EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que le débat énergétique français a longtemps opposé l'essor bienvenu des énergies renouvelables à la réduction dogmatique de la part de l'énergie nucléaire dans notre mix électrique 1 ( * ) , il est temps de reconnaître, d'une part, que dans la lutte contre le réchauffement climatique et l'atteinte des objectifs des Accords de Paris, l'énergie nucléaire jouera un rôle essentiel 2 ( * ) , d'autre part, que face à l'électrification des usages, la meilleure logique consiste à renforcer la capacité de production d'électricité bas carbone (renouvelables + nucléaire) : c'est la logique additive préconisée par RTE 3 ( * ) dans son rapport sur l'évolution du système électrique. Une complémentarité est dès lors non seulement possible mais nécessaire entre des énergies renouvelables intermittentes et une énergie nucléaire pilotable, la seconde permettant en réalité d'accompagner l'essor des premières.
Toutefois, le secteur nucléaire français a besoin d'une stratégie claire de long terme eu égard, d'une part, à un futur effet falaise dans la décennie 2040 avec la fermeture de nombreuses centrales construites dans les années 1980 et, d'autre part, à la mise en service à compter de 2035 - au plus tôt - de nouveaux réacteurs. A l'instar du secteur nucléaire mondial dont un quart de la capacité existante devra être arrêté dans la décennie 2040, la filière française fait face au vieillissement de son parc historique (pour un âge moyen des réacteurs de 36 ans). Dès lors, un double-mouvement de renouvellement doit s'opérer via (1) la rénovation des réacteurs existants (le grand carénage) et (2) la construction de nouveaux réacteurs.
Le contexte général étant posé, plusieurs pistes permettent d'envisager le nouveau nucléaire en France.
- Premièrement, la troisième génération de forte puissance
Cette génération, incarnée en France par l'EPR, devait être à l'origine d'un sursaut de l'industrie nucléaire qui n'a jamais eu lieu en ce qu'aucun de ces réacteurs construits en Occident n'a commencé à produire de l'électricité. En réalité, en sus du triplement des coûts, la révolution du gaz de schiste et la baisse des coûts des énergies renouvelables sont venues stopper cette troisième génération qui s'est également avérée difficilement exportable eu égard à son coût prohibitif ainsi qu'à la forte puissance des réacteurs.
- Deuxièmement, la quatrième génération
La recherche nucléaire dans le monde porte notamment sur les réacteurs de quatrième génération, celle-ci constituant une avancée majeure en vue de la fermeture du cycle du combustible définie en France par les lois de 1991 et 2006. En effet, elle permettrait une meilleure gestion des déchets tout en assurant une plus grande sûreté, soit des réponses aux deux préoccupations principales concernant l'énergie nucléaire . Dans un cycle du combustible ouvert, seule une petite partie du contenu énergétique de l'uranium est utilisée. La totalité de l'uranium appauvri est alors assimilé à un déchet. Dans un cycle du combustible fermé, au contraire, l'idée est d'utiliser la quasi-totalité du contenu énergétique de l'uranium via un multi-recyclage 4 ( * ) , ce qui revient à multiplier par 10 au moins la quantité d'énergie générée à partir de ce dernier tout en réduisant la radio-toxicité des déchets 5 ( * ) . En France, le projet Astrid, avait pour objectif la conception et la réalisation d'un réacteur à neutrons rapides de 600 MW 6 ( * ) . Lancé en 2010 pour un coût total de 1,2 milliard d'euros, celui-ci s'est vu progressivement remis en cause avec, en 2017, une première décision de diviser par 4 la puissance du futur prototype reporté à la seconde moitié du XXIème siècle puis, en 2019, l'annonce de l'arrêt du programme. Dès lors, l'arrêt du programme, bénéficiant pourtant des acquis de la recherche menée sur les projets Phénix et Superphénix, a semé le doute sur la cohérence de la démarche française de fermeture du cycle et a réduit d'autant l'attractivité d'une filière qui semblait déconsidérée par les pouvoirs publics 7 ( * ) .
