EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le secteur de l'audiovisuel a connu depuis une dizaine d'années au moins trois profondes transformations : la création de nombreuses plateformes de vidéos à la demande par abonnement (SVOD) a augmenté de manière exponentielle l'offre de programmes et concurrencé de manière frontale les chaînes gratuites hertziennes ; le développement des réseaux sociaux a diversifié les sources d'information et multiplié les infox tandis que l'augmentation des prix des droits de diffusion des compétitions sportives a eu pour effet de réduire l'exposition de celles-ci sur les chaînes gratuites hertziennes pour les réserver aux chaînes et plateformes accessibles seulement par abonnement.
Face à ces évolutions la puissance publique est demeurée jusqu'à présent en retrait, peinant à réformer un cadre législatif posé en 1986 pour réguler un univers strictement national à une époque où internet n'existait pas. Le développement des plateformes américaines en France a donc été d'autant plus aisé que ces dernières n'ont pas eu à respecter l'ensemble des contraintes législatives et réglementaires qui s'appliquent à leurs concurrents proposant des services principalement linéaires, qu'il s'agisse des obligations d'investissement dans la production, de la réglementation qui limite les droits des chaînes sur les programmes qu'elles financent pourtant très largement et des dispositions concernant les concentrations qui ont eu pour effet, par exemple, d'interdire le rapprochement entre TF1 et M6.
Malgré certaines évolutions récentes de la législation, les asymétries demeurent importantes entre les acteurs linéaires et délinéarisés avec pour conséquence de fausser la concurrence et de limiter la capacité des acteurs français à réussir leur transformation pour proposer une offre puissante de contenus délinéarisés.
Les signataires de la présente proposition de loi considèrent qu'une stratégie ambitieuse et globale est devenue aujourd'hui indispensable pour préserver la souveraineté audiovisuelle de notre pays qui doit reposer sur au moins deux piliers : un regroupement de l'audiovisuel public respectueux de l'identité de ses différentes composantes afin de créer une offre de programmes gratuits de qualité accessible à tous sur tous les supports ainsi qu'une révision significative de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication visant à lutter contre les asymétries qui pénalisent les acteurs français, publics et privés, face à leurs concurrents américains.
Il y a maintenant plus de sept ans, nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin appelaient de leurs voeux, dans le cadre d'un rapport conjoint1(*) rédigé au nom des commissions de la culture et des finances, une réforme globale de l'audiovisuel public portant à la fois sur ses missions, son organisation et son financement.
Les auteurs du rapport justifiaient la nécessité d'une réforme ambitieuse par au moins trois motifs :
- une identité du service public à réaffirmer du fait d'une capacité d'innovation encore trop limitée, d'une offre d'information morcelée, d'une production de fictions pas assez audacieuse et insuffisamment adaptée à l'exportation ;
- une organisation en silos en retrait du « modèle européen » qui privilégie l'intégration complète de la radio, de la télévision et du numérique à l'image de la BBC, de la RTBF ou de la RTS ;
- un modèle économique reposant sur une ressource publique fragilisée par les nouveaux usages et une dépendance croissante vis-à-vis des recettes publicitaires faute de pouvoir dégager des revenus significatifs de la valorisation des investissements dans la production.
Pour répondre à ces différents défis, nos collègues proposaient de conduire une réforme globale sans séparer les questions de financement et d'organisation avec un triple objectif : repenser les structures en engageant le regroupement de l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public, réformer la CAP et mutualiser les moyens pour lancer de nouveaux projets.
Plus de sept années ont passé et si le constat établi par le rapport du Sénat de 2015 est aujourd'hui largement partagé, force est de constater que les recommandations des deux rapporteurs n'ont pas été suivies d'effet :
- l'ambitieuse réforme de la gouvernance engagée par le ministre de la culture Franck Riester en 2019 n'a pas dépassé le stade de l'examen en commission à l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique ayant été abandonné en mars 2020 pour cause de crise sanitaire ;
- la réforme du financement de l'audiovisuel public est également restée au milieu du gué, la disparition de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) actée en juillet 2022 s'étant accompagnée de la mise en place d'un financement par une fraction du produit de la TVA à titre temporaire, jusqu'à la fin de 2024 ;
- quant aux mutualisations, si elles se sont développées depuis quelques années, elles restent parcellaires, inabouties et insuffisantes compte tenu des contraintes liées à la persistance d'entités séparées. Les matinales communes à France 3 et France Bleu n'ont toujours pas été généralisées à l'ensemble des territoires, la nouvelle offre numérique locale « Ici » peine à proposer une véritable information de proximité tandis que l'offre d'information France Info manque d'homogénéité sur ses différents supports.
