EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi tend à ratifier l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, qui a transposé en droit français la directive « Restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019 1 ( * ) . Son examen permettra au Parlement de se prononcer sur cette importante réforme de notre droit des entreprises en difficulté.

Sans remettre en cause les grandes orientations de la réforme, il est proposé de modifier certains choix de transposition du Gouvernement, dans la lignée du rapport d'information fait, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise de la covid-19 2 ( * ) .

Enfin, la proposition de loi complète l'ordonnance par plusieurs dispositions directement inspirées du même rapport d'information, qui n'entraient pas dans le champ de l'habilitation consentie au Gouvernement.

L'article 1 er tend à ratifier l'ordonnance précitée, tout en apportant plusieurs modifications au livre VI du code de commerce dans sa rédaction résultant de cette même ordonnance.

La transposition de la directive « Restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019 était attendue. Elle devait être l'occasion d'une modernisation de nos procédures collectives, visant à les rendre à la fois plus équitables et plus efficaces économiquement.

Le droit français des entreprises en difficulté se caractérise, en effet, par un déséquilibre marqué - et souvent dénoncé - entre la protection des intérêts des détenteurs de capital et ceux des créanciers. Motivée par la volonté de préserver les activités et les emplois existants, quand bien même cela exige de froisser d'autres intérêts légitimes, cette « préférence pour le débiteur » aboutit trop souvent à une destruction de valeur économique, car elle conduit à maintenir artificiellement en vie des entreprises non viables, qualifiées de « zombies », et à freiner leur réorganisation ou la réallocation de leurs actifs au bénéfice d'entreprises plus performantes. Le taux moyen de réussite à moyen terme des plans de continuation d'activité (plans de sauvegarde ou de redressement) témoigne du fait que nos procédures sont loin d'assurer une sélection optimale des entreprises viables et non viables et une restructuration toujours efficace des premières.

Il faut d'ailleurs noter que les procédures françaises d'insolvabilité ne distinguent pas suffisamment entre les entreprises confrontées à une simple crise de liquidité - qui ne sont pas en mesure d'acquitter leurs dettes à mesure que celles-ci deviennent exigibles - et celles dont la valeur économique 3 ( * ) est inférieure au montant total de leurs dettes. Une entreprise placée dans cette dernière situation peut néanmoins être profitable ; si elle l'est assez, l'entreprise est viable et doit être sauvée. En revanche, sa situation exige des mesures de restructuration plus énergiques que si elle traversait une simple crise de trésorerie ; surtout, les droits des créanciers d'une telle entreprise excèdent ceux des détenteurs de son capital et doivent donc être adéquatement protégés.

La faible protection des créanciers dans le cadre des procédures collectives françaises provoque, en outre, un renchérissement du crédit et une augmentation des garanties exigées. Elle aboutit à la multiplication de sûretés spéciales et autres mécanismes fiduciaires qui permettent à leurs bénéficiaires d'échapper à la discipline collective en cas d'insolvabilité de leur débiteur, ce qui peut avoir des conséquences très préjudiciables pour la continuité de l'exploitation.

Enfin, le droit français, conçu à partir du modèle de l'entreprise familiale, ne tient pas suffisamment compte de la diversité des entreprises et de la financiarisation de l'économie. Il peut être légitime, y compris du point de vue économique, de favoriser le maintien en place des dirigeants de petites et moyennes entreprises, car leur contribution personnelle - par leurs talents particuliers, leur engagement, leurs relations... - est souvent indispensable à la poursuite de l'activité. En revanche, rien ne justifie d'accorder une protection particulière aux actionnaires de grandes sociétés cotées au détriment de leurs créanciers ; bien au contraire, il est de principe, dans une économie capitaliste, que les détenteurs de capital absorbent prioritairement les pertes comme ils perçoivent seuls les bénéfices.