- Troisièmement, les Small modular reactors (SMR)
Cette catégorie de réacteurs nucléaires constitue un double changement de paradigme pour la filière et ne vient concurrencer ni les grands réacteurs nucléaires ni les énergies renouvelables, mais bien les sources fossiles de production électrique avec une puissance similaire aux centrales à charbon.
Premier changement de paradigme : la taille.
La première caractéristique d'un SMR est sa faible puissance , comprise entre 50 et 300 MW, soit 3 à 20 fois moins que les réacteurs de troisième génération 8 ( * ) . Cette faible puissance est une caractéristique majeure face à la tendance générale et historique de la filière nucléaire d'aller vers des réacteurs de plus grande puissance afin de maximiser les économies d'échelle (passant progressivement d'une puissance de 900 à 1 600 MW) 9 ( * ) .
Conséquence de cette faible puissance : la construction d'un réacteur SMR aurait comme avantage de nécessiter des investissements réduits dans leurs montants 10 ( * ) (diminuant d'autant les taux d'emprunt et d'actualisation) et dans leurs durées, permettant un retour sur investissement plus rapide ainsi qu'un lissage des dépenses au fur et à mesure de la mise en service des réacteurs et de la demande croissante en électricité.
La deuxième caractéristique d'un SMR est sa modularité ainsi que sa conception intégrée . D'une part, les principaux composants de ce réacteur seront standardisés et fabriqués en série, cette modularisation étant vue comme un facteur d'amélioration des processus de construction et de diminution des coûts, d'autre part, la faible puissance permet de simplifier le design du réacteur et d'envisager une conception intégrée, c'est à dire que l'ensemble du circuit primaire de refroidissement se trouve dans la cuve quand aujourd'hui plusieurs éléments se trouvent à l'extérieur (pressurisateur, générateur de vapeur, etc.).
Conséquence de cette standardisation : si les économies d'échelle des SMR ne seront pas à chercher du côté de la puissance, elles seront à chercher, d'une part, du côté de la production en série des réacteurs et, d'autre part, du côté de la préfabrication en usine.
Enfin, la troisième caractéristique principale d'un SMR consiste dans le nouveau palier franchi en termes de sûreté nucléaire . En effet, ces réacteurs sont caractérisés par leur sûreté passive, c'est-à-dire qu'ils ne nécessitent pas d'énergie externe (eau ou électricité) pour être arrêtés.
Conséquence de cette sûreté accrue : des implantations non conventionnelles peuvent être envisagées, par exemple dans des zones isolées ou avec une conception de bâtiment semi-enterré afin de réduire la vulnérabilité des centrales aux agressions externes.
Second changement de paradigme : les usages.
Le premier usage des SMR est le plus classique : il s'agit de la production d'énergie électrique, afin d'accompagner l'électrification des usages d'une part, et de décarboner cette production d'électricité d'autre part. Ainsi, les SMR pourront tout d'abord participer de l'électrification de pays en développement 11 ( * ) , ou de régions isolées. Mais surtout, les SMR pourront concurrencer les sources fossiles d'énergie électrique que sont le charbon, le fioul ou le gaz tout en utilisant les mêmes réseaux en raison d'un rapport de puissance similaire (environs 300 MW), qui seraient inutilisables par les grandes centrales nucléaires car sous-dimensionnés. Et ce ne sont pas moins de 3 000 centrales à charbon d'une puissance équivalente à une centrale SMR qu'il faudra arrêter d'ici 2050. Il existe donc aujourd'hui un véritable marché de remplacement des centrales à charbon.
Mais les SMR permettent également d'envisager d'autres usages du nucléaire :
- Comme support énergétique de certaines installations de production énergivores ou isolées, aujourd'hui alimentées par des combustibles fossiles (mines, plateformes pétrolières, bases militaires ou encore usines de désalinisation 12 ( * ) ), notamment via des réacteurs installés sur des navires ;
- Comme source de production de chaleur (en pratiquant la cogénération 13 ( * ) , c'est-à-dire la récupération de la chaleur des turbines à vapeur des réacteurs), par exemple pour le chauffage urbain, mais nécessitant une installation plus proche des villes et des industries ;
- Comme moyen de production d'hydrogène vert 14 ( * ) , par le biais d'un couplage avec une électrolyse haute température, notamment en vue de la décarbonation du secteur des transports.
