NOTE DE SYNTHÈSE
En France le Conseil constitutionnel juge deux types principaux de contentieux. Le premier a trait au droit constitutionnel et le second au droit électoral.
Le Conseil statue sur la conformité à la constitution des lois avant leur promulgation et sur celle des engagements internationaux avant leur ratification ou leur approbation lorsqu'il est saisi par le président de la République, le premier ministre, le président du Sénat, celui de l'Assemblée nationale, 60 députés ou 60 sénateurs. Ses décisions, qui interviennent avant l'entrée en vigueur des dispositions contestées, peuvent les censurer de façon totale ou partielle et empêcher leur entrée en vigueur.
Le Conseil examine de façon systématique les lois organiques et les règlements des assemblées.
Il est le juge de la répartition des compétences fixées par la constitution entre la loi et le règlement ainsi qu'entre l'État et une collectivité d'outre-mer.
Il statue également sur les incompatibilités avec les fonctions parlementaires, et en matière de contentieux électoral sur l'élection du président de la République, sur celle des membres du Parlement ainsi que sur les opérations de référendum.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a élargi ses compétences en instituant une question prioritaire de constitutionnalité. L'article 61-1 de la constitution dispose désormais que lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction quelconque il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le Conseil peut être saisi de cette question sur le renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation.
L'article 62 précise qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle dans ce cadre est abrogée à compter de la décision du Conseil ou d'une date fixée par cette décision et que le juge constitutionnel détermine les conditions et les limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.
Un justiciable peut donc, pour la première fois en France, obtenir de façon indirecte l'abrogation d'une loi.
L'analyse des systèmes existants dans les six États objets de la présente note, à savoir l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et les États-Unis montre qu'il convient de distinguer :
- les matières qui font l'objet d'un contrôle du juge constitutionnel ;
- les modalités de ce contrôle ;
- les voies de droit ouvertes aux particuliers pour saisir le juge constitutionnel ;
- et enfin les effets des décisions juridictionnelles rendues par ce juge.
Il résulte tout d'abord de ces analyses que si toutes les juridictions objets de l'étude statuent sur la conformité des normes à la constitution, nombre d'entre elles sont également dotées de compétences additionnelles comme le contentieux électoral ou référendaire.
On constate en outre que :
- les types de recours qu'il est possible d'intenter sont substantiellement différents dans chacun des pays ;
- si le champ des recours est large, le droit de saisir le juge constitutionnel est strictement limité, notamment pour les particuliers ;
- la faculté de poser une question préjudicielle au juge constitutionnel est parfois assortie d'un filtre ;
- seuls deux États ont institué un contrôle « concret » ;
- les effets des décisions : annulation abrogation ou non application d'une norme peuvent parfois être modulés à l'initiative du juge constitutionnel ;
- et enfin que plusieurs dispositifs contiennent des normes spécifiques en ce qui concerne l'effet des décisions des cours constitutionnelles sur les jugements rendus en matière pénale.
• Les principales formes de recours sont
variées
Les diverses formes de contrôle de constitutionnalité exercé par le juge ne sont nullement homogènes.
Ainsi, le contrôle avant l'entrée en vigueur des dispositions contestées est pratiqué uniquement au Portugal.
Le contrôle après l'entrée en vigueur des normes existe dans tous les pays considérés, selon des modalités diverses.
Le contrôle « concret », c'est-à-dire à l'occasion d'un litige, n'est possible qu'au Portugal et aux États-Unis, où le juge constitutionnel statue sur la décision prise par une juridiction au sujet d'une question qui a trait au respect de la constitution. En effet, dans ces deux systèmes, toutes les juridictions inférieures exercent un contrôle de constitutionnalité, sans pouvoir poser, à ce titre, de question préjudicielle.
Enfin la saisine du juge constitutionnel par le biais d'une question préjudicielle est prévue en Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Italie.