Pour l'ensemble de ces raisons, le déséquilibre de nos procédures collectives a une incidence négative sur la croissance et le niveau d'emploi en France. Il explique le classement très médiocre de notre pays dans les classements internationaux en la matière, notamment celui de l'étude Doing Business de la Banque mondiale. Le prix Nobel d'économie Jean Tirole parle à ce sujet d'une « anomalie française 4 ( * ) ».

La directive du 20 juin 2019, largement inspirée des législations anglo-saxonnes et allemande, invitait le législateur français à changer d'approche, en renforçant la prise en compte des intérêts des créanciers dans l'élaboration et l'adoption des plans de restructuration et en accordant, conformément aux préconisations des économistes 5 ( * ) , un rôle déterminant aux créanciers dits « intermédiaires », c'est-à-dire ceux dont les intérêts sont affectés par le plan alors qu'ils auraient droit à un paiement en liquidation et qui sont donc directement intéressés à la réussite du plan.

L'ordonnance du 15 septembre 2021 a profondément modifié les conditions d'élaboration et d'adoption du plan de sauvegarde ou de redressement, à titre obligatoire lorsque le débiteur est une très grande entreprise (comptant au moins 250 salariés et réalisant au moins 20 millions d'euros de chiffre d'affaires net, ou réalisant au moins 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net), à titre facultatif dans les autres cas. Les parties affectées par le projet de plan - qu'il s'agisse de créanciers ou, le cas échéant, de détenteurs de capital - sont désormais réunies en classes représentatives d'une communauté d'intérêt suffisante et ordonnées en fonction du rang de leurs créances ou de leurs droits. Le plan est adopté s'il recueille l'accord de chaque classe à la majorité des deux tiers ; en présence de parties affectées « dissidentes », le plan doit satisfaire au « test de leur meilleur intérêt », c'est-à-dire qu'il ne doit pas leur réserver un traitement moins favorable que celui qui serait le leur en cas de liquidation. Le plan peut également être imposé, à certaines conditions, à des classes dissidentes, selon un mécanisme dit d' « application forcée interclasse » ( cross-class cram-down ).

Toutefois, certains choix de transposition faits par le Gouvernement laissent le droit français au milieu du gué.

L'ordonnance a réservé au débiteur la faculté de proposer un projet de plan en procédure de sauvegarde, alors que toute partie affectée dispose de ce droit en procédure de redressement judiciaire. Afin d'empêcher un usage purement dilatoire et opportuniste de la procédure de sauvegarde, qui a parfois été observé, l'article 1 er de la proposition de loi prévoit d'ouvrir également aux parties affectées la faculté de présenter un projet de plan dès lors que la période d'observation de la procédure de sauvegarde a été prolongée au-delà de sa durée initiale, elle-même limitée à six mois. Notre droit se rapprocherait ainsi de la plupart des législations étrangères, qui ne permettent pas à une entreprise qui s'est soustraite aux poursuites individuelles de ses créanciers en demandant l'ouverture d'une procédure de restructuration de conserver seule l'initiative du plan au-delà d'un délai limité 6 ( * ) .

De même, en procédure de sauvegarde, l'ordonnance a prévu que seul le débiteur ou l'administrateur judiciaire avec l'accord de celui-ci a la faculté de demander au tribunal de mettre en oeuvre le mécanisme d'application forcée interclasse - ce qui revient à accorder aux détenteurs de capital, par l'intermédiaire des dirigeants, le pouvoir d'empêcher l'adoption d'un plan qui porterait atteinte à leurs intérêts. En procédure de redressement judiciaire, au contraire, la demande peut être formée par l'administrateur avec l'accord d'une partie affectée. Cette distinction n'est pas pleinement satisfaisante, car le seul fait que le débiteur ait ou non été en état de cessation des paiements à l'ouverture de la procédure n'est pas pertinent pour lui reconnaître ou non un tel pouvoir de blocage. L'article 1 er de la proposition de loi prévoit que toute partie affectée puisse demander au juge la mise en oeuvre de l'application forcée interclasse, en sauvegarde comme en redressement, dès lors que le montant total des dettes de l'entreprise excède la valeur de celle-ci.

