EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2022, le Sénat a effectué un bilan1(*) relatif à la prévention de la délinquance des mineurs afin d'éviter la récidive. Il était constaté que la proportion des mineurs impliqués dans l'ensemble de la délinquance était de 20 % en moyenne, mais surtout qu'ils étaient surreprésentés dans la commission de certaines catégories d'infractions, notamment les plus lourdes. Le rapport indiquait qu'en 2022, alors que les mineurs ne constituent que 21 % de la population en France, ils représentaient 46 % des mis en cause pour violences sexuelles sur mineurs, 40 % des vols violents ou 30 % des coups et blessures volontaires sur moins de 15 ans.

Ces derniers mois ont été marqués par une série d'homicides et d'agressions physiques violents impliquant des mineurs, aussi bien du côté des auteurs que des victimes. Entre mars et avril seulement, plusieurs de ces affaires ont fait l'objet d'une forte médiatisation, telles que : Shanon (13 ans) victime de viol et décédée à la suite de ses blessures à Cauffry (Oise) ; l'agression violente de Samara (13 ans) devant son collège à Montpellier (Hérault) et pour laquelle cinq mineurs sont mis en examen ; la mort de Shemseddine (15 ans) à Viry-Châtillon (Essonne) survenue à la suite d'un lynchage violent impliquant, entre autres, trois mineurs mis en examen ; Zacharia (15 ans), tué d'un coup de couteau à Romans-sur-Isère (Isère) ; Matisse (15 ans), également décédé à Châteauroux (Indre) après avoir reçu des coups de couteau par un suspect mineur (15 ans) qui a été mis en examen alors même que ce dernier avait été impliqué, arrêté et remis en liberté dans l'attente de mesures, quelques jours avant le drame. Encore récemment, à Grande-Synthe (Nord), l'assassinat de Philippe Coopman (22 ans) a conduit à la mise en examen de deux adolescents âgés de 14 et 15 ans et d'un troisième mineur. À cela s'ajoute l'amplification des narchomicides impliquant désormais des mineurs. Pour exemples, en octobre 2024, à Marseille (Bouches-du-Rhône) un mineur (14 ans), recruté en tant que tueur à gages, a été placé en détention pour l'assassinat d'un chauffeur de VTC, victime collatérale des règlements de comptes liés au narcotrafic ; un mineur a été brûlé vif après avoir reçu 50 coups de couteau. À la suite de ces deux meurtres, dans une conférence de presse, le procureur de la République de Marseille s'est alarmé d'un « ultra-rajeunissement des auteurs ».

Ces faits illustrent une extension de la violence dont les auteurs et les victimes sont souvent de jeunes collégiens ou lycéens. Force est de constater que tout le territoire français est touché par la montée en puissance d'actes criminels extrêmement violents, commis par des mineurs délinquants toujours plus jeunes. Ce qui interroge et réintroduit le débat sur le rajeunissement des auteurs de crimes et délits et quelle réponse la justice apporte-t-elle à cette délinquance endémique ?

Selon un rapport2(*) de l'Institut de sondage CSA effectué pour le Sénat en 2021, 69 % des sondés estimaient que la justice est "tout à fait ou plutôt laxiste" et 49 % d'entre eux considéraient que les sanctions des meurtres et assassinats sont "assez mal ou très mal adaptées", notamment pour les délits et crimes à caractère sexuel (66 %) ou les faits de petite délinquance (70 %). Ces chiffres témoignent d'une forme de défiance des citoyens envers l'institution judiciaire, qui jugent la réponse pénale inadaptée face à la récidive, à la perte du sens de l'autorité et de la sanction, notamment chez les mineurs.

L'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante posait les grands principes relatifs à la justice pénale des mineurs. Elle prévoyait notamment l'atténuation de leur responsabilité pénale compte tenu de leur âge, appelait classiquement « l'excuse de minorité ». Elle a été modifiée à de multiples reprises, environ soixante-dix fois en soixante-dix ans, ce qui l'a rendue parfois illisible.

Cela a conduit à la refonte du cadre juridique de la justice pénale des mineurs avec la création et l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) en septembre 2021. Ce nouveau code reprend la philosophie de l'ordonnance de 1945. Il fixe notamment la présomption (simple) de non-discernement à 13 ans3(*) : « est capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet. Ainsi « aucune peine ne peut être prononcée à l'encontre d'un mineur de moins de treize ans »4(*). À partir de cet âge, le CJPM considère que les mineurs ont la capacité de juger clairement un acte et ses conséquences. En comparaison, au sein de l'Union européenne, l'Écosse et la Grèce ont fixé l'âge minimum de responsabilité pénale à 8 ans ; il est fixé à 10 ans en Angleterre et en Suisse ; à 12 ans aux Pays-Bas, au Portugal et en Belgique et enfin, à 14 ans en Espagne, Allemagne et Italie.

Pour les mineurs âgés de plus de 13 ans, leur responsabilité peut être engagée5(*). Enfin, le CJPM maintient l'excuse de minorité (règles d'atténuation des peines)6(*). Ce principe de l'atténuation des peines pour les mineurs consiste à rabaisser le maximum de la peine encourue par un mineur à la moitié de la peine prévue par le code pénal (et à 20 ans si la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité).