Compte tenu de ces difficultés persistantes, un nouveau rapport conjoint2(*) des commissions de la culture et des finances publié au printemps 2022 a conclu à l'urgence de « définir un projet stratégique pour l'audiovisuel public qui pourrait reposer sur trois principes : rassembler les quatre entreprises nationales de l'audiovisuel public dans une même structure, maximiser les mutualisations pour supprimer les doublons et investir davantage dans le numérique pour défendre notre souveraineté audiovisuelle ».
Plus précisément, les rapporteurs ont estimé que les constats déjà faits en 2015 demeuraient d'actualité :
- « le financement mixte associant des crédits publics et des ressources propres issues de la publicité crée une dépendance à l'audience difficilement compatible avec l'affirmation d'une identité forte de service public ;
- l'absence de véritable projet stratégique de l'actionnaire et la multiplication des différentes autorités de tutelle ont tendance à laisser chacune des entreprises de l'audiovisuel public livrée à « elle-même » sans véritable marge de manoeuvre financière pour mettre en oeuvre ses projets prioritaires ;
- faute d'impulsion suffisante de la part de l'actionnaire et de volonté réelle de la part des différents partenaires, les coopérations menées demeurent modestes et tardent à se concrétiser (chaîne FranceInfo, matinales communes à France 3 et France Bleu, captations, international...) ».
Alors que la nécessité d'une réforme globale de l'audiovisuel public ne fait plus guère de doutes, plusieurs initiatives ont été lancées afin d'identifier les avancées envisageables. Le ministère de la culture a, tout d'abord, engagé le travail préparatoire devant aboutir d'ici à la fin de l'année 2023 à la rédaction des contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2024-2028. Les entreprises de l'audiovisuel public ont ensuite identifié les projets prioritaires qu'elles étaient en mesure de conduire afin de les intégrer à ces projets de COM. Tel est notamment le cas de France Télévisions et de Radio France dont les présidentes ont adressé le 1er février 2023 à la ministre de la culture une note commune détaillant un projet d'offre d'information et de proximité. Par ailleurs, les députés de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale poursuivent leurs travaux engagés dans le cadre de la mission d'information sur l'avenir de l'audiovisuel public.
Si ces différentes initiatives sont utiles et, dans une certaine mesure, complémentaires, elles sont néanmoins confrontées à une même difficulté qui tient au fait qu'une réforme ambitieuse apparaît difficile à conduire en l'absence d'initiative législative. La pérennisation d'un financement de l'audiovisuel public pourrait ainsi nécessiter de modifier la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2002 relative aux lois de finances (LOLF). Les mutualisations proposées par France Télévisions et Radio France à cadre constant concernant l'information s'inscrivent quant à elles dans un horizon de dix ans, ce qui est très long, mais s'explique largement par l'absence de gouvernance commune qui rend la prise de décision plus longue et moins efficace. Des projets prioritaires comme la mise en commun des datas et le développement de l'intelligence artificielle seront d'autant plus difficiles à mener que les différentes entités resteront juridiquement indépendantes. Autant de raisons pour lesquelles il est redevenu nécessaire de s'interroger sur l'avenir de l'audiovisuel public.
Si le scénario du statu quo a montré toutes ses limites, le scénario de la fusion préconisé par le rapport sénatorial du 8 juin 2022, en dépit de ses indéniables potentialités, est celui qui peut susciter le plus de réticences puisqu'il remettrait fortement en cause des habitudes et des méthodes de travail.
