Le groupe interparlementaire d’amitié France-Allemagne, présidé par M. Ronan LE GLEUT (Les Républicains – Français établis hors de France), a reçu, mercredi 12 mai 2021, M. Roland THEIS, Secrétaire d’État à la Justice et Plénipotentiaire pour les Affaires européennes du Land de Sarre, pour un entretien sur la gestion de la crise sanitaire en Allemagne.
La réunion était ouverte aux membres de la mission commune d’information chargée d’évaluer les effets des mesures en matière de confinement, la gestion de la crise sanitaire en Allemagne étant un sujet d’intérêt commun à la fois pour le groupe d’amitié et pour la MCI.
Outre le Président du groupe d’amitié, étaient présents, au titre du groupe d’amitié France-Allemagne : M. Antoine LEFÈVRE (LR - Aisne) et Mme Claudine LEPAGE (SER - Français établis hors de France), Vice-présidents du groupe d’amitié, Mme Angèle PRÉVILLE (SER - Lot), Secrétaire du groupe d’amitié, Mme Jacky DEROMEDI (LR - Français établis hors de France) et M. Richard YUNG (RDPI - Français établis hors de France), Membres du groupe d’amitié.
Étaient présents au titre de la MCI : M. Roger KAROUTCHI (Hauts-de-Seine – LR), Co-rapporteur de la MCI, Mme Laurence COHEN (CRCE – Val-de-Marne), Vice-présidente de la MCI, et Mme Murielle JOURDA (Morbihan – LR), Membre de la MCI.
M. Roland THEIS a tout d’abord indiqué que malgré tous les efforts mis en œuvre, une stratégie franco-allemande ou européenne de lutte contre la pandémie n’avait pu être élaborée alors que le virus ne connaissait pas de frontière. En conséquence, les stratégies différentes mises en place en France et en Allemagne ont créé d’importantes difficultés dans les zones frontalières, comme la Sarre et la Moselle, constituant un bassin de vie commun qui ne connaissait plus de frontière avant la crise sanitaire.
M. Roland THEIS a ensuite dressé un état des lieux de la pandémie en Allemagne et notamment en Sarre. Le taux d’incidence, en baisse, s’établissait, au 12 mai, à 120 pour 100 000 au niveau fédéral et à 110 pour 100 000 en Sarre. 3,5 millions de cas ont été recensés en Allemagne depuis mars 2020, avec environ 80 000 personnes décédées. Actuellement, 91 % des nouvelles contaminations en Allemagne sont dues au variant anglais. En Sarre – qui compte 1 million d’habitants – 40 000 cas ont été recensés, avec environ 1 000 décès depuis le début de la crise sanitaire.
De gauche à droite :
M. Roger KAROUTCHI, M. Ronan LE GLEUT, M. Roland THEIS
Soulignant que l’organisation administrative allemande se caractérise, elle aussi, par une certaine complexité, M. Roland THEIS a rappelé que le domaine de la santé relevait à la fois de la compétence de l’État fédéral et de celle des Länder.
En effet, l’État fédéral est compétent en matière d’assurance sociale, qui couvre les soins de santé dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire, les soins de longue durée, les pensions et les accidents. Dans certains cas, un vote conforme des Länder au Bundesrat est nécessaire, lorsqu’il s’agit par exemple du financement des hôpitaux. L’État fédéral ne disposant pas de services déconcentrés, ce sont les administrations des Länder qui mettent en œuvre la législation adoptée au niveau fédéral en matière de santé.
Par ailleurs, relèvent de la compétence des Länder les soins de santé préventifs, la planification hospitalière, la législation relative aux professions médicales, les caisses régionales d’assurance maladie,… Les hôpitaux relèvent de la tutelle des ministères de la Santé des Länder.
Dans le cadre plus spécifique de la gestion actuelle de la crise sanitaire, les Länder prennent en charge les frais liés aux tests, aux hospitalisations, aux vaccinations. Ils organisent la vaccination dans les grands centres mis en place depuis décembre 2020. Les Länder assurent aussi le transport des vaccins – commandés par l’État fédéral en étroite coordination avec le niveau européen - vers les centres et les cabinets médicaux. Ils organisent l’enregistrement des demandes, l’assistance téléphonique aux citoyens, la mise à disposition de véhicules pour les unités mobiles de vaccination, le dépistage, etc.