Actuellement, le bénéfice de ce principe ne peut être levé que si le mineur est âgé de plus de 16 ans7(*). Le CJPM laisse ainsi aux juridictions la possibilité d'écarter la diminution de la peine encourue à titre exceptionnel compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur et par décision spécialement motivée. Toutefois, dans l'hypothèse où la peine prévue par le code pénal est la réclusion criminelle à perpétuité, cette peine est ramenée à 30 ans même si le principe de diminution de la peine est écarté par la juridiction.

Deux décisions constitutionnelles fondatrices8(*) éclairent également le sens du principe fondamental reconnu par la loi en matière de justice pénale des mineurs. Ce principe regroupe la spécialisation des juridictions pour mineurs, la recherche prioritaire du relèvement éducatif ainsi que le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs (« excuse de minorité » renommée « atténuation des peines »). Ces décisions précisent que le principe de l'atténuation de la responsabilité en fonction de l'âge ne fait pas obstacle à ce que la détention puisse être ordonnée à l'égard des mineurs de plus de 13 ans pour autant que soient respectés les principes de nécessité et de proportionnalité des peines. Le Conseil constitutionnel valide également la possibilité pour les juridictions pour mineurs d'écarter à titre exceptionnel, pour les mineurs de 16 ans et plus, le principe de l'atténuation de la peine encourue en considération des circonstances de fait et de personnalité qui doivent figurer dans une motivation spéciale.

Le débat relatif à l'abaissement de la majorité pénale, actuellement fixée à 18 ans en France, est fréquemment soulevé face à la montée des actes violents commis par des mineurs. Il nécessite une véritable réflexion sociétale et constitutionnelle.

Néanmoins, les questions de la responsabilité pénale des mineurs et des exceptions à l'application de l'excuse de minorité peuvent être posées. Afin de répondre à l'attente des citoyens d'une plus grande efficacité et de fermeté de la justice face à la délinquance et compte tenu de la situation alarmante de la montée des actes violents commis par des mineurs toujours plus jeunes, la présente proposition de loi vise à apporter une réponse judiciaire adaptée aux nouveaux comportements des mineurs délinquants en matière pénale. Elle a également pour objet de renforcer le caractère dissuasif de la sanction. Le 1° de l'article unique propose ainsi d'étendre l'exception permettant d'écarter le principe de l'atténuation des peines aux mineurs âgés de plus de 15 ans. La fixation de ce seuil d'âge s'inscrit dans le cadre constitutionnel de nécessité et de proportionnalité fixé par les décisions rendues par le Conseil constitutionnel en 2002 et 2004.

Puisque le mineur est reconnu capable de discernement dès l'âge de 13 ans, il apparaît cohérent que la justice puisse prendre acte des circonstances et des faits les plus graves. En 2023, le nombre de mineurs poursuivables était de 121 995 en 20239(*) ; il était de 121 600 en 2022. Si les chiffres affichent une forme de stabilité, en 2022, le rapport du Sénat relatif à la délinquance des mineurs énonçait : « une perte d'intérêt des pouvoirs publics à retracer l'évolution de la délinquance des mineurs : les rapporteurs ont pu constater que, faute de commande politique, aucune photographie complète et actuelle de ce phénomène n'est disponible. (...) L'évolution de la délinquance dépend également de l'activité des services de sécurité ou encore de la propension des victimes à porter plainte, ce qui peut expliquer un certain décalage avec la réalité et le ressenti de la population »10(*). Les faits divers récents témoignent bien cependant de la réalité de mineurs âgés de moins de 16 ans commettant des infractions graves (viols, meurtres, lynchages). Ce nouveau critère d'âge apparaît équilibré au vu du cadre juridique existant et a également pour objet de renforcer le caractère dissuasif de la peine. Rappelons que récemment, la loi du 7 juillet 2023 a instauré une majorité numérique à 15 ans alors que la majorité sexuelle est fixée à 15 ans.

La levée de l'atténuation de l'excuse de minorité n'aurait été prononcée que deux fois depuis 1945, une première fois en 1989 puis en 2013, notamment au motif de la personnalité « ultra dangereuse » de l'accusé. Afin d'améliorer la transparence relative à la levée de l'excuse de minorité et de renforcer la confiance en l'efficacité de la justice, le 2° de l'article unique vise à renforcer les garanties procédurales applicables. Il renforce, à la charge des juridictions pour mineurs, l'obligation de motivation spéciale de la décision écartant la diminution de peine en exigeant que soient relevés explicitement les éléments de fait et de droit qui la fondent et ceux qui rendent inenvisageable au cas d'espèce la mise en oeuvre du principe d'atténuation.

* 1 Rapport d'information n° 885 (2021-2022), « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-885-notice.html.

* 2 Rapport CSA pour le Sénat (2021), « Le Rapport des Français à la justice » : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2021/2021-Documents_PDF/20210928_Rapport_complet_CSA.pdf.

* 3 Article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs.

* 4 Article L.11-4 du code de la justice pénale des mineurs. L'article 122-8 du code pénal énonce également : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, en tenant compte de l'atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge, dans des conditions fixées par le code de la justice pénale des mineurs ».

* 5 Article L. 11-3 du code de la justice pénale des mineurs.

* 6 Article L. 121-5 du code de la justice pénale des mineurs.

* 7 Article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs.

* 8 Cons. const. 9 septembre 2002 - 2002-461 DC - loi d'orientation et de programmation pour la Justice ; Cons. const. 2 mars 2004 - 2004-492 DC - loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 9 Ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique Cassiopée.

* 10 Rapport d'information n° 885 (2021-2022), « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-885-notice.html.

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