Eu égard à ces éléments, il semble indispensable de soutenir en France, à court terme, le développement d'un prototype de SMR, à moyen et long terme, l'ambition de la fermeture du cycle du combustible par le biais de la quatrième génération de réacteurs.
Et il s'avère que ces deux dernières années, des mesures sont venues conforter la filière nucléaire et lui donner de la visibilité.
Premièrement , en décembre 2020, lors d'une visite chez Framatome au Creusot, le Président Macron a affirmé trois convictions : (1) l'avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire 15 ( * ) , (2) l'avenir économique et industriel passe par le nucléaire 16 ( * ) et (3) l'avenir stratégique de la France passe par le nucléaire 17 ( * ) . Deuxièmement , dans le cadre de France Relance, le Gouvernement a alloué près de 500 millions d'euros sur deux ans à la filière nucléaire afin d'en soutenir les acteurs stratégiques, de préserver les compétences et de soutenir la recherche, avec par exemple une enveloppe de 50 millions d'euros dédiée au développement d'un SMR. Troisièmement , en octobre 2021, le Président a dévoilé un plan d'investissement de 30 milliards d'euros “France 2030” structuré autour de 10 objectifs. Le premier d'entre eux (“Faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets”) s'est vu allouer une enveloppe d'un milliard d'euros. Quatrièmement , en novembre 2021, lors d'une allocution télévisée, Emmanuel Macron a annoncé la relance de la construction de réacteurs nucléaires de type EPR, en parallèle du développement des énergies renouvelables, sans donner plus de détails. En réalité, EDF travaille depuis plusieurs années à un projet de construction de trois paires d'EPR 2, soit six réacteurs qui entreraient en service de façon échelonnée entre 2035 et 2040 18 ( * ) .
La présente proposition de résolution entend accompagner de telles annonces.
En effet, le cadre législatif actuel est inadapté .
La loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a instauré un plafond de puissance nucléaire installée, fixé à 63,2 gigawatts : aussi, toute mise en service de nouveaux réacteurs est conditionnée à l'arrêt de réacteurs plus anciens. La loi de 2019 relative à l'énergie et au climat, quant à elle, fixe un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité : de 72 % en 2018 à 50 % en 2035.
Par ailleurs, la France n'est plus le leader du nucléaire mondial qui a connu un basculement géopolitique avec un déplacement du centre de gravité du nucléaire vers la Chine et la Russie 19 ( * ) .
Les déboires de l'EPR (avec une multiplication par 3,3 des coûts et par 3,5 des délais de mise en service pour l'EPR de Flamanville) et l'abandon du projet Astrid ont donné l'image d'un pays tournant la page de l'aventure nucléaire. Dans la course aux SMR, ce sont actuellement plus de 70 concepts qui sont étudiés à travers le monde, tous n'ayant pas le même stade d'avancement 20 ( * ) ni les mêmes technologies 21 ( * ) . Les études de marché démontrent toutefois que les SMR représenteront un marché entre 1 à 10 % de la nouvelle capacité nucléaire installée à horizon 2035 (environ 120 SMR de 150 MW soit 18 GW), ce qui représente un marché de 100 milliards d'euros. Depuis 2017 en France, un partenariat réunissant le CEA, Orano, EDF, Framatome, TechnicAtome et NavalGroup projette de développer un prototype de SMR : c'est le projet Nuward . Le design retenu est celui d'un réacteur à eau pressurisé, d'architecture intégrée, d'une puissance 170 MW avec un îlot semi-enterré permettant d'installer deux réacteurs dans des enceintes consistant en des bassins remplis d'eau servant de source froide aux systèmes passifs de sûreté. L'objectif est clair : développer un prototype en France d'ici 2030 de SMR tourné vers l'expor t car à même de remplacer les centrales à charbon.
