EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre pays vit une crise démocratique. En choisissant de recourir aux articles 47-1, puis 44 alinéa 2, 44 alinéa 3, et enfin 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer une réforme des retraites jamais votée par l'Assemblée nationale, et rejetée par l'ensemble des organisations syndicales et par plus de 7 Français sur 10, le gouvernement a poussé jusqu'au bout la logique de la Vème République, concentrant les pouvoirs aux mains de l'exécutif.

Le déséquilibre de nos institutions, marqué par la faiblesse des contre-pouvoirs organiques et la verticalité du pouvoir exécutif, n'a eu de cesse de saper la confiance des Françaises et des Français dans les institutions et le personnel politiques. Alors qu'ils n'aspirent qu'à participer davantage à la vie démocratique de notre pays, nos concitoyennes et concitoyens se sentent dessaisis du processus de décision publique. La démocratie leur paraît confisquée, comme en attestent les taux d'abstention qui croissent scrutin après scrutin, mais aussi la colère qui s'exprime dans la rue à chaque nouveau passage en force.

Pour renouer ce lien de confiance, il est indispensable de remettre les citoyens et les citoyennes au coeur du processus de légitimité de la décision politique. Il s'agit de passer de ce que Georges Burdeau appelait une « démocratie gouvernée », qui infantilise trop les Françaises et les Français, à une « démocratie gouvernante », qui leur redonne voix au chapitre.

C'est en partie pour répondre à cette aspiration qu'à l'occasion de la révision constitutionnelle de 2008, le législateur constitutionnel a introduit à l'article 11, alinéa 3 de la Constitution, un référendum dit « d'initiative partagée » (RIP) dont le déclenchement nécessite de remplir les conditions suivantes :

- l'initiative émane d'au moins un cinquième des membres du Parlement (soit 185 députées et députés, sénatrices et sénateurs) ;

- elle est soutenue par un dixième des électrices et électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,87 millions de Françaises et Français à ce jour ;

- elle ne peut porter que sur les objets mentionnés à l'article 11 de la Constitution (organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent) ;

- le Président de la République ne soumet la proposition de loi à référendum que si celle-ci n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai de 6 mois.

Or, depuis que la loi organique du 6 décembre 2013 a permis la mise en place de ce référendum d'initiative partagée, la procédure n'a jamais pu aboutir.

Dans sa décision n° 2019-1-8 RIP du 26 mars 2020, le Conseil constitutionnel n'a pu que constater que, bien qu'ayant recueilli le soutien de 1 093 030 électeurs et électrices inscrits sur les listes électorales, la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris n'avait pas obtenu le soutien d'au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Ce seuil de 10% prévu par le RIP paraît inaccessible, alors qu'en Italie, dont la population est comparable à celle de la France, 500 000 signatures suffisent pour un référendum portant sur l'abrogation d'une loi en vigueur. 50 000 électeurs peuvent par ailleurs y présenter une initiative législative. En Suisse, 50 000 signatures sont requises pour demander un référendum législatif abrogatoire, soit environ 0,9 % du corps électoral.

Les tentatives de RIP rejetées par le Conseil constitutionnel ont aussi démontré que le champ d'application du référendum était trop restreint, d'autant plus qu'il fait l'objet d'une appréciation particulièrement stricte de la part du juge constitutionnel. En effet, dans ses décisions n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022 et n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que la proposition de loi portant création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises et la proposition de loi visant à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans, respectivement, ne portaient pas sur les objets mentionnés au premier alinéa de l'article 11 de la Constitution. Dans le premier cas, le juge constitutionnel a argué que la mesure fiscale envisagée ne portait pas sur « la politique économique de la nation », et dans le second, il a estimé que les dispositions envisagées ne constituaient pas une « réforme », car elles n'apportaient pas un changement de l'état du droit, à la date d'enregistrement de la saisine.

Enfin, il y a tout lieu de craindre que si une proposition de RIP parvenait à franchir ces obstacles, celle-ci ne soit, in fine, enterrée par le Parlement. En effet, un simple examen de la proposition de loi par les deux assemblées dans les 6 mois qui suivent le recueil des signatures citoyennes suffit à empêcher la tenue du référendum. D'après certains constitutionnalistes, un simple renvoi en commission pourrait tenir lieu d'examen, auquel cas la proposition de loi tomberait dans les oubliettes de l'histoire sans même avoir fait l'objet d'une discussion, et encore moins d'un vote.

Chacun s'accorde désormais à dire que la procédure de référendum d'initiative partagée est, en pratique, irréalisable. Le Président de la République, lui-même, déclarait lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, qu'il souhaitait que « nous puissions aller plus loin sur le référendum d'initiative partagée [...] en en simplifiant les règles, en permettant que l'initiative puisse venir de citoyens, un million de citoyens qui signeraient une pétition et qu'elle puisse prospérer en projet de loi [...] ».

Il convient donc de lever ces obstacles largement reconnus afin de faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée.

C'est tout l'objet de l'article unique de la présente proposition de loi qui propose de modifier les premier, troisième et cinquième alinéas de l'article 11 de la Constitution, pour :

- élargir le champ du référendum en l'ouvrant aux questions relatives à la politique fiscale de la nation et en supprimant le terme de « réforme » qui fait l'objet d'une interprétation trop restrictive de la part du Conseil constitutionnel sur les questions relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ;

- abaisser le seuil de signatures de citoyennes et citoyens requises, en passant d'un dixième des électeurs et électrices inscrits sur les listes électorales (soit 10 % du corps électoral) à 1 million (soit environ 2% du corps électoral) ;

- abaisser, dans le même mouvement, le seuil de signatures de parlementaires requises, en passant d'un cinquième (soit 185 députées et députés ou sénatrices et sénateurs) à un dixième (soit 93) ;

- permettre aux citoyennes et citoyens de prendre l'initiative de présenter une proposition de texte de loi qui devra ensuite recevoir le soutien des parlementaires, et mettre ainsi la procédure de référendum d'« initiative partagée » en cohérence avec son nom ;

- modifier le rôle du Parlement dans la dernière phase de la procédure précédant l'organisation du référendum. Si les assemblées souhaitent empêcher la tenue du référendum, elles ne pourront plus le faire en enterrant la proposition de loi, elles devront le faire explicitement et en toute transparence par le biais d'un vote.

Tel est l'objet du dispositif de cette proposition de loi constitutionnelle qui vise à faciliter le recours au référendum d'initiative partagée pour en faire un véritable instrument de respiration démocratique.