Selon le droit issu de l'ordonnance, dans le cas où une ou plusieurs classes de détenteurs de capital ont voté contre le projet de plan, il ne peut être imposé à celles-ci par la voie de l'application forcée interclasse que si plusieurs conditions sont réunies. Les deux premières sont raisonnables : elle tiennent au fait, d'une part, que le débiteur soit une grande entreprise pour laquelle le recours aux classes de parties affectées est obligatoire, d'autre part, que l'on puisse « raisonnablement supposer » que ces détenteurs de capital n'auraient droit à aucun paiement ou aucun intéressement en cas de liquidation ou de cession, ce qui revient à dire que l'endettement de l'entreprise excède sa valeur. Les deux dernières conditions (que les actions émises à l'occasion d'une augmentation de capital souscrite par apport en numéraire soient offertes par préférence aux actionnaires, et que le plan ne prévoie pas la cession de tout ou partie des droits de la ou des classes de détenteurs de capital dissidentes) sont en revanche excessives et vont au-delà de ce que requiert la protection du droit de propriété des actionnaires. En effet, la valeur économique de l'entreprise concernée étant par hypothèse inférieure au montant total de ses dettes, la préférence accordée par la loi aux actionnaires revient à spolier les créanciers, dont les droits, pourtant, ne méritent pas moins d'être protégés. L'article 1 er de la proposition de loi supprime donc ces deux dernières conditions.

L'application du mécanisme d'application forcée interclasse est, en principe, soumise au respect de la règle dite de « priorité absolue », selon laquelle les parties affectées d'une classe dissidente doivent être intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans l'entreprise. Toutefois, l'ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit une large entorse à cette règle, en permettant au tribunal d'y déroger sur demande du débiteur (ou de l'administrateur judiciaire avec l'accord de celui-ci), « lorsque ces dérogations sont nécessaires afin d'atteindre les objectifs du plan et si le plan ne porte pas une atteinte excessive aux droits ou intérêts de parties affectées ». Il est précisé que « les créances des fournisseurs de biens ou de services du débiteur, les détenteurs de capital et les créances nées de la responsabilité délictuelle du débiteur, notamment, peuvent bénéficier d'un traitement particulier . » Ici encore, la faveur accordée aux détenteurs de capital au détriment des créanciers n'a pas de justification. L'article 1 er de la proposition de loi ne permet que les détenteurs de capital bénéficient d'un traitement particulier que lorsque le débiteur n'atteint pas les seuils au-delà desquels la constitution de classes de parties affectées est obligatoire.

Lorsqu'aucun plan n'a été arrêté par le tribunal après son adoption par l'ensemble des classes de parties affectées ou par application du mécanisme d'application forcée interclasse, la procédure de sauvegarde est close ou, si les conditions légales sont remplies, convertie en redressement ou en liquidation judiciaire. En revanche, l'ordonnance a prévu que la procédure de redressement se poursuive, à charge pour l'administrateur de proposer un nouveau projet de plan suivant la procédure de droit commun, sans classes de créanciers. Ce choix doit être réexaminé. Il est paradoxal d'imposer un nouveau cadre procédural visant à accroître l'efficacité économique des procédures de restructuration, tout en prévoyant que ce cadre puisse être contourné, puisqu'il reste possible de revenir aux règles antérieures en cas d'échec. Les négociations au cours des phases antérieures de la procédure s'en trouvent évidemment faussées. L'article 1 er de la proposition de loi prévoit que ce retour aux règles de droit commun n'a lieu que si le débiteur est une entreprise ayant opté facultativement pour le système des classes de parties affectées. Quant aux autres entreprises (les plus grandes), si aucun plan de restructuration n'a pu être adopté suivant la procédure reposant sur la constitution de classes de parties affectées, même au moyen de l'application forcée interclasse, c'est que l'entreprise débitrice n'est pas viable et qu'une conversion en liquidation judiciaire s'impose.

Les autres dispositions de la proposition de loi, également inspirées du rapport d'information précité, vont au-delà de la question de la procédure d'élaboration et d'adoption des plans de restructuration.

