NOTE DE SYNTHÈSE
En
France, l'inceste, c'est-à-dire le rapport sexuel entre deux personnes
qui sont parents à un degré où le mariage est interdit, ne
constitue pas une infraction spécifique. Si la relation est librement
consentie et concerne deux personnes qui ont dépassé l'âge
de la majorité sexuelle, fixé à quinze ans dans notre
pays, elle ne tombe pas sous le coup du code pénal.
Cependant,
notre droit pénal tient compte du lien de famille pour
sanctionner et pour définir certaines infractions sexuelles.
Les
règles diffèrent selon la nature de l'infraction - viol, autres
agressions sexuelles ou atteintes sexuelles, réalisées, à
la différence des précédentes, «
sans
violence, menace, contrainte ou
surprise
» - et selon que
la victime a ou non dépassé l'âge de la majorité
sexuelle.
À l'exception du viol commis sur un enfant de moins de quinze ans, qui
est puni de vingt ans de réclusion criminelle quel qu'en soit l'auteur,
les infractions sexuelles sont en général sanctionnées
plus sévèrement lorsqu'elles sont commises par «
un
ascendant, légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne
ayant autorité
sur la victime
» :
- vingt ans de réclusion criminelle, au lieu de quinze, pour le
viol lorsqu'il est commis sur des victimes âgées d'au moins quinze
ans ;
- sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende, au lieu
de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende, pour les
agressions sexuelles autres que le viol commises sur des victimes
âgées d'au moins quinze ans ;
- dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende, au
lieu de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende,
pour les agressions sexuelles autres que le viol commises sur des victimes
âgées de moins de quinze ans ;
- dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende, au
lieu de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende, pour les
atteintes sexuelles commises sur des victimes âgées de moins de
quinze ans.
Par ailleurs, les atteintes sexuelles sur des mineurs âgés d'au
moins quinze ans ne constituent des infractions que si elles sont commises par
«
un ascendant, légitime, naturel ou adoptif, ou par toute
autre personne ayant autorité
sur la victime
».
Elles sont alors punies de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000
€.
Dans les affaires d'inceste, en application du droit commun, les poursuites
pénales peuvent être mises en mouvement par le ministère
public, dès lors qu'il a connaissance des faits, ou par la victime.
Les règles relatives à la prescription de l'action publique
suivent également le droit commun si la victime est majeure : le
délai commence à courir à compter des faits, sa
durée étant de dix ans pour le viol, qui constitue un crime, et
de trois ans pour les autres infractions sexuelles, qui sont qualifiées
de délits. En revanche, si la victime était mineure au moment des
faits, le délai ne commence à courir qu'à partir de sa
majorité et, par dérogation au droit commun, sa durée est
de dix ans quelle que soit la nature de l'infraction sexuelle.
Le fait que le lien incestueux soit, dans presque tous les cas,
considéré en France comme une circonstance aggravante et
représente l'élément constitutif de l'infraction seulement
pour les atteintes commises sur des mineurs âgés d'au moins quinze
ans conduit à s'interroger sur la situation dans les autres pays
européens.
Pour chacun des pays retenus, c'est-à-dire
l'Allemagne, l'Angleterre
et le Pays de Galles, le Danemark, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la
Suisse,
on a donc recherché quelle était la qualification
pénale de l'inceste et comment il était sanctionné.
Pour
cela, on a établi une distinction en fonction de l'âge
de la victime. En effet, lorsque la victime n'a pas atteint l'âge de la
majorité sexuelle, l'inceste constitue au minimum un abus sexuel sur un
mineur. Dans certains pays, cet abus est sanctionné plus lourdement du
fait qu'il est commis par un membre de la famille. En revanche, lorsque la
victime a dépassé l'âge de la majorité sexuelle et
que les relations sont librement consenties, l'inceste ne constitue pas partout
une infraction. On a également recherché si la plainte de la
victime était nécessaire au déclenchement de la
procédure pénale et s'il existait des dispositions
particulières en matière de prescription de l'action publique.
L'examen des dispositions étrangères fait apparaître
que, en Espagne et au Portugal, le lien de famille entre le coupable et la
victime constitue une circonstance aggravante de l'infraction sexuelle, tandis
que, dans les autres pays, il n'est pris en compte que lorsque la relation est
librement consentie.
1) En Espagne et au Portugal, le lien de famille entre le coupable et la
victime constitue une circonstance aggravante des infractions sexuelles
En Espagne et au Portugal, le code pénal ne réprouve pas les
relations
incestueuses librement consenties
entre personnes ayant
atteint l'âge de la majorité sexuelle.