La présente proposition de résolution entend accompagner une telle ambition française, avec, comme lignes directrices :
1) Une adhésion à la logique additive précédemment mentionnée et considérant le développement des énergies renouvelables intermittentes comme complémentaire à celui d'une énergie nucléaire pilotable ;
2) Une vision des SMR comme complémentaires des réacteurs de grande puissance et complémentaires de l'essor des énergies renouvelables mais concurrents des sources carbonées d'électricité ;
3) Un attachement à un niveau élevé de sûreté en ce que les SMR réduisent le nombre de composants critiques, offrent de nombreuses innovations en la matière (modularité, sûreté passive, nouveau design , une salle de contrôle pour plusieurs modules SMR, etc.) qui imposent toutefois d'adapter et de faire évoluer les référentiels de sûreté via un meilleur couplage entre les processus d'innovation et de régulation 22 ( * ) dans le cadre d'un dialogue technique entre autorités de régulation et industriels et via l'harmonisation de la certification entre autorités de sûreté nationales.
Dès lors, la présente proposition de résolution formule 10 propositions pour accompagner le nouveau nucléaire en France.
Mesures conventionnelles
Proposition 1 : Harmoniser le cadre réglementaire international afin d'accompagner l'essor des SMR
L'essor des SMR, notamment dans des pays sans tradition nucléaire, doit passer, d'une part, par la reconnaissance de leurs innovations techniques (en termes de design , construction et exploitation), d'autre part, par une reconnaissance partagée entre autorités de sûreté nationales. Le cadre réglementaire international doit ainsi être le plus harmonisé possible par le biais d'un dialogue technique entre différentes autorités de sûreté nationale mais également entre instances de discussions internationales (Agence Internationale de l'Énergie, Agence pour l'Energie Nucléaire de l'OCDE, Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire, etc.).
Proposition 2 : Maintenir le nucléaire dans la taxonomie européenne afin de lui faire bénéficier de financements facilités
Le 7 décembre 2021, le Sénat a rappelé sa volonté d'inclure le nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables 23 ( * ) . Il serait pertinent de rappeler une telle ambition, tant que les consultations relatives au projet d'acte délégué proposé par la Commission européenne le 31 décembre dernier ne sont pas terminées, Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur, évoquant 50 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2030 pour les centrales nucléaires existantes et 500 milliards d'ici à 2050 pour celles de nouvelle génération soit un effort de 20 milliards d'euros par an.
Vers de nouvelles installations nucléaires en France
Propositions 3 et 4 : Revenir sur la fermeture annoncée de 14 réacteurs nucléaires en France d'ici 2035 et supprimer l'article L100-4 du code de l'énergie qui plafonne la capacité totale de production nucléaire en France
Le rapport RTE l'a rappelé : il est nécessaire d'articuler développement des énergies renouvelables et maintien d'une capacité de production d'énergie nucléaire. Il s'agit de la logique additive étant vue comme celle présentant le meilleur bilan climatique et la plus à même d'atteindre les objectifs climatiques en 2030. Toutefois, cette logique implique (1) de pousser le rythme de développement des renouvelables, (2) de faire fonctionner plus longtemps les réacteurs actuels voire (3) de construire de nouvelles capacités nucléaires (jusqu'à 14 EPR dans ses scénarios N2 et N03).
Or, la loi de 2015 vient au contraire opposer ces deux formes d'énergie via un plafond de 50 % de production d'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2035 24 ( * )25 ( * ) et une limitation à 63,2 GW de la capacité totale autorisée de production 26 ( * ) : autrement dit, toute mise en service de nouveaux réacteurs est conditionnée à l'arrêt de réacteurs plus anciens 27 ( * ) .
Dès lors, de telles mesures imposent la fermeture de 14 réacteurs existants qui pourraient pourtant continuer à produire une énergie compétitive et décarbonée. Il importe donc de réviser ces deux articles, dans la lignée des positionnements antérieurs du Sénat 28 ( * ) .