• Le champ des recours est
large
Chacune des cours constitutionnelles auxquelles est consacrée la présente étude est chargée de vérifier la constitutionnalité des règles de droit contestées devant elle. Cependant, cette compétence générale se double explicitement de compétences spécifiques telles que :
- la protection des droits fondamentaux de la personne aussi bien en Allemagne qu'en Espagne où s'applique la procédure très spécifique de l' amparo ;
- la protection de l'état de droit contre les factions et les mouvements extrémistes, comme en Allemagne et également au Portugal, pays où le juge contrôle de surcroît l'enregistrement des partis, leurs comptes et ceux des campagnes électorales ;
- la répartition des compétences entre les pouvoirs publics nationaux et les collectivités territoriales, comme en Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Italie ;
- le contentieux électoral, qu'il s'agisse de celui des élections au Bundestag en Allemagne, de l'éligibilité au Parlement et de l'élection des propres membres de la cour constitutionnelle en Italie, ainsi que, au Portugal, de l'élection du président de la République, des parlementaires et des membres des assemblées des régions autonomes et de ceux du Parlement européen ;
- le jugement des accusations portées contre le président de la République, en Italie ;
- la recevabilité des demandes de référendum, en Italie et au Portugal ainsi que, dans ce second pays, la légalité de l'organisation de ces votations ;
- et le contrôle de l'« inconstitutionnalité par omission » dans le même pays.
• Le droit de saisir le juge
constitutionnel est souvent strictement limité
Les textes restreignent l'accès aux juridictions constitutionnelles à des catégories limitées de requérants, à savoir :
- le conseil des ministres, les présidents des assemblées législatives à la demande des deux-tiers de leurs membres et les personnes physiques ou morales de droit public ou privé en Belgique ;
- le président du gouvernement, l'équivalent du médiateur de la République, cinquante députés ou cinquante sénateurs, les autorités exécutives et les assemblées des communautés autonomes pour les seuls recours qui concernent des actes qui empiètent sur le champ de compétences de ces collectivités territoriales en Espagne ;
- la personne concernée par la violation d'un droit individuel, le défenseur du peuple et le ministère public pour l' amparo dans le même pays ;
- le président de la République, le premier ministre, un cinquième des députés à l'Assemblée de la République et les représentants de la République dans les régions autonomes au Portugal ;
- dans le cas particulier du contrôle « concret » mis en oeuvre au Portugal, c'est-à-dire sur une décision d'un juge statuant sur une question constitutionnelle, le président de la République, le président de l'Assemblée de la République, le premier ministre, le médiateur de la République, le procureur général de la République un dixième des députés à l'Assemblée de la République, le représentant de la République dans une région, l'assemblée législative de cette collectivité, son président, un dixième de ses membres et le président du gouvernement régional ;
- et enfin le président de la République, le médiateur et le président de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale dans le cas du contrôle de l'inconstitutionnalité par omission au Portugal.
Cependant en Allemagne et en Italie la constitution et la loi organique ne dressent pas de liste des requérants potentiels.
• La saisine par les
particuliers
Les particuliers ont un accès direct ou indirect à la juridiction constitutionnelle.
L'action directe la plus originale, l' amparo , permet en Espagne à un particulier d'obtenir la protection de ses droits constitutionnels. Sa recevabilité n'est soumise qu'à l'obligation d'avoir épuisé l'ensemble des autres voies de recours. Saisi d'un tel recours, le juge peut déclarer la nullité de la décision qui viole les droits individuels, déterminer l'étendue de ceux-ci, reconnaître le droit ou la liberté publique en question et rétablir le requérant dans l'intégrité de son droit ou de sa liberté en édictant des mesures propres à en garantir la conservation.
En Allemagne en revanche, l'action directe du particulier pour obtenir la protection d'un droit fondamental lésé par un acte de puissance publique est non seulement soumise à l'obligation d'avoir épuisé l'ensemble des autres voies de recours mais aussi à l'autorisation préalable de la cour constitutionnelle. Elle ne peut, en outre, être intentée que dans le mois à compter de la notification de l'acte ou, pour les lois et règlements, dans l'année suivant la promulgation.
La Belgique connaît un système d'action directe ouverte dans les six mois suivant la publication du texte contesté, à condition d'avoir un intérêt à agir et sous réserve d'une procédure de filtrage.
Au Portugal, le seul cas où un particulier puisse intenter une action en constitutionnalité devant le tribunal constitutionnel est celui où il conteste la décision du juge du fond qui a interprété la constitution dans le cadre du contrôle « concret ».
Enfin une action indirecte peut être introduite par un particulier devant une juridiction au cours d'un procès afin que le juge du fond adresse une question préjudicielle au tribunal constitutionnel. Il en est ainsi en Italie et en Belgique. Dans ce pays, la cour constitutionnelle peut également « filtrer » les recours, étant entendu que les cours suprêmes des ordres juridictionnels ont l'obligation de saisir la cour constitutionnelle lorsque les parties le leur demandent.
