Colloque
Table des matières
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Allocution d'ouverture
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Interventions de :
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« Le plan Cap export Russie » :
les moyens mis en oeuvre pour vous aider à réussir en Russie
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Les grands projets de coopération franco-russes
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Questions
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Intervention de :
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La coopération décentralisée :
un enjeu prioritaire entre la France et la Russie
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Communication et publicité en Russie
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Vendre et distribuer à Moscou et dans les régions de Russie
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Investir et produire à Moscou et dans les régions de Russie
Actes du colloque
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Rencontres Russie 2006 Jeudi 9 novembre 2006 |
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Salle Clemenceau |
Tribune des orateurs |
Allocution d'ouverture
Patrice GÉLARD
,
Président du Groupe interparlementaire France-Russie du Sénat
Mesdames et messieurs, je vous donne lecture d'un message du Président du Sénat, Christian Poncelet, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous ce matin.
« Messieurs les Présidents,
Madame le Ministre,
Messieurs les Gouverneurs,
Messieurs les Ambassadeurs,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Le Sénat est heureux d'accueillir cette nouvelle édition des « Rencontres Russie » qui, dans le cadre de son partenariat avec nos amis d'Ubifrance, permet de faire un point régulier sur les relations économiques et commerciales franco-russes.
Les contraintes de mon emploi du temps ne m'ont pas permis d'être des vôtres ce matin, mais j'ai suivi avec attention l'organisation de ce colloque, et je tiens à adresser à toutes et à tous un chaleureux message de bienvenue.
Cette manifestation se déroule sous l'égide du groupe d'amitié France-Russie, qui, une fois encore, démontre l'intérêt et l'efficacité de ce qu'il est convenu d'appeler la « diplomatie parlementaire ».
Vous le savez tous, depuis notre précédente rencontre en novembre 2005, les développements parfois imprévus de l'actualité internationale ont mis la Russie à plusieurs reprises sur le devant de la scène, suscitant quelques interrogations dans les opinions publiques européennes.
Cela étant, ces épisodes ne nous font pas perdre de vue que la Russie est un pays ami, auquel nous portons la plus grande sympathie, comme j'ai maintes fois eu l'occasion de l'exprimer, notamment au Président Serguei Mironov, mon homologue du Conseil de la Fédération, que je rencontre régulièrement lors des réunions de l'Association des Sénats d'Europe.
Pour m'en tenir à l'économie, la Russie est devenue en quelques années une puissance de tout premier plan, offrant aux entreprises étrangères les opportunités d'un marché de 145 millions d'habitants -dont plus de 10 millions pour la seule ville de Moscou- sur un territoire qui représente, à lui seul, le huitième de la totalité des terres émergées dans le monde.
Forte de la diversité de ses territoires, la Russie est aussi riche d'un sous-sol exceptionnel qui a fait d'elle une très grande puissance énergétique et minière. Elle figure parmi les premiers producteurs mondiaux de gaz et de pétrole, parmi les premiers exportateurs mondiaux d'hydrocarbures, parmi les premiers producteurs de tous les métaux stratégiques, etc. Est-il nécessaire d'allonger ce palmarès ? Chacun mesure combien la Russie, aujourd'hui, est au coeur d'immenses flux commerciaux, dopés par les cours de l'énergie.
Selon les statistiques de notre mission économique à Moscou, les importations russes ont ainsi doublé en trois ans, passant de 60 milliards de dollars en 2002 à 120 millions en 2005, dont une hausse de 30 % pour la seule année 2005.
Certes, dans plusieurs domaines, les fondamentaux de l'économie russe sont moins encourageants, je pense notamment à son marché du travail ou aux écarts considérables entre les nouvelles classes riches ou moyennes et un certain nombre de « laissés pour compte ».
Par ailleurs, comme je l'ai relevé l'an dernier, les entreprises engagées sur le marché russe font bien souvent état de difficultés auxquelles elles se heurtent au quotidien, en particulier les contrôles tatillons et les pesanteurs administratives, sans parler de la corruption.
Malgré cela, le marché russe demeure dans son ensemble attractif, d'autant que les opérateurs russes, aussi bien à Moscou que dans les autres régions de la Fédération, sont enclins à nouer des partenariats de toute sorte avec les investisseurs étrangers.
Le paradoxe est pourtant que nos positions sur le marché russe ont tendance à stagner en valeur absolue, ce qui revient à un effritement en valeur relative.
Il est plus que temps d'inverser la tendance, car de leur côté, plusieurs de nos partenaires de l'Union européenne confortent leur position en Russie et risquent, tôt ou tard, de nous y supplanter.
Dans cette démarche, nos entreprises peuvent compter sur les pouvoirs publics : comme le souligne notre conseiller pour les Affaires économiques en Russie, M. Jean-François Collin, « le gouvernement a fait du renforcement de notre présence économique en Russie une priorité. Tout le dispositif public d'aides à l'exportation est mobilisé [...] et travaille avec les chambres de commerce et les fédérations professionnelles pour accompagner les entreprises françaises sur le marché russe ».
J'ajoute que cet engagement a d'autant plus de poids qu'il s'inscrit dans une perspective européenne ambitieuse.
Comme le constate le Protocole de coopération conclu entre l'Union européenne et la Russie en avril 2004, « l'élargissement européen représente de part et d'autre une opportunité historique de renforcer [notre] partenariat stratégique et [nos] échanges »
Avant de céder la parole aux intervenants qui, toute la journée, vont répondre aux questions que beaucoup d'entre vous se posent, je tiens à exprimer une conviction : en ce début du XXI ème siècle, la Russie est un vrai pays d'avenir ; presque tout est encore à y faire et les mots « réussite », « promotion » et « succès » peuvent y trouver tout leur sens.
Je vous souhaite d'excellents travaux, en espérant que vous garderez de votre passage au Sénat un bon souvenir et que vous y reviendrez. »
En ma qualité de Président du groupe interparlementaire France-Russie du Sénat, je suis allé en Russie à plusieurs reprises, au cours des dernières semaines, et j'ai également eu le plaisir d'accueillir plusieurs délégations en provenance de ce grand pays. De manière évidente, la demande de coopération est forte, laquelle s'exprime notamment par une volonté accrue de nouer des partenariats au niveau régional.
Interventions de :
Christine LAGARDE
,
Ministre déléguée au Commerce extérieur
Je débuterai mon propos en citant Churchill, qui voyait dans la Russie « un rébus, enveloppé de mystère, au sein d'une énigme ». Je trouve en effet cette formule assez juste.
Pour revenir à des données plus concrètes, l'économie russe présente, à l'heure actuelle, les signes d'un dynamisme évident. Et au-delà de l'évolution favorable indiscutable des cours du pétrole et des matières premières, on peut y voir les signes de l'adaptation déterminée d'un appareil industriel et la marque d'une confiance retrouvée des investisseurs et des consommateurs. Cette amélioration résulte non seulement d'une volonté politique évidente, mais également des efforts consentis par le peuple russe, qui s'est toujours distingué par sa force de travail et sa détermination à surmonter tous les obstacles. Pour autant, nous avons bien conscience de la nécessité d'une politique de réformes en Russie, afin d'accélérer la croissance. Aucun pays, en effet, ne peut se contenter de tirer parti de l'évolution favorable de la conjoncture. Les évolutions positives du cours des matières et du pétrole recèlent, à n'en pas douter, des fragilités.
L'Union européenne est aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Russie, avec 40 % de ses échanges extérieurs. Des marges de progression sont toutefois encore possibles, dans le domaine énergétique, notamment.
Nos relations commerciales bilatérales avec la Russie ont gagné en intensité, au cours de la période récente. La France tire parti de la forte croissance de l'économie et des importations russes en 2006. Nos exportations vers la Russie, au cours du premier semestre 2006, ont ainsi marqué une très forte progression, de l'ordre de 32 % sur les huit premiers mois de l'année 2006, rapportés aux huit premiers mois de l'année 2005 (à comparer avec un taux de progression de l'ordre de 10 %, pour nos exportations au niveau global).
Notre part du marché russe avoisine les 4 % et plus de 6000 entreprises françaises ont exporté en Russie l'année dernière. Non seulement nous exportons, mais nos entreprises investissent, témoignant ainsi de la confiance qu'elles ont dans l'avenir de ce pays. 500 entreprises françaises sont aujourd'hui implantées en Russie et leurs activités ont fortement augmenté en 2005, pour atteindre, en investissements, 500 millions de dollars, soit plus de deux fois le montant de l'année 2004, plaçant ainsi la France au 6 ème rang des investisseurs directs en Russie.
Ces résultats sont néanmoins insuffisants et le moment de développer nos échanges avec la Russie est opportun. Nous ne sommes qu'au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie et notre déficit commercial s'est creusé, en 2005, pour atteindre 4,7 milliards d'euros. Cette tendance, qui s'est poursuivie en 2006, s'explique par l'importance de la facture énergétique.
Nous sommes heureux que 500 entreprises françaises aient déjà fait le pas, mais nous pouvons de toute évidence faire mieux. C'est d'ailleurs pour cette raison que, sur un plan stratégique, le gouvernement français a décidé d'identifier la Russie comme l'un des cinq pays pilotes vers lesquels nous devons concentrer nos efforts, pour encourager l'approfondissement des relations commerciales entre nos deux pays. Pour ce faire, nous comptons notamment intensifier les exportations françaises vers la Russie, ainsi que les investissements directs français en Russie et les investissements directs russes en France.
Dans le cadre du plan Cap export Russie, les outils traditionnellement mis à la disposition des exportateurs français par le gouvernement ont été renforcés, comme ils l'ont été pour les exportateurs travaillant avec les quatre autre pays ayant été désignés comme pays pilotes. Je pense notamment à l'assurance prospection-COFACE (qui couvre à 80 % les dépenses de prospection pour les pays en question, contre seulement 65 % pour les autres pays). Je pense également à la prise en charge possible, au titre du crédit-impôt export, des dépenses consacrées à l'emploi des volontaires internationaux en entreprises.
Pour finir, je ne saurais trop vous conseiller de vous référer au portail internet que nous avons ouvert pour simplifier la tâche des exportateurs français, consultable à l'adresse suivante : www.exporter.gouv.fr. Vous y trouverez tous les liens possibles vers l'ensemble des agences et des chambres de commerce et d'industrie, ainsi que toute une série d'informations qui vous seront, à n'en pas douter, d'un précieux secours.
Je soulignerai enfin combien un rapprochement avec la Russie est opportun, dans le contexte actuel. Le nombre de participants présents aujourd'hui reflète l'intérêt que vous manifestez pour ce pays. La Russie a pratiquement complété son cycle de négociations préalable à son entrée dans l'OMC. Un seul accord significatif demeure à négocier - celui, bilatéral, entre la Russie et les Etats-Unis. Je ne porterai aucun commentaire sur l'état d'avancement de ce calendrier ; j'espère néanmoins -et l'Union européenne l'a d'ailleurs manifesté en concluant un accord en son temps avec la Russie- que l'entrée de la Russie dans l'OMC se fera dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. Lorsque la Chine est entrée dans l'OMC, nous avons en effet observé la normalisation d'un certain nombre de comportements et l'acceptation d'un certain nombre de principes, lesquels ont permis l'augmentation massive des échanges entre la Chine et les autres pays membres de l'OMC. Je ne doute pas qu'un tel phénomène se reproduise avec la Russie.
René ANDR
É,
Député, Président d'Ubifrance
Le contexte de nos échanges avec la Russie est incontestablement favorable, du fait du dynamisme de l'économie russe. La forte croissance de cette économie ne fléchit pas et le PIB progresse à un rythme de 6,5 %. La consommation a augmenté de 10 % cette année et reste le principal moteur de cette économie. Cette forte croissance de la consommation a engendré une augmentation massive des importations : +26 % par rapport au premier semestre 2005, +48 % dans les secteurs des équipements de machines et des moyens de transports. Parallèlement, les investissements en Russie ont progressé depuis le deuxième semestre 2005 et se diversifient. Tous les secteurs d'activités, hors hydrocarbures, sont concernés, avec une croissance des investissements excédant les 40 % au cours du premier semestre 2006.
La France tire sans nul doute profit de ce développement, mais encore insuffisamment. 2005 a été une année décevante ; en 2005, la France est passée du 8 ème au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie, position qu'elle occupait encore au premier semestre 2006. Cependant, sa part de marché qui s'était effritée entre 2004 et 2005, en passant de 4,1 à 3,73 %, a commencé à se redresser au premier semestre 2006.
La croissance des exportations françaises vers la Russie - sur les six premiers mois de 2006, par rapport aux six premiers mois de 2005 - a été de 32,5 %, pour atteindre un volume de 2 milliards d'euros. Cette forte progression s'explique notamment par l'augmentation des exportations de biens de consommation, notamment de produits pharmaceutiques (+95 % par rapport au premier semestre 2005) et de produits cosmétiques (+39 %). Elle s'explique également par l'augmentation de la vente de nos voitures (+39 %) ainsi que par d'excellentes performances dans le domaine chimique (+51 %). La France répond donc bien aux besoins croissants de consommation des Russes, dans les domaines du luxe et de l'équipement du foyer.
Elle répond mal, en revanche, aux besoins de diversification de l'industrie russe. Certes, près de 500 entreprises françaises sont désormais implantées en Russie et plus de 6 000 entreprises ont d'ores et déjà investi dans ce pays. Ces améliorations sont cependant insuffisantes et il convient par conséquent d'oeuvrer sans relâche au développement de la présence française en Russie, ce à quoi s'emploie quotidiennement Ubifrance, en partenariat avec la mission économique de Moscou. Une publication sur les modalités d'ouverture d'un point de vente en Russie a ainsi vu le jour, au cours de la période récente, et une autre publication, offrant un panorama global du marché russe, devrait paraître d'ici la fin de l'année. Du 21 au 24 novembre prochain, une manifestation visant à promouvoir le savoir-faire français, en matière de tourisme, sera par ailleurs organisée à Moscou.
Pour finir, je voudrais vous livrer un regard plus personnel, sur l'avenir de la coopération entre nos deux pays. Pour l'heure, force est de reconnaître que l'image de la Russie, dans les médias français, n'est pas très positive, ce qui se retourne non seulement contre la Russie mais également contre les investisseurs français et qui explique sans doute la faiblesse de notre présence dans cette partie du monde. Sur cette base, et même si nous avons bien conscience de la nécessité de poursuivre le processus de démocratisation amorcé dans ce pays, je vous invite à méditer la déclaration récemment faite par l'ex-chancelier Gerhard Schröder, laquelle a été publiée dans Le Monde du 4 novembre dernier :
« Les élites russes se sentent proches de l'Europe. Cela vaut en particulier pour Vladimir Poutine. La question que doivent se poser les Européens est la suivante : veulent-ils une Russie étroitement liée à eux, politiquement, économiquement, culturellement ? Ou veulent-ils qu'à cause des difficultés qu'on lui fait cette Russie se mure dans son rôle de puissance asiatique ? Il existe une chance que la Russie se rapproche de l'Europe. Mais le processus ne peut être à sens unique. Il faut que les Européens aussi fassent un effort et cessent de voir la Russie uniquement à travers le prisme de la guerre en Tchétchénie. (...) je mets en garde contre les jugements à sens unique. Après des siècles de tsarisme, soixante-dix ans de communisme et dix ans d'effacement de l'Etat, le mérite de Vladimir Poutine est de rétablir l'Etat comme protecteur des citoyens et des investisseurs, ce qui est la condition préalable à la démocratie. »
Ceci pour dire que si nous développons une vision objective et positive de la Russie, cette dernière en tirera nécessairement parti, au même titre que nous. Je ne saurais donc que vous encourager à consentir des efforts dans cette voie.
S. Exc. Alexandre AVDEEV
,
Ambassadeur de Russie en France
Alors que le volume d'échanges, entre la France et la Russie, devrait avoisiner les 14 milliards d'euros en 2006 et que la France se place au 8 ème rang des fournisseurs de notre pays, cette dernière reste pour nous un incontestable partenaire stratégique.
A ce titre, les relations bilatérales entre nos deux pays ne cessent de se développer et nous partageons de fait la même vision du monde : celle d'un monde multipolaire, au sein duquel la primauté du droit international serait assurée. Nous sommes également favorables au renforcement du rôle du Conseil de sécurité dans le monde et nous sommes prêts à unir nos efforts pour étouffer les foyers de conflits et de crises qui se font jour ça et là. Nous avons en outre la même vision des risques qui planent sur la Russie et sur l'Europe. Aussi développons-nous des efforts communs, sur l'arène internationale, concernant la non prolifération nucléaire, l'arrêt des migrations illégales et la lutte contre le terrorisme.