Proposition 5 : Revenir sur le décret de 2016 qui empêche d'anticiper des travaux préparatoires d'aménagement des sites
Tout projet d'installation nucléaire comporte plusieurs étapes, notamment la saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) 29 ( * ) ; la constitution d'un dossier de demande réglementaire d'autorisation de création d'une installation nucléaire de base (INB) et de permis de construire, cette phase de préparation étant subdivisée en quatre axes (atteinte de maturité du design , analyse du rapport préliminaire de sûreté (3 ans), préparation du site choisi, diverses autorisations administratives).
Si toute nouvelle installation nucléaire (EPR ou SMR) doit respecter un niveau d'exigence élevé, il est nécessaire d'utiliser les leviers permettant d'accélérer le déploiement du nouveau nucléaire. Aussi est-il proposé d'assouplir l'étape relative à la préparation du site choisi. En effet, depuis un décret du 28 juin 2016 30 ( * ) , les travaux préparatoires d'aménagement des sites, qui pouvaient être anticipés dans le passé, (1) doivent être intégrés au périmètre du projet et ne peuvent démarrer avant l'avis de l'Autorité environnementale indépendante et (2) sont soumis à l'obtention d'un permis de construire).
Proposition 6 : Augmenter les moyens de l'ASN pour faire face à la hausse de sa charge de travail en raison des nouveaux projets nucléaires (EPR / SMR) en parallèle du grand carénage
Assurer un niveau exigeant de sûreté du nouveau nucléaire est essentiel. Dès lors, les annonces de novembre 2021 de construction de nouveaux réacteurs viennent alourdir un programme de travail bien rempli pour l'autorité de sûreté nucléaire (ASN), avec premièrement le réexamen périodique des réacteurs de 900 et 1 300 MW, deuxièmement, la montée en puissance des exigences de contrôle sur le futur SMR et troisièmement la prolongation jusqu'à 60 ans du parc nucléaire actuel (grand carénage). Les ressources du régulateur devront être ajustées en conséquence 31 ( * ) .
Proposition 7 : Assurer une offre complète de formations dans le domaine de l'énergie nucléaire
La relance d'une ambition française dans le nucléaire aurait pour première conséquence d'augmenter l'attractivité de sa filière dans un contexte de diminution de la main d'oeuvre nucléaire qualifiée. Or une telle ambition passera par des étudiants et des chercheurs motivés et formés. A court terme, une action de communication serait envisageable afin d'améliorer l'image et l'attractivité de la filière nucléaire. A moyen terme, cette dernière doit assurément collaborer plus étroitement avec le monde universitaire 32 ( * ) et de la recherche dans une approche collaborative pour qu'un système d'enseignement initial et continue structuré émerge dans le domaine de l'énergie et de l'ingénierie nucléaire 33 ( * ) autour de formations scientifiques de premier cycle, de formations professionnelles en apprentissage ainsi que de formations universitaires de second degré 34 ( * )35 ( * ) .
Proposition 8 : Définir une ambition en matière de quatrième génération et réaffirmer les objectifs français en termes de fermeture du cycle du combustible
L'abandon du projet Astrid a été considéré comme un renoncement de la France dans la course à la quatrième génération de réacteurs nucléaires. Or cette génération doit répondre aux deux principales critiques que subit le nucléaire : la question des déchets et celle de la sûreté. En effet, la quatrième génération doit permettre d'atteindre un nucléaire durable via un cycle fermé du combustible permettant son multi-recyclage et, in fine , une indépendance nationale dans la production d'électricité d'origine nucléaire. Dès lors, il semble nécessaire de rappeler les orientations définies par la représentation nationale dans les lois de 1991 et de 2006 tout comme de définir une stratégie nationale de long terme en la matière. La définition d'une vision nationale de long-terme en la matière est nécessaire afin (1) de ne pas se faire distancer dans la course internationale, (2) maintenir les acquis des précédents projets de recherche, et (3) atteindre les ambitions fixées par le législateur.
