EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi fait suite au rapport1(*) de la mission d'information sur la financiarisation du football professionnel conduite en 2024 par la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, dotée des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

Intitulé « Football-business : stop ou encore ? », ce rapport met en évidence la transformation du modèle économique du football professionnel français, confronté à une raréfaction des ressources issues de la commercialisation des droits audiovisuels et à une accentuation des inégalités économiques entre les clubs. Année après année, les clubs soutenus par de puissants investisseurs ou bénéficiant de revenus générés par leur participation à des compétitions européennes creusent l'écart avec les structures plus modestes, frappées de plein fouet par la baisse des droits audiovisuels de la Ligue 1. Ce modèle économique déséquilibré représente un défi majeur pour l'avenir du football français.

Le rapport met, par ailleurs, en évidence des problèmes structurels de gouvernance et des conflits d'intérêts qui ont conduit à des dérives et constituent aujourd'hui un obstacle à une réforme d'ampleur.

Une telle réforme est pourtant nécessaire.

Le football à l'épreuve de difficultés persistantes

Depuis le départ de Mediapro en 2020, le financement du football professionnel, fortement dépendant des droits TV, est remis en question. La Ligue 1 subit une érosion de son attractivité et une baisse de sa valeur. Elle ne parvient pas à sécuriser un contrat de diffusion pérenne garant de sa stabilité financière. L'instabilité des diffuseurs a entraîné une diminution du nombre de téléspectateurs, déroutés par les changements successifs et exaspérés par la nécessité de multiplier les abonnements pour accéder à l'ensemble des compétitions.

Le championnat est soumis à une concurrence accrue de ses homologues européens (Premier League, Liga) mais aussi des compétitions de l'UEFA et de la FIFA, telles que la Ligue des champions ou la Coupe du monde des clubs. La multiplication des matchs et la concurrence d'autres contenus audiovisuels, sportifs et non sportifs, crée une offre surabondante qui remet en cause l'équilibre du marché des droits d'exploitation audiovisuelle du football.

Par ailleurs, le piratage représente une menace dont les effets économiques et financiers sont majeurs. Pour la seule année 2023, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a évalué à 290 M€ le manque à gagner causé par le piratage de retransmissions sportives, ce qui représente 15 % du marché. Les clubs professionnels sont les principales victimes de ce piratage, compte tenu de leur dépendance aux droits de diffusion. Le manque à gagner correspondant pour l'État, via la taxe Buffet, est évalué à 15 M€2(*).

Depuis 2023, le phénomène s'est vraisemblablement amplifié. Il touche un public de plus en plus large. Une étude commandée par la Ligue de football professionnel (LFP) à l'institut Ipsos indique que 55 % des téléspectateurs du match opposant l'Olympique de Marseille (OM) au Paris Saint-Germain (PSG), le 27 octobre 2024, auraient visionné la rencontre de façon illicite.

Le football français est également affecté par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 4 octobre 20243(*). Cet arrêt remet en cause certaines règles internationales relatives au marché des transferts, les jugeant contraires aux règles européennes de libre concurrence et de libre circulation des personnes. Cette décision pourrait avoir un impact majeur sur les clubs français qui, jusqu'ici, équilibraient leurs comptes grâce aux transferts de joueurs. La diminution potentielle des indemnités de transfert constitue une nouvelle source d'incertitude et pourrait contraindre les clubs à revoir leur stratégie de recrutement et de formation.

Ces problématiques ne concernent pas uniquement le football. Tandis que les sports les plus médiatisés sont confrontés au défi de l'attractivité, les sports moins médiatisés souffrent eux aussi d'un modèle économique fragile.

Depuis la parution du rapport de la mission d'information, les difficultés du football français continuent de s'aggraver. Les relations de la LFP avec ses deux diffuseurs, DAZN et beIN, sont tendues ; or ceux-ci ont la possibilité de rompre leur contrat dès l'an prochain, en vertu d'une clause de résiliation demandée par les clubs lors de la négociation de l'été 2024. En février 2025, DAZN n'a honoré que la moitié de son échéance de paiement, estimant que la Ligue et les clubs ne remplissaient pas leurs obligations, plongeant ainsi le football professionnel dans l'incertitude concernant ses perspectives financières à court terme.

Ces nouvelles difficultés ont conduit le président de la Fédération française de football (FFF) à prendre l'initiative d'états généraux du football, lancés le 3 mars 2025. Ces états généraux travailleront sur trois thèmes : la gouvernance, le contrôle financier et la stratégie économique.

Une réforme législative nécessaire

Pour apporter des réponses à ces défis, une réforme législative est nécessaire.