La France suscite un intérêt certain en Russie, comme en témoignent les nombreuses lettres et demandes que nous recevons à l'Ambassade, émanant tant des citoyens que des médias russes. Et sur le terrain, les désirs du peuple russe et du Président Poutine, à l'égard de la France, se rejoignent insensiblement vers une volonté commune, consistant à faire en sorte que la France reste forte, amicale et indépendante.
A cet égard, nous souhaitons notamment que la France continue à jouer un rôle moteur dans l'intégration européenne, aux côtés de l'Allemagne, créant ainsi une atmosphère de coopération propice entre l'Union européenne et la Russie. Pour ce faire, il faudrait sans nul doute dépasser les images stéréotypées véhiculées dans les médias concernant nos deux pays.
J'en veux pour preuve le coup de téléphone que j'ai reçu hier, d'une directrice d'école à Moscou, laquelle me demandait si elle pouvait emmener ses élèves à Paris en toute sécurité. Elle envisageait en effet d'ajourner son voyage, suite à la flambée de violence qu'ont connue certains quartiers de banlieue au cours des dernières semaines. Côté français, nous assistons à la même déformation de la réalité concernant la Russie. A en croire les médias français, la Russie se réduirait ainsi à un État totalitaire, violant allégrement les droits de l'homme et menant une guerre illicite en Tchétchénie ; notre pays n'aurait qui plus est pas opté pour la voie démocratique et la société civile ne s'y développerait pas suffisamment.
Ceci pour vous montrer que les journalistes contribuent incontestablement à créer des visions stéréotypées des pays qu'ils couvrent, ce qui peut se révéler dommageable, sur le long terme. Et si, au-delà de cette vision déformée de certains événements récents, les journalistes russes promeuvent généralement une image positive de la France, qu'ils voient comme un pays ami, ce n'est malheureusement pas le cas de la plupart des journalistes français, qui persistent et signent dans cette vision négative qu'ils développent de la Russie.
Pour l'heure, l'Union européenne fait face à deux crises majeures, la première étant liée à l'élargissement, la seconde à la mise en place d'une constitution. Nous sommes toutefois optimistes et ne doutons pas un seul instant que ces deux crises seront prochainement surmontées. Il n'en reste pas moins qu'elles sont génératrices d'instabilité et qu'il devient de fait difficile de faire un pronostic fiable sur l'avenir du continent européen, lequel devient de plus en plus imprévisible.
Il est notamment difficile d'imaginer quelle sera la réaction de l'Europe, à l'égard de la Russie. Pour l'heure, en tous cas, alors que la transition vers l'économie de marché a été menée à son terme dans notre pays, l'Union européenne maintient à notre encontre des mesures anti-dumping, ce qui peut sembler inapproprié.
L'Europe n'est en outre pas en mesure de se prononcer clairement sur les modalités du dialogue énergétique qu'elle entend instaurer avec la Russie. Dans un tel contexte, nous ne pouvons approuver le Traité sur la charte énergétique, dans la mesure où nous ne disposons pas des mêmes droits que les pays « transitaires » faisant partie de l'Union. Pour autant, nous sommes tout à fait favorables aux investissements étrangers en Russie, y compris dans les secteurs du pétrole et du gaz, et ce contrairement à ce que disent les journalistes. Ces derniers n'hésitent pas, en effet, à diaboliser Gazprom, dès que cette entreprise entend être partie prenante dans le circuit gazier de l'Union. Une telle attitude est évidemment susceptible d'entraver durablement l'instauration d'une coopération sereine entre nos deux pays.
Or, la sécurité énergétique ne relève pas seulement, selon nous, de la sécurisation des achats et des ventes. Il convient en effet d'instaurer une interdépendance entre vendeurs et acheteurs, entre ceux qui extraient et ceux qui consomment. Quand Total participe à l'exploitation de nos gisements pétroliers, cela sécurise incontestablement le consommateur européen qui est certain d'être approvisionné. Nous souhaiterions par conséquent qu'il en soit de même pour nous et que le groupe Gazprom soit bien accueilli lorsqu'il entend pénétrer le marché européen. Encore une fois, l'interpénétration des différents marchés est génératrice de sécurité pour les uns et pour les autres, ce qui constitue, à n'en pas douter, un gage de sérénité dans les relations entre les différents pays.
L'atmosphère politique en Russie devient par ailleurs de plus en plus propice à une coopération accrue avec les pays de l'Union. Nous continuons en effet à oeuvrer à la transformation de notre modèle politique. Il s'agit toutefois d'un processus long, dans la mesure où l'on ne peut prétendre créer de véritables partis d'opposition par oukaze. En la matière, certaines évolutions se sont récemment fait jour puisque qu'il y a un mois environ, quelques petits partis se sont réunis pour fonder un seul grand parti de gauche, à l'instar du rassemblement qui avait eu lieu chez vous, en France, autour de la personne de François Mitterrand. Notre système politique gagne ainsi progressivement en cohérence et nous nous acheminons vers un Etat de droit.
Certes, notre société civile, qui n'a qu'une dizaine d'années, accuse un certain retard, en regard de la société civile française qui comptabilise plus d'un siècle d'existence. Nous avons néanmoins amorcé un véritable processus de rattrapage et nous aurons comblé notre retard d'ici dix, vingt ou trente ans. Partant de là, toute comparaison visant à mettre en regard la situation française et la situation russe, sans tenir compte des soixante-dix années de régime communiste que nous avons connues, est évidemment vouée à l'échec. A cet égard, j'ajouterai que je suis toujours étonné de constater que les journalistes français éprouvent tant de sympathie pour les jeunes démocraties et portent un jugement aussi sévère sur notre pays ; la Russie est pourtant elle aussi un jeune pays démocratique, qui sort d'un quasi-siècle de totalitarisme.
En matière d'économie, nous décelons, fort heureusement, quelques évolutions favorables. Depuis deux ans, en effet, les investisseurs se montrent très actifs en Russie, ce dont il convient de se réjouir. La France est en outre parvenue au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie, ce qui atteste de l'amélioration du climat juridique dans notre pays. Les Français se montrent en effet toujours plus timorés que leurs homologues italiens ou allemands, plus habitués au risque qu'eux. Le renforcement de la présence française dans notre pays constitue par conséquent un bon indicateur de l'amélioration du climat juridique et commercial qui y règne. A noter que la représentation commerciale de la Russie en France s'attache de son côté à renforcer les liens entre nos deux pays.
Pour finir, je souhaiterais souligner combien nous sommes satisfaits de l'état des relations politiques entre nos présidents, nos services diplomatiques et nos pays en général. Nous restons par conséquent optimismes et enthousiasmes et ne doutons pas que notre désir de voir la France forte, indépendante et amicale corresponde au désir des Français de voir la Russie forte, démocratique et amicale.
« Le plan Cap export Russie » :
les moyens mis en oeuvre pour vous aider à réussir en Russie
Jean-François COLLIN
,
Ministre conseiller pour les affaires économiques et financières,
Ambassade de France en Russie
Comme les intervenants qui m'ont précédé l'ont abondamment expliqué, les entreprises françaises doivent s'intéresser activement à ce grand pays qu'est la Russie, lequel présente bien des opportunités. A ce titre, le gouvernement français a d'ailleurs inscrit la Russie au rang de ses priorités, faisant d'elle l'un des cinq pays pilotes du dispositif Cap export. Les outils traditionnellement mis à la disposition des exportateurs français par le gouvernement seront ainsi renforcés, ce qui ne manquera pas de faciliter la coopération, sur le terrain, et contribuera à renforcer, à terme, la présence française en Russie.
Sans doute convient-il de souligner, par ailleurs, l'intensité du dialogue politique entre la France et la Russie, au cours de la période récente. Depuis le mois de septembre, cinq ministres de la République au moins se sont ainsi rendus à Moscou et le Président Poutine est venu à Paris.
S'agissant des relations économiques entre nos deux pays, Ubifrance et la mission économique s'attachent à informer et à mobiliser les entreprises françaises sur les opportunités qui s'offrent à elles sur le marché russe. A cet égard, nous sommes évidemment très intéressés par votre avis sur le contenu et l'utilité des documents que nous éditons.
De manière générale, nous souhaitons développer une présence collective des entreprises françaises en Russie, pour contrer des concurrents souvent beaucoup plus agressifs que nous. Ces derniers ont en effet su tirer parti, depuis longtemps déjà, des actions collectives menées par leurs représentations nationales et les acteurs économiques issus de leur giron, lesquels n'hésitent pas à se présenter sous la bannière nationale, en toutes circonstances.
Les entreprises françaises - qui sont relativement peu présentes dans les salons professionnels organisés en Russie - se montrent quant à elles encore très réticentes à agir dans un cadre collectif. Ainsi, les stands de nos entreprises nationales qui sont représentées dans le cadre de ces manifestations sont souvent une juxtaposition de stands fermés, alors que les Italiens ou les Allemands n'hésitent pas à délivrer un message beaucoup plus collectif, via une présence en open-spaces.
Pour autant, et en dépit de toutes ces réserves, on a dénombré, au cours de la période qui vient de s'écouler, 16 participations collectives sur des salons russes, lesquelles ont rassemblé 460 entreprises.
Dans un avenir proche, nous souhaitons accroître notre présence dans les régions de Russie. C'est ainsi que nous ouvrirons très prochainement un consulat dans la ville d'Ekaterinbourg ; un collaborateur de la mission économique ira également s'installer dans cette ville. Nous avons par ailleurs l'intention d'organiser des opérations spécifiques et ciblées dans les villes de Nijni-Novgorod, Novossibirsk, Rostov-sur-le-don et Krasnodar. Le renforcement de notre action dans les régions de Russie constitue en effet un élément déterminant du plan Cap export Russie.
Ce renforcement est d'autant plus nécessaire que si nous sommes actuellement peu présents dans les régions de Russie, les régions françaises sont quant à elles quasiment absentes de ce pays. Il conviendrait par conséquent de remédier à cet état de fait dans les plus brefs délais, pour contrer nos concurrents allemands particulièrement offensifs dans cette région du monde. Il devient en effet difficile de se promener dans une grosse ville russe de province sans croiser le représentant d'un länder allemand, alors que nombreux sont les responsables régionaux de notre pays qui n'ont encore jamais mis les pieds en Russie.
Outre un renforcement de notre présence régionale, nous souhaitons développer, avec nos homologues russes, des partenariats avec les pôles de compétitivité récemment mis en place dans notre pays.
Nous souhaitons promouvoir ainsi une autre image de la France que celle en demi-teinte actuellement véhiculée en Russie. En effet, si la France bénéficie certes d'un a priori plutôt positif en Russie, elle souffre en revanche d'une méconnaissance totale du potentiel technologique et industriel dont elle pourrait faire bénéficier un pays traversant actuellement une phase de modernisation intense. Forts de ce constat, nous avons initié une campagne visant à renforcer l'image technologique de la France en Russie, afin que la collaboration entre nos deux pays ne se limite pas à des secteurs historiques tels que la conquête spatiale.
Plus généralement, il convient de favoriser le dialogue entre les milieux économiques français et russes, d'autant que l'inaccomplissement de plusieurs opérations industrielles, au cours de la période récente, n'a pas manqué de nourrir, de part et d'autre, des incompréhensions. Dans un tel contexte, il est essentiel que les grands patrons de nos deux pays puissent se rencontrer pour dialoguer. A cet égard, la mise en place d'un forum économique favorisant des rencontres régulières entre les acteurs économiques de nos deux pays serait la bienvenue.
Les grands projets de coopération franco-russes
Ivan PROSTAKOV
,
Représentant commercial de Russie en France
Le cadre général dans lequel on fait des affaires en Russie actuellement se normalise, comme l'attestent l'appréciation positive portée par les agences de notation sur notre pays. Ces dernières ont en effet récemment salué une amélioration sensible du climat des affaires en Russie, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Pour autant, si le cadre réglementaire international est de plus en plus respecté dans notre pays, force est de constater que les lois y sont encore insuffisamment appliquées. L'environnement par trop procédurier qui caractérise la Russie constitue encore, à l'heure actuelle, un handicap. Et même si nous pouvons nous prévaloir d'un système fiscal de plus en plus performant, d'une libéralisation accrue des échanges, de la mise en place d'un nouveau code douanier et d'incontestables progrès dans le domaine de la propriété intellectuelle, la bureaucratie reste un problème dans notre pays.
Concernant les investissements étrangers en Russie, Chypre occupe la première place, suivie des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, des Etats-Unis, de l'Inde et de la France. A noter que l'Inde a supplanté la France il y a peu, laquelle était par le passé plutôt devancée par la Suisse. Une nouvelle donne est par conséquent en train de se mettre en place.
La répartition sectorielle des investissements étrangers en Russie reflète la situation économique en général. A ce titre, les secteurs traditionnels - que sont l'énergie et les matières premières - restent toujours très attractifs, même si de nouveaux secteurs industriels, tels que l'automobile, l'aéronautique et les hautes technologies, attirent un volume croissant d'investissements. Les investissements étrangers se concentrent également vers d'autres secteurs, tels que le BTP, les banques et assurances et les services urbains. A ce jour, enfin, 40 % des investissements étrangers en Russie concernent les secteurs des transports, des télécommunications et des industries de transformation.
Contrairement à une idée trop souvent véhiculée par les journalistes, la Russie est heureuse de l'augmentation croissante des investissements étrangers sur son territoire. Elle y voit en effet une opportunité et non une menace. En retour, elle aimerait néanmoins que ses tentatives de pénétration du marché européen ne soient pas vécues elles non plus comme une menace potentielle, mais bien comme une réelle offre de coopération.
Pour l'heure, les implantations françaises en Russie se répartissent comme suit :
- 46 implantations dans le domaine de l'agroalimentaire ;
- 22 implantations dans le secteur des biens de consommation ;
- 92 implantations dans l'environnement et les transports ;
- 59 implantations dans les secteurs de l'énergie, de la chimie et des industries mécaniques ;
- 106 implantations dans les secteurs de l'électronique, des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et des services ;
- 16 implantations dans le secteur de la santé ;
- 19 implantations dans le secteur du tourisme.
Cette répartition atteste d'une présence française d'importance variable, selon les secteurs ; à noter en outre que les PME sont présentes sur notre territoire, à côté de grands groupes tels que Renault. La Russie constitue d'ailleurs le deuxième marché - après la Roumanie et avant la France - pour les ventes de Logan. Outre Renault, qui pèse plus de 100 milliards d'euros, Total, Danone, Saint-Gobain et la Société générale disposent d'une implantation en Russie. Des groupes de moindre envergure, tels que Michelin, Rhodia, Air Liquide et Auchan (dont le poids oscille entre 50 et 100 milliards d'euros) ou Bonduelle, BNP Paribas, Calyon, Lafarge et Lactalys (dont le poids n'excède pas les 50 milliards d'euros) sont également implantés dans notre pays.
Comme l'ont dit les intervenants précédents, les entreprises françaises devront initier des actions collectives, afin de renforcer leur présence en Russie. Pour l'heure, en effet, si les PME françaises rencontrent un certain succès dans notre pays, les grands groupes pourraient s'y implanter plus massivement encore s'ils agissaient collectivement. La présence accrue de grands groupes français sur notre sol pourrait en outre permettre de drainer une vague de collaboration avec des sous-traitants nationaux, dynamisant par là même encore davantage l'économie de la France.
Les grands groupes italiens sont d'ailleurs les champions de cette stratégie du drainage, dans la mesure où ils portent à bout de bras leurs compatriotes, lorsqu'ils s'implantent en Russie. Ils font notamment appel à des sous-traitants nationaux, la présence d'expatriés italiens générant de nouvelles habitudes de consommation, bien prises en compte par les entreprises italiennes candidates au voyage.
Les grands projets de coopération franco-russes qui devraient se concrétiser, dans les prochains mois, sont de plusieurs types et concernent différents secteurs de l'économie :
- avion régional Superjet-100 (Soukhoï-Satum-Safran) ;
- télévision numérique (Thomson-Almaz Antei) ;
- Airbus NG (EADS-OAK) ;
- autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg (Vinci).
Et, de toute évidence, la coopération industrielle et technologique, qui existe actuellement entre nos deux pays, conditionne largement les rapports que nous entretenons les uns avec les autres.
Je conclurai mon intervention en vous rappelant une dernière fois les cinq raisons pour lesquelles il faut que vous, Français, investissiez en Russie :
- notre pays connaît une forte croissance économique ;
- la conjoncture internationale est favorable ;
- la Russie constitue un marché vaste (140 millions d'habitant) et dynamique ;
- nous pouvons nous prévaloir d'une main d'oeuvre qualifiée ;
- la Russie est un pays promouvant traditionnellement la R&D.