• La question préjudicielle peut
être assortie d'un « filtre »
Si le contrôle de constitutionnalité est aussi effectué à l'occasion d'un contentieux préjudiciel en Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Italie, la saisine du juge n'est soumise à un « filtre » qu'en Allemagne et en Belgique étant observé qu'aux États-Unis, où il n'existe pas de question préjudicielle, la cour est maîtresse de son ordre du jour et choisit les affaires dans lesquelles elle rend des décisions.
• Les États-Unis et le Portugal
ont institué une forme de contrôle
« concret »
Il existe dans ces deux États, un contrôle « concret » qui intervient après qu'un tribunal a apprécié la constitutionnalité d'une disposition. Le tribunal constitutionnel statue alors en appel de la décision du juge du fond.
Au Portugal, le recours est ouvert aux parties dans les dix jours suivant la notification de la décision du tribunal qui a statué en premier ressort, ainsi qu'au ministère public qui est tenu de déposer un recours si la norme que le tribunal refuse d'appliquer est un traité, une loi, le règlement d'application d'une loi ou encore si la décision de justice applique une norme précédemment déclarée contraire à la constitution par le Tribunal constitutionnel.
Dans les deux cas, la norme déclarée contraire à la constitution, qui subsiste dans l'ordonnancement juridique, devient inapplicable à l'espèce. En outre, au Portugal les normes qui ont fait l'objet de trois déclarations d'inconstitutionnalité à l'occasion de l'exercice du contrôle « concret » peuvent être déférées au juge constitutionnel afin qu'il procède à un contrôle abstrait dont les effets se feront, eux, sentir erga omnes .
Enfin au Portugal, si la norme est déclarée non-conforme à une disposition constitutionnelle qui lui est postérieure, la décision du tribunal ne produit ses effets qu'à partir de l'entrée en vigueur de la disposition constitutionnelle.
• Les effets de la déclaration
d'inconstitutionnalité d'une norme
Le cas du contentieux « abstrait »
Au Portugal, seul pays étudié qui ait institué un contrôle de constitutionnalité antérieur à l'entrée en vigueur d'une norme, lorsque le juge saisi d'un recours en annulation déclare cette norme contraire à la constitution, sa décision a pour effet de la rendre inapplicable : elle ne peut entrer en vigueur.
Dans les États qui ont recours à un contrôle de constitutionnalité « abstrait » postérieur à l'entrée en vigueur de la loi, la constatation de l'inconstitutionnalité d'une norme a pour effet :
- de l'annuler, c'est-à-dire de la supprimer de l'ordonnancement juridique à titre rétroactif comme au Portugal, en Allemagne et en Belgique ;
- ou de l'abroger c'est-à-dire de la supprimer pour l'avenir, comme en Espagne et en Italie.
Le cas du contentieux préjudiciel
Quatre États étudiés ont ouvert aux juridictions du fond la possibilité de demander avant dire droit au juge constitutionnel de statuer sur la constitutionnalité d'une loi. Ces décisions lient les juridictions appelées à statuer sur le fond.
L'Allemagne et l'Espagne ont prévu que les décisions déclarant l'inconstitutionnalité d'un texte rendues à titre préjudiciel produisent des effets à l'égard de tous les requérants potentiels.
En Italie, les décisions d'annulation rendues en matière préjudicielle ont aussi un effet erga omnes , cependant, celles qui rejettent les moyens soulevés par un recours ne valent que pour le juge qui a posé la question.
En Belgique, les décisions de la cour rendues à titre préjudiciel ne lient que les juridictions appelées à statuer dans l'affaire. Si une norme examinée dans ce cadre est déclarée contraire à la constitution, elle subsiste dans l'ordonnancement juridique. Cependant un recours en annulation peut être formé par le Conseil des ministres, un gouvernement de communauté ou de région, les présidents des assemblées législatives à la demande de deux-tiers de leurs membres et toute personne physique ou morale. Il est déposé dans un délai de six mois à dater de la notification de l'arrêt aux autorités mentionnées ou à compter de la date de publication au journal officiel.
Le cas du contentieux « concret »
Le cas des États-Unis est spécifique, puisque le contrôle du juge ne s'exerce qu'à l'occasion d'un litige particulier et que la cour suprême n'annule pas la disposition mais se contente de la déclarer inapplicable à l'espèce.
