EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les sociétés concessionnaires d'autoroutes gèrent aujourd'hui près de 9 000 km de voies. Quatre d'entre elles disposent même d'un réseau supérieur à 1 000 km. En outre, au fur et à mesure des fusions et des acquisitions d'entreprises de ce secteur, trois groupes concentrent plus de 87 % des concessions autoroutières du pays. Cette situation entraîne un état de concentration de ces groupes sur le secteur de l'exploitation des autoroutes françaises.
Cette concentration a des conséquences directes sur les utilisateurs de ces autoroutes, ainsi que sur les relations entre l'autorité concédante et les concessionnaires.
Concernant les utilisateurs, on observe une augmentation régulière et importante des tarifs autoroutiers. Ainsi, au cours des dix dernières années, l'augmentation du prix des péages a été de 20 %, soit une hausse très largement supérieure à ce qui était prévu initialement.
Pour justifier ces augmentations, les concessionnaires autoroutiers peuvent actionner trois leviers et les répercuter sur les usagers : 70 % du niveau de l'inflation de l'année écoulée ; l'augmentation de la redevance domaniale ; les travaux engagés, tels que la création de nouvelles sorties, de nouveaux échangeurs ou d'équipements de sécurité.
Concernant la relation avec l'État français, cette situation de concentration fausse les rapports entre les parties et donc le bon respect du contrat de concession. Par ailleurs, elle entraîne un dévoiement de certaines règles de concurrence.
Une des premières interrogations concerne la durée des concessions. Aujourd'hui, près de 80 % d'entre elles ont dépassé 50 années, et un tiers plus de 70 années. C'est dire si les risques économiques pris par les sociétés d'autoroutes sont limités et si leur situation de rente est confortable.
En outre, la concurrence est également faussée lors de l'attribution des marchés de travaux publics sur les portions d'autoroutes gérées. Ces travaux sont largement attribués à d'autres sociétés membres des mêmes groupes que ceux des concessionnaires sans que l'ouverture à la concurrence ne soit clarifiée.
Enfin, l'augmentation régulière de la durée des concessions accordée par l'État est souvent emprunte d'un manque de clarté et de négociations déséquilibrées entre un État qui n'a plus les moyens d'assurer l'entretien de son réseau, et qui se retrouve donc dépendant des concessionnaires, et des sociétés qui poussent sans cesse leur avantage pour rentabiliser l'exploitation d'un domaine qui reste public.
Dans sa négociation de 2014, le gouvernement avait ainsi signé un accord, dont les termes exacts étaient initialement tenus secrets, très favorables aux concessionnaires qui, en contrepartie d'investissements estimés à 3,2 milliards d'euros, ont obtenu une prorogation de la durée des concessions d'en moyenne trois années et une importante hausse des tarifs.
Était également évoquée la possibilité de confier plusieurs centaines de nouveaux kilomètres de routes publiques aux gestionnaires d'autoroutes en échange d'un nouvel allongement de la durée de leurs concessions. Il s'agirait, selon un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), de confier par exemple des portions d'autoroutes gratuites séparant les barrières de péage aux métropoles, actuellement contiguës aux concessions existantes. L'État n'étant pas en capacité financière d'entretenir et de renouveler ce réseau, il pourrait en confier la gestion aux groupes concessionnaires, avec pour contrepartie un nouvel allongement de la durée de ces concessions.
La succession de ces modifications de durée pose des questions de respect des règles de concurrence au niveau communautaire. Elle interroge aussi sur les relations entre l'État et les sociétés autoroutières dont l'intérêt est de maximiser leurs concessions, celles-ci augmentant en rentabilité avec la durée.
Par ailleurs, la différence de moyens humains, financiers et juridiques au détriment de l'État crée un déséquilibre systématique entre celui-ci et les concessionnaires. Ce d'autant plus que nombre de cadres représentant les concessions sont directement issus des services de l'État. Une telle situation est préjudiciable à l'intérêt public, en particulier lors des phases de négociation.
En conséquence, il convient de créer une commission d'enquête permettant d'examiner avec précision le contenu des contrats de concession, la rentabilité économique de celles-ci, le respect des règles de régulation ou encore le cadre des renégociations des contrats de concession.
Plus de 15 ans après les privatisations, un point complet de la situation des autoroutes en France devrait être établi par cette commission d'enquête qui soulèvera notamment quatre questions majeures relatives :
1. À l'évolution des conditions économiques telles que définies et arrêtées au moment de la privatisation. L'attention de la commission portera notamment sur les taux d'intérêt, les évolutions de trafics sur la durée des concessions, la comparaison de l'évolution des tarifs par rapport à ce qui était prévu aux contrats et à l'inflation. La commission entendra également établir le montant des taxes et impôts pris en charge par l'usager à travers les tarifs ;
2. Au rapprochement et à la comparaison des comptes d'exploitation annuels des concessions d'autoroutes avec les prévisions inscrites dans les plans d'affaires d'origine. Il s'agira notamment d'apprécier si les écarts significatifs éventuellement constatés sont susceptibles de remettre en cause le prix payé par les sociétés concessionnaires à l'État ;
3. Aux travaux réalisés chaque année et à leur conformité avec les engagements contractuels initiaux. Il serait notamment utile d'apprécier si ces travaux font l'objet de mises en concurrence systématiques ou s'ils bénéficient toujours aux filiales des groupes concessionnaires et à quelles conditions. Par ailleurs la commission s'attachera à évaluer le suivi et le contrôle de ces travaux par les services de l'État ;
4. À la possibilité de dégager une voie alternative entre celle des défenseurs du statu quo et celle des partisans d'une renationalisation de l'exploitation des autoroutes, ceci afin de rassurer l'État, les contribuables et les usagers tout en donnant une image plus positive des sociétés concessionnaires.