Questions
De la salle
Je ne peux que confirmer les dires de M. Jean-François Collin : les compagnies françaises ne sont pas très présentes sur les salons professionnels organisés en Russie, ce qui est pour le moins regrettable. Sur les 115 manifestations par an que nous avons organisées, au cours des cinq dernières années, lesquelles ont rassemblé au total 50 000 exposants, nous n'avons en effet accueilli que 16 entreprises françaises.
Il conviendrait par conséquent d'organiser, à l'avenir, une présence collective des entreprises françaises dans notre pays, comme cela se pratique d'ailleurs déjà pour nombre de ressortissants européens.
De la salle
Je pense qu'il faudrait inscrire notre réflexion sur la coopération avec la Russie dans un contexte plus multilatéral, tenant non seulement compte de l'Union européenne, mais également de la Chine, de l'Inde et du Japon.
En outre, si les Français sont insuffisamment présents en Russie, la réciproque est vraie. Force est de reconnaître en effet que la fluidité des échanges entre nos deux pays est encore insuffisante à l'heure actuelle pour améliorer l'image de la France en Russie et l'image de la Russie en France.
De la salle
Je suis résident à Vladivostok et je ne comprends pas que la France ne s'intéresse pas à cette région particulièrement stratégique, située face au Japon, à la Corée et à la Chine. Il faudrait à mon sens que la France aide les exportateurs qui pourraient être intéressés par une implantation dans cette zone.
Jean-François COLLIN
Vous l'avez dit, nous partageons le même diagnostic concernant l'insuffisance de la présence française dans les salons professionnels organisés en Russie. Des efforts devront par conséquent être consentis pour remédier à cet état de fait.
Par ailleurs, tous les sujets que nous abordons aujourd'hui présentent des implications multilatérales évidentes et les questions économiques - telles que celles induites par les tensions récentes, enregistrées sur le marché de l'énergie - font d'ores et déjà l'objet d'échanges, dans différents forums internationaux. Pour autant, nous estimons judicieux de nous concentrer, dans un premier temps, sur le renforcement du dialogue économique bilatéral que nous entendons instaurer avec nos homologues russes ; dans un second temps, ensuite, si cette première étape est couronnée de succès, il sera toujours temps d'agir dans un cadre plus multilatéral.
S'agissant de Vladivostok, toutes les régions russes sont intéressantes, mais nous sommes obligés d'ajuster nos ambitions à nos moyens. En d'autres termes, nous ne pourrons être présents partout en Russie, et nous devons par conséquent limiter nos prétentions. Pour l'heure, nous concentrons par conséquent nos efforts sur les villes d'Ekaterinbourg, de Nijni-Novgorod, de Novossibirsk, de Rostov-sur-le-don et de Krasnodar, que je citais précédemment, sans pour autant exclure, de manière définitive, un éventuel rapprochement avec la région de Vladivostok.
Ivan PROSTAKOV
Nous devons lutter contre les méfaits de la méconnaissance réciproque caractérisant, encore aujourd'hui, les relations entre nos deux pays. Nous sentons en effet chaque jour les effets du manque d'information dont souffrent les acteurs économiques russes et français. Dans un tel contexte, nous ne pouvons que nous réjouir du nombre croissant de colloques consacrés, en France, à notre pays et nous ne pouvons que souhaiter que ces possibilités de rencontres, entre Russes et Français au plus haut niveau, deviennent de plus en plus fréquentes.
Pour finir, je saluerai le Français de Vladivostok qui a pris la parole tout à l'heure, pour sa témérité. Rares sont en effet les Français qui ont tenté l'aventure jusqu'au grand est. Enfin, je soulignerai que nous évoluons tous dans un univers mondialisé, où la concurrence se révèle de plus en plus acharnée ; nous ne pouvons donc en faire abstraction et devons au contraire nous efforcer d'en tirer le meilleur parti.
Intervention de :
Viktor KLOTCHAÏ
,
Vice-gouverneur, Premier adjoint au chef du gouvernement de l'Oblast de Nijni Novgorod pour le développement du potentiel scientifique et économique
A l'époque soviétique, 30 % de l'industrie de défense étaient concentrés dans la région de Nijni-Novgorod. Nous devons par conséquent compter avec cet héritage, même si nous faisons en sorte d'ouvrir aujourd'hui notre région vers l'extérieur, tout en révélant au grand jour les opportunités qu'elle offre.
Nijni-Novgorod, qui compte aujourd'hui 1,4 million d'habitants, a été fondée en 1221 sur la Volga. Il s'agit d'une des plus grandes villes industrielles de notre pays, grâce à cette position géographique avantageuse. C'est ainsi que jusqu'en 1917, si Saint-Pétersbourg était considéré comme la tête de la Russie et Moscou comme son coeur, Nijni-Novgorod était vue comme sa poche ou son porte-monnaie.
Aujourd'hui, nous avons toutes les difficultés du monde à retrouver ce statut de « porte-monnaie » du pays car Moscou ne veut pas nous céder la place. Nous mettons néanmoins tous les efforts en oeuvre pour conférer à notre ville le statut de centre industriel et économique.
Notre région a été créée par un oukaze de Pierre Legrand et accueille aujourd'hui 3,5 millions d'habitants, soit 2,4 % de la population totale de la Russie. Elle est en outre située à la croisée des chemins et nous entendons bien tirer parti de cette situation géopolitique particulièrement avantageuse, dont découle notamment le développement important de notre réseau autoroutier et de notre réseau de chemins de fer, qui nous relie à un nombre important de régions russes. Nous possédons en outre un aéroport international et un port fluvial qui nous permet d'atteindre toutes les mers qui entourent la partie européenne de la Russie. Notre région occupe une place de leader sur le marché des biens de consommations, dans la mesure où 84 millions de consommateurs habitent dans un rayon de 1 000 kms autour de notre ville et où le pouvoir d'achat des habitants de notre région est sensiblement plus élevé que la moyenne russe.
Notre région constitue un élément clé du potentiel industriel de la Russie et se montre particulièrement active dans des domaines aussi variés que la fabrication de machines, la construction d'automobiles, d'autobus et de camions. Notre situation géopolitique avantageuse nous permet en outre d'approvisionner les principales entreprises de construction automobile, lesquelles sont concentrées, pour 80 % d'entre elles dans un rayon de 1 000 kilomètres autour de notre ville.
Jusqu'en 1991, notre région était totalement fermée, car elle abritait de nombreuses entreprises de défense ; ces dernières ont permis d'assurer le développement du potentiel scientifique et technologique de la région. Notre région joue également un rôle central dans la production de papier.
En matière de développement économique, pour les années à venir, nous nous sommes fixés les priorités suivantes :
- la construction automobile ;
- la fabrication de pièces détachées ;
- les biens de consommation ;
- la pharmacie ;
- l'agro-alimentaire.
Au fur et à mesure que notre économie se développe, nos besoins en énergie croissent. Or, parce que notre production est insuffisante pour couvrir tous ces besoins, nous devons attirer, dans notre région, des producteurs d'électricité. Nous avons en outre d'ores et déjà passé un contrat concernant la construction d'une centrale atomique.
Nous souhaitons par ailleurs créer des partenariats dans des secteurs stratégiques de notre économie. Pour l'heure, nos infrastructures de transport se développent, ce qui devrait concourir à dynamiser encore notre région. Outre le développement de notre réseau routier, nous nous attachons à développer les modes de transports par voies d'eau. Des négociations sont d'ailleurs déjà en cours avec des investisseurs potentiels.
Parce qu'elle bénéficie d'une situation géographique avantageuse et d'un réseau de transport bien développé, la région de Nijni-Novgorod est un lieu favorisant la conduite des affaires. Ceci est d'autant plus vrai que les entreprises s'installant dans cette zone profitent également d'un système financier particulièrement performant et d'un réseau de télécommunications bien développé. Le système éducatif et de formation professionnelle n'est pas en reste et fournit une main d'oeuvre extrêmement qualifiée à la région.
Une agence de notation, chargée d'évaluer l'attractivité des régions de Russie pour les investisseurs étrangers, a décerné à la région de Nijni-Novgorod la même note qu'à la région de Moscou. Nous avons par ailleurs créé une structure en charge de prodiguer des conseils aux investisseurs potentiels, laquelle a notamment été amenée à prendre un certain nombre de décisions concernant la vente de terrains.
A l'heure actuelle, nombre de sociétés étrangères sont présentes dans notre région, au premier rang desquelles Ikea, Coca-Cola et Heineken. A noter que les investissements étrangers ont crû de 12 %, au cours de la dernière année, et de 24 % au cours des neuf derniers mois. Notre région accueille également des sociétés russes puisque nous avons récemment passé un accord avec Loukoil, pour un montant de 600 millions de dollars.
En 2005, la balance commerciale de notre région s'élevait à 2,9 milliards de dollars. L'Allemagne la Finlande, la Chine et les Pays-Bas sont les principaux partenaires de notre région - les échanges avec la France ne constituant que 2,5 % de la balance totale de la région.
Nous avons néanmoins le sentiment que les entreprises françaises éprouvent pour notre région un intérêt croissant et nous sommes certains que cet intérêt ne va pas retomber de sitôt, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. A cet égard, il est prévu d'organiser un forum spécifique à destination des entreprises françaises, dans le cadre de la foire de Nijni-Novgorod à laquelle participeront de nombreuses firmes étrangères.
La coopération décentralisée :
un enjeu prioritaire entre la France et la Russie
Sergueï MNDOYANTS,
Vice-Président de l'Association Dialogue franco-russe
L'Association Dialogue franco-russe a été créée il y a deux ans, à l'occasion de la visite du Premier ministre Fratkov à Paris. Elle réunit de grandes entreprises russes et françaises, telles que Gaz de France et Gazprom, Aeroflot et Air France, Vinci et Bouygues, etc. Notre objectif consiste à développer les relations économiques de la France et de la Russie, à l'échelon régional, notamment.
La question du développement des relations interrégionales entre la France et la Russie sonne aujourd'hui avec une acuité particulière. Or, tous ceux qui s'intéressent à la Russie savent que celle-ci tente de répondre, depuis toujours, à deux questions essentielles - « Kto vinovat ? » (qui est coupable ?) et « Chto delat' ? » (que faire ?) - lesquelles peuvent tout à fait s'appliquer, d'ailleurs, au contexte de développement des relations bilatérales entre nos deux pays.
Pour l'heure, le développement de l'économie russe favorise, à n'en pas douter, le développement des relations bilatérales entre la France et la Russie. Sans pouvoir parler de « miracle économique russe », nous pouvons en effet affirmer, sans déformer la réalité, que la Russie est entrée dans une phase de développement stable, sur le long terme.
Les réserves en or de notre pays représentent à ce jour plus de 23 milliards de dollars. La Russie peut en outre se prévaloir d'une croissance économique de 6,4 %, au cours de l'exercice qui vient de s'écouler et reste à peu près stable. Le pouvoir d'achat de la population du pays dans son ensemble a augmenté de 12 % et dans certaines régions, cette augmentation avoisine même les 30, voire les 40 %, et ce alors même que l'inflation reste stable, à hauteur de 8,4 %.
Au cours des deux années qui viennent de s'écouler, les investissements étrangers en Russie ont crû de 30 à 40 % par an ; d'autant que cette croissance s'accompagne d'un phénomène éminemment positif pour l'économie de notre pays, correspondant au retour des capitaux russes en Russie. On pourra en effet toujours s'évertuer à convaincre les étrangers d'investir en Russie, nos efforts risquent de rester sans effets si les Russes n'investissent pas eux-mêmes dans l'économie russe.
La France occupe aujourd'hui la 8 ème place parmi les investisseurs étrangers présents en Russie, derrière Chypre, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Or, un tel classement résulte, à n'en pas douter, du retour des capitaux russes sur notre sol, lequel phénomène - parce qu'il va en s'accélérant - atteste de l'existence d'une certaine stabilité économique et politique dans notre pays. En 2006, comme l'a récemment fait observer notre Premier Ministre M. Fratkov, le retour des capitaux en Russie a même été supérieur au départ des capitaux de Russie.
Cette croissance économique résulte de la conjonction d'une certaine stabilité politique, de la conjoncture internationale favorable, concernant notamment les prix de l'énergie, et des efforts consentis par notre gouvernement pour alléger la fiscalité.
Grâce aux efforts de nos gouvernements respectifs, et plus particulièrement de la Commission France-Russie, présidée par MM. Breton et Narychkine, grâce au dynamisme de la mission économique de l'Ambassade de France, dirigée par M. Collin et de la mission économique de l'Ambassade de Russie, dirigée par M. Prostakov, nous avons enregistré une montée en puissance des projets d'investissements entre nos deux pays.
Ainsi, toutes les grandes entreprises, qui font d'ailleurs partie de notre association de Dialogue franco-russe, commencent à mettre en oeuvre leur potentiel de développement en Russie. C'est ainsi que ces projets d'investissements qui, pour la plupart, sont déjà mentionnés dans des accords intergouvernementaux, doivent à présent être concrétisés.
Pour accélérer encore cette coopération économique entre nos deux pays, nous devons utiliser le potentiel régional de la société civile, ainsi que le potentiel des PME qui peuvent trouver, sur notre sol, des perspectives d'investissements excellentes.
Dans le contexte actuel, de nombreuses régions et entreprises russes sont prêtes à investir dans les économies européennes, et dans l'économie française, en particulier. A cet égard, sans doute convient-il de souligner que la Russie ne se limite ni à Moscou ni à Saint-Pétersbourg, mais qu'elle est composée de plus de 80 régions, lesquelles abritent un nombre important de villes de plus d'un million d'habitants. Ce pays présente donc des possibilités de développement variées, dans le domaine industriel notamment, ainsi que pour tout ce qui touche à la réforme des infrastructures : création de parcs techniques, approvisionnement en eau et en gaz, aéroports, réseaux thermiques, etc.
A l'avenir, des entreprises françaises de distribution telles qu'Auchan, qui sont d'ores et déjà présentes à Moscou et Saint-Pétersbourg, auront tout intérêt à se développer dans les régions russes, au développement particulièrement prometteur. De même, les régions russes offrent aux banques et aux sociétés d'assurance des perspectives de développement particulièrement intéressantes.
Ces contacts interrégionaux ne peuvent toutefois pas se limiter à la seule sphère économique et il convient sans nul doute de favoriser l'instauration d'un développement des relations entre acteurs russes et français, dans les domaines scientifique, culturel et éducatif. Pour ce faire, nous devons donc créer des mécanismes efficaces, favorisant la coopération entre ces différents acteurs. A cet égard je vous rappelle que notre association a entamé, avec l'aide du Ministère des Affaires étrangères, un programme visant à développer les relations interrégionales entre la France et la Russie. Le 15 février prochain, au Sénat, un séminaire sous le haut patronage du Président Christian Poncelet devrait ainsi développer ce thème. Une visite est ensuite prévue dans les régions françaises, afin de renforcer les liens entre les différents acteurs. Nous souhaitons également créer un club regroupant des maires français et des gouverneurs russes, afin qu'ils puissent échanger au quotidien sur leurs pratiques et oeuvrer conjointement à la mise en oeuvre de politiques de coopération.
Communication et publicité en Russie
Débat animé par Jean-François GUELAIN, Rédacteur en chef, Le Courrier de Russie
avec :
Thierry DAVID, Directeur général, CCEF, Agence Aidit
Christian LAFONT, Directeur général, Atalan
Paul-Boris LOBADOWSKY, Directeur général, Studio Est-Ouest
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV, Directeur de création, Lieu Commun Communication
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
Je vis en Russie depuis quatorze ans, où j'ai monté trois sociétés de droit russe. Nous avons notamment créé des magasins de chaussures pour enfants et avons monté des petits bars à vins, déclinés en réseau, dans différentes régions de Russie. Nous avons par ailleurs « relooké » Doucha Douchi , une chaîne de cosmétiques présente dans plus de 300 villes en Russie. Nous avons mis sur pied deux sociétés, Créative Izba et Village Potemkine, cette dernière gérant nos interventions dans les médias. Nous faisons en effet beaucoup d'événementiel : en Russie, cela marche très bien, comme le prouve notre dernière campagne de promotion pour Dior à l'occasion de la venue de Sharon Stone à Moscou. Nous sommes également en mesure de construire les stands de manifestations en tous genres.
