SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Avril 2005)
NOTE DE SYNTHESE
En France, la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, dite loi Besson, imposait aux départements d'établir des schémas départementaux prévoyant « les conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage » et obligeait les communes de plus de 5 000 habitants à réserver aux gens du voyage des terrains aménagés. En l'absence de contraintes imposées aux collectivités réticentes, dix ans après la mise en vigueur de cette disposition, à peine un quart des communes concernées s'étaient acquittées de leurs obligations envers les gens du voyage.
La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage , dite seconde loi Besson et actuellement intégrée au code de l'urbanisme, a donc abrogé les dispositions de la première loi Besson relatives aux gens du voyage et renforcé les obligations des communes à l'égard de cette communauté.
Cette loi prévoit que, « au vu d'une évaluation préalable des besoins et de l'offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques », un schéma départemental détermine les secteurs géographiques d'implantation des aires permanentes d'accueil, ainsi que les communes où celles-ci doivent être réalisées . En pratique, ces aires d'accueil peuvent être occupées de différentes façons : il peut s'agir de terrains destinés à des séjours longs - voire permanents -, au simple passage, ou à une utilisation temporaire liée à des rassemblements occasionnels.
Tous les départements devaient se doter, dans les dix-huit mois qui suivaient la publication de la loi, d'un schéma départemental d'accueil des gens du voyage. Les communes figurant au schéma départemental avaient deux ans, à compter de la publication de celui-ci, pour aménager les aires prévues, soit en les créant elles-mêmes, soit en transférant leur compétence à un établissement public de coopération intercommunale, soit en contribuant financièrement à une telle opération dans le cadre de conventions intercommunales. Dans les faits, ces échéances ont été reportées pour tenir compte des retards pris dans la réalisation des schémas départementaux. En effet, la seconde loi Besson avait pour objectif la création d'environ 30 000 places de stationnement en cinq ans. Or, cet objectif est loin d'être réalisé à ce jour.
L'obligation de mettre à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d'accueil incombe à toutes les communes qui figurent au schéma départemental, c'est-à-dire à toutes les communes de plus de 5 000 habitants, mais aussi à d'autres, plus petites .
L'analyse des besoins peut en effet révéler la nécessité d'aménager des aires d'accueil dans un secteur d'habitat très dispersé. De plus, une commune de moins de 5 000 habitants peut être partie à une convention intercommunale qui a prévu la réalisation d'une aire d'accueil sur son territoire. Par ailleurs, en vertu de la jurisprudence du Conseil d'État, précisée par une circulaire du 16 décembre 1986 relative au stationnement des caravanes des gens du voyage, les maires des communes de moins de 5 000 habitants doivent prendre des dispositions pour accueillir les gens du voyage pour une durée comprise entre quarante-huit heures et quinze jours.
Même en l'absence de schéma départemental approuvé, les communes de plus de 5 000 habitants ont, en application de l'article 28 de la première loi Besson, exceptionnellement prorogé dans ce cas, l'obligation de réserver aux gens du voyage des terrains aménagés. Cependant, la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a prévu la possibilité pour les communes de moins de 20 000 habitants dont la moitié de la population habite dans une zone urbaine « sensible » de demander à être déchargées de leur obligation à l'égard de gens du voyage.
Pour inciter les communes à remplir leurs obligations, l'État subventionne les travaux nécessaires à la réalisation ou à la réhabilitation des aires d'accueil inscrites au schéma départemental . Lorsque ces travaux sont conformes aux normes techniques définies par décret et sont effectués dans les délais prévus par la loi, l'État prend en charge les investissements nécessaires à concurrence de 70 %, dans la limite d'un plafond fixé par le décret. La région, le département et les caisses d'allocations familiales peuvent accorder des subventions complémentaires. Une autre incitation financière est prévue sous la forme d'une majoration de la dotation globale de fonctionnement. Inversement, en cas de carence, la loi a prévu un mécanisme de sanction , puisqu'elle donne au préfet le pouvoir de se substituer aux communes pour faire réaliser, aux frais de ces dernières, les aires d'accueil prévues par le schéma départemental.
L'article 8 de la seconde loi Besson a également modifié le code de l'urbanisme, en obligeant les communes à tenir compte des besoins en habitat des gens du voyage lors de l'élaboration des documents d'urbanisme. En l'absence de tels documents, les installations nécessaires à la réalisation d'aires d'accueil destinées aux gens du voyage sont autorisées en dehors des parties déjà urbanisées.
En contrepartie de cette obligation d'accueil, la loi du 5 juillet 2000 permet aux communes ayant créé les aires d'accueil prévues par le schéma départemental d'interdire le stationnement des gens du voyage sur le reste de leur territoire.
Les difficultés que les communes rencontrent dans l'application de ces mesures justifient l'étude des dispositions équivalentes dans les pays qui nous entourent, l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse . Les règles en vigueur en Irlande , pays qui compte une assez forte proportion de gens du voyage, ont également été analysées.
Cet examen montre que :
- l'Irlande oblige les collectivités territoriales à organiser le stationnement des gens du voyage...
- ...tandis que, dans les autres pays, le volontariat des autorités locales est plus ou moins encouragé.
