de sept ans après l'entrée en vigueur de la directive, les sites potentiellement contaminés, sur la base d'éléments recueillis par tous les moyens à disposition, procèdent à une analyse de sol et définissent une procédure d'évaluation des risques, selon une méthode prévue à l'annexe VI de la proposition (article 13).
Tous les sites contaminés identifiés devraient faire l'objet d'une évaluation spécifique afin de déterminer s'ils présentent des risques inacceptables pour la santé humaine ou pour l'environnement (article 15), sur la base des connaissances scientifiques, du principe de précaution, des spécificités locales et de l'utilisation actuelle et future des sols. Le texte prévoit que l'autorité responsable prenne les mesures nécessaires pour ramener le risque à un niveau acceptable. Chaque État membre serait également tenu de dresser une liste des activités à risque potentiellement contaminantes, ainsi que de procéder à un enregistrement des sites potentiellement contaminés, qui serait rendu public et mis en ligne (article 13). Il reviendrait aux États membres de fixer les règles d'analyse (délais, contenu, priorité) des sites contaminés (article 14).
Les États membres disposeront d'un délai de sept ans après l'entrée en vigueur de la directive pour cette identification des sites pollués ou potentiellement pollués et leur inscription dans un registre public.
L'approche de la Commission européenne est ainsi essentiellement fondée sur les risques liés à la contamination des sols selon leurs usages (article 12). Elle vise à maintenir, à un niveau acceptable, les risques liés aux sites pollués ou potentiellement pollués en tenant compte des incidences environnementales, sociales et économiques de la pollution des sols et des mesures de réduction des risques adoptées. Les rapporteurs soutiennent qu'une telle politique de gestion des risques sanitaires et environnementaux selon l'usage des sols doit être privilégiée dans l'UE.
Cette approche ne remet pas en cause le droit français qui fonde la prévention de la pollution des sols sur une approche essentiellement centrée elle aussi sur les risques, relevant pour l'essentiel de la législation sur les installations classées qui figure dans le code de l'environnement.
Par ailleurs, les rapporteurs avaient fait observer dans leur rapport sur la proposition de résolution demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières que « la réalisation d'une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols, comme le recommande la commission d'enquête, constitue un préalable indispensable à l'objectif de restauration des écosystèmes dégradés à l'horizon 2030 et s'inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie de protection des sols qui doit être adoptée prochainement par la Commission européenne ».
Des dispositions relatives à l'accès à la justice (procédures de recours et sanctions) complètent en outre la proposition de directive. Il est ainsi prévu que les États membres définissent des sanctions financières proportionnelles au chiffre d'affaires de la personne morale ou aux revenus de la personne physique qui a commis l'infraction (article 23).
Enfin, la mise en oeuvre des dispositions de ce texte devrait pouvoir bénéficier du soutien des fonds européens compte tenu du caractère prioritaire de ses objectifs.
III. Les bases d'un cadre juridique qui doit être clarifié et adapté afin de préserver les spécificités nationales et la soutenabilité financière de la démarche
Tout en saluant la démarche engagée par la Commission européenne, attendue en particulier par le Sénat, et en prenant acte que cette initiative constitue une première étape, vos rapporteurs proposent à la commission des affaires européennes de plaider pour que plusieurs dispositions de la proposition de directive ici examinée soient clarifiées ou adaptées pour ne pas compromettre les objectifs fixés par l'UE en matière de protection des sols.
La commission des affaires européennes comprend cette approche progressive et proportionnée, qui tient compte des spécificités nationales et locales, tout en soulignant la nécessité d'une harmonisation à l'échelle européenne des législations et réglementations nationales.
a. Veiller à ne pas créer de nouvelles charges financières et administratives dans la surveillance des sols par les États membres
La proposition de directive propose une stratégie de surveillance des sols qui prévoit la mise en place d'un réseau complet de points de prélèvement qui nécessite de disposer d'importantes ressources humaines, techniques et financières.
Ainsi, selon les éléments fournis par
l'étude d'impact réalisée par la Commission
européenne, le système d'analyse des mesures du sol tel qu'il est
envisagé par le texte proposé conduirait à exercer une
surveillance sur 20/25 000 points pour la France, laquelle dispose
aujourd'hui d'un réseau de surveillance de 2 200 sites, soit
un facteur multiplicatif de dix.
Alors même que le coût de
surveillance du réseau actuel est déjà élevé
- de l'ordre de 10 000 euros par point
d'échantillonnage -, la commission des affaires européennes
attire l'attention sur la pertinence de la méthodologie proposée
par la Commission européenne dont les implications budgétaires et
les charges administratives qui en résulteraient apparaissent
significatives.
