EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La mission d'information relative au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France (ABF)1(*), dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité le 25 septembre 20242(*), a formulé vingt-quatre propositions visant à renouveler les conditions du dialogue entre les ABF, les élus locaux et l'ensemble de nos concitoyens.

Ces recommandations ont été élaborées au terme de six mois de travaux approfondis, qui ont permis de recueillir les éclairages de l'ensemble des acteurs concernés. La mission a ainsi conduit une vingtaine d'auditions, effectuées sous la forme de tables rondes, et quatre déplacements sur le terrain3(*), complétés par une consultation en ligne des élus locaux qui a enregistré près de 1 500 contributions.

Cette proposition de loi constitue la traduction de celles de ces recommandations qui requièrent une intervention du législateur et n'ont pas de portée financière.

• Son article 1er reprend les recommandations n° 6, n° 7 et n° 8 de la mission, qui visent à encourager la généralisation des périmètres délimités des abords (PDA) en simplifiant leur procédure d'adoption et en renforçant leur sécurité juridique.

Créés par la loi dite « LCAP » de 20164(*), les PDA constituent une réponse aux difficultés suscitées par l'existence de zones de protection automatiques autour des monuments historiques, dont le périmètre est par défaut défini dans un rayon de 500 mètres autour du monument. Dans chacune de ces zones s'appliquent des restrictions d'urbanisme visant à garantir l'unité architecturale du paysage et la préservation du patrimoine bâti. Toute opération d'urbanisme qui y est projetée doit en conséquence être soumise à l'examen préalable de l'ABF, qui rend un avis conforme ou un avis simple selon que le projet d'urbanisme et le monument protégé sont ou non covisibles. Or, alors que ces espaces protégés couvrent un quart des logements français, ce zonage mécanique ne correspond pas nécessairement aux besoins de protection de chaque territoire. Il en résulte pour nombre de nos concitoyens des procédures inutilement longues et parfois infructueuses, qui s'accompagnent de fréquentes controverses autour de la notion de covisibilité.

Il est apparu au cours des travaux de la mission que les PDA constituent une réponse pertinente à cette difficulté. Cet outil, qui peut être mis en place à l'initiative des élus locaux, permet en effet d'adapter le périmètre protégé à l'intensité patrimoniale constatée dans chaque collectivité, en le limitant à la zone dans laquelle la covisibilité fait consensus. Leur généralisation se heurte cependant aux contraintes de la procédure de mise en place actuellement prévue par l'article L. 621-31 du code du patrimoine, qui apparaît inutilement lourde et bien souvent coûteuse, notamment pour les plus petites collectivités. Ces contraintes expliquent le succès relatif aujourd'hui rencontré par cet outil, qui n'avait été déployé que pour 6,5 % des monuments historiques à la fin de l'année 2022.

Il est également apparu que les sites patrimoniaux remarquables (SPR), zones protégées dans lesquelles s'applique un règlement relatif aux attendus des travaux susceptibles d'y être effectués, offrent un cadre juridique plus sécurisant pour l'ensemble des acteurs concernés par les opérations d'urbanisme. En l'état actuel du droit, aucun document d'accompagnement n'est en revanche prévu pour les PDA.

L'article 1er de la proposition de loi vise en conséquence à :

- supprimer la consultation du propriétaire ou de l'affectataire du monument historique, ainsi que l'obligation de conduire une enquête publique lorsque la création du PDA n'est pas concomitante à la mise en place ou à la révision des documents d'urbanisme ;

- reconnaître la possibilité pour les élus qui le souhaitent d'assortir le PDA d'un règlement permettant de définir de manière consensuelle les règles applicables dans la zone protégée, afin de faciliter l'intervention des ABF et d'améliorer la prévisibilité de leurs décisions. Ce document permettrait de fixer les attendus touchant par exemple aux matériaux privilégiés pour les menuiseries, aux techniques d'isolation autorisées ou encore à l'aspect général des bâtiments. En raison de sa portée juridique, ce règlement ne pourrait être adopté qu'au terme d'une enquête publique permettant de garantir son acceptabilité, qui pourrait avoir lieu en même temps que la mise en place ou la révision des documents d'urbanisme.

L'article 2, qui traduit la recommandation n° 17 de la mission d'information, a pour objet d'assurer la publicité des avis rendus par les ABF afin de renforcer la prévisibilité de leurs décisions pour les porteurs de projets et les élus locaux.

