NOTE DE SYNTHÈSE
Cette note concerne la séparation des pouvoirs et les droits de l'opposition dans les communes.
Elle se fonde sur des exemples observés dans quatre États d'Europe (Allemagne, Italie, Pays-Bas et Suède) et décrit :
- le cadre législatif en vigueur ;
- et les règlements intérieurs de quatre grandes communes (Cologne, Milan, La Haye et Göteborg) prises à titre d'exemple.
Sans se référer à la jurisprudence des tribunaux de ces États ni à la pratique qui y a journellement cours, elle présente les normes concernant :
- la répartition des pouvoirs entre les organes de la commune ;
- et les moyens d'action de l'opposition en distinguant à ce titre :
? sa participation aux diverses instances communales (bureau, commissions, groupes) ;
? sa participation à l'assemblée municipale (pouvoir de convocation, fixation et modification de l'ordre du jour, droit d'expression, droit d'initiative, d'amendement, dépôt de motions, questions orales ou écrites, interpellations...) ;
? le droit d'accéder à l'information (mise à disposition de documents...) ;
? et les moyens matériels et financiers alloués aux groupes politiques par la commune.
Après avoir rappelé les grands traits du régime applicable en France au plan législatif, elle présente les conclusions tirées de la comparaison de ces quatre exemples.
A. LE RÉGIME APPLICABLE EN FRANCE AUX COMMUNES DE PLUS DE 3 500 HABITANTS
Pour ce qui concerne les communes de plus de 3 500 habitants, les droits explicitement reconnus par la loi aux membres de l'opposition municipale figurent dans le code des collectivités territoriales, aux articles L. 2121-1 et suivants consacrés au conseil municipal, et L. 2122-1 et suivants relatifs au maire et aux adjoints. D'autres droits sont aussi reconnus ponctuellement par la jurisprudence 1 ( * ) .
• Conseil municipal, maire et adjoints
Assemblée délibérante de la commune, le conseil municipal est élu selon des modalités qui varient avec la taille de cette collectivité. Dans celles de plus de 3 500 habitants auxquelles on s'intéresse ici, la liste qui obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour ou la majorité simple au second, recueille la moitié des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle.
Le maire et les adjoints sont élus par le conseil municipal en son sein. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, les adjoints sont élus au scrutin de liste à la majorité absolue, sans panachage ni vote préférentiel.
Il n'existe pas de procédure permettant à l'assemblée de retirer sa confiance au maire qu'elle a élu pour mettre un terme à ses fonctions.
• Participation de l'opposition à l'assemblée municipale
Le conseil municipal est convoqué par le maire :
- obligatoirement une fois par trimestre ;
- lorsque le maire le juge utile ;
- dans les communes de plus de 5 000 habitants dans les trente jours suivant la demande motivée du représentant de l'État dans le département ou d'un tiers au moins des membres en exercice du conseil.
La convocation , qui indique les questions portées à l'ordre du jour, est accompagnée, dans les communes de 3 500 habitants et plus, d'une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à la délibération.
Les conseillers municipaux ont le droit d'exposer en séance du conseil des questions orales ayant trait aux affaires de la commune. Dans les communes de 3 500 habitants et plus, les règles relatives à la fréquence, la présentation et l'examen de ces questions sont fixées par le règlement intérieur.
• Participation de l'opposition aux diverses instances communales
Le conseil municipal peut créer en son sein des commissions chargées d'étudier les questions soumises à l'assemblée plénière dont le maire est président de droit. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, la composition des commissions s'effectue en respectant le principe de la représentation proportionnelle. Les missions d'information que peuvent créer les conseils municipaux des communes de plus de 50 000 habitants sont aussi composées de façon proportionnelle.
• Droit de l'opposition à l'information
Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d' être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. En outre, la commune assure la diffusion de l'information auprès de ses membres élus par les moyens matériels qu'elle juge appropriés.
Si une délibération porte sur un contrat de service public, le projet de contrat accompagné de l'ensemble des pièces peut être consulté à la mairie par tout conseiller municipal.
