EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Quelle qu'en soit la raison - désintérêt pour la chose publique, perte de confiance, désaveu des institutions, apathie des électeurs face aux scrutins multiples, défiance à l'égard des élu(e)s, le phénomène de l'abstention frappe notre démocratie de plein fouet.

La situation est d'autant plus préoccupante que l'abstention s'intensifie d'année en année et touche désormais des scrutins jusque-là épargnés, comme les élections municipales ou l'élection présidentielle. Ainsi, en 2020, elle a atteint le chiffre inédit de 36,5 % pour les municipales, sans que la crise sanitaire liée au coronavirus ne puisse, à elle seule, l'expliquer, le scrutin de 2014 ayant déjà révélé la progression du phénomène abstentionniste.

Cette érosion progressive de la participation interroge les fondements mêmes de notre démocratie et questionne la légitimité de nos représentants s'ils ne sont désignés que par une portion très faible du corps électoral sans être issus d'une réelle majorité.

Le fait que nombre de citoyens n'exercent pas ou plus leur droit de vote nous oblige à y réfléchir de façon profonde car ce désintérêt porte en lui un risque fort pour notre République tout autant que pour notre conception de la démocratie représentative.

Pour remédier à cette situation, et faute d'efficacité des autres mesures mises en place (campagnes d'information pour l'essentiel, pour l'inscription sur les listes électorales et en amont des scrutins), le recours au vote obligatoire apparaît dorénavant comme une option qui doit être très sérieusement envisagée.

Le vote constitue certes l'accomplissement d'un devoir envers la société mais matérialise également un droit individuel, un droit qui n'est pas absolu. Le droit de vote est en effet conditionné (âge, domicile, jouissance de ses droits civiques) et il peut être retiré, notamment au terme de plusieurs condamnations pénales. Il pourrait donc tout à fait être encadré dans sa pratique, être donc rendu obligatoire et assorti d'une sanction (article 1 er ). Il conviendra d'assortir l'introduction de cette nouvelle obligation de cas d'exemption, afin de tenir compte des situations rendant impossible la participation effective au vote (force majeure, contraintes professionnelles, problèmes de santé et/ou de mobilité...).

D'autres droits dans notre système politique constituent eux aussi des obligations parce que notre société l'estime nécessaire : le droit à la justice et son corollaire, l'obligation de participer à un jury d'assises ou encore le droit à la protection et son corollaire, la participation obligatoire à la journée Défense et citoyenneté (et auparavant au service militaire).

Il est souvent opposé au vote obligatoire le fait qu'il serait une atteinte à la liberté individuelle. On peut tout autant défendre le contraire dès lors que l'électeur n'est en aucun cas contraint de faire un choix déterminé puisque le vote blanc demeure une option et préserve donc sa liberté de conscience. La Commission européenne des droits de l'homme a d'ailleurs statué dans ce sens à plusieurs reprises.

Il est donc absolument nécessaire d'engager, en parallèle de la mise en place du vote obligatoire, une réflexion de notre conception du vote blanc. Si depuis la loi de février 2014, les bulletins blancs ne sont plus considérés comme des bulletins nuls, il convient désormais de s'interroger sur leur reconnaissance comme mode d'expression à part entière et de leur comptabilisation au même titre que le vote pour tel ou tel candidat, ou pour telle ou telle liste, dans les résultats des suffrages valablement exprimés (article 3).

Enfin, rendre le vote obligatoire contraint également à engager une réflexion sur les aménagements à apporter à l'exercice du droit de vote par l'introduction de mesures de facilitation, à l'image de ce qui peut d'ores et déjà exister dans les différents pays ayant mis en place le vote obligatoire :

- Revoir le cadre de l'inscription sur les listes électorales (article 2) : elle est certes obligatoire pour tous aujourd'hui, mais uniquement en théorie puisqu'aucune sanction n'est prévue.

- Prolonger au-delà des élections départementales et régionales programmées en 2021 la réflexion engagée par la mission d'information sur la mise en place du vote à distance (article 3) afin d'approfondir ses analyses sur :

o Le vote par correspondance (acheminement des plis, sécurisation du dispositif, adaptation des modalités de dépouillement et d'organisation des bureaux de vote...),

o Le recours au e-vote (garantie de la sécurisation des données, de la sincérité et de la confidentialité du vote...),

o L'adaptation du lieu de vote en cas de déménagement tant que l'inscription sur les listes électorales de la nouvelle commune n'a pas encore été faite,

o L'assouplissement du recours aux procurations par de nouvelles dispositions réglementaires (articles R. 72 et suivants du code électoral) à l'image des propositions formulées par la mission d'information en la matière (double procuration et procurations à domicile).

Rendre le vote obligatoire constituera à n'en pas douter un rempart pour notre démocratie représentative et la préservation de nos institutions. Néanmoins, cette évolution de notre droit électoral doit s'accompagner d'un travail de fond sur les motifs de l'abstention (article 4). Il nous faut absolument remédier aux causes pour ne pas courir le risque d'augmenter la participation uniquement de façon quantitative sans encourager les électeurs à prendre conscience de la conception qu'ils doivent avoir du vote comme expression ultime et réelle d'un citoyen responsable et engagé dans la chose publique. À défaut, l'objectif initial de préservation de la démocratie et de la représentativité réelle des scrutins ne sera jamais atteignable.

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