1) L'Irlande oblige les collectivités territoriales à organiser le stationnement des gens du voyage
La loi de 1998 sur l'hébergement des gens du voyage oblige les conseils élus des autorités locales responsables du logement à adopter un programme quinquennal et à tenir compte des besoins particuliers des gens du voyage lors de l'établissement des documents d'urbanisme. En cas de carence, le programme quinquennal d'hébergement des gens du voyage est adopté par l'administrateur de la collectivité.
Cette loi précise que toutes les dépenses que son application entraîne doivent être prises en charge par le budget de l'État .
2) Les autres pays s'en remettent au volontariat des autorités locales, qui est encouragé selon des modalités très diverses
a) Bien que la loi anglaise qui a servi de modèle à la première loi Besson ait été abrogée, les autorités locales sont encouragées à accueillir les gens du voyage
Entre 1970 et 1994, les districts ont eu l'obligation, conformément à la loi de 1968 relative au stationnement des caravanes, de mettre des aires d'accueil à la disposition des gens du voyage. L'application de la loi de 1968 a été peu satisfaisante, d'une part, parce que l'obligation d'accueil des gens du voyage n'était assortie d'aucun délai d'application et, d'autre part, parce que le gouvernement n'a pas utilisé la faculté que lui donnait la loi d'obliger les collectivités réticentes à remplir leurs obligations.
La majeure partie de la loi de 1968 relative au stationnement des caravanes a donc été abrogée en 1994 , supprimant l'obligation qu'avaient les districts depuis 1970 de fournir des aires d'accueil aux gens du voyage.
Depuis lors, les autorités locales sont incitées , conformément à la circulaire de 1994 du ministère de l'environnement intitulée « Aires de stationnement des gens du voyage et aménagement de l'espace », à prendre en compte les besoins des gens du voyage quand elles élaborent leurs documents d'urbanisme . Elles peuvent bénéficier de subventions , un fonds spécifique ayant été créé en 2001, d'abord pour faciliter la réhabilitation des aires existantes, puis pour financer la création de nouveaux terrains destinés aux gens du voyage. Compte tenu du nombre insuffisant d'emplacements aménagés, le stationnement sur des emplacements non autorisés est toléré, et cette politique de tolérance est expliquée dans un guide de bonne pratique publié conjointement par les ministères de l'environnement et de l'intérieur.
b) En Belgique et, dans une moindre mesure, en Italie les communes qui créent des aires d'accueil des gens du voyage reçoivent des subventions
En Belgique , la politique d'accueil des gens du voyage relève de la compétence des communautés . Depuis 1983, la communauté flamande accorde des subventions aux communes pour l'aménagement, la rénovation ou l'extension des terrains destinés aux gens du voyage, la part des dépenses susceptibles d'être prises en charge par la communauté ayant été portée de 60 à 90 % en 1994. En Wallonie, les communes qui se portent volontaires pour aménager des terrains destinés à l'accueil des gens du voyage peuvent recevoir des subventions à hauteur de 60 % de la part de la région, puisque la communauté française a transféré sa compétence à cette dernière.
En Italie , plus de la moitié des régions ont, depuis le milieu des années 80, adopté des lois générales sur la protection des minorités tsiganes et roms. Ces lois, qui traitent notamment de l'hébergement des gens du voyage, prévoient des subventions au bénéfice des communes qui aménagent des aires d'accueil des gens du voyage ou qui construisent des résidences destinées aux nomades qui souhaitent se sédentariser. Comme les lois régionales ne déterminent pas la proportion dans laquelle les travaux peuvent être subventionnés, le montant des aides dépend des crédits régionaux adoptés chaque année en faveur des gens du voyage.
c) En Suisse, seuls quelques cantons ont prévu le stationnement des gens du voyage, mais l'hostilité de la population empêche la création d'aires d'accueil
En Suisse, l'urbanisme constitue une compétence cantonale, et la plupart des cantons ont délégué cette compétence aux communes. Seuls, trois cantons ont intégré les besoins des gens du voyage dans leur loi d'urbanisme, tout en confiant aux communes le soin d'aménager des aires d'accueil.
Toutefois, la plupart des tentatives de modification des documents d'urbanisme en vue de créer ces aires se sont heurtées à l'hostilité de la population, de sorte que les terrains occupés par les gens du voyage ne correspondent généralement pas aux documents d'urbanisme et sont seulement tolérés.
L'organisation de l'accueil des gens du voyage pourrait évoluer à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral rendu le 28 mars 2003 et qui qualifie les gens du voyage de « partie de la population », dont les besoins de stationnement doivent être pris en compte dans les documents d'urbanisme.
d) En Allemagne et en Espagne, la plupart des gens du voyage sont sédentaires
Dans ces deux pays, les aires d'accueil sont rares et les gens du voyage sont donc conduits à stationner sur des sites non aménagés.
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Les deux pays les plus accueillants à l'égard des gens du voyage sont l'Irlande et l'Angleterre. La première a adopté en 1998 une loi comparable à la loi française. La seconde a certes abrogé la loi qui obligeait les collectivités territoriales à organiser le stationnement des gens du voyage, mais les ministères compétents encouragent les autorités locales à adopter une politique compréhensive envers cette communauté. Aucun des pays frontaliers de la France n'oblige donc les collectivités territoriales à organiser le stationnement des gens du voyage.