Dans ces conditions, le choix d'avancer vers une entreprise unique ne peut résulter que d'une volonté politique forte de l'actionnaire ou bien d'une évolution plus progressive privilégiant une étape intermédiaire, plus ou moins longue, constituée par la création d'une holding commune. C'est cette dernière option qui a été retenue par les signataires de cette proposition de loi qui estiment que cette première étape, en respectant les identités et l'autonomie d'action des sociétés, doit permettre de mieux répondre aux défis du numérique.
Si la réforme de l'audiovisuel public constitue une priorité pour réaffirmer notre souveraineté audiovisuelle, il apparaît également nécessaire de modifier certaines dispositions de la loi du 30 septembre 1986 qui pénalisent l'ensemble des médias historiques par rapport à leurs concurrents délinéarisés. Tel est l'objet du chapitre 2 de la présente proposition de loi.
Le chapitre 1er de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public comprend 9 articles.
Le 1° de l'article 1er complète le titre III de la loi du 30 septembre 1986 par un article 44 A portant création de la société holding France Médias composée de quatre filiales dont elle détient la totalité du capital et définit les orientations stratégiques : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel. L'article 44 de la même loi est ensuite modifié par le 2° afin d'y adjoindre l'INA qui se voit reconnaître le statut de société pour pouvoir intégrer la holding. Le 3° prévoit, enfin, une nouvelle rédaction de l'article 44-1 de la loi du 30 septembre 1986 relatif aux filiales qui pourraient être créées par la holding et ses quatre filiales.
L'article 2 modifie l'article 47 de la loi du 30 septembre 1986 relatif au capital des sociétés de l'audiovisuel public pour établir que l'État détient directement la totalité du capital de la société France Médias.
L'article 3 réécrit plusieurs articles de la loi du 30 septembre 1986 afin de fixer les règles de gouvernance de la holding France Médias et de ses filiales. Le nouvel article 47-1 définit la composition du conseil d'administration de la société France Médias tandis que l'article 47-2 fait de même pour les conseils d'administration des sociétés France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et Institut national de l'audiovisuel. L'article 47-3 établit que le président-directeur général est nommé pour cinq ans par décret du Président de la République sur proposition du conseil d'administration, après avis conforme de l'Arcom et après avis des commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, les directeurs généraux des filiales étant nommés pour cinq ans par le conseil d'administration de chaque société sur proposition de son président. L'article 47-4 fixe les conditions dans lesquelles les mandats du président-directeur général et des directeurs généraux peuvent leur être retirés. Enfin, l'article 47-5 prévoit la prépondérance de la voix du président en cas de partage des voix au sein d'un conseil d'administration.
L'article 4 procède à plusieurs coordinations rendues nécessaires par la création de la holding. Le 1° prévoit une nouvelle rédaction de l'article 47-6 de la loi du 30 septembre 1986 qui complète et adapte sa rédaction. Le 2° prévoit une modification de coordination à l'article 48 tandis que le 3° prévoit une nouvelle rédaction de l'article 48-1-A. Le 4° comprend une modification rédactionnelle relative à l'article 48-1 tandis que le 5° comprend plusieurs modifications rédactionnelles de coordination aux articles 48-3, 48-9 et 48-10. Le 6° supprime les articles 49, 49-1 et 50 relatifs à l'INA devenus inutiles compte tenu des modifications apportées à l'article 44 par l'article 1er.
L'article 5 prévoit une nouvelle rédaction de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 qui, dans son paragraphe Ier, remplace les contrats d'objectifs et de moyens (COM) par des conventions stratégiques pluriannuelles tandis que le paragraphe II de cette nouvelle rédaction de l'article 53 prévoit les conditions d'adoption de ces conventions stratégiques pluriannuelles par le conseil d'administration de la société France Médias et le conseil de surveillance de la société ARTE France. Le paragraphe III de la nouvelle rédaction de l'article 53 prévoit les modalités d'information du Parlement concernant la répartition de la ressource publique entre la holding et ses filiales tandis que le paragraphe IV établit la compétence de la holding pour répartir les moyens. Le paragraphe V fixe le principe d'une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l'inflation tandis que le paragraphe VI définit les règles relatives à la publicité. Les paragraphes VII et VIII procèdent à des coordinations induites par le remplacement des COM par des conventions stratégiques pluriannuelles.