Au Portugal, lorsque le juge constitutionnel est saisi d'une décision rendue au fond sur une question constitutionnelle, il peut ordonner au juge de modifier cette décision. L'arrêt rendu ne vaut qu'entre les parties. Cependant, si une norme est jugée inconstitutionnelle dans trois affaires où ce type de contrôle s'est exercé, plusieurs autorités ont le droit de saisir le tribunal constitutionnel afin qu'il déclare, dans le cadre d'un contrôle abstrait, cette fois - et donc par une décision qui a des effets erga omnes - la norme contraire à la constitution ce qui a un effet équivalent à une annulation.
L'incidence des arrêts du juge constitutionnel sur les décisions de justice
Les effets des décisions des cours constitutionnelles sur les décisions de justice sont les suivants.
En Allemagne, le tribunal constitutionnel peut, après avoir annulé une décision juridictionnelle, renvoyer l'affaire si elle est susceptible de recours devant une autre juridiction. En revanche, les décisions juridictionnelles insusceptibles de recours ne peuvent être réformées. Elles restent en l'état mais sont inapplicables. Enfin si le jugement qui s'appuie sur une loi contraire à la loi fondamentale a été rendu au pénal, le requérant peut demander la réouverture de la procédure au fond.
La déclaration d'inconstitutionnalité n'a en principe pas d'effet sur les décisions juridictionnelles qui ont reçu l'autorité de la chose jugée en Espagne.
En Belgique les décisions de justice passées en force de chose jugée, restent en vigueur mais peuvent être ultérieurement annulées de plein droit à l'issue d'une procédure de « rétractation » introduite devant le juge qui a rendu le jugement, dans les six mois de la publication de l'arrêt du juge constitutionnel. Quant aux actes des autorités administratives fondés sur un texte annulé, ils demeurent en vigueur mais peuvent faire l'objet d'un recours administratif ou juridictionnel.
• La modulation de l'effet de ses
décisions par le juge
Plusieurs législations permettent au juge constitutionnel de moduler l'effet de ses décisions.
En Allemagne, le juge peut demander au législateur, à l'issue de l'annulation d'une loi, d'adopter des dispositions nouvelles dans un délai qu'il détermine et prévoir que les dispositions contraires à la constitution resteront en vigueur dans l'intervalle.
De même en Belgique la cour peut-elle moduler les effets de ses décisions et, le cas échéant, indiquer les effets des dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenir provisoirement des dispositions inconstitutionnelles en vigueur pour un délai qu'elle détermine.
En Italie, la cour constitutionnelle s'est reconnu la compétence de moduler les effets de ses décisions soit en ajoutant une norme qui faisait défaut, soit en retranchant une disposition d'un texte et en lui substituant celle qu'elle juge conforme à la constitution.
Au Portugal enfin, bien que sa décision ait des effets erga omnes , à l'issue du contrôle a priori et du contrôle abstrait, le tribunal constitutionnel peut limiter les effets de ses arrêts afin de préserver la sécurité juridique, l'équité ou le respect d'un intérêt public d'importance exceptionnelle.
• La prise en compte des effets des
arrêts des cours constitutionnelles sur les décisions
juridictionnelles rendues en matière pénale
Les dispositions constitutionnelles et organiques en vigueur dans quatre pays prévoient explicitement les conditions dans lesquelles se font sentir les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi sur des sanctions pénales, disciplinaires, voire administratives auxquelles elle a servi de base juridique.
En Allemagne, l'arrêt du tribunal constitutionnel qui casse une décision juridictionnelle rendue au pénal a pour effet de rendre recevable une demande de réouverture de la procédure au fond.
En Belgique, les décisions de justice rendues au pénal qui se fondent sur une norme annulée et qui sont passées en force de chose jugée, restent en vigueur mais peuvent être annulées à l'issue d'une procédure de « rétractation » introduite devant la juridiction qui a rendu le jugement, dans un délai de six mois à compter de la publication de l'arrêt du juge constitutionnel au journal officiel.
En Espagne, si un arrêt de la cour constitutionnelle entraîne l'annulation d'une norme appliquée pour prononcer une sanction pénale ou une sanction consécutive à un contentieux administratif, cette décision aboutit à la réduction de toute peine ou sanction fondée sur la disposition retranchée de l'ordonnancement juridique. De même, en Italie, l'annulation d'une disposition supprime les condamnations prises sur son fondement et devenues définitives, y compris celles qui sont en cours d'exécution.