Proposition 9 : Construire le prototype du réacteur Nuward sur le site de Fessenheim
Le lieu envisagé de construction du prototype français de SMR Nuward n'étant pas connu, le site de Fessenheim, lieu de renoncement au nucléaire français, pourrait être sélectionné, afin d'en faire un lieu de renouveau du (nouveau) nucléaire tricolore. Plusieurs arguments pourraient appuyer une telle proposition : une région au coeur des échanges énergétiques européens, un projet de reconversion en technocentre critiqué, un site déjà nucléarisé dont le bilan est satisfaisant en termes de sûreté nucléaire, avec des compétences préexistantes, etc 36 ( * ) .
Vers de nouveaux usages du nucléaire
Proposition 10 : Défendre la cogénération et la production d'hydrogène vert
Si l'énergie nucléaire produit de l'électricité, elle peut également connaître des usages dérivés.
Le premier d'entre eux est la production de chaleur, c'est la « cogénération ». En France, l'énergie nucléaire est exclusivement dédiée à la production d'électricité tandis que 74 réacteurs sur les 442 en exploitation dans le monde mettent en oeuvre cette cogénération. Or la fission produite dans le coeur du réacteur pourrait également produire de la chaleur, extraite sous forme de vapeur pour être ensuite canalisée par l'intermédiaire d'un circuit supplémentaire. Deux applications principales sont mises en avant : le chauffage urbain et le dessalement de l'eau de mer 37 ( * ) . Pour le premier, cela se réaliserait par une modification du circuit secondaire des réacteurs du parc français actuel. Et plusieurs raccordements pourraient être envisagés 38 ( * ) . Mais une telle décision implique, d'une part, une volonté politique pour favoriser le déploiement de réseaux permettant de transporter la chaleur sur de longues distances et, d'autre part, l'accord de l'Autorité de sûreté nucléaire. Dès lors, il est nécessaire de compléter les objectifs de la politique énergétique en encourageant la production simultanée de chaleur et d'électricité. Une telle proposition, portée par Daniel Gremillet lors de l'examen du projet de loi climat et résilience, avait déjà été adoptée par le Sénat.
Par ailleurs, un second usage dérivé serait la production d'hydrogène vert . En effet, alors que l'hydrogène est actuellement majoritairement d'origine fossile, un hydrogène « propre » pourrait être produit par électrolyse via une source d'électricité faiblement carbonée. Le nucléaire pourrait ainsi être mobilisé et pensé comme complémentaire à une production d'hydrogène vert, par le biais de SMR 39 ( * ) ainsi que grâce à des réacteurs de quatrième génération (spécifiquement les réacteurs à très haute température 40 ( * ) ).
* 1 La loi de 2015 révisée en 2019 a ainsi défini des objectifs en termes de part croissante des énergies renouvelables en parallèle d'une baisse de la part du nucléaire
* 2 Depuis les années 1970, le nucléaire a en effet déjà permis d'éviter l'émission dans le monde de 60 gigatonnes de CO2
* 3 Futurs énergétiques 2050, Octobre 2021
* 4 Thomas Gassiloud, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, « L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération “Astrid”, Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, juillet 2021
* 5 Ibid
* 6 Bréchet Yves, « De l'État stratège à l'État caméléon. Deux décisions politiques : Astrid et les SMR », Commentaire, 2019/4 (Numéro 168), p. 871-878. DOI : 10.3917/comm.168.0871. URL : https://www.cairn.info/revue-commentaire-2019-4-page-871.htm
* 7 Ibid
* 8 Emilie Cariou, Cédric Villani, députés, et Gérard Longuet, sénateur, “Les grandes tendances de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables”, Rapport au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, octobre 2019
* 9 Publication EDF R&D, Mars 2015
* 10 Il est estimé qu'un SMR coûterait environ 1 milliard d'euros
* 11 A titre d'illustration, 25 % de la population indienne n'a toujours pas accès à l'électricité
* 12 Par exemple en Arabie Saoudite où le tiers de l'énergie primaire consommée (essentiellement du pétrole) sert à dessaler l'eau de mer
* 13 La France s'y est toujours refusée, abandonnant l'unique projet dans le domaine (projet Thermos dans les années 1970)
* 14 Selon l'AIEA, si seulement 4 % de la production mondiale actuelle d'hydrogène était d'origine nucléaire, cela entraînerait une réduction de 60 millions de tonnes d'émissions de dioxyde de carbone chaque année