Paul-Boris LOBADOWSKY
Je vis en Russie depuis dix ans ; j'ai des origines russes par mon père et j'ai eu envie de m'y installer. Je travaillais au départ pour la société française Menu & Associés, spécialisée dans le packaging, et nous avons finalement été rachetés par le groupe Interpublic. Ce dernier a ensuite pris la décision de quitter la Russie, et a voulu confier la licence de l'agence McCann-Erikson à l'agence russe Adventa, ce qui s'est finalement révélé impossible. J'ai donc racheté toutes les parts de la société et j'ai créé ma propre entreprise.
Nous sommes dorénavant spécialisés dans le brending et prodiguons à nos clients, qui souhaitent développer leurs marques en Russie, des conseils en identité. Nous intervenons également dans les domaines du design graphique, du packaging, de l'élaboration de logos et de la publicité sur le lieu de vente (PLV). Nous faisons également de l'événementiel et élaborons à la demande des films corporate . Nous avons par ailleurs une activité de représentation publique.
Jean-François GUELAIN
Quelle est la proportion de vos clients français et de vos clients russes ?
Paul-Boris LOBADOWSKY
80 % de nos clients sont internationaux. Nous travaillons notamment avec Nestlé (qui possède la marque de chocolat russe Rossia ) et Unilever (qui possède la marque de thé russe Besseda ). Nous collaborons également avec quelques sociétés russes, mais cela reste rare. Les processus de développement sont en effet beaucoup plus longs qu'avec une marque internationale mais nous faisons des efforts en ce sens.
Thierry DAVID
Je suis présent depuis dix-sept ans en Russie où j'ai créé l'agence Aidit, spécialisée en communication, publicité et relations publiques, il y a cinq ans environ ; depuis lors, nous avons ouvert une filiale en charge de la création audiovisuelle. Nous devons en effet nous montrer particulièrement réactifs sur un marché où tout va très vite. En Russie, les commandes de clips vidéos sur téléphone mobile sont en effet déjà quotidiennes, alors qu'on ne fait qu'en parler en France.
Par ailleurs, je souhaiterais insister vivement sur la nécessité de démythifier la Russie, qui ne se situe qu'à quatre heures de vol de Paris. Voilà en effet trois ans que je participe à ces rencontres pour entendre dire que le marché russe va se renchérir et qu'il conviendrait par conséquent de s'y intéresser. C'est désormais chose faite, et dans toutes ses composantes immobilières, salariales, etc., ce qui constitue incontestablement un signe encourageant pour l'avenir.
Pour finir, je préciserai simplement ceci : si l'on ne communique pas en Russie aujourd'hui, on ne vend pas. C'est là une nouvelle donne à ne pas négliger
Christian LAFONT
Créée en 2000, Atalan est spécialisée dans tout ce qui a trait aux projets internet : référencement, création de sites, etc. De petite taille, elle s'attache à concilier des compétences russes très fortes, dans le domaine de l'informatique et d'indéniables compétences françaises, dans le domaine du marketing, notamment.
Jean-François GUELAIN
La Russie possède effectivement une main d'oeuvre très compétente, dans le domaine de l'internet notamment. A cet égard, vous arrive-t-il de sous-traiter à des programmeurs russes la réalisation de certains sites internet d'entreprises françaises ?
Christian LAFONT
Ce n'était pas l'objectif au départ mais il arrive que des solutions développées par des Russes, soient gérées par une équipe franco-russe, pour le compte de clients étrangers.
Encore une fois, nous bénéficions en Russie d'une grande richesse en matière de compétences et de créativité, ce qui nous a permis de mettre en oeuvre des solutions informatiques très originales. La Russie est un pays particulièrement innovant dans ces domaines de pointe.
Paul-Boris LOBADOWSKY
Souvent, on me demande s'il ne serait pas moins coûteux de faire travailler des équipes russes sur des projets français, afin de contourner les charges sociales afférentes au versement d'un salaire à des ressortissants français. Si cela était vrai il y a encore une dizaine d'années, ne comptez plus faire des économies en ayant recours à de la main d'oeuvre locale. Les niveaux de salaires moscovites rejoignent en effet celui des salaires français. Certes, les écarts de charges sociales perdurent mais il ne faudrait pas continuer à penser que les coûts de la main d'oeuvre sont, en Russie, aussi avantageux qu'il y a quelques années
Thierry DAVID
En France, le secteur de l'audiovisuel s'est écroulé et s'est délocalisé en Roumaine, en Hongrie et en Tchéquie. Il a fini par revenir pour partie en France et pour partie en Russie ; les acteurs russes font en effet montre d'un grand professionnalisme et d'une productivité particulièrement élevée ; c'est ainsi qu'il faut compter trois jours en Russie pour monter un film, contre deux semaines environ en France.
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
En Russie, tout se fait à la dernière minute, ce qui nous pousse à faire preuve d'inventivité et de créativité, pour surmonter des complications qui sont souvent nombreuses. La Russie est un pays qui s'organise dans la désorganisation...
Jean-François GUELAIN
La Russie serait ainsi un exemple de chaos créatif.
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
C'est un pays compliqué, mais au sein duquel on peut aller beaucoup plus loin qu'en France.
Jean-François GUELAIN
M. David disait tout à l'heure que l'on ne peut plus vendre en Russie sans communiquer. Or, la publicité commerciale est née il y a à peine plus de dix ans dans ce pays. A cet égard, quelles sont les règles spécifiques au marché russe concernant la communication à l'égard des consommateurs ?
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
Pour notre part, nous travaillons surtout pour des entreprises du B to B et ne nous adressons quasiment jamais directement aux consommateurs russes.
Dans ce cadre, nous nous efforçons de proposer des solutions de plus en plus créatives aux grands groupes qui nous contactent. C'est ainsi que nous avons organisé une immense exposition, au Petit Manège, à laquelle ont été conviés de nombreux artistes, afin de commémorer les 85 ans de l'électrification de la Russie. Cette confrontation entre l'univers culturel et l'univers économique, pour inédite qu'elle soit, a remarquablement bien fonctionné et nous avons été à nouveau sollicités par RAOS.
Grâce au soutien d'Ubifrance, des artisans français sont venus dans mon agence à Moscou et nous avons rédigé leur catalogue en russe ; et ce sont aujourd'hui des artisans russes, qui exposent au Carrousel du Louvre.
Paul-Boris LOBADOWSKY
Il y a cinq ou six ans, les spots publicitaires russes étaient peu sophistiqués. Centrés quasi-exclusivement sur la cellule familiale, ils pouvaient même paraître quelque peu désuets. Les choses ont bien changé depuis, dans la mesure où les produits en vente en Russie sont de plus en plus internationaux, et promus en cela via des campagnes publicitaires d'envergure internationale, davantage axées sur l'humour, notamment.
Pour autant, le goût russe présente un certain nombre de spécificités dont il convient de tenir compte. Les consommateurs russes ont notamment un goût prononcé pour les décorations orientales et les couleurs rouges et dorées. En d'autres termes, notre style occidental quelque peu minimaliste n'est pas très apprécié en Russie.
Jean-François GUELAIN
Quels supports publicitaires privilégiez-vous pour faire passer un message, auprès du consommateur russe ?
Thierry DAVID
De toute évidence, il convient d'adapter sa communication aux réalités d'un marché en pleine évolution. A cet égard, si la spécificité russe reste importante, le matraquage télévisuel constitue toujours une arme efficace en matière de consommation de masse. Pour autant, la création et la conception reprennent du poids car il devient plus important que jamais de se différencier, face à une concurrence toujours plus agressive. Il convient de ne pas négliger non plus la presse, qui permet probablement de délivrer des messages plus précis aux consommateurs.
Le choix d'une campagne globale peut ainsi se révéler judicieux ; à noter, au passage, que les Russes sont très réceptifs à l'interactivité et il n'est pas rare qu'une hotline d'information se transforme finalement en canal de vente par correspondance.
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
Nous organisons des mailings pour le compte de nos clients, qui souhaitent s'adresser directement à leurs consommateurs potentiels. La publicité génère en effet un coût important et nécessite de fait un vrai budget média ; c'est pourquoi nombreuses sont les entreprises qui misent sur des campagnes événementielles, comme Dior (avec la venue de Sharon Stone à Moscou).
Christian LAFONT
La Russie va vite, très vite et nous devons intégrer cet élément à notre réflexion. A cet égard, l'e-commerce et la publicité sur internet progressent énormément (cette dernière devant probablement doubler entre 2005 et 2006).
Emmanuel de PONCINS, de la salle
La radio Europa Plus compte 27 millions d'auditeurs hebdomadaires. Nous investissons 300 000 dollars par an dans des études GALLUP et nous possédons par conséquent des données fiables sur les 25 plus grosses villes de Russie. Nous employons 27 personnes qui travaillent sur l'achat d'espaces publicitaires en radio dans les régions.
Pour l'heure, 20 % seulement de la population russe a accès à internet, ce qui n'est pas suffisant, même si ce chiffre est en progression.
Par ailleurs, la récente loi sur la publicité, qui limite à 25 % du temps d'antenne la publicité à la télévision, devrait avoir comme effet mécanique d'augmenter les prix, dans la mesure où certaines chaînes dépassaient jusqu'à présent ce quota. Pour l'heure, la radio, qui ne détient que 5 % du marché publicitaire en Russie, se tient donc prête à vous accueillir, dans un contexte d'augmentation sensible des prix de la publicité à la télévision.
Paul-Boris LOBADOWSKY
C'est vrai que la publicité à la télévision était jusqu'à présent restée peu chère en Russie, mais cela devrait prochainement changer.
Philippe COMTE, de la salle
Quand vous êtes arrivés en Russie, connaissiez-vous le russe ? Si oui, où l'aviez-vous appris ? Et sinon, où l'avez-vous étudié depuis ? J'attends par ailleurs vos conseils sur la manière dont nous pourrions améliorer la formation en langue de ceux qui seront amenés à aller travailler sur place ensuite.
Jean-François GUELAIN
Une grosse partie de la communauté française installée en Russie parle russe aujourd'hui, ce dont il convient de se réjouir. Dans le même temps, je n'ai pas l'impression que le nombre d'établissements enseignant le russe en France soit en hausse.
Christian LAFONT
Autour de cette table, nous parlons tous russe et c'est très important pour comprendre le pays. J'en avais fait pour ma part en troisième langue au lycée.
Thierry DAVID
Je suis arrivé il y a dix-sept ans en Russie et j'ai appris la langue assez naturellement. A l'époque, en effet, il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire...
Paul-Boris LOBADOWSKY
Pour ma part, j'ai appris sur le tas ; au début, mes interlocuteurs étaient essentiellement des expatriés, mais cela a changé après la crise de 1998.
Muriel ROUSSEAU-OVTCHINNIKOV
J'ai également appris le russe sur le tas car je me suis installée dans ce pays par amour. Je le parle à présent couramment dans la mesure où je le pratique au quotidien, avec les membres de mon équipe. Je dois avouer en revanche que je ne l'écris pas.
De la salle
Les Russes semblent très intéressés par internet. Mais sont-ils correctement équipés pour se connecter dans de bonnes conditions ?
Jean-François GUELAIN
La Russie se situe au second rang mondial, en matière de blogs, ce qui témoigne d'un intérêt très vif pour ce média, même si tous les Russes ne possèdent bien évidemment pas une connexion haut débit.
Christian LAFONT
Les Russes maîtrisent et aiment la technologie. Et le nombre de foyers équipés en ordinateurs ne cessent d'augmenter, suite à une baisse des prix dans ce secteur. L'ADSL est également en progression et représente aujourd'hui 25 % du marché. De manière générale, la Russie excelle dans le domaine de l'informatique. D'ailleurs, beaucoup d'activités de R&D sont dorénavant implantées dans ce pays.
Vendre et distribuer à Moscou et dans les régions de Russie
Table ronde A
(les deux tables rondes étaient simultanées)
Présidée par :
Bernard PAITREAULT, Conseiller économique et commercial, Ambassade de France en Russie
et par :
Gilles CHENESSEAU, Vice-président du Club France / Chambre de commerce et d'industrie française en Russie
Bernard PAITREAULT
Nous voulons faire en sorte que cette table ronde soit interactive. Je suis pour ma part, depuis plus d'un mois, le Conseiller économique et commercial de la Mission économique à Moscou. Je vais animer cette réunion au côté de M. Gilles CHENESSEAU, qui est à la fois Directeur général de CGTT Voyages et Vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie française en Russie, connue anciennement sous le nom de Club France. Nous sommes entourés de quatre chefs d'entreprise :
- M. François COUSIN, Directeur Général de Cousin Biotech ;
- M. Cédric ETLICHER, Directeur Général de FredericM CEI ;
- M. Rafik MAHIOUT, Directeur Général de Dognin ;
- M. Daniel YEREMIAN, Directeur Général de Karine Arabian.
Chacun témoignera de son expérience afin d'engager avec vous un dialogue aussi constructif que possible.
Gilles CHENESSEAU
Présent à Moscou depuis 22 ans, je représente CGTT Voyages qui est une entreprise de voyages à destination des entreprises. Par ailleurs, je suis vice-président du Club France qui s'est transformé en Chambre de Commerce. J'invite d'ailleurs les personnes présentes à se mettre en contact avec nous pour étudier des possibilités de développement de la présence française en Russie.
Les entrepreneurs présents à cette table ronde vont vous faire partager leurs expériences. Je leur demanderai de se présenter rapidement, de présenter brièvement leur entreprise puis d'aborder les thèmes suivants :
- premiers contacts avec la Russie ;
- contraintes rencontrées (problèmes de certification et de douane) ;
- moyens logistiques et moyens de paiement ;
- stratégie de communication.
Daniel YEREMIAN, Directeur général de Karine Arabian
Je dirige la maison de mode Karine Arabian, fondée par Mme Arabian en l'an 2000 après sa collaboration avec Chanel et Swarovski. Cette maison est spécialisée dans les accessoires de luxe pour femmes. L'année 2003 a représenté un tournant déclencheur de nos premières ventes en Russie, puisque c'est l'année où notre maison de mode a participé à de grands salons à Paris ( Première classe ) et à Milan ( Salon International de la chaussure ). Nous y avons rencontré nos premiers clients russes, puis effectué nos premières interviews avec des journalistes russes, ce qui nous a valu d'être invités à des défilés en Russie. C'est ainsi que nous avons conquis des clients en Russie, en Ukraine, au Kazakhstan et en Biélorussie.
Au fil des années se sont constitués en Russie de grands groupes de distribution spécialisés dans le luxe (par exemple le groupe Mercury et le groupe Bosco di Chilegi) ainsi que des groupes indépendants ayant connu des succès exponentiels en termes de multiplication des points de vente. Dans la pratique, la prise de commande a lieu 6 mois à l'avance, au moment de la présentation des collections. Nous envoyons une confirmation de commande à nos clients, nous demandons le versement d'un acompte de 30 % puis nous lançons nos productions et nous effectuons un transfert bancaire juste avant les expéditions.
Pour communiquer sur la marque, il est très important de participer à un grand nombre de manifestations. La maison Karine Arabian a par exemple participé à la manifestation « Fashion French Touch » qui a permis de valoriser la mode française, dans un contexte où la Russie a connu et continue de connaître une déferlante de la mode italienne.
Derrière l'avancée spectaculaire des grandes entreprises du luxe (Dior, Hermès) se dissimule le fait que très peu de PME sont éligibles sur le marché russophone. J'ai à déplorer moi aussi le fait que nos pouvoirs publics semblent mieux aimer leurs grandes entreprises que leurs PME.
Les structures et l'organisation humaine des grands groupes ressemblent totalement à la nôtre, en revanche il faut faire preuve d'une grande faculté d'adaptation dès lors que l'on s'adresse à des commerçants indépendants. Je rappelle que 80 % des recettes de ces commerçants se font en espèces, et que l'un des sports nationaux consiste à pratique l'évasion fiscale. Cette pratique nous contraint à abandonner nos schémas rigides. Les Italiens et les Espagnols se montrent d'ailleurs beaucoup plus forts d'adaptation dans ce domaine.
Une cliente a par exemple voulu me verser, il y a 4 ans, un acompte de 15 000 euros en espèces. J'ai commencé par refuser, en lui expliquant que je ne pouvais rien faire de cet argent. Un collègue italien m'a toutefois indiqué une astuce bancaire permettant d'accepter l'argent en espèces, puis de le faire transiter par une banque italienne avant qu'il ne parvienne à destination en France. Il est nécessaire d'accepter ce genre de pratiques - ou dirais-je plutôt, d'adaptations culturelles - pour ne pas perdre de clients.