• Moyens mis à disposition
Dans les communes de plus de 100 000 habitants, le fonctionnement des groupes d'élus peut faire l'objet de délibérations. Le conseil municipal peut affecter à ces groupes un local administratif, du matériel de bureau et prendre en charge leurs frais de documentation, de courrier et de télécommunications. En outre, le maire peut leur affecter une ou plusieurs personnes.
Dans l'ensemble des communes de plus de 3 500 habitants, les conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale qui en font la demande peuvent disposer sans frais du prêt d'un local commun .
Lorsque ces mêmes communes diffusent, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale.
B. OBSERVATIONS SUR LES LÉGISLATIONS ÉTUDIÉES
1. Étendue de la séparation des pouvoirs
La répartition des pouvoirs entre assemblée délibérante et exécutif local s'opère, dans les États précités, selon quatre modalités principales :
- une séparation rigoureuse de l'exécutif et de l'assemblée en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie, les membres de l'exécutif autres que l'équivalent du maire devant quitter l'assemblée s'ils entrent dans l'exécutif ;
- une désignation du maire au suffrage universel direct en Allemagne et en Italie qui assied sa légitimité personnelle ;
- la possibilité ouverte à l'assemblée délibérante de retirer sa confiance à l'exécutif en l'obligeant à démissionner en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie ;
- et enfin, en Suède, depuis la suppression de l'équivalent du maire au début des années 1970, la désignation au sein de l'assemblée de commissions dont la principale, dotée d'une compétence exécutive, est présidée par un membre de la majorité dont l'adjoint est, de façon coutumière, le chef du groupe d'opposition le plus important.
2. Moyens d'action de l'opposition
Étant observé que l' éventail des solutions retenues pour permettre à l'opposition de faire valoir ses droits dans les instances municipales ne sauraient être extrapolées à toutes les communes des quatre pays considérés puisqu'elles reposent sur la situation spécifique des quatre villes prises pour exemple, la comparaison montre que :
- la participation de l'opposition aux diverses instances communales traduit la « parlementarisation » de l'assemblée communale ;
- l'existence d'une procédure claire et précise pour la convocation, l'organisation et le déroulement des séances de l'assemblée municipale est un gage du respect des droits de l'opposition ;
- l'information de l'opposition sur les affaires de la commune et l'accès aux documents lui permettent de défendre plus efficacement ses positions ;
- et enfin que l'attribution de moyens matériels et financiers à tous les groupes politiques est prévue par les quatre législations considérées.
• Reconnaissance de l'opposition comme composante
des diverses instances municipales et
« parlementarisation » de l'assemblée
communale
L'opposition participe à la vie institutionnelle de l'assemblée :
- en constituant des groupes politiques d'au moins : 3 membres (Cologne, Milan), voire d'un seul membre (La Haye), la réglementation de Göteborg ne faisant pas référence aux groupes politiques mais aux partis politiques eux- mêmes ;
- en participant à un organe institué pour permettre le débat entre les groupes sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante , une « conférence des présidents » de groupes politiques étant explicitement créée dans deux cas (La Haye où chaque président de groupe y dispose d'une voix et Milan), tandis qu'en Allemagne le maire peut conférer avec les présidents de groupes politiques pour obtenir un soutien dans la conduite des affaires, et qu'à Göteborg les trois personnes appelées à présider l'assemblée appartiennent à des groupes différents ;
- au bureau de l'assemblée (Milan, La Haye) ;
- aux commissions où elle est représentée sur une base proportionnelle (Cologne, Milan, La Haye, Göteborg) et où elle peut intervenir même si elle n'en est pas membre (Milan).
• Une procédure claire et précise pour la tenue des séances de l'assemblée municipale, gage du respect des droits de l'opposition
Cette procédure formalisée distingue :
- la convocation de l'assemblée délibérante ;
- la fixation et la modification de son ordre du jour ;
- les modalités d'exercice du droit d'expression en son sein ;
- le dépôt de propositions, motions et interpellations ;
- et la faculté ouverte à ses membres de poser des questions à l'exécutif.