En revanche, il
considère comme infractions sexuelles, d'une part, les relations non
consenties, et, d'autre part, celles qui concernent des jeunes qui n'ont pas
atteint l'âge de la majorité sexuelle (treize ans en Espagne et
quatorze ans au Portugal).
Dans ces deux pays,
les peines
qui sanctionnent les
infractions sexuelles
sont augmentées lorsque l'auteur est un
proche parent
(ascendant, descendant, membre de la famille par alliance,
frère ou soeur en Espagne ; ascendant, descendant ou parent
jusqu'au deuxième degré au Portugal). Cette règle
s'applique quels que soient la nature de l'infraction et l'âge de la
victime.
2)
Dans les autres pays, le lien de famille n'est pris en compte que
lorsque la relation est librement consentie
a) Le lien de famille n'est pas pris en compte lorsque la relation est
imposée, mais une réforme est envisagée en Angleterre et
au Pays de Galles
Les relations qui ne sont pas librement consenties ainsi que celles qui
impliquent des jeunes qui n'ont pas atteint l'âge de la majorité
sexuelle (quatorze ans en Allemagne et en Italie ; quinze ans au
Danemark ; seize ans en Angleterre et au Pays de Galles, ainsi qu'en
Suisse) constituent des infractions.
Or, en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles, au Danemark, en Italie
et en Suisse, la qualification et la sanction des infractions sexuelles,
quelles qu'elles soient, ne sont pas déterminées par l'existence
d'un
lien de famille entre le coupable et la victime
. Tout au plus
peut-on noter que, si un père ou une mère commet une infraction
sexuelle sur ses enfants, l'autorité parentale risque de lui être
retirée.
Cependant, dans le cadre d'une réforme générale de la
législation,
le gouvernement anglais envisage de créer une
nouvelle infraction sexuelle, l'abus sexuel
familial
. Infraction
à part entière, l'abus sexuel familial interdirait à toute
personne d'avoir un rapport avec un descendant, un ascendant, un frère
ou une soeur, un oncle ou une tante et serait puni différemment selon
l'âge de la victime.
b) Les rapports incestueux librement consentis constituent des
infractions
Cette qualification n'est pas automatique en Italie, alors qu'elle l'est dans
les quatre autres pays.
•
En Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles, au Danemark et en
Suisse, les relations sexuelles librement consenties entre parents en ligne
directe ainsi qu'entre frères et soeurs constituent des infractions.
Ces infractions sont qualifiées d'infractions sexuelles en Angleterre et
au Pays de Galles, et d'infractions contre la famille au Danemark ainsi qu'en
Suisse. La qualification est indépendante de l'âge des partenaires
et de leur lien de famille.
En revanche, en Allemagne, le code pénal établit une distinction
en fonction de ces deux critères : les relations incestueuses sont
qualifiées d'infractions contre la famille, à moins qu'elles
n'aient lieu entre une personne et son enfant âgé de plus de
quatorze ans et de moins de dix-huit ans. Dans cette hypothèse,
même si elles sont consenties, elles sont considérées comme
des infractions sexuelles spécifiques et sont punies plus
sévèrement que les infractions contre la famille.
•
Le code pénal italien considère comme infractions les
relations sexuelles incestueuses librement consenties à condition
qu'elles soient notoires
Il condamne, au titre de la morale familiale, les relations sexuelles entre
parents en ligne directe, ainsi qu'entre frères et soeurs, mais
seulement lorsque les faits provoquent un «
scandale
public
», c'est-à-dire lorsque les
intéressés se comportent de façon à rendre leurs
relations notoires.
Par ailleurs, il considère comme une infraction sexuelle à part
entière le fait d'avoir des relations, même consenties, avec un
descendant âgé de plus de quatorze ans et de moins de seize ans.
*
* *
L'analyse des dispositions pénales applicables à
l'inceste fait apparaître un net clivage entre les pays latins et les
autres.
En effet, la France, l'Espagne et le Portugal adoptent la même
solution : ils ne condamnent pas les relations sexuelles librement
consenties entre personnes ayant atteint l'âge de la majorité
sexuelle et considèrent le lien de famille comme simple circonstance
aggravante des infractions sexuelles. À l'opposé, l'Allemagne,
l'Angleterre et le Pays de Galles, le Danemark et la Suisse font du lien de
famille un élément constitutif de l'infraction. L'Italie se
rapproche des autres pays latins, puisque l'infraction d'inceste n'est
constituée que si les intéressés se comportent de
façon à rendre leurs relations notoires.