L'article 6 modifie l'article 57 de la loi du 30 septembre 1986 à des fins de coordination.
L'article 7 organise la transformation de l'établissement public INA en société anonyme afin de lui permettre de rejoindre la holding France Médias tandis que l'article 8 prévoit les conditions de la création de la holding France Médias et les modalités de transformation des quatre sociétés de l'audiovisuel public en filiales de la holding à compter du 1er janvier 2024.
L'article 9 prévoit que les articles 1 à 6 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2024 et actualise les dispositions prévues par l'article 108 de la loi du 30 septembre 1986 concernant l'application en Outre-mer.
Le chapitre 2 de la proposition de loi relatif à la réduction des asymétries entre les différents acteurs de l'audiovisuel et de la communication en ligne comprend 5 articles.
Le paragraphe Ier de l'article 10 modifie l'article 20-2 de la loi du 30 septembre 1986 relatif aux événements sportifs d'importance majeure afin d'étendre aux plateformes l'obligation faite aux chaînes payantes par abonnement de céder à des services de télévision à accès libre diffusées sur la TNT certains droits relatifs à des événements sportifs. Ces modifications de l'article 20-2 doivent permettre de maintenir sur les chaînes gratuites hertziennes des programmes de sport à une époque où la hausse des prix des droits a pour effet d'accélérer leur diffusion le plus souvent exclusive sur des plateformes payantes.
Le paragraphe II du même article 9 vise à s'assurer que des diffuseurs extérieurs à l'Union européenne ne pourront pas s'approprier plus des deux-tiers des droits de diffusion lors d'un appel d'offre lancé par une ligue professionnelle pour attribuer les droits de diffusion d'une compétition.
L'article 11 modifie l'article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986 afin de prévoir que les services d'intérêt général sont constitués par l'ensemble des services et programmes édités par les chaînes de la TNT. Cet article prévoit également que ces services et programmes devront être traités de la même façon que les services et les programmes les mieux exposés sur les interfaces utilisateurs. Il confie enfin à l'Arcom le soin de déterminer l'ordre d'affichage des services et des programmes d'intérêt général en tenant compte de trois critères : la numérotation logique, les audiences des services diffusés par voie hertzienne terrestre et la nécessité de favoriser l'accès à une offre de programmes culturels et éducatifs de qualité.
L'article 12 modifie l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 afin de réduire de cinq à deux ans la durée pendant laquelle le détenteur d'une autorisation d'émettre ne peut céder le contrôle de l'entreprise qui édite les programmes. Cette disposition vise à ne pas retarder inutilement la mise en oeuvre de projets industriels permettant d'adapter les entreprises du secteur aux nouvelles conditions de concurrence imposées par les plateformes.
L'article 13 modifie l'article 71-1 de la loi du 30 septembre 1986 relatif à la définition de la production audiovisuelle indépendante afin d'en exclure le régime des mandats de commercialisation pour inciter les chaînes à investir davantage dans des productions de qualité susceptibles d'être davantage exportées et de participer au rayonnement de la création française.
L'article 14 crée un nouvel article 96-1 dans la loi du 30 septembre 1986 qui prévoit que les services interactifs fournis par les chaînes de la TNT doivent être obligatoirement repris par les distributeurs. Cette disposition doit permettre le déploiement de la norme Hbbtv (Hybrid broadcast broadband TV) qui permet de renforcer l'attractivité de la TNT.
L'article 15 modifie l'article 19 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur afin d'une part, de généraliser l'obligation pour les postes de radio de recevoir la radio numérique terrestre selon la norme DAB+ (Digital Audio Broadcasting) et d'autre part, de prévoir que tous les véhicules neufs devront également permettre de recevoir la radio numérique terrestre selon la même norme.
* 1 Pour un nouveau modèle de financement de l'audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de « France Médias » en 2020, rapport n° 709 du Sénat du 29 septembre 2015.
* 2 « Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance de l'audiovisuel public », rapport du Sénat n° 651 du 8 juin 2022, MM. Jean-Raymond Hugonet et Roger Karoutchi, rapporteurs.