* 15 Pour produire 1 KWh, une centrale à charbon émet 1 000g de CO2 lorsque la centrale nucléaire n'en émet que 6
* 16 Avec 3 000 entreprises et 220 000 emplois, le nucléaire est la troisième filière industrielle en France
* 17 Le Président ayant annoncé que le futur porte-avions français qui remplacera le Charles de Gaulle en 2038 sera à propulsion nucléaire
* 18 Pascal Martin, rapport pour avis sur les crédits des programmes dédiés à la prévention des risques sur le projet de budget 2022. Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, novembre 2021
* 19 Michel Dervedet et Nicolas Mazzucchi, 2021. « Les petits réacteurs modulaires, une nouvelle ère nucléaire ? Approche géopolitique et stratégique » La revue de l'énergie, n° 657 (Juillet-Août 2021) : p45-57
* 20 Charles Merlin, “Les petits réacteurs modulaires dans le monde : perspectives géopolitiques, technologiques, industrielles et énergétiques”, Etudes de l'Ifri, Ifri, mai 2019
* 21 14 sont des réacteurs à haute température refroidis au gaz, 10 à sels fondus, 11 à spectre rapide, les autres à eau pressurisée ou bouillante
* 22 Berthelemy, M & Leurent, Martin & Locatelli, Giorgio. (2016). The development of small modular reactors: Which markets for which applications?. 29
* 23 Résolution n° 47 (décembre 2021), au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables
* 24 Alinéa 5 de l'article L100-4 alinéa 5 du Code de l'énergie
* 25 Considérant que l'article 1er de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 a permis de reporter de 2025 à 2035 cet objectif, institué par l'article 1er de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015
* 26 Article L311-5-5 du Code de l'énergie : “L'autorisation mentionnée à l'article L. 311-1 ne peut être délivrée lorsqu'elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d'électricité d'origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts”
* 27 Jean-François Husson, rapport au nom de la commission des finances sur l'enquête de la Cour des comptes sur l'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires civiles. Mars 2020
* 28 Par exemple, la résolution du Sénat invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d'une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques (mars 2021)
* 29 Articles R121-1 à D181-57 du Code de l'environnement
* 30 Décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes
* 31 Pascal Martin, rapport pour avis sur les crédits des programmes dédiés à la prévention des risques sur le projet de budget 2022. Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, novembre 2021
* 32 Thomas Gassiloud, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, « L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération “Astrid”, Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, juillet 2021
* 33 Sfen, Les formations : https://www.sfen.org/groupes-expertises/carrieres/formations
* 34 Agence pour l'énergie nucléaire (2012) Enseignement et formation dans le domaine nucléaire : moins d'inquiétudes, plus de compétences.
* 35 L'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE définissant trois catégories de compétences nécessaires :
- Les profils nucléaires ayant suivi un enseignement spécialisé (génie atomique, radiochimie, radioprotection, etc.)
- Les profils nucléarisés ayant suivi une formation classique d'ingénieur ou de technicien (mécanique, électricité, génie civil, systèmes, etc.)
- Les profils sensibilisés au nucléaire (électriciens, mécaniciens, artisans, etc.)
* 36 Raphaël Schellenberger, Président, et Vincent Thiebaut, Rapporteur, Députés. Rapport d'information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Octobre 2021
* 37 Henri Safa (CEA), “Le nucléaire pour produire de l'électricité ET de la chaleur”. Revue Générale Nucléaire, septembre 2021
* 38 Paris pourrait être alimentée par la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, Lyon par celle de Bugey, Lille par la centrale de Gravelines ou Bordeaux avec la centrale de Blayais
* 39 LucidCatalyst and Robert Varrin, Zero-Carbon Hydrogen: An Essential Climate Mitigation Option. Energy Options Network (July 2020).
* 40 Thomas Gassiloud, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, « L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération “Astrid”, Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, juillet 2021