En l'état actuel du droit, les avis rendus par les ABF ne sont en effet pas publics, contrairement à d'autres documents relatifs aux opérations d'urbanisme et aux ventes immobilières. Alors qu'ils constituent une source d'information précieuse pour les services instructeurs et les porteurs de projet, notamment quand ils sont assortis de préconisations, cette exception fait figure d'anormalité à l'heure des efforts de transparence touchant désormais la plupart des autorités administratives.

La commission des affaires économiques du Sénat a pris position sur ce sujet en adoptant le 5 juin 2024, lors de l'examen en commission du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables5(*), un amendement prévoyant la constitution d'une base de données nationale des avis des ABF, dans l'objectif de constituer un référentiel et une base de jurisprudence pour les porteurs de projet.

La proposition de loi prévoit de la même façon la publication systématique des décisions rendues par les ABF dans un registre national mis gratuitement à la disposition du public au format numérique. Ces documents pourraient être accessibles via les pages Internet du ministère de la Culture dédiées aux publications des unions départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), ou encore sur une page spécialisée de la plateforme ouverte du patrimoine.

L'article 3, qui traduit la recommandation n° 1 de la mission d'information, tend à favoriser le règlement des dossiers litigieux en amont de l'engagement d'une procédure de recours par le pétitionnaire ou l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme. Cette situation concerne les dossiers dans lesquels la demande d'autorisation a recueilli un avis défavorable de l'ABF, ou un avis favorable assorti de prescriptions coûteuses ou techniquement difficiles à mettre en oeuvre.

Il prévoit dans ce cas la mise en place d'une commission départementale assurant un examen collégial de ces dossiers et permettant à chacune des parties prenantes d'exposer sereinement ses préoccupations. Plusieurs cas de mise en oeuvre informelle de cette pratique ont été portés à la connaissance de la mission d'information : dans la majorité des situations, le seul engagement d'un dialogue a permis d'apporter un règlement aux dossiers litigieux avant tout engagement d'une procédure de recours.

Cette commission se réunirait périodiquement sur l'ensemble des dossiers litigieux du département, sur demande du maire de la commune concernée par le projet d'urbanisme et à l'initiative du préfet de région. Elle serait composée, au-delà du pétitionnaire, des maires concernés par les dossiers litigieux, de l'ABF et du préfet de région, d'élus du département membre de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou encore de représentants d'associations de protection du patrimoine. Le maire aurait la possibilité d'ajouter à cette liste toute personne intéressée par le dossier.

Au terme de cette réunion, la commission émettrait un avis consultatif sur le projet de décision de l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme.

Comme l'ensemble des dispositions de l'article L. 632-2 du code du patrimoine, le fonctionnement de cette commission serait précisé par décret en Conseil d'État, notamment en ce qui concerne sa composition et les conditions déclenchant sa réunion.

L'article 4, qui traduit la recommandation n° 23 de la mission d'information, vise à ajouter la réhabilitation des constructions existantes au champ de l'intérêt public associé à l'architecture.

Selon les dispositions de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture actuellement en vigueur, sont considérés comme d'intérêt public la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant et le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine.

Alors que les opérations de rénovation énergétique donnent fréquemment lieu à des pratiques délétères pour le bâti patrimonial, l'ajout à cette liste de la réhabilitation des constructions existantes vise à affirmer que la rénovation respectueuse des spécificités du bâti ancien relève d'un objectif partagé entre tous les professionnels de l'architecture, au-delà des seuls ABF. Elle permettrait de renforcer l'assise juridique des messages diffusés sur ce point dans leurs avis et, en amont de leurs décisions, de mobiliser de nouveaux médiateurs pour ces enjeux auprès des pétitionnaires et des élus locaux.

* 1 Créée par le groupe Les Indépendants-République et Territoires en application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, cette mission était présidée par Marie-Pierre Monier et rapportée par Pierre-Jean Verzelen.

* 2 Les architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver, rapport n° 780 (2023-2024) publié le 25 septembre 2024, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/mission-dinformation-sur-le-theme-architectes-des-batiments-de-france-perimetres-et-competences.html

* 3 À l'école de Chaillot au sein de la Cité de l'architecture et du patrimoine, dans les départements d'Indre-et-Loire et du Lot, et enfin à Lyon.

* 4 Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.

* 5 L'examen de ce projet de loi a cependant été interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par le Président de la République le 9 juin 2024.

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