Force est de noter qu'il existe déjà un réseau européen de surveillance des sols, l'enquête statistique sur l'Occupation et l'Utilisation des sols (LUCAS), qui fournit des informations détaillées sur des points spécifiques ainsi que des statistiques harmonisées et comparables sur l'utilisation et l'occupation des sols sur le territoire de l'UE.
En France, l'inventaire et la surveillance de la
qualité des sols se sont développés depuis une depuis une
vingtaine d'année, notamment grâce à un réseau de
mesures, comme l'a indiqué aux rapporteurs M. RANJARD, directeur de
recherche écologie du sol - agroécologie auprès de
l'INRAE. Le GIS Sol, chargé de constituer et de gérer le
système d'information sur les sols de France ainsi que de fournir un
inventaire cartographique de surveillance des sols, assure la gestion du
réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS), qui dresse le
tableau de bord de la qualité des sols.
Le budget du GIS Sol
est d'environ 1,8 million d'euros par an. Cet outil est assez unique parmi les
pays européens, comme l'a souligné aux rapporteurs M. Claude
GITTON, Inspecteur général de l'environnement et du
développement durable, section milieux, ressources et risques.
Les nouvelles charges associées aux dispositions envisagées par la proposition de directive nécessitent des besoins financiers et administratifs importants afin de pouvoir réaliser les évaluations de la santé des sols, selon les échéances envisagées par la Commission européenne, dans tous les districts de gestion.
D'après les informations communiquées aux rapporteurs, le nombre de sols pollués en France est relativement stable ; 10 000 d'entre eux font l'objet d'un suivi annuel. La situation ne présente pas de signe d'aggravation ni d'amélioration nette. La France a développé et formalisé une méthodologie en la matière depuis 2007. Le texte de la Commission apporte des éléments méthodologiques à l'échelle européenne mais ne met pas en évidence de lacune majeure en matière d'identification des sols pollués pour la France.
Force est de constater qu'aucune nouvelle source de financement n'est prévue pour assurer les actions en faveur de la santé des sols. La Commission européenne propose de financer les actions dans le cadre des plans stratégiques nationaux élaborés par les États membres au titre de la PAC, ce qui ne manque pas de poser question. Les besoins financiers nécessaires à la mise en oeuvre de la directive devraient être plus précisément évalués.
La commission des affaires européennes s'interroge aussi sur l'instauration d'un mécanisme de certification de la santé des sols agricoles et forestiers, certes sur la base du volontariat, qui pourrait conduire à une valorisation des terres en cas d'obtention de ce certificat et des pratiques de gestion durable mises en place, mais dont le coût pour les exploitants et les gestionnaires de terre n'a pas été évalué et qui contribuerait à l'établissement de nouvelles normes. Cette disposition a toutefois été supprimée dans le texte adopté par le Parlement européen.
b. Assouplir la méthodologie d'évaluation de la santé des sols
Le texte de la Commission propose de déterminer le bon état de santé des sols selon des descripteurs et critères précis et selon une méthodologie harmonisée au niveau européen. Cette définition constitue un point particulièrement délicat de la proposition de directive. Il convient de souligner l'importance d'établir une définition précise de la notion de sols dégradés.
L'article 9 prévoit ainsi que les sols qui ne satisfont pas à un seul des critères fixés à l'échelle européenne ou nationale, à l'annexe I, seront considérés comme ne présentant pas un bon état de santé.
Les rapporteurs estiment que considérer qu'un sol ne présente pas un bon état de santé dès lors qu'un seul des huit critères (salinisation, érosion, perte de carbone organique, compactage, excès de nutriments, pollution et capacité de retenir l'eau) n'est pas satisfait pour définir la mauvaise santé d'un sol revient à ne pas tenir compte de la complexité des situations et interroge sur la fiabilité de l'évaluation envisagée. L'évaluation de la santé des sols doit tenir compte non seulement de leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques mais aussi des services écosystémiques qu'ils rendent. Il pourrait être envisagé une approche comparable à celle de la directive cadre 2000/60/CE sur l'eau qui distingue trois niveaux d'évaluation, bon état biologique, bon état chimique et bon état physique.