? Convocation
La compétence relative à la convocation de l'assemblée peut relever :
- de l'assemblée qui se réunit au rythme qu'elle détermine, son président étant chargé d'envoyer la convocation (La Haye, Göteborg) ;
- du maire et de lui seul (Cologne) ;
- du président de l'assemblée compte tenu du programme de travail fixé par la conférence des présidents, ce qui donne un droit de regard à l'opposition (Milan) et de 1/5 ème des membres ou du maire sur un ordre du jour déterminé ( Idem ) ;
- du président de l'assemblée à la demande de 1/3 des membres de celle-ci (Göteborg).
Cependant il est possible de limiter l'autonomie de l'autorité qui convoque l'assemblée en :
- imposant une périodicité obligatoire des réunions, par exemple : tous les mois à Göteborg pour les réunions ordinaires, ou encore tous les deux mois (Cologne où l'équivalent des conseillers municipaux ne peuvent cependant pas obtenir de plein droit la convocation d'une assemblée municipale) ;
- prévoyant un délai entre la remise de la convocation aux membres de l'assemblée et la tenue de la séance : 3 jours ouvrables (Milan), 5 jours ouvrables (Cologne), 10 jours avant la séance (La Haye), 13 jours (Göteborg).
? Fixation et modification de l'ordre du jour
La compétence pour fixer l'ordre du jour peut être reconnue au maire (Cologne), au président de l'assemblée (Milan) ou au bureau de l'assemblée municipale (La Haye).
Mais cette compétence peut être tempérée par :
- la possibilité de ne lui laisser la faculté que de déterminer un ordre du jour prévisionnel, l'ordre du jour définitif n'étant établi que par l'assemblée elle-même au début de sa réunion (La Haye) ;
- la faculté ouverte aux groupes politiques (Cologne) et aux membres de l'assemblée d'obtenir l'inscription d'un point à l'ordre du jour sous réserve que le nombre de ces membres atteigne 1/5 ème de ceux de l'assemblée (Allemagne) ;
- l'obligation faite au président qui intervient sur un sujet ne figurant pas à l'ordre du jour d'ouvrir immédiatement un débat auquel prend part un représentant de chaque groupe si 5 conseillers le demandent (Milan) ;
- le droit donné à un conseiller qui s'oppose à une modification de prendre la parole pour exposer son opinion (Milan).
? Droit d'expression
L' étendue du droit d'expression en séance peut être précisée afin de permettre :
- avant toute délibération que le débat offre à chaque groupe la possibilité de s'exprimer (La Haye) ;
- à tout groupe politique d'obtenir qu'une heure soit réservée à l'actualité en le demandant 24 heures à l'avance (Cologne) ou en demandant le déroulement d'un « débat de deux minutes » auquel prennent part tous les groupes (La Haye) qui disposent chacun de deux minutes ;
- que les membres appellent, en début de séance, l'attention sur des problèmes d'intérêt général , tous les groupes prenant alors la parole (Milan) ;
- que des membres de tous les groupes prennent la parole sur une proposition de motion (Milan) ;
- qu'en cas de modification de l'ordre du jour, tout membre de l'assemblée puisse prendre la parole (La Haye).
? Dépôt de propositions, motions et interpellations
La faculté de présenter des propositions de délibération est ouverte aux membres de l'assemblée en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas.
La possibilité de déposer des motions existe à Milan ainsi qu'à Göteborg et La Haye où elle se double du droit de déposer une interpellation à l'issue de laquelle un orateur par groupe peut prendre la parole, étant observé qu'à Göteborg la réponse à une interpellation ne peut être ajournée plus de deux fois.
? Faculté de poser des questions
Le droit de poser des questions orales est ouvert :
- à chaque conseiller ainsi qu'aux groupes politiques eux-mêmes qui peuvent déposer deux questions et cinq sous-questions au plus jusqu'à 3 jours avant la séance où elles seront exposées lorsqu'elles n'étaient pas déjà inscrites à l'ordre du jour (Cologne) ;
- à tous les conseillers (Milan) ;
- à tous les conseillers à La Haye où de surcroît un orateur par groupe peut prendre la parole après la réponse donnée à son collègue par l'exécutif (cette faculté se double, du reste, du droit de poser des questions écrites et de formuler des « demandes d'éclaircissements »).