Je regrette que nous ne soyons pas davantage appuyés par les régions et par les pouvoirs publics lorsque nous demandons un appui logistique (par exemple en matière de traduction et de pénétration des réseaux de distribution). En définitive, je dirais que le marché russophone est très intéressant car il existe une forte attente vis-à-vis des entrepreneurs français en produits de luxe, cosmétique, gastronomie, etc., mais ce marché oblige les entreprises françaises à faire des compromis avec leur propre système.
Rafik MAHIOUT, Directeur général de Dognin
Mon entreprise se trouve dans le même cas de figure. Dognin existe depuis six ans, dispose d'un atelier de fabrication spécialisé en maroquinerie de luxe et développe également une ligne de prêt-à-porter haut de gamme. La Russie représente notre troisième marché derrière le Japon et les États-unis.
Les marchés sont interdépendants. Certaines de nos manifestations aux États-unis, ayant fait l'objet d'une communication importante, nous ont ainsi ouvert les portes de la Russie. A l'heure actuelle, nous travaillons sur un projet d'ouverture d'un espace permanent dédié à notre marque à Moscou. Réaliser des « coups » ne constitue pas, en effet, une bonne méthode commerciale en Russie.
J'ai commencé à travailler sur la Russie davantage pour des raisons personnelles que pour des raisons économiques, puisque je suis passionné de culture slave. Les réactions du marché russophone sont induites par les paramètres historiques et culturels dont la Russie est extraordinairement riche. La sociologie doit être prise en compte pour réaliser du business . Nous vendons non seulement un produit, mais surtout une image et du rêve.
Les entrepreneurs français ont besoin d'être aidés d'un point de vue structurel, mais il ne fait nul doute qu'il existe beaucoup d'opportunités pour eux en Russie. J'ai réalisé il y a trois ans une mission de prospection, puis j'ai commencé à me rendre en Russie tous les trois mois et je m'y rends désormais 3 à 4 fois par an. J'en suis arrivé au constat que j'avais besoin de trouver un endroit me permettant une présence permanente.
Les activités économiques se déroulent en Russie d'une façon différente des autres régions du monde, ceci en raison du caractère intrinsèque du Russe. Dit sans aucune connotation péjorative, le Russe a un caractère assez fantasque et assez dur. Il m'est arrivé moi aussi qu'un client veuille me remettre une valise contenant 60 000 euros en espèces, ce qui n'est pas dans notre façon de faire.
Cédric ETLICHER, Directeur général de FredericM CEI
FredericM CEI est une société grassoise existant depuis 23 ans, qui produit et distribue ses cosmétiques sur un mode de vente directe au détail. La société a racheté ses importateurs en Russie, et a développé une entité qui existait déjà mais à un niveau très modeste. FredericM est partie travailler en région afin de bénéficier de développements plus importants qu'à Moscou et de bénéficier surtout de tickets d'entrée beaucoup plus faibles. Après deux ans d'activités en région, FredericM a ouvert une vraie vitrine à Moscou - sachant que le montant du loyer d'un show-room de classe moyenne à Moscou est équivalent au loyer d'un bien immobilier sur les Champs-Élysées.
Nous ouvrons nos propres bureaux en essaimant sur le territoire de Russie au fur et à mesure des opportunités. L'ouverture d'un bureau dans l'oblast de Moscou sera ainsi suivie de l'ouverture d'un bureau dans l'oblast de Nijnevarstok, laquelle est une ville de 300 000 habitants située en Sibérie occidentale. Cette ville est isolée - à tel point qu'elle est alimentée chaque semaine par deux avions - mais le pouvoir d'achat par habitant y est identique à celui de Moscou. Nijnevarstok est représentative des « villes à puits de pétrole » ou « villes à puits de gaz » qui sont des niches où FredericM CEI espère développer sa marque avant d'autres.
Bénéficiant du pouvoir d'achat très important en Russie sur les produits de masse tels que les cosmétiques, FredericM CEI réussira en 2007 à devenir la première filiale du groupe. Sur des marchés européens en stagnation, le développement en Russie a amené un deuxième souffle à cette société familiale modeste (30 millions d'euros de CA) qui compte sur les marchés d'avenir pour se relancer.
Tout n'est pas facile en raison des problèmes de certification et des arrêts d'importation. Depuis le mois de juillet, FredericM CEI n'a plus le droit d'importer de parfumerie, aussi avons-nous axé l'activité en Russie sur la cosmétique non alcoolique. S'agissant de communication, nous ne passons pas par la publicité mais par nos vendeurs, entre qui des concours sont organisés. Les meilleurs vendeurs sont invités à la ville de Grasse. Le créateur FredericM est un homme, âgé de 43 ans, qui confectionne tous ses produits de A à Z depuis 23 ans. Le livre qui lui a été consacré (intitulé « Le parfumeur ») est d'ailleurs davantage connu en Russie qu'en France. Aujourd'hui, notre société grassoise travaille au rythme russe.
Nous invitons tous les entrepreneurs à ne pas avoir peur des décalages horaires, des villes perdues et sans eau chaude où la température peut descendre à - 50°C... Il existe un tel potentiel en Russie que n'importe quelle société française peut y créer son marché depuis l'origine, peu importe la porte d'entrée qu'elle choisira.
François COUSIN, Directeur général de Cousin Biotech
La société Cousin Biotech fait partie d'un groupement de sociétés familiales, englobe elle-même trois filiales et sa culture est celle de l'innovation. Créée en 1848, il s'agissait au départ d'une société de textile tout ce qu'il y a de plus traditionnel.
Nous sommes installés précisément à la frontière belge. Cousin Trested est dédiée à la fabrication de tresses et de cordages pour les activités sportives et la Marine ; Cousin Composite, qui fabrique des renforts de câbles optiques, est modestement présente en Russie où elle devrait parvenir à atteindre en 2006 à un CA d'environ 550 000 euros.
Cousin Biotech est pour sa part une société spécialisée en implants chirurgicaux. L'activité chirurgicale est récente car elle n'a débuté qu'en 1986. La société compte 89 salariés, et le CA - en constante augmentation - était de 8,5 millions d'euros à la fin 2005. Cousin Biotech fabrique des tendons, des ligaments, des plaques de hernie et d'éventration, des produits gynécologiques et urologiques, des patchs neurologiques et rachidiens, des prothèses de hanche, des produits de chirurgie vasculaire, des produits en chirurgie de l'obésité (anneaux gastriques), etc.
Nous souhaitons développer notre chiffre d'affaires à l'export. Par sa population de 142 millions d'habitants, sa pyramide des âges et son niveau de vie en évolution rapide dans les villes, la Russie nous a intéressés dès 2003. Une autre raison moins commerciale mais tout aussi motivante réside dans le fait que j'aime personnellement beaucoup la Russie.
Nous avons pris contact en 2003 avec une relation d'affaire installée à Moscou. Le salon France Tech Russie dans lequel nous avons exposé (avec l'aide d'Ubifrance) nous a ouvert des perspectives. La même année, nous avons pris contact avec l'Institut Vichnievski qui est un hôpital de référence en Russie. Devant l'intérêt exprimé par les chirurgiens, nous avons entamé en 2004 des démarches afin de faire enregistrer nos produits auprès du Ministère de la Santé sous le marquage GOST. Les démarches ont été très laborieuses. Sans l'appui des chirurgiens intéressés, l'aide d'un ami sur place, l'encouragement de l'Institut Vichnievski et le déboursement d'une certaine somme d'argent, les formalités auraient pu durer très longtemps ; or en ce qui nous concerne, elles n'ont duré qu'un an. Au-delà du cheminement administratif, il faut reconnaître que le délai est long notamment parce que les Russes sont vigilants à n'admettre sur le marché de la santé que des produits offrant de bonnes garanties, d'où des examens minutieux. Notre certification a été obtenue en 2005. Elle nous a coûté de 50 000 à 60 000 euros alors que le tarif officiel s'élève à 6 000 ou 7 000 euros.
Une mission de clarification a été effectuée en novembre 2005. Nous avons rencontré la Mission économique et visité quatre hôpitaux autour de Moscou. Nous avons cependant beaucoup de mal à trouver des distributeurs structurés et prêts à investir, alors que les chirurgiens sont demandeurs de nos produits. Notre tentative de développement en Russie est donc pour l'instant un échec.
Devant cet état de fait, nous avons repris nos recherches en effectuant une mission de prospection en janvier 2006 à l'occasion de laquelle nous avons rencontré une dizaine de distributeurs potentiels, dont l'un semblait convenir. Depuis, ce distributeur a décroché un très gros contrat avec l'Etat et n'est donc plus intéressé par nos produits. Nous avons retrouvé un distributeur potentiel en septembre 2006 et une visite est prévue en décembre 2006. En définitive, après deux à trois ans de travail, Cousin Biotech n'a pas encore réussi à percer sur le marché - mais nous ne désespérons pas.
Je souligne au passage le grand professionnalisme et la qualité de l'accueil de la Mission économique de Moscou, et je recommande aux entreprises ayant la volonté de pénétrer le marché russe de passer par un tel organisme.
Bernard PAITREAULT
Vous observerez, comme moi, que les chefs d'entreprises participant à cet atelier dirigent des PME et non de grandes entreprises.
J'invite les personnes de l'assemblée à prendre la parole, pour poser des questions aux chefs d'entreprises qui sont à la tribune ou bien faire part d'autres expériences.
Questions-réponses
Pierre-Olivier BRIAL, Directeur du développement de MANUTAN International
A votre avis, la vente à distance de produits (via des catalogues ou des sites Internet) est-elle un modèle qui peut se développer en Russie ?
Daniel YEREMIAN
Un de nos clients a noué un partenariat avec une filiale de La Redoute, et cette opération marche extrêmement bien. Compte tenu des distances, la vente à distance est un modèle qui s'impose parfois.
Cédric ETLICHER
Il existe deux types de vente à distance. Pour celui qui est du type La Redoute, les délais sont de 20 à 30 jours. S'agissant de la VPC à destination des entreprises, les livraisons ont lieu dans des grandes villes où la livraison intervient sous 48 heures après paiement. Ce système existe mais uniquement grâce aux grands stockages dans la ville et grâce à une livraison par logistique interne. En Russie, il n'existe pas de Poste ou de société privée offrant un service d'acheminement postal comparable à celui que nous connaissons en France.
Gilles CHENESSEAU
Je sais qu'une société s'est implantée il y a quelques années à Moscou et a noué un partenariat avec la Poste russe, ce qui lui a permis d'atteindre de très petits villages où les personnes sont ravies de recevoir le catalogue. Car si la Poste russe fonctionne mal à l'international, elle fonctionne en revanche assez bien sur le territoire national.
Une intervenante, Professeur à la Sorbonne dans le Master de Commerce International
Je suis agréablement surprise par tout ce que j'ai entendu aujourd'hui, et je suis séduite par l'aspect spontané de vos interventions ainsi que par votre présentation de la Russie. Il existe dans ce pays des opportunités totalement nouvelles qui s'ouvrent à toutes sortes d'intervenants économiques.
En réaction à l'anecdote sur les acomptes versés en espèces, je tiens à relativiser les choses car des pratiques de ce type sont tout à fait courantes dans bien d'autres pays.
Daniel YEREMIAN
Parmi les pays européens, c'est en Espagne que circulent le plus de billets de 500 euros. J'achète des cuirs en Espagne et en Italie pour le compte de Karine Arabian, et mes interlocuteurs m'ont déjà fait savoir qu'au-delà d'un seuil de 100 000 euros, ils exigeaient de recevoir des espèces - sous peine d'arbitrer en faveur d'autres clients italiens. Dans les métiers de la mode et des accessoires, j'ai pour compétiteurs directs les Italiens et les Espagnols - et beaucoup moins les Français, j'en veux pour prouve la décapitation de deux régions françaises qui s'occupaient de la chaussure et du textile de qualité.
J'encourage les jeunes aujourd'hui à lancer leur carrière à l'international, où il existe de fabuleuses opportunités qui ne leur seront jamais données aussi vite en France. Nos jeunes doivent avoir un solide bagage et l'envie de prendre des risques, puisqu'il faut aller au-delà de Moscou. En ce moment, je cherche moi-même à comprendre comment je peux mieux pénétrer l'espace russe dans son immensité. Il nous incombe d'aller à la rencontre de nos clients. Les clients russes sont par ailleurs fabuleux ; essayez de convaincre un client américain d'effectuer un prépaiement !
Rafik MAHIOUT
Un des fondamentaux du commerce international enseigne que, dans ce domaine, l'aspect business cohabite avec la culture de l'Autre. Par exemple, notre jugement du « beau » est paramétré par notre éducation.
Avant de me rendre en Russie, j'avais en tête des images fortes basées sur mes lectures adolescentes de Tolstoï et Pouchkine ainsi que sur mon horreur du communisme. Lorsque je me suis rendu en Russie, j'ai été accompagné par une jeune interprète, antipathique à souhait - et ne ressemblant en rien à ma vision idéalisée de la femme russe. J'avais peur qu'elle ne traduise pas exactement ce que je disais. Au bout du troisième rendez-vous, je lui ai demandé pourquoi elle se comportait de la sorte ; elle m'a répondu qu'elle me détestait ! Interloqué, je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a répondu qu'elle détestait ce que je représentais, car je me rendais dans des show-rooms où elle-même n'avait pas accès. Ses parents, pourtant diplômés de deux doctorats en physique et en mathématiques, vivaient difficilement. Elle m'a reproché de vendre des produits qu'elle ne pourrait pas s'offrir même en économisant l'équivalent de trois mois de salaire. Très gêné, j'ai dû lui expliquer que les produits étaient le fruit d'un long travail, et que nous ne nous situions pas dans le cadre de la lutte des classes. Elle a répondu « Les personnes qui vous ouvrent leurs portes, ne me les ouvriraient pas à moi. Et c'est pour cela que je vous déteste ». Cette anecdote illustre l'importance de l'arrière-fond culturel et économique en Russie.
Nous nous trouvons soit face à des personnes assez fantasques (et parfois d'une arrogance folle), soit face à des personnes totalement complexées qui n'arrivent pas à se situer. De mon expérience, je retire la conclusion que pour rentrer facilement sur le marché russophone, il faut s'y rendre avec beaucoup d'humilité. Nous autres Français, nous avons tendance à être un peu supérieurs, surtout dans les métiers de la mode. Or jamais un Russe ne vous passera une commande sans que sa prise de décision relève en partie du sentimental.
Il faut agir avec instinct. Un Russe peut casser un contrat qui aurait pu lui rapporté beaucoup, simplement parce qu'il s'est senti vexé. La démarche personnelle qui consiste à aller vers l'Autre est primordiale.
Richard LAMBLARD, Directeur commercial du groupe Bernard Juillet
J'aimerais crever un abcès. Les journaux parlent beaucoup de la mafia russe, qui s'intéressait aux entrepreneurs dès qu'ils commencent à gagner de l'argent. Est-ce vrai ?
Gilles CHENESSEAU
La mafia est une réalité, mais déjà un peu dépassée. Dans les années 90, tous ces « petits gars » voulaient s'enrichir rapidement et venaient menacer les commerçants. Depuis que cette mafia s'est embourgeoisée et qu'elle a pénétré des pans entiers de l'économie, elle-même a besoin de stabilité et de règles.
En 22 ans, dans mon domaine qui est le tourisme, je n'ai jamais eu affaire à aucun mafieux. La sécurité des personnes est tout à fait assurée en Russie. Les crimes de sang y sont peut-être statistiquement plus élevés ainsi que les bagarres d'ivrognes et les règlements de compte internes, mais ils ne concernent généralement pas les étrangers qui peuvent déambuler tranquillement.
Je n'ai pas souvenir de problèmes rencontrés par nos touristes français effectuant un séjour en Russie, alors que lorsqu'un groupe de touristes russes effectue un séjour en France, nous savons que trois personnes au moins se feront voler leur sac.
Rafik MAHIOUT
Les Russes se vivent comme citoyens d'un pays extrêmement puissant, et ils souhaitent donc renvoyer une image conforme à ce statut. Il peut toutefois arriver de ressentir un sentiment d'insécurité dans certains quartiers de Moscou. Mon entreprise pour sa part n'a pas eu affaire à la mafia.
Edward PANCER, Chargé d'affaires Senior PECO, Russie, Ukraine pour Limousin Expansion
Nous avons presque signé et bouclé un grand contrat d'exportation en Russie, mais la situation ne progresse pas depuis six mois car le contrat stagne quelque part dans l'administration. J'ai naïvement demandé si la corruption était une réalité, et on m'a répondu qu'il n'y avait pas d'enveloppe. Avez-vous rencontré ce cas de figure ?