L'article 2 vise à remédier à l'obsolescence du critère de la cessation des paiements en tant qu'indice fiable de l'insolvabilité d'une entreprise, due notamment à l'augmentation massive au cours des dernières décennies de l'endettement des entreprises rapporté à leurs fonds propres.

L'insolvabilité peut être définie comme la situation d'une entreprise qui n'est pas ou, selon une forte probabilité, ne sera pas à court ou moyen terme en mesure de payer ses dettes exigibles grâce à ses actifs liquides. Afin de faire obstacle à certaines dérives consistant, pour les dirigeants d'une entreprise insolvable quoique n'étant pas en état de cessation des paiements, à appauvrir l'entreprise au détriment de ses créanciers par des actes de gestion inconsidérés, voire frauduleux (distribution de dividendes, attribution et levée de stock options , paiement préférentiel de certains créanciers ou constitution de nouvelles sûretés...), il est proposé qu'une procédure de redressement judiciaire puisse désormais, à la demande du ministère public, être ouverte dès le moment où l'insolvabilité du débiteur est manifeste, au vu de l'ensemble des informations disponibles sur sa situation économique et financière. La « période suspecte », au cours de laquelle certains actes de gestion sont nuls de plein droit ou peuvent être annulés, serait reculée d'autant.

Dans le même esprit, l'article 3 permet que l'action paulienne - visant à faire déclarer inopposable à un créancier les actes accomplis en fraude de ses droits, quelle que soit leur date - puisse désormais, lorsqu'elle est exercée par le mandataire judiciaire dans l'intérêt collectif des créanciers, être portée devant le tribunal de la procédure.

L'article 3 vise à imposer des garde-fous pour empêcher la cession à vil prix d'entreprises en redressement judiciaire ou en liquidation, comme il en existe dans la plupart des législations étrangères.

En droit français, le tribunal dispose d'un très large pouvoir d'appréciation pour arrêter ou non un plan de cession et pour choisir entre les offres d'acquisition, la loi se bornant à indiquer que « la cession de l'entreprise a pour but d'assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif ». Il arrive ainsi que des entreprises soient cédées à un prix très inférieur à leur valeur économique, voire à la valeur de liquidation de leurs actifs, alors même que des candidats repreneurs offraient un prix plus élevé. Cette pratique est symptomatique de la défiance de notre pays vis-à-vis des mécanismes de marché, ainsi que de sa préférence pour le maintien des emplois à court terme, au détriment de la croissance et de l'emploi à moyen et long terme. Il est largement illusoire de supposer que le tribunal puisse déterminer, sur la base des autres informations dont il dispose, lequel des candidats exploitera l'entreprise le plus efficacement ; la comparaison des prix offerts par ces derniers en constitue au contraire le meilleur indicateur.

Sans aller jusqu'à imposer la cession au plus offrant, l'article 3 interdit la cession totale ou partielle de l'entreprise à un prix inférieur à la valeur de liquidation des actifs concernés, nette des frais de cession, afin d'éviter les effets d'aubaine et de protéger raisonnablement les intérêts des créanciers. Il réserve néanmoins le cas où les créanciers intéressés auraient donné leur accord à une cession à un prix inférieur, par exemple en raison d'une convention d'intéressement aux résultats futurs. L'article impose également que le tribunal motive spécialement sa décision lorsqu'il retient une offre autre que celle présentant le prix le plus élevé.

L'article 4 de la proposition de loi vise à supprimer l'interdiction faite au débiteur personne physique, aux dirigeants du débiteur personne morale et à leurs parents ou alliés de se porter repreneurs d'une entreprise en difficulté, tout en imposant certaines conditions à la cession de tout ou partie des actifs à ces mêmes personnes.