Il convient aussi de prendre en considération les différents types de caractéristiques géographiques et climatiques des États membres dans la surveillance des sols, en particulier dans les régions ultrapériphériques (RUP), ainsi que les spécificités des divers secteurs agricoles de l'UE, notamment des sols forestiers.
c. Ne pas introduire de nouvelles contraintes en matière d'artificialisation des terres
La Commission européenne ne fixe pas d'objectif
contraignant en matière d'artificialisation des sols mais propose de
veiller à la mise en oeuvre de principes d'atténuation de
l'artificialisation des sols selon la démarche ERC -
« éviter - réduire - compenser » - qui
tend à prévenir les risques d'incidences négatives
liés à l'artificialisation sur les sols.
La stratégie
de l'UE pour la protection des sols, présentée en 2021,
prévoit de mettre un terme à l'augmentation nette de la surface
de terres artificialisées à l'horizon 2050.
Les rapporteurs sont attentifs à ce que le texte respecte le principe de subsidiarité et n'introduise pas de contraintes européennes sans valeur ajoutée, d'autant que le droit de l'urbanisme est une compétence propre de chaque État membre et que la France a récemment légiféré sur l'artificialisation des sols, en fixant une trajectoire nationale de réduction de l'artificialisation des sols, avec un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050.
Lors des auditions, il a été précisé aux rapporteurs par les autorités françaises qu'elles soutenaient au nom de la France l'établissement d'une législation sur l'artificialisation et l'imperméabilisation des sols au niveau européen, en cohérence avec les politiques de préservation de la biodiversité, et de la ressource en eau, de lutte contre le dérèglement climatique, d'adaptation à celui-ci et de souveraineté alimentaire, et la fixation d'un objectif non contraignant de maîtrise du flux d'artificialisation, compatible avec les récentes évolutions législatives françaises.
Par ailleurs, les autorités françaises ne s'opposent pas, dans le cadre des négociations, à l'introduction éventuelle d'un tel objectif à l'horizon 2050, dès lors qu'il n'impliquerait pas d'évolution du cadre juridique national.
Selon les représentants du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la proposition de la Commission européenne ne nécessite ni une évolution de la législation française, ni une évolution substantielle des outils de mesure déployés dans le cadre de la loi climat et résilience du 22 août 2021 et de la loi ZAN du 20 juillet 2023.
Cependant, il convient d'être vigilant sur les définitions proposées dans la version initiale du texte européen s'agissant de l'artificialisation, qui est définie dans la législation française comme une altération durable des fonctions écologiques d'un sol. Les définitions proposées par la Commission pour « terres naturelles »21(*), « terres semi-naturelles »22(*) et « terres artificialisées »23(*), apparaissent problématiques, comme le souligne l'avis de la Cour des comptes européenne sur cette proposition de directive. Ces définitions ont, d'ailleurs, suscité une forte réserve de la part des autorités françaises. En effet, la première est particulièrement restrictive et n'a donc que peu d'utilité pratique puisqu'elle exclut la quasi-totalité du territoire français. La deuxième est très large et ne permet donc pas de cerner précisément ce qu'elle recouvre. Enfin, la troisième est très restrictive puisqu'elle définit l'artificialisation uniquement par la construction d'infrastructure, de bâtiments, d'activités extractives ou de sites de fouilles archéologiques.
d. Veiller à la cohérence de certaines dispositions de la directive et aux spécificités nationales
Enfin, les rapporteurs soulignent la nécessité d'articuler, dans le souci d'une approche globale, les systèmes de surveillance et d'évaluation des sols envisagés par la proposition de directive avec les autres dispositifs européens (Natura 2000, directive-cadre sur l'eau) et internationaux de suivi des sols et des écosystèmes déjà mises en oeuvre. En outre, le traitement des informations portées à la connaissance du public par l'intermédiaire du portail numérique européen de données doit être élaboré en conformité avec les exigences du règlement général sur la protection des données.
Les actions sur la surveillance, la gestion durable des
sols et les sols pollués doivent aussi être mieux
coordonnées entre elles. Ainsi la Commission prévoit la mise en
place, dans un délai de quatre ans, d'un registre public des sites
contaminés et potentiellement contaminés.
Or les États
membres disposent d'un délai de quatre ans pour définir leur
méthodologie d'identification et d'un délai de sept ans pour
procéder à la première étape d'identification des
sites potentiellement pollués.
