NOTE DE SYNTHÈSE
En
France, il n'existe pas d'instance parlementaire chargée
spécifiquement du contrôle des services de renseignement
. De
plus, les moyens habituels du contrôle parlementaire se
révèlent inadéquats. Ainsi, l'ordonnance
n° 58-1100 du 17 novembre 1958 autorise les commissions
d'enquête à exercer leur mission «
sur pièces
et sur place
», mais leur refuse l'accès aux documents
«
revêtant un caractère secret et concernant la
défense nationale, les affaires étrangères, la
sécurité intérieure ou extérieure de
l'État
».
Deux propositions de loi tendant à la création d'une
délégation parlementaire spécialisée ont
été déposées en 1999 :
- l'une au Sénat, par M. Nicolas About, «
portant
création d'une délégation parlementaire du
renseignement
», composée de quatre sénateurs et
quatre députés, et qui évaluerait «
la
politique nationale du renseignement
» ;
- l'autre à l'Assemblée nationale, par M. Paul
Quilès et plusieurs de ses collègues «
tendant
à la création d'une délégation parlementaire pour
les affaires de renseignement ».
Cette proposition vise à
créer, dans chaque assemblée, une délégation qui
suivrait les activités des services de renseignement «
en
examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs
compétences et leurs moyens
».
La seconde proposition a été examinée par la commission de
la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée
nationale le 23 novembre 1999, mais aucune des deux n'a été
inscrite à l'ordre du jour du Parlement.
Parallèlement au contrôle parlementaire des activités des
services de renseignement, s'est posé le problème du
contrôle de l'utilisation des « fonds
spéciaux »
, dont une grande partie est destinée au
financement des dépenses des services de renseignement.
Traditionnellement, ce contrôle, qui échappait au Parlement et
à la Cour des comptes, était effectué par une commission
spéciale de vérification. Instituée par le décret
n° 47-2234 du 19 novembre 1947 et nommée par le Premier
ministre, celle-ci était présidée par un président
de chambre à la Cour des comptes et comprenait deux commissaires choisis
parmi les membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de
l'Inspection générale des finances. Elle remettait au Premier
ministre un rapport sur les conditions d'emploi de ces fonds.
L'article 154 de la loi de finances pour 2002 a abrogé le
décret de 1947 et
créé
une commission de
vérification
composée de :
- deux députés désignés par le
président de l'Assemblée nationale pour la durée de leur
mandat ;
- deux sénateurs désignés par le président du
Sénat après chaque renouvellement triennal ;
- deux membres de la Cour des comptes nommés sur proposition de son
premier président, par décret, pour cinq ans.
Cette commission est présidée par l'un des deux
députés. Ses travaux sont secrets et les commissaires sont
astreints au respect du secret de la défense nationale.
La commission peut prendre connaissance de tous les documents lui permettant de
justifier les dépenses réalisées. Elle établit
ensuite un rapport, qui est remis au président de la République,
au Premier ministre, aux présidents et rapporteurs
généraux des commissions des finances de l'Assemblée
nationale et du Sénat, et dresse un procès-verbal constatant que
les dépenses réalisées sont couvertes par des
pièces justificatives.
En revanche, les dispositions adoptées par le Parlement selon lesquelles
la commission «
reçoit communication de l'état des
dépenses se rattachant à des
opérations en cours
[et peut]
déléguer un de ses membres pour procéder
à toutes enquêtes et investigations en vue de contrôler les
faits retracés dans les documents comptables soumis à
vérification »
ont été censurées par
le Conseil constitutionnel au motif que le Parlement ne saurait
«
intervenir dans la réalisation d'opérations en
cours
».
La présente étude analyse les modalités du contrôle
parlementaire des services de renseignement dans plusieurs pays
européens, qui disposent tous d'une instance spécialisée,
aux compétences plus ou moins étendues. Plus
précisément, elle examine la composition, le mode de
fonctionnement et les compétences de ces instances.
Les sept pays retenus,
l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne,
l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni,
offrent un large éventail
des solutions possibles, tant sur le plan de la composition que du rôle
de l'organe parlementaire de contrôle des services de renseignement :
- les pays étudiés se sont tous dotés entre 1952
et 1994 de dispositifs
ad
hoc
constitués selon des
modalités très diverses ;
- les missions et les compétences des instances parlementaires de
contrôle des services de renseignement sont également très
différentes.
1) Les sept pays étudiés se sont dotés entre 1952 et 1994
de dispositifs parlementaires de contrôle des services de renseignement
qui sont constitués selon des modalités très diverses
Aux
Pays-Bas
, le
règlement de la chambre basse
prévoit une commission pour les services de renseignement et de
sécurité. Cette commission existe depuis 1952. Elle rassemble les
présidents des quatre principaux groupes politiques
.
En
Italie
, la loi de 1977 sur les services de renseignement a
défini la composition du
comité parlementaire de
contrôle, commun aux deux assemblées
. Ce comité
rassemble quatre députés et quatre sénateurs, qui sont
nommés par les présidents des assemblées à la
proportionnelle des groupes politiques.
En
Allemagne
, la loi de 1978 sur le contrôle parlementaire de
l'activité de renseignement a institué une
délégation parlementaire
ad hoc
, élue au
début de la législature par les députés. C'est le
Bundestag
qui détermine l'effectif de la
délégation. Elle comporte actuellement neuf membres, tous les
groupes politiques à l'exception du PDS (ex-communistes) y étant
représentés.
En
Autriche
, une
modification constitutionnelle
, adoptée
en 1991 et entrée en vigueur en 1993, prévoit que les
commissions parlementaires de l'intérieur et de la
défense
de la chambre basse disposent chacune d'une
sous-commission
compétente respectivement pour le contrôle
des services de renseignement civils et militaires.