Ces incapacités, que l'on explique généralement par un souci de « moralisation » de la vie des affaires, ne se justifient qu'en raison du faible encadrement légal des cessions d'actifs et de l'insuffisance du marché de la reprise d'entreprises en difficulté dans notre pays. Si les actifs étaient cédés au plus offrant, sur un marché suffisamment concurrentiel, il n'y aurait aucune raison valable d'exclure les dirigeants et leurs proches de la liste des repreneurs potentiels. En outre, dans le cas des petites et moyennes entreprises, la réussite future de l'exploitation est souvent liée à la personne même des dirigeants, ce qui fournit un motif supplémentaire de ne pas les écarter.

Certes, le tribunal peut d'ores et déjà autoriser la cession de tout ou partie de l'entreprise à l'une des personnes susmentionnées, par un jugement spécialement motivé et si le ministère public en fait la requête. Toutefois, cette procédure est lourde et rarement utilisée.

Il est donc proposé de remplacer ce verrou procédural par des règles de fond, plus appropriées. La cession totale ou partielle de l'entreprise au débiteur lui-même, à ses dirigeants de droit ou de fait ou à leurs parents ou alliés serait permise à la condition que leur offre soit celle qui garantit le mieux le paiement des créanciers. L'intéressement des créanciers aux résultats futurs de l'entreprise pourrait être pris en compte, ainsi que (dans le cas de petites et moyennes entreprises) la contribution non monétaire de l'auteur de l'offre au maintien de l'activité, notamment par la mise à profit de son expérience, de sa réputation et de ses contacts professionnels.

L'article 5 vise à apporter une réponse au problème récurrent lié à l'incertitude du sort réservé aux salariés préalablement licenciés en cas de cession du fonds de commerce, du fonds artisanal ou du fonds libéral en tant qu'actif isolé au cours d'une procédure de liquidation sans poursuite d'activité. Il est proposé que, lorsque la cession du fonds paraît envisageable, le juge-commissaire puisse renvoyer l'affaire devant le tribunal, qui aurait seul le pouvoir d'ordonner ou d'autoriser cette cession. Le tribunal déterminerait le nombre et l'identité des salariés ayant le droit d'être réintégrés en cas de vente du fonds. Les créances salariales qui auraient dû leur être payées dans l'intervalle seraient prises en charge par le régime de garantie des salaires (AGS).

Afin de ne plus faire supporter aux débiteurs, personnes physiques, les lenteurs de la procédure de liquidation, et conformément aux orientations fixées par la directive du 20 juin 2019, l'article 6 prévoit de les rétablir dans leurs droits d'exercer une activité professionnelle indépendante à l'expiration d'un délai de trois ans suivant l'ouverture de la procédure. Ils recouvreraient alors le pouvoir d'administrer ceux de leurs biens qui sont utiles à l'exercice de leur activité professionnelle indépendante et d'en disposer. Ils exerceraient seuls ces pouvoirs sur les biens acquis à compter de cette date, ces mêmes biens étant soustraits au gage des créanciers antérieurs.

L'article 7 vise à étendre aux personnes morales le bénéfice de la procédure de rétablissement professionnel, sous les mêmes conditions que celles qui sont aujourd'hui imposées aux personnes physiques (faiblesse de l'actif, absence de salariés au cours des six derniers mois). Cela mettrait fin à une différence de traitement entre petits entrepreneurs, selon qu'ils ont choisi d'exploiter personnellement ou sous forme sociétaire. Le choix d'écarter les personnes morales de cette procédure a sans doute été motivé par le souci de ne pas permettre aux associés ou à l'associé unique d'échapper à leur obligation de procéder, à leurs frais, à la liquidation amiable de leur société lorsqu'ils souhaitent la dissoudre. Pourtant, comme le relève le professeur François-Xavier Lucas, « nombre de débiteurs sans actifs et sans salariés sont des personnes morales et il n'y a pas plus de raison d'ouvrir à leur encontre une liquidation judiciaire, étant observé que les associés qui n'entendent pas assumer le coût et la responsabilité de la liquidation amiable d'une société sans actifs peuvent parfaitement provoquer sa cessation des paiements de façon à bénéficier d'une liquidation judiciaire 7 ( * ) ».