À l'issue de la présentation des rapporteurs, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne qui suit.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
· Institutions européennes
Commission européenne
M. Humberto DELGADO ROSA, directeur de l'équipe des sols de la DG « Environnement »
· Services de l'État
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Mme Béatrice MICHALLAND, sous-directrice de l'information environnementale, co-présidente du groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GIS Sols)
M. Jean-Luc PERRIN, sous-directeur des risques chroniques et du pilotage - Direction générale de la prévention des risques
M. Hugo THIERRY, chef du bureau de la connaissance et des politiques foncières - Direction générale de l'aménagement du logement et de la nature
· Organismes / Experts
M. Claude GITTON, Inspecteur général de l'environnement et du développement durable, section milieux, ressources et risques
M. Lionel RANJARD directeur de recherche écologie du sol - agroécologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)
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CONTRIBUTIONS ÉCRITES
· Secrétariat général des affaires européennes
· Fédération nationale des syndicats exploitants agricoles (FNSEA)
* 1 Proposition de règlement relatif aux végétaux obtenus par certaines nouvelles techniques génomiques et à leurs denrées alimentaires et aliments pour animaux - COM(2023) 411 final ; Proposition de règlement relatif à la production et à la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux - COM(2023) 414 final ; Proposition de règlement relatif à la production et à la commercialisation des matériels forestiers de reproduction - COM(2023) 415 final ; Proposition de directive modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets - COM(2023) 420 final ; Proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols - COM(2023) 416 final.
* 2 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l'Europe », COM(2019) 640 final.
* 3 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 12 mai 2021 intitulée « Plan d'action de l'Union européenne : “Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols” », COM(2021) 400 final.
* 4 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature - COM(2022) 304 final.
* 5 Questions et réponses concernant une directive relative à la surveillance et à la résilience des sols - Commission européenne - 5 juillet 2023.
* 6 Rapport du Sénat n° 698 (2020-2021) - 17 juin 2021 - de Mme Gisèle Jourda et M. Cyril Pellevat, fait au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières.
* 7 « De la source au puits : aspects juridiques de la protection des sols dans le cadre de la lutte contre le changement climatique » - Philippe Billet - Revue juridique de l'environnement 2017/HS17 (n° spécial), pages 215 à 227.
* 8 Proposition de loi n° 594 (2020-2021) visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France, présentée par Mme Gisèle Jourda et plusieurs de ses collègues.
* 9 Communication de la Commission européenne du 16 avril 2002 intitulée « Vers une stratégie thématique pour la protection des sols », COM(2002) 179.
* 10 Communication de la Commission européenne du xxx 2006 intitulée « Vers une stratégie thématique en faveur de la protection des sols », COM(2006) 231.
* 11 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE - COM(2006) 232 final - « L'acquis communautaire comprend certaines dispositions en matière de protection des sols, mais il n'existe pas de législation communautaire en la matière. La présente proposition vise à combler cette lacune et a pour objectif de mettre en place une stratégie commune pour la protection et l'utilisation durable des sols ».
* 12 Retrait de propositions de la Commission qui ne revêtent plus un caractère d'actualité du 21 mai 2014 - (2014/C 153/03).
* 13 Rapport intitulé « Pollutions industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir » n° 700 (2019-2020) - 8 septembre 2020 - de Mme Gisèle JOURDA, fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols.
* 14 Résolution européenne n° 147 (2020-2021) demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières.
* 15 Rapport n° 698 (2020-2021) de Mme Gisèle JOURDA et M. Cyril PELLEVAT, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 17 juin 2021.
* 16 Étude de parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des sols agricoles - Rapport CGEDD 013156-01 et CGAAER n° 19104, établi par M. Claude Gitton (CGEDD) et M. Gérard Fallon (CGAAER) - Juin 2020 - page 6.
* 17 Résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur la protection des sols - 2021/2548(RSP).
* 18 « La biodiversité microbienne des sols » - Lionel Ranjard, directeur de recherche INRAE, UMR agroécologie Dijon - Revue TDC n° 1130 - Novembre 2020.
* 19 Agence européenne pour l'environnement, Soil Organic Carbon, 20 février 2017.
* 20 Article R. 131-4 du code de l'environnement.
* 21 « terres naturelles »: un espace dont les principales fonctions écologiques et la composition des espèces n'ont pas été sensiblement modifiées par les activités humaines.
* 22 « terres semi-naturelles »: un espace dont les assemblages écologiques ont été sensiblement modifiés quant à leur composition, leur équilibre ou leur fonction par les activités humaines, mais qui conserve une valeur potentiellement élevée du point de vue de sa biodiversité et des services écosystémiques qu'il fournit.
* 23 « terres artificialisées »: les terres utilisées en tant que supports de bâti et d'infrastructures, comme sources directes de matières premières ou en tant qu'archives du patrimoine historique, au détriment de la capacité des sols à fournir d'autres services écosystémiques.