Il convient de noter que le modèle juridique du football est particulier. En effet, conformément à l'article L. 333-1 du code du sport, la FFF a cédé aux clubs en 2004 les droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions organisées par la LFP. Ce modèle appelle une réflexion particulière sur les modalités d'exercice de sa mission par la fédération.

Par ailleurs, le partenariat conclu en 2022 entre la LFP et le fonds d'investissement CVC a permis un apport financier substantiel, sans toutefois accroître la valeur du championnat. La coexistence d'une ligue professionnelle et d'une société commerciale est un facteur d'opacification de la gouvernance et de la gestion. La quasi-totalité des revenus d'exploitation est désormais perçue par la société commerciale LFP Media qui assure la commercialisation et la gestion des droits, à l'exception de ceux issus des paris sportifs. La Ligue demeure toutefois l'organe de dialogue entre les clubs, qui ne sont associés qu'indirectement à la gouvernance de la filiale commerciale, ce qui crée une situation confuse.

S'agissant du piratage, à l'initiative du Sénat, la loi du 25 octobre 20214(*) a renforcé les moyens de l'Arcom, en lui permettant de bloquer des sites retransmettant illégalement des événements sportifs sur le fondement d'une ordonnance du président du tribunal judiciaire. Une fois l'ordonnance du président du tribunal judiciaire rendue, les titulaires de droits peuvent saisir l'Autorité afin qu'elle bloque l'accès à de nouveaux sites pirates, ce qui lui permet de lutter contre la multiplication des « sites miroirs ». Plus de 7 000 noms de domaine ont été bloqués à ce titre depuis 2022, ce qui constitue une avancée importante, mais insuffisante compte tenu de la diversité des pratiques de piratage et de l'agilité des fournisseurs de tels services. Étant donné l'ampleur prise par le phénomène, des mesures sont nécessaires pour l'endiguer de façon plus efficace. Ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. La perte d'attractivité, le coût élevé des abonnements mais aussi la perte de confiance des amateurs de football dans les dirigeants du football professionnel justifient une réforme d'ampleur plus large que de simples mesures de lutte contre le piratage.

Le sport professionnel contribue à la vitalité et à l'identité des territoires. Les clubs font partie du patrimoine culturel de la France et de ses régions. Par ailleurs, les difficultés du sport professionnel ont un impact direct sur le sport amateur. Le premier contribue, en effet, au financement du second au travers de divers mécanismes, dont la taxe dite « Buffet » sur la cession de droits de retransmission d'événements sportifs. Ainsi, les difficultés financières des clubs professionnels menacent tout un écosystème. Or le lien entre sport professionnel et sport amateur demeure essentiel pour la vitalité du modèle sportif français. Les principes de solidarité entre sport professionnel et sport amateur et de mutualisation entre clubs professionnels doivent trouver à s'appliquer pleinement.

Ces constats appellent des modifications juridiques, portant notamment sur les dispositions de la loi du 2 mars 20225(*) qui a fixé les conditions dans lesquelles une ligue de sport professionnel peut créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation des compétitions et manifestations sportives qu'elle organise.

Lors de son examen parlementaire, la présente proposition de loi pourra être enrichie par les réflexions des groupes de travail mis en place dans le cadre des états généraux du football, et, plus largement, par la consultation des acteurs du mouvement sportif, afin de préciser le texte et de le rendre le plus favorable possible à un développement économique harmonieux du sport professionnel.

Les objectifs de la présente proposition de loi sont les suivants :

- Rendre plus efficaces l'organisation et la gouvernance du sport professionnel, notamment dans l'hypothèse où les droits d'exploitation audiovisuelle ont été cédés par la fédération aux clubs ;

- Renforcer les contrôles sur la création d'une société commerciale chargée de la commercialisation et de la gestion des droits d'exploitation ;

- Renforcer le contrôle et le suivi de la gestion des clubs, des ligues et de leurs sociétés commerciales ;

- Accroître les exigences en matière d'éthique, de bonne gestion et de démocratie dans la gestion du sport professionnel ;

- Consolider le modèle économique du sport professionnel en adaptant les règles des appels d'offres, pour les adapter aux évolutions du marché ;

- Renforcer la lutte contre le piratage des contenus audiovisuels sportifs afin de permettre une intervention en temps réel lors de la diffusion d'événements sportifs en direct.

L'article 1er précise les obligations des ligues professionnelles, compte tenu de la subdélégation dont elles bénéficient. Il instaure l'obligation pour les ligues de rendre compte chaque année au ministère des sports de l'exercice de leur subdélégation. Il prévoit que la rémunération d'un dirigeant ou d'un salarié de la ligue ne peut excéder le plafond applicable à la rémunération du président du conseil d'administration d'un établissement public de l'État à caractère industriel et commercial. Il rend incompatible la fonction de dirigeant ou de membre de l'organe délibérant de la ligue professionnelle avec la détention d'intérêts ou l'exercice de fonctions au sein d'une entreprise de diffusion audiovisuelle.