Bernard PAITREAULT
La corruption et le problème mafieux sont deux éléments distincts. Le problème mafieux est quasiment résolu, en revanche le problème de la corruption demeure entier à tous les niveaux administratifs. Le montant des pots-de-vin touchés par l'administration dépasserait même le budget national russe.
Il faut régulièrement payer des pots-de-vin pour débloquer des situations administratives. Peut-être des spécialistes de la certification présents dans la salle pourraient nous indiquer si la corruption sévit dans ce secteur.
Guillaume LE BERRE, Responsable de zone Export Piscines Desjoyaux
Nous sommes passés par un intermédiaire français qui s'appelle « Pignon sur Rue ». Les délais et tarifs de départ ont été tout à fait respectés.
Orlin EFREMOV, Directeur export de Manutan
Je me trouvais dans un secteur supposé sensible lorsque je travaillais dans le domaine des vins en Russie. En cinq ans de pratique, nous n'avons pourtant jamais eu affaire à la mafia.
J'ai beaucoup apprécié le portrait dressé par M. Rafik MAHIOUT de certains personnages russes hauts en couleur. Dans l'héritage communiste de la Russie, le mensonge est roi ; on crée ainsi des mythes permettant de justifier une facturation à la hausse.
A mon avis, c'est parce qu'il est passé par un intermédiaire russe que M. François COUSIN a payé 10 fois plus cher un service normalement assuré par l'administration. En prenant le taureau par les cornes et en traitant directement avec l'administration, peut-être le tarif de certification serait-il resté normal.
Georges PURAVET, Conseiller de Plasse (agroalimentaire)
Nous exportons, dans différents pays, principalement des produits de charcuterie et des fromages. S'agissant des rosettes ou des jésus de Lyon, devrons-payer dix fois plus cher la certification ? Comment sait-on concrètement que l'on a intérêt à proposer un pot-de-vin, et de quelle façon propose-t-on un pot-de-vin ?
Isabelle HELLER, Directeur général de MAM Consulting ( market assets management )
S'agissant de la société Cousin Biotech, la certification concerne des dispositifs médicaux. Elle est traitée par le Ministère de la Santé donc le cadre n'est pas celui d'une relation privée avec un organisme de certification. En revanche, la certification des produits traditionnels (marchandises et produits commercialisés) est aujourd'hui traitée par des organismes privés, voire publics, mais qui ne sont pas l'État (contrairement au ministère de la Santé). Étant donné qu'il existe 1 100 organismes de certification accrédités par l'Agence fédérale, on trouve de tout en matière de tarifs, délais, qualité du travail, existence ou non d'un pot-de-vin. Parfois le montant du pot-de-vin est très faible mais l'organisme se contente de fournir un certificat sans réaliser aucun essai ou aucune inspection (d'où le fait que ce genre d'organisme ne fournit pas de rapport d'essais). Il n'existe donc pas de règles générales, en revanche certaines organismes internationaux (Bureau Veritas, SGS) ont des tarifs connus à l'avance et effectuent des prestations conformes aux procédures normales de certification.
On observe sur le marché russe des produits non-conformes, voire dangereux. L'Agence fédérale déclare paradoxalement que son objectif n'est pas de lutter contre les fabricants non sérieux mais de lutter contre les organismes certificateurs qui ont fourni un certificat sans en avoir le droit. Les procédures de certification sont en théorie lourdes, nombreuses et précises mais la pratique est moins rigoureuse, voire en opposition avec la théorie.
Pascale LE CARPENTIER DE LEUSSE, Directeur Général de Protecop (Fabrication des équipements des forces de maintien de l'ordre)
Nous exportons dans une soixantaine de pays, et je me rends depuis trois ans en Russie où j'ai tenté de faire certifier nos produits auprès du Ministère de l'Intérieur russe, sans succès. Cela ne m'empêche pas de vendre aujourd'hui des produits à la police et à l'armée russe, qui s'occupent actuellement de faire certifier mes produits. Ce sont au final mes acheteurs qui vont imposer mes produits, d'où ma conclusion qu'il y existe beaucoup de façons détournées de parvenir à la certification.
Bernard PAITREAULT
C'est parfois l'importateur ou le distributeur qui se charge d'effectuer les démarches de certification pour le compte de l'entreprise. Il n'existe pas une recette unique pour parvenir à la certification aussi il faut faire preuve de pragmatisme.
Jean-Louis TRUEL, Directeur général d'IBD (Juridique et fiscal, audit, conseil aux entreprises)
Même si le paiement en liquide subsiste dans certains secteurs, cette pratique est plutôt derrière nous désormais. Une amélioration est palpable depuis 5 à 6 ans.
La confiance et le niveau de relation sont extrêmement importants en Russie dans le commerce. Vous devez faire en sorte de travailler avec des gens avec lesquels vous vous sentez à l'aise, car il est difficile de remonter la pente lorsqu'un désaccord surgit - même s'il est tout à fait extérieur au business . Prenez le temps de comprendre votre interlocuteur et de vous faire au mode de vie. Les sorties et les toasts font partie du mode de fonctionnement. Un interlocuteur qui aurait intérêt à signer un contrat peut s'y refuser simplement parce qu'il ne vous apprécie pas.
J'ai vu des personnes essayer d'aller effectuer la certification elles-mêmes sans passer par des organismes, or ces tentatives se sont soldées par un fiasco . J'identifie pour ma part deux solutions :
- Il est possible de travailler avec un importateur disposant de son propre système pour vous faire certifier, l'inconvénient étant que vous serez pieds et poings liés à cet importateur.
- Il est possible de passer par un organisme, l'inconvénient étant que cela a un coût.
Gilles CHENESSEAU
Je conseille de passer par des organismes et de consulter des juristes. Le marché est si particulier que ne pas consulter en pensant faire des économies est une erreur.
Stephan MONTALBANO (Montalbano Conseil), représentant de Bretagne International et Alsace International
A l'aide de bureaux sur place, nous appuyons beaucoup de PME-PMI en Russie. S'agissant de produits de charcuterie, c'est généralement l'importateur qui s'occupe des démarches de certification de produits. Nos sociétés bretonnes exportant en Russie n'ont par exemple jamais eu à s'en préoccuper. Elles devaient juste envoyer les certificats vétérinaires français.
Il existe plusieurs types de certifications.
- Certification ponctuelle : seule la commande est certifiée.
- Certification annuelle : elle convient à un volume d'affaires moyen.
- Certification triennale : elle convient à un volume d'affaires plus important, et implique généralement la venue des autorités russes pour inspecter votre usine.
Il faut savoir que s'agissant de virement bancaire, les sociétés russes vous payeront dans 90 % des cas via des off-shores à l'étranger.
Vassili LIKHATCHEV, K-3 (Sécurité de l'entreprise)
Dans la rue, la personne physique de l'entrepreneur est en sécurité, que celui-ci soit étranger ou russe. S'agissant de la sécurité de l'entreprise à proprement parler, le temps où de méchants garçons en blouson noir venaient frapper aux portes est révolu depuis les années 1995. Le temps est également révolu -depuis les années 2000- où les acteurs informels « rouges » (c'est-à-dire les administrations telles que la police ou les associations des anciens des Services spéciaux) remplaçaient les acteurs informels « noirs ». L'époque actuelle est presque celle des relations de marché civilisées en Russie.
L'entreprise ne doit donc pas s'attendre à voir arriver des acteurs informels dès qu'elle commence à gagner de l'argent. En revanche, si l'entreprise nouvellement créée enfreint la loi locale, elle risque d'être sollicitée par les représentants des administrations dites « de force » ou répressives telles que la police, les douanes et le service fédéral des impôts. Ces administrations proposeront avec insistance leur « assistance de manière continue » sous forme d'abonnement.
En résumé, depuis les années 1990, l'accent s'est déplacé de l'interaction entre le business et le crime organisé vers l'interaction entre l'entreprise privée et les administrations dites « de force ».
Une négociation commerciale menée habilement entre un fonctionnaire de l'État russe et un entrepreneur peut se dérouler avec des délais corrects et un investissement minimal, pour la satisfaction des deux parties. En revanche, j'émets une réserve à l'égard d'un dialogue du même type entre un entrepreneur et un fonctionnaire d'une administration dite « de force », qui considérera comme une faiblesse le fait que l'entrepreneur s'adresse à lui directement, et ne se sentira aucunement engagé même si de l'argent lui a été remis.
Sans vouloir faire notre propre publicité, nous recommandons aux entrepreneurs de passer par un professionnel local pour engager le dialogue avec le fonctionnaire, qui se sentira alors engagé.
La morale serait donc:
- de ne pas enfreindre la loi ;
- si cela devait arriver, de confier alors le problème à des professionnels.
Cyril LEFEBVRE, Groupe Daher
Au fur et à mesure, les exportateurs ont besoin de relais locaux. Choisir entre le recours à des intermédiaires et l'intervention directe revient à choisir entre « faire » ou « faire faire », qui sont deux notions basiques du commerce international nullement spécifiques à la Russie.
Concentrez-vous sur votre marché et faites appel aux professionnels pour développer votre ancrage.
Rafik MAHIOUT
Dans notre domaine, le marché russe n'est pas assez structuré pour que nous puissions y aller seul, y compris pour le suivi sur place des clients. Par exemple, il est impossible d'avoir un rendez-vous précis avec un Russe, lequel arrivera soit trois heures après, soit trois heures avant, voire jamais - ce qui est déstabilisant. Pour pallier cet état de fait, la meilleure solution est de disposer d'un partenaire russe et d'une présence constante sur le marché russe.
Christophe SAUSSEREAU, Support Technique Manager pour Rodhia Recherches et Technologies
Comme le disait M. MAHIOUT, une présence permanente est nécessaire pour pénétrer le marché russe. Il est impossible de suivre la démarche de certification depuis Paris car il faut être en contact, aussi bien pour les négociations que pour les loisirs. En plus de discuter business , il faut aussi aimer la pêche et la chasse pour emporter l'adhésion de l'interlocuteur, le tout bien sûr autour d'une bouteille de vodka. Il existe un protocole russe, tout comme il existe un protocole japonais ou chinois.
Je souhaite signaler une autre difficulté. Il est très difficile de trouver un distributeur local qui fasse du B2B ( business-to-business ) et non du B2C ( business-to-consumer ). Existe-t-il de tels réseaux ?
Mathieu MEYER, Chef de zone Export pour la société Kuhn (fabrication de machines agricoles)
Mon entreprise, installée depuis quinze ans en Russie, dispose d'une quinzaine de distributeurs qui couvrent à peu près toute la Russie. Je vous conseille surtout d'éviter de donner l'exclusivité à un seul distributeur.
Un intervenant de Vladivostok
Je confirme qu'il ne faut pas donner d'exclusivité à un seul distributeur. Il a beaucoup été question aujourd'hui de Moscou et un peu de Saint-Pétersbourg or la Russie est plus vaste que cela. Pour faire du business , il est ainsi possible de passer par la douane de Vladivostok.
Bernard PAITREAULT
Vous avez raison de souligner les différents aspects géographiques du marché russophone, dont une partie se trouve en Europe et une autre en Asie.
Nous nous efforçons au sein de la Mission économique de répondre aux besoins des entreprises, donc j'invite ceux qui ont des questions particulières sur le marché russe à prendre contact avec nous.
Un intervenant
La Russie est un marché vaste. Les infrastructures de la distribution étant relativement déficientes, aujourd'hui les grandes entreprises et même les PME développent leurs propres solutions de distribution. Pour intervenir en région, il est indispensable de disposer de points d'entrées et d'appuis politiques. Il s'agit d'une question de sociabilité au-delà d'une question de bakchich .
Marina KHVATOVA, société Alest
Nous accompagnons depuis quinze ans les entreprises qui souhaitent s'implanter sur le marché russe (stratégie, développement, formation des cadres dirigeants).
Il est en effet très difficile en effet de trouver l'information sur les distributeurs B2B, toutefois ce marché est de plus en plus structuré.
Etant donné qu'Alest accompagne des clients tels qu'Auchan et Thalès, nous sommes amenés à travailler dans le B2B. Il n'est pas si difficile de trouver des distributeurs, et rien n'oblige à passer par les administrations dites « de force ». Il vaut mieux entretenir des relations avec les gouverneurs, leurs adjoints et les structures appropriées. Cette solution, qui ne fonctionnait pas il y a cinq ans, est désormais valable.
Christophe GUILLARD, fabriquant de machines de conditionnement à remplir les flacons de parfum
Nous disposons de 80 machines en Russie, où nous avons monté un bureau à Moscou au mois de juillet. Quels conseils donnez-vous quant au recrutement du personnel en Russie ? Pour notre part, nous recherchons avant tout des techniciens SAV ; or les candidats qui se présentent ne parlent pas de langues étrangères et raisonnent en mercenaires, se faisant employer à droite et à gauche. Quant aux jeunes, ils n'ont pas beaucoup d'expérience dans notre domaine.
Gilles CHENESSEAU
Il est difficile de trouver le bon personnel, et surtout d'éviter qu'il se fasse débaucher. Le marché n'est pas en faveur des employeurs. A Moscou, les entreprises recherchent tous le même profil : des jeunes, dynamiques, parlant une ou plusieurs langues étrangères.
S'adresser à des cabinets de recrutements permet de vous apporter une garantie sur la durée, car le cabinet peut s'engager contractuellement à trouver rapidement un remplaçant si le premier vendeur que vous avez embauché part après quelques mois.
Daniel YEREMIAN
Il faut distinguer Moscou de la province, où le marché n'est pas en défaveur des employeurs et où la gamme des salaires est différente. Une vendeuse en « espace rendez-vous », compétente et parlant deux langues dont l'anglais, gagnera 500 à 600 dollars à Moscou mais seulement 120 à 150 dollars en province.
Je ne comprends pas pourquoi vous tenez à recruter des techniciens SAV qui parlent une langue étrangère, alors qu'ils auront affaire uniquement à des Russes dans leur travail.
Christophe GUILLARD
Vous n'avez pas tort, mais ces techniciens doivent par ailleurs recevoir une formation assez longue qui se déroule en France.
Daniel YEREMIAN
Un de nos clients forme ses employés russes aux techniques de vente les plus pointues en faisant venir de France un formateur accompagné d'un interprète.
Christophe GUILLARD
C'est une solution, mais selon moi l'idéal serait que j'arrive à recruter un jeune ingénieur, à lui faire suivre une formation en France, à lui permettre d'intervenir ensuite dans des pays anglophones afin de le faire monter en puissance, avant qu'il reparte pour la Russie. Dans une petite entreprise comme la mienne (moins de 80 personnes), nous devons réussir à séduire le personnel par des perspectives de carrière.
Daniel YEREMIAN
Personnellement, je demanderai à un technicien SAV de disposer simplement d'une maîtrise technique. Il est possible de faire venir un traducteur de France pendant la formation, mais il me semble inutile de faire venir le technicien en France, car c'est une démarche coûteuse au terme de laquelle le technicien risque d'autant plus de partir chez la concurrence. Si vous étiez une entreprise russe, vous ne demanderiez pas à vos techniciens de parler le français.
En province, si vous répondez à des besoins hors-salaire - par exemple en aidant la famille à trouver une machine à laver à prix de gros - cela comptera beaucoup plus que de proposer 120 dollars de salaire en plus.
L'âme russe est proche de l'âme française (esprit frondeur, penchant pour l'alcool, etc.). Au-delà du business , un feeling doit passer entre personnes de même génération. Il faut être conscient que ces personnes ont un parcours différent et une formation en moyenne supérieure à celles de nos jeunes. Le niveau de culture générale de ces personnes est très impressionnant, notamment en littérature française ; c'est l'un des avantages de l'ancien système. Vis-à-vis de la corruption du système administratif, il faut avoir conscience qu'un fonctionnaire ne gagne que 50 à 100 dollars pour élever toute sa famille. Resterions-nous intègres dans la même situation ? Même les médecins demandent parfois 80 à 100 dollars de plus à leur patient, parce qu'ils ne gagnent que 150 dollars par mois - c'est-à-dire guère plus que le salaire d'une vendeuse.
Aller à l'étranger, c'est suivre l'école de la vie. J'adhère aux grands discours quand je suis en France, mais je m'adapte quand je vais en Russie.
Christophe GUILLARD
Une bonne façon de séduire le personnel est tout de même de lui faire passer une période dans l'entreprise, afin de le sortir de l'anonymat.
