EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
On constate, depuis plusieurs années, une tendance accrue à la concentration dans les médias.
Le Parlement, conformément à l'article 34 de notre Constitution, a compétence pour légiférer sur « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ». Il lui revient donc de s'assurer que ces principes dont il est le garant, ne sont pas bafoués.
Il convient donc de mettre en lumière les conditions d'achat et de regroupement qui ont abouti à ce paysage de la presse et de l'audiovisuel très concentré.
La presse d'information politique et générale se trouve désormais regroupée dans les mains d'un petit nombre d'hommes et de sociétés dont souvent l'activité principale est très éloignée du monde de l'information et de ses principes : Libération, l'Express et le groupe BFM/RMC pour le groupe Drahi ; Le Monde pour Xavier Niel qui possède l'essentiel des titres de Presse quotidienne régionale du sud-est du pays... Les deux géants du luxe ont également investi dans la presse : Les Echos et Le Parisien pour Bernard Arnault (plus des prises de participation dans différents titres de la presse magazine) ; Le Point pour François Pinault.
La Presse quotidienne régionale est désormais aux seules mains de cinq ou six acteurs - dont deux groupes bancaires- qui ont cassé le système pluraliste issu de la libération. Désormais, au sein d'une même région, quasiment tous les titres sont détenus par un seul et même actionnaire majoritaire, laissant au lectorat un choix bien peu pluraliste : Hutin dans l'ouest ; le Crédit agricole dans le Nord ; le Crédit mutuel dans l'est et le sud-est ; les deux groupes Fondation Varenne et Saint-Cricq, par un jeu de participations croisées se partagent les titres de la PQR du centre, Baylet dans le sud-ouest et le centre.
Cette liste non exhaustive démontre la situation préoccupante de la presse, livrée à des intérêts économiques qui peuvent s'éloigner des enjeux de pluralisme et de déontologie des médias. L'accélération de l'ensemble des regroupements opérés depuis deux décennies mérite d'être éclaircie quant aux conditions qui ont permis d'y procéder et de leurs effets sur nos territoires.
De nombreuses prises de contrôle directes ou non de médias audiovisuels et titres de presse, par le groupe Bolloré, encore récemment avec Europe1, Paris Match et le Journal du Dimanche, et dans l'édition, interrogent sur les méthodes même d'acquisition, de gestion des personnels et de liberté de pensée des journalistes, tout comme d'indépendance des rédactions.
Un nouveau projet de fusion des groupes TF1 et M6 suscite de nombreuses questions légitimes et s'inscrit dans la continuité de ce contexte de concentration des médias déjà très préoccupant. Il suscite des craintes en termes de diversité des médias et de pluralisme, et de positions économiquement dominantes sur le marché publicitaire. Il se place aux limites de la législation actuelle, issue de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui pose deux types de verrous anti-concentration, quant à la détention de capital et de droit de vote, et quant au nombre d'autorisations pouvant être cumulées pour un service de télévision diffusé en mode hertzien.
Les concentrations, mutualisations et synergies passées ou futures, évoquées ci-dessus, touchent inévitablement les programmes, l'information, les contenus des services et titres nouvellement concentrés, mettant en péril le pluralisme de l'offre culturelle, l'indépendance des rédactions et des journalistes et la diversité et la qualité de l'information dont disposent nos concitoyens.
Se trouve dès lors potentiellement entamé un principe garanti constitutionnellement, celui de la liberté de la presse et de la communication, principe qui, selon le Conseil constitutionnel, doit, pour pouvoir s'exercer, disposer de vecteurs d'information diversifiés.
À l'heure où les GAFAM s'impliquent sans cesse davantage sur le marché mondial des médias et des contenus, il semble important qu'au niveau national, la France puisse continuer à offrir à ses téléspectateurs et ses lecteurs des offres médiatiques et de presse diversifiées et indépendantes, et non l'inverse comme on peut fréquemment l'entendre.
L'exigence d'indépendance, de liberté et de pluralisme des médias est absolument primordiale, en particulier dans le contexte actuel. Ces principes constitutionnels doivent continuer d'être des remparts à toute entrave à l'exercice de la démocratie.
La création d'une commission d'enquête doit permettre de recueillir des éléments pour pouvoir éclairer le débat public sur le paysage actuel de l'audiovisuel et de la presse dans notre pays, apprécier dans quelles conditions ont été réalisées les récentes concentrations dans les médias auxquelles s'ajoute celles en cours, cela afin de vérifier dans quelles mesures ces concentrations présentent des dangers pour le pluralisme et l'indépendance des médias, la vie sociale et économique dans le secteur concerné, et plus largement pour la vie démocratique, et de formuler des propositions pour remédier aux éventuels dangers constatés.