La vaccination et le dépistage sont donc effectués par les Länder, soit par les agents des Länder, soit par les communes et leurs groupements. À cet égard, le plus grand centre de dépistage en Sarre, situé à la frontière, est un centre franco-allemand : il dispose d’une capacité de 1 700 tests par jour et est une illustration concrète de la coopération franco-allemande même en période de pandémie. La seule exception à l’organisation de la vaccination par les Länder est l’ouverture de centres de vaccination gérés par l’armée allemande : un centre a ainsi été ouvert en Sarre où la vaccination est assurée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Au total, 20 000 soldats allemands sont mobilisés sur l’ensemble du territoire allemand dans le cadre de la lutte contre la pandémie.
Il revient également aux Länder de prendre les mesures de restriction de libertés publiques imposées par la lutte contre la pandémie. Une loi-cadre fédérale (la loi sur la protection contre les infections) prévoit un ensemble de mesures que les Länder doivent mettre en œuvre, sous réserve de modifications en fonction de leurs propres décisions politiques. Aussi les mesures peuvent-elles varier d’un Land à un autre, suscitant des débats sur l’efficacité de la mise en œuvre sur le territoire fédéral de mesures hétérogènes. Par exemple, le Land de Bade-Wurtemberg avait introduit très tôt un couvre-feu de 22 heures à 5 heures alors qu’aucun autre Land n’avait mis en place de telles mesures. La Cour suprême du Land de Sarre avait même annulé ce type de mesures jugées trop attentatoires aux libertés publiques. De même, s’agissant des mêmes plages de la mer Baltique, les mesures sont distinctes selon le Land concerné : dans le Schleswig-Holstein, la réservation d’hébergements touristiques est désormais possible ; elle est encore interdite en revanche, jusqu’au 14 juin, en Mecklembourg-Poméranie occidentale.
S’il est difficile de déterminer si l’organisation fédérale de l’Allemagne aura finalement été une force ou une faiblesse dans la gestion de la crise sanitaire, la question fait débat en raison de la très grande hétérogénéité des mesures mises en œuvre.
M. Roland THEIS a souligné qu’il fallait néanmoins garder à l’esprit que la prise de décision dans chacun des Länder était toujours précédée d’une délibération de l’ensemble des chefs de gouvernement des Länder (ministres-présidents) avec la Chancelière sur les lignes directrices à suivre. Politiquement, les grandes décisions ont ainsi été prises par consensus par cette conférence qui se réunissait très régulièrement (confinement, fermeture des écoles, politique vaccinale…), avant la mise en œuvre juridique des mesures d’application par les Länder.
La loi-cadre fédérale sur la protection contre les infections a récemment été modifiée, encadrant désormais davantage l’action des Länder dans la lutte contre la pandémie. Ainsi, depuis le 24 avril 2021, si le taux d’incidence dépasse 100 pour 100 000 dans un arrondissement pendant trois jours consécutifs, les mesures de freinage inscrites dans la loi fédérale doivent être systématiquement appliquées, à savoir un couvre-feu de 22 heures à 5 heures, la limitation des rassemblements à 5 personnes maximum, la possibilité de ne recevoir qu’une seule personne extérieure au foyer, la fermeture des lieux culturels et des magasins non essentiels (tous sauf alimentation, pharmacies, librairies, coiffeurs, opticiens et fleuristes), la fermeture des restaurants et la fermeture des écoles si le taux d’incidence dépasse 165 pour 100 000.
Tous les Länder n’étaient pas favorable à cette modification législative imposant une règle uniforme sur l’ensemble du territoire lorsque le taux d’incidence dépasse le seuil de 100 pour 100 000. Néanmoins, pour ce type de loi, un veto du Bundesrat n’était juridiquement pas possible. Ainsi, les mesures de lutte contre la pandémie sont désormais plus uniformes dans les Länder où la circulation du virus est plus forte. Lorsque le taux d’incidence est inférieur à 100 pour 100 000, les Länder conservent néanmoins la liberté de mettre en œuvre leurs propres décisions.
Les débats en Allemagne aboutissent ainsi à une évolution inverse de la tendance française : alors que le débat porte en France sur une association accrue des collectivités territoriales aux décisions du Gouvernement, en Allemagne, l’État fédéral a, par la modification de la loi-cadre fédérale, élargi son domaine de compétences lorsque le taux d’incidence dépasse un certain seuil.