L'article 8 vise à réserver au ministère public, gardien de l'ordre public économique, le pouvoir de saisir le tribunal aux fins de prononcer la faillite personnelle du débiteur ou une mesure d'interdiction professionnelle à son encontre.

Enfin, l'article 9 vise à rationaliser l'organisation judiciaire et la répartition des contentieux entre les juridictions, en créant une juridiction économique adaptée au XXI e siècle.

Le tribunal de commerce, renommé « tribunal des affaires économiques », serait désormais compétent pour connaître des procédures amiables et collectives de traitement des difficultés de toutes les entreprises, quel que soit leur statut et leur domaine d'activité. Sa compétence s'étendrait donc, au-delà des commerçants et artisans, aux agriculteurs, aux professions libérales et aux associations exerçant une activité économique, notamment. Les règles de fond spécifiques aux agriculteurs et aux professions libérales demeureraient inchangées.

S'agissant du contentieux dit « général », le tribunal des affaires économiques connaîtrait des litiges relatifs aux baux commerciaux, baux professionnels et conventions d'occupation précaire lorsque toutes les parties relèvent de leur compétence ordinaire (commerçants et artisans). Il connaîtrait également de tout litige survenant, au cours d'une procédure collective, au sujet d'un bail conclu par le débiteur en qualité de preneur, ce qui évitera de ralentir le cours de la justice.

Cette modification de la répartition des contentieux exige de revoir le corps électoral pour l'élection des juges consulaires (aujourd'hui composé, pour l'essentiel, des membres élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat), ainsi que la liste des personnes éligibles. Le corps électoral serait donc étendu aux membres élus des chambres d'agriculture, à des représentants des organes locaux des ordres professionnels représentant les professions libérales réglementées, ainsi qu'à des délégués élus par les personnes physiques ou morales exerçant une activité économique qui ne sont représentées, ni par l'un des réseaux consulaires, ni par un ordre professionnel (par exemple les professionnels libéraux exerçant une activité de conseil, ou encore les associations exerçant une activité économique). La liste des personnes éligibles aux fonctions de juge consulaire serait élargie en conséquence.


* 1 Directive 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132.

* 2 Le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise , rapport d'information n° 615 (2020-2021) de MM. François BONHOMME et Thani MOHAMED SOILIHI, fait au nom de la commission des lois du Sénat, sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19, déposé le 19 mai 2021.

* 3 Il existe plusieurs méthodes d'évaluation des entreprises, la plus courante étant celle qui définit la valeur d'une entreprise comme la valeur actualisée des flux de trésorerie disponibles issus de l'exploitation (méthode des Discounted Cash Flows ou DCF). L'ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit pour la première fois dans notre droit de l'insolvabilité la notion de valeur d'entreprise (« valeur du débiteur en tant qu'entreprise en activité »), sans en tirer toutes les conséquences.

* 4 J. Tirole, Économie du bien commun , Paris, P.U.F., 2018, p. 338.

* 5 Voir par exemple G. Plantin, D. Thesmar et J. Tirole, « Les enjeux économiques du droit des faillites », Les notes du conseil d'analyse économique , n° 7, juin 2013.

* 6 À titre d'exemple, dans le cadre de la procédure unique de réorganisation prévue au Chapter 11 du code des États-Unis (qui peut être ouverte à la demande du débiteur ou, sous certaines conditions, d'un ou plusieurs créanciers), le débiteur n'a seul l'initiative du projet de plan que pendant un délai de 120 jours, porté à 180 jours s'il s'agit d'une petite entreprise. En outre, toute partie intéressée peut proposer un projet de plan dès lors qu'un administrateur judiciaire a été désigné, ce que la cour peut faire à tout moment dans l'intérêt des créanciers ou de l'entreprise, même si le débiteur n'était pas en état de cessation des paiements à l'ouverture de la procédure.

* 7 François-Xavier LUCAS, Manuel de droit de la faillite , Paris, P.U.F., 2 e éd. 2018, p. 74.

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