François COUSIN
Pour conserver son personnel, je crois qu'il faut d'une part le payer correctement et d'autre part se montrer sympathique, car les Russes sont sentimentaux. Tout se passera mieux si les personnes aiment travailler avec vous.
Gilles CHENESSEAU
Les Russes sont très sensibles à l'ambiance de travail, car il existe en Russie plus qu'ailleurs une strate de petits chefs particulièrement odieux créant des conditions de travail pénibles. Réussir à créer une ambiance de travail conviviale dans une société représente une valeur essentielle, qui peut venir compenser un salaire moindre. Il vous sera peut-être reproché d'être paternaliste, mais l'investissement émotionnel constitue un facteur non négligeable pour conserver son personnel.
Un intervenant
Comment déterminer l'implantation optimale d'un show-room ?
Rafik MAHIOUT
Lors d'un premier voyage de prospection en Russie, j'ai passé plusieurs après-midi assis dans un show-room en tant que simple client, observant comment les autres clients se comportaient pour en tirer des conclusions.
Nous avons été actifs en relations publiques les premières années. Nos produits se situent dans la même gamme que ceux des grandes marques françaises, cependant nous ne jouissons pas de leur notoriété. En conséquence, nous nous trouvons dans un univers de niche qui s'adresse à des gens très éduqués et qui ont dépassé le produit mass-market standard. La communication autour de la marque et le mode de distribution sont à ces égards des éléments stratégiques.
Bernard PAITREAULT
J'aimerais que nous abordions le thème du prix des loyers commerciaux en Russie.
Arnaud BENOIT, Inov'Office
A Moscou, il vous en coûtera de 1 000 à 4 000 dollars du mètre carré par an pour un show-room . Ce prix est divisé par deux à Saint-Pétersbourg. Dans les autres régions, le prix du mètre carré pour un show-room est d'environ 750 dollars.
Il faut ajouter que les aménagements sont à la charge du locataire. Je signale que dans certaines villes telles que Rostov ou Krasnodar, les prix ont augmenté de 15 à 25 %.
Bernard PAITREAULT
Qu'en est-il des prix de la location dans l'immobilier de bureau ?
Arnaud BENOIT, Inov'Office
L'immobilier de bureau se répartit en plusieurs classes (A, B, C).
- Classe A
Il s'agit des beaux bureaux, adaptés aux grands groupes tels qu'IBM. A Moscou, le prix du mètre carré en classe A varie entre 700 à 900 dollars par an, auxquels s'ajoutent des charges d'environ 100 dollars et un aménagement intérieur à la charge du locataire (de 200 à 500 dollars).
- Classe B
A Moscou, le prix du mètre carré en classe B est de 500 à 700 dollars par an, auxquels s'ajoutent 80 dollars de charge. L'aménagement est parfois à la charge du locataire ; compter 250 à 300 dollars.
- Classe C
Je ne connais pas bien les tarifs de la classe C, mais je ne vous conseille pas de louer de l'immobilier de classe C car vous risqueriez d'avoir affaire à des acteurs informels.
Il serait hâtif de penser trouver beaucoup moins cher en province, car les bureaux de qualité sont rares. A Saint-Pétersbourg, le prix du mètre carré en classe A va de 650 à 700 dollars auxquels s'ajoutent 100 dollars de charge. Dans des villes de province où de beaux bâtiments ont été récemment construits, il faut s'attendre à un prix du mètre carré de 600 dollars en classe A. Je pense cependant qu'en province, contrairement à Moscou, une PME n'a aucune raison de louer en classe A dans la mesure où la classe B convient tout à fait (à 500 dollars du mètre carré par an).
Bernard PAITREAULT
Je signale qu'Inov-Office publie un guide des régions sur l'immobilier.
Philippe BAILLY, chargé de mission pour Crown Emballage (fabricant d'emballage)
Concernant la distribution des produits de grande consommation, je sais qu'il existe en Russie un système de grossiste et un système de libre-service. Est-ce que les grandes enseignes (françaises, turques, allemandes ou russes) ont des pratiques différentes de celles qui sont pratiquées en Europe de l'Ouest ?
Bernard PAITREAULT
A ma connaissance, les pratiques sont les mêmes car les enseignes telles qu'Auchan ont apporté la méthodologie internationale. On observe différents types de positionnement. Auchan, qui s'est positionné en concurrence avec les marchés populaires, travaille quasiment exclusivement avec des producteurs locaux. Les produits d'importation, plus faible en proportion, représentent une seconde gamme. D'autres fournisseurs tels que Ramstore sont plus chers mais proposent davantage de produits importés. Tout en haut de l'échelle se trouvent des enseignes telles que Globus Gourmet, l'équivalent de Fauchon, qui se situe donc dans une frange très haut de gamme.
Mais l'évolution du marché de la grande distribution est loin d'être achevée. Il s'agit d'un terrain fertile, en pleine évolution.
Un intervenant
Je crois savoir que Fauchon est l'exemple d'une non-réussite à Moscou, puisque la société avait dû fermer un point de vente qu'elle avait créé à Tverskaya, l'équivalent russe des Champs-Élysées.
Natalia MARZOIEVA
Je dirigeais précédemment le bureau d'achat de Fauchon pour Moscou en France.
Il ne s'agit pas tout à fait d'un échec. Rappelons que Globus Gourmet, Fauchon et Hédiard appartiennent au même groupe d'actionnaires. Le restaurant a bien fonctionné bien tandis que le bilan était mitigé pour l'épicerie de luxe, dont le concept n'est pas encore passé dans les moeurs en Russie. Je pense toutefois que ce concept a un réel potentiel de développement.
Je conseillerai à un entrepreneur français d'aller directement contacter les enseignes, qu'elles soient russes ou européennes, car ces enseignes recherchent des importateurs même si elles travaillent à 70 % avec les producteurs locaux.
Stephan MONTALBANO, Montalbano Conseil
D'après notre expérience, aucune GMS russe ou presse n'importe en direct de l'étranger. Même les GSB européennes implantées passent par des importateurs locaux, toutefois la situation évoluera peut-être à moyen terme.
Un intervenant
J'ai eu une expérience dans le domaine des supermarchés, où nous avons vendu des vins. Les méthodes sont les mêmes qu'en France, mais il est arrivé que des chaînes russes demandent des droits d'entrée puis oublient de les encaisser.
Je conseille aux entrepreneurs de se trouver sur place, car l'importation directe n'est pas courante, tout en s'attendant à des méthodes complètement occidentales.
Une intervenante
Je suis tout à fait d'accord avec ces conseils. J'ajoute que même s'il n'est pas évident d'importer des produits alimentaires en Russie (du fait de la certification notamment), il peut être intéressant de contacter directement certaines chaînes. Globus Gourmet par exemple a créé son service d'import-export.
Bernard PAITREAULT
Je précise que Globus Gourmet se situe dans une frange très haut de gamme.
Stéphanie OLTRA, Bureau Veritas
Dans l'agroalimentaire, un certificat de conformité est demandé car il prouve que les produits sont conformes aux standards russes. Il est par ailleurs nécessaire de présenter un certificat d'hygiène.
La certification n'est pas aussi compliquée qu'il n'y parait, je dirais même qu'il s'agit de formalités assez simples. Il s'agit de réaliser des tests à partir d'échantillons, ce qui a certes un coût. Une entreprise qui souhaite travailler en Russie sur le long terme sera obligée à un moment ou à un autre d'établir une certification au nom du fabricant et pas au nom de son importateur russe.
Un intervenant
J'en reviens au thème de l'embauche.
Il existe en Russie des personnes qui n'ont pas suivi le cursus contemporain, à savoir celui des jeunes passés par des business schools et qui s'attendent à des salaires de départ très élevés et à une carrière à l'occidentale. Ces personnes ont la quarantaine, leur arrière-plan culturel est différent. Je confirme, à l'instar de M. YEREMIAN, qu'il vaut mieux relire sa littérature française avant de se rendre en Russie car ces interlocuteurs sont très érudits. Dans des métiers relativement techniques tels que l'après-vente (et non en marketing approfondi ou en finance), ce profil de personnel fonctionne. Ces personnes, précédemment sous-payées dans l'ancien système, seront plus fidèles que des jeunes qui veulent faire carrière et projettent de quitter l'entreprise au bout de deux ans.
Daniel YEREMIAN
J'appuie vos déclarations à 100 %. Dans les métiers techniques, il n'est nul besoin que le personnel parle une langue étrangère, donc nul besoin de recruter des jeunes issus d'une business school - ce profil correspondant en revanche aux besoins de l'entrepreneur s'il recherche un assistant pour l'aider dans ses choix stratégiques et aller au-delà d'un travail d'exécution.
Il est vrai qu'il existe une rupture sociale et éducative entre les plus de 35 ans et les moins de 35 ans. Cette terrible rupture est physique, mentale, et s'observe au sein même des familles où les parents sont dans la prudence absolue alors que les enfants sont dans l'aventure absolue.
Ces hommes et ces femmes, âgés de 40 à 45 ans, forment probablement la main d'oeuvre que nous recherchons. Ces personnes seront plus faciles à fidéliser, car travailler dans une entreprise étrangère représente pour eux une garantie. Ayant travaillé sous la coupe de petits chefs, ils apprécient une ambiance conviviale et respectueuse.
Une intervenante
Je rejoins votre point de vue. Ces personnes âgées d'une quarantaine d'années ont souvent derrière elles de belles carrières (construction navale, armée) et se retrouvent exclues du marché alors qu'elles sont encore jeunes. Motivés et fidèles, ces personnes acceptent des métiers souvent peu qualifiés car elles comptent sur la possibilité d'évoluer dans l'entreprise. Il s'agit donc d'un vivier important, d'autant plus qu'il n'existe pas de limite d'âge pour travailler en Russie. Les personnes venant des régions peuvent elles aussi constituer une cible intéressante. Les jeunes diplômés parlant des langues étrangères sont les plus difficiles à recruter et à retenir.
Rafik MAHIOUT
Nous cherchions à recruter une personne chargée des relations avec la presse, et nous avons trouvé la perle : une jeune fille parlant plusieurs langues, ayant vécu au Canada et en Angleterre, et qui plus est très jolie - ce qui compte pour ce type de poste. Nous avons dû la payer très cher bien sûr, car il est difficile de trouver quelqu'un réunissant l'ensemble des compétences souhaitées. Je précise qu'au-delà du salaire, le personnel est attiré par des dons en nature (des cosmétiques par exemple). Les Russes sont beaucoup plus sensibles aux « cadeaux » que les Français.
J'ajoute que nous-mêmes avons débauché cette jeune fille du magazine pour lequel elle travaillait, ce qui illustre le fait qu'une entreprise n'est pas toujours victime de cette pratique, mais parfois acteur.
Je pense enfin que les candidats exigent des salaires de départ élevés car ils sont persuadés qu'une entreprise étrangère arrive forcément en Russie avec beaucoup de moyens.
Un intervenant
M. Yeremian a déclaré avoir fait venir un formateur depuis Lyon pour effectuer une formation en Russie. Y a t-il aujourd'hui un manque d'acteurs dans la formation professionnelle en Russie ?
Daniel YEREMIAN
Le marché de la formation professionnelle est en effet insuffisamment développé, alors que les besoins sont grands. Nous devons par exemple apprendre à nos vendeurs comment entourer nos produits d'une grande part de rêve, sans laquelle ils ne valent rien.
Un intervenant
Des sociétés pratiquent-elles le e-learning ?
Daniel YEREMIAN
Les relais immatériels que sont les sites Internet touchent des milliers de clients potentiels, surtout dans la mode. Toutefois rien ne remplacera le contact humain du formateur face à son équipe. Le e-learning n'est qu'un moyen complémentaire.
Un intervenant
On observe sur le marché de l'emploi une génération de personnes trentenaires, françaises mais installées sur le sol russe, qui désirent faire carrière. Ce profil correspondrait tout à fait à la mise en place d'un management intermédiaire de qualité.
Bernard PAITREAULT
Pour recruter et fidéliser son personnel, l'une des options possibles (outre le recours à des cabinets de recrutement spécialisés) consiste à prévoir des actions de formation avec une progressivité, de façon à ce que le cadre ait intérêt à demeurer dans l'entreprise.
Un intervenant
J'ai l'impression qu'un esprit d'équipe a animé les entreprises de MM. Rafik Mahiout et Daniel Yeremian. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Daniel YEREMIAN
Nous avons rencontré un opérateur commun à travers le service d'interprétariat. Cet opérateur nous a proposé de le suivre dans son développement afin de dynamiser la présence française sur le marché de la mode, contrôlé par les Italiens.
Je suis persuadé que plus les entreprises françaises iront nombreuses en Russie, mieux ce sera. Nous devons pénétrer dans l'esprit des consommateurs russes, qui commencent à se lasser des sempiternelles marques italiennes.
Je suis persuadé que si nous organisions ensemble un « road-show » réunissant une quinzaine d'entreprises françaises du luxe, avec des étapes prévues dans différentes villes, nous pourrions remplir de grandes salles et attirer des acheteurs dans un rayon de 300 à 400 kilomètres. La mutualisation des frais constituerait un avantage. Une formule de GIE serait intéressante à étudier.
Je donnerai un dernier conseil aux chefs d'entreprises de PME. Par souci de cohérence, puisque vous proposerez des salaires bas en expliquant que les moyens de votre entreprise sont limités, n'allez pas vous-même dormir dans des hôtels hors de prix et fréquenter des restaurants prestigieux. C'est une question de bon sens. En revanche, si vous invitez un client à déjeuner, il convient de lui offrir une bonne table - ce qui coûte bien plus cher à Moscou qu'à Paris.
Christophe SAUSSEREAU, Rodhia Recherches et Technologies
Accompagnant diverses PME, nous faisons en sorte d'en faire une publicité croisée lorsque leurs produits sont complémentaires. Cette pratique rencontre du succès. Le principe d'une association collective fonctionne bien à condition de savoir identifier son ou ses partenaires.
Bernard PAITREAULT
Nous arrivons au terme de cette table ronde. J'adresse un grand merci à tous les intervenants de la salle.
Investir et produire à Moscou et dans les régions de Russie
Table ronde B
(les deux tables rondes étaient simultanées)
Présidée par :
Jean-François COLLIN, Ministre Conseiller pour les Affaires économiques et financières, Ambassade de France en Russie
et par :
Mathieu FABRE-MAGNAN, Président de la Section Russie des conseillers du commerce extérieur de la France, Avocat associé, SCP Salans & Associés
co-animée par :
Alexis DELAROFF, Directeur des opérations Russie, Accor
Claude HELLER, Directeur général, Air Liquide Russie
Andrey NEZHKIN, Directeur général adjoint, Onduline Stroitelnye Materialy
Claude HELLER
Présent en Russie depuis 1999, Air Liquide a récemment conclu un contrat avec Severstal, le leader de la production d'acier, en Russie et dans le monde. Ce grand groupe a en effet fait le choix d'externaliser son approvisionnement en gaz, afin de se consacrer à son coeur de métier. Nous avons ainsi créé une joint-venture avec Severstal, ce qui ne constitue certes pas une situation idéale mais n'en reste pas moins le meilleur compromis que nous ayons trouvé avec ce client.
Nous avons par ailleurs d'autres projets en vue, avec des clients moins importants.
Andrey NEZHKIN
Nous sommes implantés en Russie depuis 1994, en tant que filiale commerciale d'une entreprise russe. L'année prochaine, il est prévu de monter une première unité de production, dans la région de Nijni-novgorod.
Jean-François COLLIN
Quid du choix de la forme et du lieu de l'implantation ? Lorsqu'on se pose la question d'investir en Russie, il convient dans un premier temps de déterminer si l'on souhaite le faire seul, ou avec le soutien d'un partenaire. C'est généralement affaire de secteur et de circonstances.
Dans un second temps, il faut opérer un choix entre une implantation en greenfield et le rachat d'exploitations existantes, s'apparentant à du brownfield . Quels sont les critères qui conduisent à opter pour l'un ou l'autre de ces dispositifs ? Et comment avez-vous personnellement résolu ce type de problèmes ?
Alexis DELAROFF
Le premier Novotel construit en Russie a ouvert ses portes en 1992, à l'aéroport de Cheremetevo. Nous avons ensuite ouvert un deuxième hôtel en 2002, dans le centre de Moscou, puis un autre en 2005, à Saint-Pétersbourg.
Imaginé sous l'ère soviétique, notre premier hôtel résulte du montage d'une joint-venture , entre un partenaire belge, Accor et Aeroflot, lequel montage nous a permis de réaliser un hôtel de grande qualité, sur un emplacement convoité par tous. Nous sommes parallèlement heurtés, toutefois, à d'importantes difficultés opérationnelles dans la vie de tous les jours, aussi bien dans les domaines des achats et du recrutement, que pour la prise de décision en général. Cette situation, devenue peu à peu ingérable, a contraint Accor à se retirer, après avoir perdu un peu d'argent.