En
Belgique
, le comité de contrôle des services de
renseignement créé par la loi de 1991 relative au contrôle
des services de police et de renseignement n'est pas composé de
parlementaires, mais d'experts désignés par le Sénat.
Toutefois, il existe au
Sénat
depuis 1999 une
commission
permanente chargée de superviser le fonctionnement du comité de
contrôle.
En
Espagne
, depuis 1992, le Congrès des députés
élit
un membre de chaque
groupe
politique
afin
d'examiner les documents classés les plus confidentiels. En 1995,
lorsque la loi sur l'utilisation et le contrôle des fonds spéciaux
a été adoptée, il a été décidé
que le contrôle de ces fonds serait effectué par ces
parlementaires, réunis en une
commission spéciale
présidée par le président du Congrès. De plus, le
projet de loi réformant les services de renseignement, qui est en cours
d'examen parlementaire, prévoit de confier à cette commission
spéciale le contrôle de l'activité et du fonctionnement du
futur service de renseignement.
Au
Royaume-Uni
, le contrôle parlementaire des services de
renseignement a été institué en 1994. Au début de
chaque législature, le Premier ministre, après avoir
consulté le
leader
de l'opposition, choisit les
neuf
parlementaires
du comité de contrôle.
2) Les missions et les compétences des instances parlementaires de
contrôle des services de renseignement sont très variables
a) Des missions diversement définies
À l'exception de la commission néerlandaise, les instances de
contrôle des services de renseignement ont été
instituées par des lois, qui ont défini leurs missions de
manière très diverse.
La délégation allemande a pour mission le contrôle de
l'activité des services fédéraux de renseignement,
actuellement au nombre de trois, tandis que le comité britannique est
chargé d'examiner «
les dépenses, la gestion et la
politique
» des trois services de renseignement
énumérés par la loi, les autres services de renseignement
ne relevant pas de sa compétence.
Les sous-commissions autrichiennes contrôlent la nature et la
légalité des mesures prises par les services de renseignement. Le
comité belge vérifie que les services de renseignement respectent
les droits fondamentaux et s'assure de la coordination et de
l'efficacité des services. Le comité italien veille à ce
que l'activité des services de renseignement se déroule dans le
cadre de la loi.
Quant aux députés espagnols élus pour permettre au
Congrès d'exercer son droit d'accès aux documents les plus
confidentiels, ils exercent également le contrôle des fonds
spéciaux. De plus, le projet de loi sur les services de renseignement
leur donne pour mission le contrôle de l'activité et du
fonctionnement du principal service de renseignement.
b) Des pouvoirs plus ou moins importants
À ces missions très diverses, correspondent des
compétences variables, et particulièrement un droit d'information
plus ou moins régulier et plus ou moins étendu.
Ainsi, la loi allemande oblige le gouvernement à informer la
délégation de l'activité générale des
services. Pour sa part, la délégation, qui se réunit au
moins une fois par trimestre et qui peut tenir des réunions
supplémentaires à la demande d'un seul de ses membres, peut
questionner le gouvernement. Depuis 1999, elle peut aussi auditionner les
personnels des services, désigner des experts indépendants et
procéder à des contrôles sur pièces et sur place.
Le comité belge de contrôle dispose également d'importants
pouvoirs : les membres de son service d'enquêtes peuvent par exemple
perquisitionner sur les lieux où les personnels des services de
renseignement exercent leurs fonctions et ces personnels sont
déliés de leur obligation de secret professionnel à
l'égard du comité de contrôle. Cette affirmation doit
cependant être nuancée. En effet, le comité constitue un
instrument d'expertise très important pour le Parlement, mais il n'est
pas à la disposition exclusive du législateur.
À l'inverse, le droit d'information des comités britannique et
italien est restreint. Au Royaume-Uni, le ministre compétent peut
s'opposer à la fourniture de renseignements dont il considère la
divulgation inopportune. Quant au comité italien, la loi prévoit
qu'il ne pose que des questions d'ordre général.
De même, les députés des deux sous-commissions
autrichiennes peuvent seulement poser des questions, car la demande de
consultation des documents des services requiert une décision de
l'ensemble de la sous-commission. En outre, comme la répartition des
compétences entre les deux sous-commissions des commissions de
l'intérieur et de la défense correspond à la nature civile
ou militaire des services de renseignement, les parlementaires autrichiens ne
peuvent guère acquérir une vue d'ensemble du système de
renseignement. Aux Pays-Bas, la commission se fonde sur les informations que
les ministres veulent bien lui fournir.
Même dans les pays où il est important, le droit à
l'information est toujours limité par la nécessité de
protéger l'accès à certaines sources d'information ou le
déroulement des activités opérationnelles.
Tout en étant tenus au secret, les parlementaires qui siègent
dans les instances de contrôle des services de renseignement ont parfois
la possibilité d'informer leurs collègues, notamment par la
publication de rapports d'activité. C'est le cas en Allemagne, en Italie
- où certains rapports du comité de contrôle ont fait
l'objet de débats en séance publique au cours de la
dernière législature - aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Toutefois,
au Royaume-Uni, le rapport du comité de contrôle des services de
renseignement est d'abord soumis au Premier ministre, qui le censure avant de
le transmettre aux assemblées. En revanche, en Belgique, seuls les
parlementaires qui siègent dans la commission de suivi du comité
de contrôle sont destinataires des rapports d'enquête.
*
* *
L'absence d'instance parlementaire de contrôle des services de renseignement dans notre pays constitue donc une particularité. La position de la France sera encore plus singulière dans quelques mois, lorsque le projet de loi espagnol aura été adopté. En effet, la commission spéciale de contrôle des fonds spéciaux sera alors une commission de contrôle des services de renseignement à part entière.