Les délais impartis pour la réponse aux questions peuvent être fixés à :
- la séance suivant le dépôt, voire celle d'après (Cologne) ;
- au plus 30 jours à compter de leur dépôt (Milan) ;
La durée consacrée en séance aux questions peut être précisée par un texte puisqu'elle est limitée à ½ heure (La Haye) et 1 heure (Cologne).
La sanction de l'absence de réponse peut consister en l'inscription du contenu d'une question écrite à l'ordre du jour d'une séance ultérieure, au cours de laquelle l'auteur de la question prend la parole pour la formuler oralement. La question écrite se transforme alors en question orale.
• Droit à l'information sur les affaires de la commune et droit d'accès aux dossiers
? Information des groupes
Le maire doit donner aux groupes politiques désireux de préparer les délibérations qui le lui demandent les informations qu'il détient, sous réserve de la protection des données personnelles. Les autres groupes reçoivent copie des informations délivrées au groupe demandeur (Cologne).
Les groupes qui ne sont pas représentés dans une commission doivent cependant être informés des travaux de celle-ci (Milan).
? Information des membres de l'assemblée
Au moins 7 jours ouvrables avant une séance, les destinataires de la convocation reçoivent, à Cologne, un dossier relatif aux points à l'ordre du jour . En cas de non-respect de ce délai, les points en question ne peuvent être traités en séance sauf accord unanime des membres, ce qui confère un droit de veto à l'opposition.
Le texte en vigueur prévoit explicitement que le maire est tenu en outre de donner les informations que lui demande tout conseiller (Cologne).
Les membres de l'assemblée sont aussi informés de la liste des documents reçus par celle-ci (La Haye) et reçoivent les réponses données à toute interpellation (Göteborg).
? Accès aux documents
Les membres de l'assemblée délibérante ont aussi :
- communication de tous les documents qui, dès lors que cela est possible, doivent être joints à l'ordre du jour tenant lieu de convocation (Göteborg) ;
- le droit d'accéder aux dossiers et documents qu'ils souhaitent consulter pour la préparation et le contrôle des décisions de l'assemblée (Cologne où ils n'ont cependant pas le droit d'en faire des copies) ;
- un droit d'accès et de consultation des actes de l'administration communale et la possibilité d'en obtenir copie moyennant une demande écrite et un préavis de trois jours (Milan et La Haye où, de surcroît, les modalités de consultation de ces documents sont précisées dans la convocation)
• Attribution de moyens matériels et financiers suffisants
Les moyens mis à la disposition de l'ensemble des groupes politiques peuvent consister en :
- des prestations en nature telles que la mise à disposition de membres du personnel communal, véhicules, bureaux, matériel de bureau, frais d'affranchissement et frais téléphoniques qui sont fournies à Cologne, Milan et La Haye ;
- et des subventions versées aux groupes politiques à proportion du nombre de leurs membres (Cologne, Milan, La Haye et Göteborg), voire à un conseiller qui n'appartient à aucun groupe (Cologne) ou encore à un parti qui était représenté à l'assemblée l'année précédant celle du versement de la subvention (Göteborg).
* 1 Par exemple, le droit pour un conseiller de proposer au conseil municipal l'examen de toute affaire relevant de la compétence de cette assemblée puisque, selon le juge, l'exercice discrétionnaire de la compétence du maire en matière de fixation de l'ordre du jour de l'assemblée délibérante ne peut porter une atteinte excessive au droit de proposition qu'un conseiller détient en vertu de son mandat. V. Réponse du ministère de l'Intérieur à la question écrite n° 09457 de M. Jean-Louis Masson, sénateur, Journal Officiel , Sénat, 7 janvier 2010 p. 29.