L'article 2 prévoit la possibilité d'un retrait ou d'un refus de renouvellement de la subdélégation dont bénéficie une ligue professionnelle, dans un certain nombre de cas énumérés, cette hypothèse entraînant la dissolution de la ligue et le transfert de ses biens à la fédération qui l'a créée. La fédération pourrait alors céder tout ou partie du capital et des droits de vote de la société commerciale créée par la ligue aux sociétés sportives.

L'article 3 associe les associations de supporters à la gouvernance du sport professionnel, à titre consultatif.

L'article 4 apporte des précisions concernant les modalités de création et de fonctionnement des sociétés commerciales que les ligues peuvent créer depuis 2022 pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'elles organisent. Il donne à la fédération une voix délibérative au sein de cette société et précise les modalités d'approbation de la vente de parts à un actionnaire minoritaire ainsi que les modalités de l'affectation des sommes versées à la société lors d'un apport de financement. Il précise que le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs ne génère directement ou indirectement aucun revenu pour un investisseur minoritaire au sein de la société commerciale.

L'article 5 modifie les conditions de commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle cédés aux sociétés sportives. Il prévoit que les droits peuvent être cédés en un ou plusieurs lots au choix de l'entité cédante, pour une durée limitée et dans le respect des règles de concurrence.

L'article 6 prévoit la possibilité pour la fédération de créer une société commerciale l'associant aux sociétés sportives auxquelles elle a cédé la propriété des droits audiovisuels. Cette société commerciale aurait pour objet de commercialiser et de gérer les droits d'exploitation de toute nature, relatifs à une compétition ou une manifestation donnée, à l'exception du droit à consentir des paris sportifs. Chaque club disposerait d'un droit de vote égal au sein de la société, la fédération ayant la possibilité de s'opposer à certaines décisions. Cette société serait soumise à des règles analogues à celles qui s'appliquent aux sociétés commerciales des ligues professionnelles, s'agissant de sa création et de la participation éventuelle d'investisseurs minoritaires, autres que la ligue et les clubs.

L'article 7 dispose que la fédération fixe un écart maximal de distribution des revenus entre les sociétés sportives, afin de limiter les inégalités entre les clubs.

L'article 8 renforce les obligations de déclaration d'intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ces obligations seraient applicables aux membres du conseil d'administration et aux directeurs généraux des ligues, ainsi qu'aux membres de l'organe délibérant et aux dirigeants des sociétés commerciales commercialisant les droits d'exploitation.

L'article 9 vise à mieux contrôler la gestion des ligues et des sociétés sportives. Il instaure un contrôle de la Cour des comptes sur les ligues professionnelles et sur les sociétés commerciales créées par une ligue ou par une fédération pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation. Cet article rattache, par ailleurs, le contrôle de gestion des clubs à la fédération sportive plutôt qu'à la ligue professionnelle. En outre, il renforce les pouvoirs de l'organisme de contrôle sur les projets de cession des clubs, qui feraient l'objet d'un avis publié, et impose un suivi, par l'État et par la fédération, des avis, décisions et recommandations de cet organisme.

Les articles 10 et suivants renforcent les moyens de la lutte contre le piratage de contenus audiovisuels sportifs.

L'article 10 permet à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de mettre en place un système automatisé afin d'assurer le blocage en temps réel, pendant la diffusion en direct d'un événement sportif, de l'accès à des sources de diffusion illicites. Cet article permet, en outre, à l'Arcom de communiquer aux signataires des accords volontaires anti-piratage une liste des données d'identification des services de communication au public en ligne qui font l'objet de mesures de blocage. L'article 10 introduit, enfin, des délits spécifiques inspirés de l'infraction de contrefaçon de droit d'auteur et de droits voisins prévue par le code de la propriété intellectuelle. Ces nouveaux délits ne viseraient pas les utilisateurs de services illicites. Seraient, en revanche, réprimés le fait d'éditer ou de mettre à disposition du public des sites et services de piratage sportif ou de commercialiser des abonnements, des boîtiers ou des logiciels donnant accès à de tels services, ainsi que le fait d'en faire la promotion.

L'article 11 prévoit diverses mesures d'adaptation et l'article 12 compense le coût éventuel de la proposition de loi pour les finances publiques.

* 1 Rapport d'information n° 87 (2024-2025) de la mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français, présidée par M. Laurent LAFON, et dont le rapporteur est M. Michel SAVIN, déposé le 29 octobre 2024.

* 2 Arcom, novembre 2024.

* 3 CJUE, 2e Chambre, Fédération internationale de football association (FIFA) contre BZ, 4 octobre 2024, C 650/22

* 4 Loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique

* 5 Loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

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