En faisant observer que la ligne de crête entre protection de la santé d’une part, et préservation des libertés publiques d’autre part, était ténue, M. Roland THEIS a indiqué que la Sarre avait choisi de mettre en œuvre des règles par palier prenant en compte les taux d’incidence, d’hospitalisation et de vaccination, afin de proposer un cadre légal lisible aux citoyens et aux entreprises. La Sarre a ainsi été le seul Land allemand à rouvrir les terrasses, lieux culturels, salles de sports pour les personnes présentant un test Covid négatif de moins de 24h ou vaccinées ou guéries, pendant quelques semaines après le 6 avril. Le Land a multiplié les centres de tests et a pu mettre en œuvre plus de 300 000 tests par semaine pour un million d’habitants.
S’agissant de la stratégie vaccinale en Allemagne, les groupes prioritaires ont été sensiblement les mêmes qu’en France et la question de l’ouverture de la vaccination à l’ensemble de la population se pose désormais. À la suite des dernières recommandations du Robert-Koch-Institut, la vaccination avec les vaccins Johnson&Jonhson et AstraZeneca est autorisée pour toutes les classes d’âge. Au niveau fédéral, 32,3 % de la population ont reçu, au 12 mai, une dose et 9,1 % les deux doses. En Sarre, 36,3 % de la population ont reçu au moins une dose. L’objectif en Allemagne est que toutes les personnes volontaires de plus de 18 ans soient vaccinées d’ici le 22 septembre 2021. La question de la vaccination des moins de 18 ans fait actuellement débat et il est probable que les plus de 12 ans soient prochainement vaccinés.
Les mesures restrictives de liberté vont être progressivement allégées pour les personnes vaccinées. Ainsi, depuis le 9 mai, les personnes totalement vaccinées - comme celles ayant guéri de la Covid - sont dispensées de test pour se rendre au travail ou dans un magasin, ainsi que de quarantaine si elles sont cas contact. Elles peuvent aussi recevoir des invités sans limite de nombre. Néanmoins, elles restent tenues de porter un masque et de garder les distances.
Les membres du groupe d’amitié et de la MCI avec M. Roland THEIS
En réponse à M. Roger KAROUTCHI, M. Roland THEIS a indiqué que les missions confiées aux ARS en France relevaient en Allemagne des ministères de la Santé des différents Länder. Tout comme les ARS en France, les ministres de la Santé des Länder allemands ont fait l’objet de nombreuses critiques dans le contexte de la crise sanitaire. Il faut néanmoins garder à l’esprit que les mesures de lutte contre la pandémie ont dû être mises en œuvre dans l’urgence, alors qu’aucune structure n’était préparée à cette crise. M. Roland THEIS s’est félicité de la coopération étroite et efficace, au niveau transfrontalier, entre l’ARS Grand Est et les autorités sarroises, grâce à des réunions hebdomadaires et à la recherche de solutions communes.
En outre, M. Roland THEIS a indiqué, en réponse à M. Roger KAROUTCHI, que la question du passe sanitaire soulevait un vif débat en Allemagne. La vaccination n’étant pas non plus obligatoire en Allemagne, il est possible de prouver que l’on n’est pas malade grâce à plusieurs types de tests (PCR, antigénique, ou encore autotest avec témoin attestant du résultat négatif). Dans les faits, le fait d’être vacciné simplifiera néanmoins l’accès à certaines activités.
À cet égard, M. Roland THEIS a fait observer qu’il était absolument nécessaire de se coordonner au niveau européen afin d’harmoniser les règles relatives au passe sanitaire. À défaut, des réglementations différentes pourraient à nouveau aboutir à des restrictions de circulation, fortement dommageables, entre les pays.
En réponse à Mme Laurence COHEN, M. Roland THEIS a indiqué qu’il partageait ses inquiétudes relatives à la protection des données de santé. Il a toutefois ajouté que les mesures de lutte contre la pandémie limitaient considérablement les libertés publiques et que l’État ne pouvait restreindre plus longtemps les libertés d’une personne vaccinée ne présentant donc pratiquement plus aucune menace pour autrui.
Les sénateurs membres du groupe d’amitié France-Allemagne et de la MCI ont remercié chaleureusement M. Roland THEIS d’avoir répondu favorablement à leur invitation pour participer à cet échange, malgré les restrictions de déplacements résultant de la crise sanitaire.
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- Mme Marie BRUNEAU
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