Nous sommes néanmoins restés présents en tant qu'opérateurs, ce qui nous a permis de rebondir et d'ouvrir d'autres hôtels en Russie. En 2002, nous avons ainsi inauguré un nouvel hôtel, dans le centre de Moscou, dont la construction a nécessité la conclusion d'un contrat de management pur, qui implique notamment le versement de redevances.
Ce type de fonctionnement est plus adapté au contexte russe que ne le serait la franchise. Cet hôtel a d'ailleurs très bien marché et le propriétaire et nous-mêmes avons gagné beaucoup d'argent. Ce dernier a en effet gagné suffisamment d'argent en cinq ans pour retrouver sa mise de départ, alors qu'un tel retour sur investissement nécessite habituellement dix à douze ans. Forts de ce succès, nous avons pu conclure un nouveau contrat de management et ouvrir un nouvel hôtel à Saint-Pétersbourg.
Aujourd'hui, nous assistons à un retour vers la joint-venture dans les régions de Russie et nous restons tout à fait confiants quant au développement d'hôtels trois étoiles dans ce pays. Dans le cadre de ces joint-ventures , nous nous allions souvent avec la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), afin de sécuriser encore un peu mieux nos contrats.
Pour l'heure, le projet de construction d'un hôtel à Kazan est en cours de finalisation. Il n'est toutefois pas toujours très aisé de trouver le bon emplacement, et à un prix abordable.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Dans la mesure où il n'y avait pas de cabinet d'avocats d'affaires en Union soviétique, la plupart des cabinets occidentaux se sont implantés seuls, sans aucun soutien local. Salans & Associés est arrivé en Russie il y a une quinzaine d'années.
Pour notre part, nous déconseillons habituellement la joint-venture , qui peut contraindre les entreprises françaises souhaitant s'implanter en Russie à renoncer à certaines de leurs prérogatives.
S'agissant du choix à opérer entre greenfield et brownfield , l'attrait de l'achat d'exploitations existantes ne cesse de décroître, dans un contexte de hausse des coûts. Il devient en effet difficile de racheter des actifs industriels ou des entreprises existantes, même si cela peut aider à démarrer son activité rapidement, et le greenfield semble présenter de plus en plus d'avantages. Tout diffère cependant en fonction des secteurs d'activités.
Claude HELLER
Nous prônons pour notre part une approche purement pragmatique, concernant nos implantations à l'étranger.
D'un point de vue général, notre activité gaz a été divisée en quatre lignes d'activités :
- grande industrie : fourniture de produits à l'industrie lourde, durant une quinzaine d'années ;
- clients industriels : conclusion de contrats oscillant entre trois et cinq ans ;
- activité électronique : livraison des gaz pour la fabrication des composants ;
- activité de la santé.
Dans le cas de la Russie, nous avons estimé que la meilleure façon de pénétrer ce marché consistait à le faire par la grande industrie, en réalisant des investissements importants, sur le long terme, dans un pays où la sidérurgie avait longtemps pesé très lourd. A noter que nous avons décidé d'entrer en Russie en 2005, conformément à des plans qui avaient commencé à être élaborés en 1995 ; déjà, à l'époque, nous avions fait ce choix de la grande industrie.
Quand, en 2005, nous avons décidé d'investir, nous avons pris contact avec Severstal, qui devait à l'époque réinvestir, pour accroître sa production et améliorer la qualité de ses produits. C'est alors que Severstal a opté pour l'externalisation de son approvisionnement en gaz, afin de consacrer ses ressources financières à son métier de base. Nous avons ainsi conclu une joint-venture avec ce client, dans le cadre d'une approche pragmatique visant à nous poser en partenaires d'un grand client sur le marché russe. Pour autant, je maintiens que la mise en place d'un tel dispositif ne constitue pas le meilleur système qui soit, dans la mesure où le client est aussi actionnaire, ce qui peut poser quelques problèmes à terme. Il n'en reste pas moins que la mise en place d'une joint-venture , qui contribue notamment à faciliter certaines procédures administratives, a constitué, en l'espèce, un compromis acceptable.
A l'avenir, nous allons continuer à nous développer en Russie et nous saisirons la prochaine opportunité qui se présentera. Pour l'heure, toutefois, nous nous trouvons confrontés à un marché très éclaté, sur lequel évoluent nombre de petites sociétés créées après la chute de l'URSS et dont les propriétaires ne souhaitent pas se défaire. Nous devrons par conséquent probablement nouer des partenariats avec ces acteurs locaux, si nous entendons nous implanter durablement en Russie.
Andrey NEZHKIN
Lorsque nous nous sommes implantés sur le marché russe, en 1994, nous n'avons pas eu le choix des modalités de notre implantation et avons dû pénétrer le marché en tant que filiale commerciale d'une entreprise russe. Depuis lors, nous couvrons un territoire allant de Vladivostok à Kaliningrad et sommes présents dans les neuf villes les plus importantes de Russie, ainsi que dans toutes les villes de Russie via nos partenaires distributeurs. Nous proposons notamment des matériels de toiture.
En 2005, nous avons décidé de monter une unité de production et avons déterminé notre choix, entre greenfield , brownfield et acquisition pure, conformément à notre propre stratégie de développement.
S'agissant du choix à opérer entre l'implantation en totale indépendance ou avec le soutien d'un partenaire, il n'existe, en la matière, aucune recette miracle. Tout dépend de votre métier et de votre secteur d'activité.
En ce qui nous concerne, nous changeons de formule selon le profil de la région dans laquelle nous souhaitons nous implanter. Et si nous ne trouvons pas de partenaires sur lesquels nous appuyer et avec lesquels créer des joint-ventures , il est toujours possible d'envisager une implantation en succursales. Encore une fois, il convient par conséquent de procéder à un règlement au cas par cas.
S'agissant du terrain, il n'est pas toujours évident de trancher, entre greenfield et brownfield . Pour notre implantation dans la région de Nijni-Novgorod, notamment, nous avons opté pour des bâtiments datant des années 1970, car ceux-ci présentaient le mérite de posséder des branchements pour le chauffage, lesquels valent souvent une fortune à installer. Là encore, il convient de décider au cas par cas.
Viktor KLOTCHAÏ, de la salle
J'ai travaillé par le passé à Severstal et je peux vous assurer que vous faites le bon choix en concluant un accord avec ce grand groupe. Certes, le problème du format de coopération est complexe à résoudre, mais il l'est partout dans le monde et pas seulement en Russie. Comme l'ont par ailleurs souligné plusieurs des précédents intervenants, il ne faut pas tenter de répondre de manière univoque à toutes ces questions.
Pour ma part, je ne saurais trop vous recommander de ne pas vous allier de manière trop précipitée avec un partenaire trop insistant pour demander une joint-venture . De même, il me semblerait plus sage d'éviter une région dont le gouverneur voudrait vous dissuader à tout jamais d'investir seuls.
S'agissant du choix entre greenfield et brownfield , celui-ci s'avère souvent délicat. Il peut certes être parfois intéressant de profiter d'une infrastructure existante dans la mesure où le raccordement d'une nouvelle construction au réseau électrique peut coûter plusieurs millions d'euros. Pour autant, il y a de moins en moins d'infrastructures à acquérir sur le marché. Dans le cas d'une usine de montage automobile ou de la construction de grands centres commerciaux, c'est plutôt l'approche greenfield qu'il faudrait privilégier. Il n'en reste pas moins qu'il convient de prendre ses décisions au cas par cas, en fonction de vos objectifs et de la nature de vos projets.
Il en va de même pour la création de joint-ventures ou la conclusion de franchises. De manière générale, il faut informer les entreprises françaises des opportunités que leur offre le marché russe. Pour l'heure, en effet, les Français ne sont pas suffisamment au courant du développement de l'économie en Russie, contrairement aux Allemands qui n'hésitent pas à prendre des risques, en pesant le pour et le contre de tout projet de collaboration. A ce titre, d'ailleurs, je souhaiterais souligner que je ne connais aucun exemple de projet allemand qui ait échoué dans notre pays. Cette méthode a donc bel et bien fait ses preuves et il faut s'en inspirer sans plus attendre.
Anne ZUCCO, de la salle
Je suis responsable des relations avec la Russie, à l'École centrale de Lyon. Depuis 1994-1995, nous collaborons en effet avec ce pays et avons initié dans ce cadre un certain nombre d'actions, en partenariat avec l'université technique d'État de Moscou (BAOUMAN).
Nous avons notamment mis au point, avec ce partenaire, un programme de double diplôme permettant de former des élèves russes et français de façon à ce que ces derniers obtiennent, en plus de leur diplôme de l'École centrale, un diplôme de spécialiste russe (un an d'étude en plus). Nous formons ainsi des ingénieurs compétents, qui pourront ensuite se prévaloir des deux cultures, lorsqu'ils répondront à une offre d'emploi.
Dans le même temps, nous avons mis au point un mastère de génie industriel destiné à de jeunes diplômés russes, auxquels nous dispensons une formation complémentaire en économie, afin de les familiariser aux règles de l'économie de marché.
Jean-Claude ABEILLON, de la salle
Il peut arriver que les sièges sociaux des entreprises fassent montre de réticence à s'implanter en Russie, tant l'image de ce pays, véhiculée dans les médias, reste majoritairement négative. A ce titre, comment argumenter auprès des sièges pour les convaincre d'investir dans ce pays ? En d'autres termes, comment lever les éventuelles inquiétudes ?
Andrey NEZHKIN
Nous avons mis trois ans à convaincre nos actionnaires français qu'un investissement en Russie était nécessaire pour le développement futur de notre société. Pour ce faire, nous avons fondé notre démonstration sur des données chiffrées - les seules qui soient à même de retenir l'attention de l'actionnaire même le plus sceptique.
Claude HELLER
Nous sommes aujourd'hui très présents en Europe de l'Ouest et aux États-Unis, où la croissance sur nos métiers est aujourd'hui plus faible. Nous sommes par ailleurs implantés en Chine et nous nous sommes intéressés à la Russie dès 1995, sans suite immédiate. Pour l'heure, nous continuons à examiner de près tous les projets d'investissements qui se présentent à nous.
Philippe PINTAT, de la salle
Vous représentez une grande entreprise et on entend souvent dire que l'implantation d'une grande entreprise, dans un pays donné, peut favoriser la collaboration avec des PME de même nationalité. Or, il semblerait que cela n'ait pas été le cas avec Air Liquide. Auriez-vous d'autres exemples plus prometteurs à nous soumettre en la matière ?
Claude HELLER
Nous avons passé un contrat avec une société 100 % russe, sur un marché local, et ce même si Severstal réexporte certains de ses produits. Or, parmi nos sous-traitants, il y a une entreprise française, la SNEF, spécialisée notamment dans les installations électriques. Pour autant, nous avons surtout eu recours à leurs services, non pas parce qu'ils étaient français, mais parce qu'ils étaient déjà présents sur le sol russe.
Dans le cadre de ce projet, parallèlement à la vente de gaz, nous allons développer d'autres produits qui n'existent pas, à l'heure actuelle, sur le marché russe. Ainsi, de manière indirecte, par le biais des produits que nous mettons sur le marché, nous pouvons favoriser le développement d'entreprises high tech de haut niveau.
Jean-François COLLIN
Je souhaiterais lever toute ambiguïté à ce sujet. De toute évidence, lorsqu'une entreprise investit à l'étranger, c'est pour y développer son propre business et non pour faire venir des sous-traitants nationaux. Il se peut ensuite que cela arrive mais ce n'est jamais l'objectif de départ, même si cette éventualité atténue le malaise ressenti par certains, tant il est vrai que les investissements réalisés à l'étranger sont parfois considérés comme nuisibles à l'emploi en France.
A l'heure actuelle, Renault produit des Logan en masse sur le sol russe et un autre grand groupe automobile français devrait investir prochainement en Russie ; or, ces constructeurs vont devoir choisir des sous-traitants principalement locaux, car ils bénéficient d'une exonération des droits de douane, subordonné au principe selon lequel la composante locale de leur personnel doit progressivement augmenter. Ainsi, le fait qu'un constructeur français s'implante à Moscou pour produire 50 000 véhicules par an ne suffit pas à générer la délocalisation d'équipementiers nationaux. Le niveau de production atteint n'est en effet pas suffisant, en l'espèce, pour susciter un tel phénomène.
Philippe COMTE, de la salle
Vous êtes-vous intéressés de près à l'état du système hôtelier dans les petites villes de Russie ? Assiste-t-on à l'émergence de chaînes d'hôtels russes ?
Alexis DELAROFF
Après la crise de 1998, les investissements étaient redescendus à leur niveau le plus bas. Nous nous sommes depuis lors rendus en province et avons pris la décision d'investir.
Alors que les hôtels Intourist sont restés durant longtemps dans un état catastrophique, certains d'entre eux ont récemment bénéficié d'une réfection totale et ont même atteint un niveau d'hôtels quatre étoiles.
Par ailleurs, une chaîne russe du nom d'Azimuth a récemment vu le jour. Il s'agit toutefois plutôt du regroupement improbable de plusieurs établissements que d'une authentique chaîne d'hôtels offrant des prestations cohérentes et harmonisées. Parallèlement, certains acteurs procèdent à l'achat de terrains, afin de réaliser des profits sur le real estate .
Andrey NEZHKIN
Les autorisations d'investissements sont souvent très longues à obtenir. Je ne saurais par conséquent que trop vous conseiller de vous y prendre très en amont, si vous ne voulez pas voir stoppés net vos projets d'implantation.
Alexis DELAROFF
Vous ne pouvez ouvrir un hôtel si vous n'avez ni eau chaude, ni chauffage. C'est principalement pour cette raison que nous faisons souvent le choix de nouer des partenariats avec des acteurs locaux. Ces derniers facilitent en effet l'obtention des autorisations architecturales, ainsi que le branchement à tous les réseaux nécessaires à la bonne marche d'un établissement hôtelier.
La conclusion de tels partenariats n'exonère pas, toutefois, de toutes difficultés ; le projet que nous avons initié dans la ville de Novorosisk traîne ainsi depuis longtemps déjà car notre partenaire doit tirer un câble pour approvisionner l'hôtel en électricité ; de même, lorsque vous vous trouvez contraints de construire une mini centrale thermique, à proximité d'un hôtel afin de le chauffer, vous comprendrez que vos projets d'implantation s'en trouvent ralentis d'autant.
Catherine MANTEL, de la salle
Pensez-vous que la réforme de la loi sur les SARL, visant à modifier les modalités de retrait des associés va passer ? Et si tel était le cas, serait-elle en partie rétroactive ? Je ne pense pas, pour ma part, qu'il s'agisse d'une simplification.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Je confesse mon ignorance concernant ce projet de réforme.
Pour l'heure, la « OO » russe n'est autre qu'une forme simplifiée de société commerciale, dans le cadre de laquelle les associés bénéficient d'un droit de retrait qu'ils peuvent faire jouer à tout moment. Vous comprendrez aisément qu'une telle règle puisse effrayer les entreprises françaises qui envisageraient de créer une joint-venture avec un partenaire russe.
Jean-François COLLIN
Dans la mesure où la consommation augmente de 4 à 5 % dans les grandes agglomérations et que la production ne suit pas, le seul moyen d'opérer une régulation consiste à faire monter les prix des procédures de raccordement au réseau, ce qui ne manque pas de générer toute une série de problème.
Je souhaiterais à présent que nous nous intéressions aux modalités de recrutement sur le marché russe. Privilégiez-vous notamment le recrutement d'expatriés ou l'embauche de personnel local ?
Alexis DELAROFF
En 1992, lorsque nous avons ouvert notre premier Novotel à l'aéroport de Cheremetevo, nous employions 45 expatriés, sur un total de 500 personnes. Ces 45 expatriés représentaient alors 95 % de la masse salariale. En 2002, nous étions trois expatriés seulement, pour ouvrir un établissement de 250 chambres en plein centre de Moscou.
Les choses évoluent donc et devraient d'ailleurs continuer à évoluer en ce sens, dans le cadre du développement de notre implantation régionale, dans des villes telles que Kazan ou Novorosisk. Il est en effet difficile de trouver des expatriés prêts à s'y installer et le recours à la main d'oeuvre locale constitue donc une obligation, en même temps qu'une priorité.
A ce titre, nous formons, au sein de l'Académie Accor de jeunes russes qui auront vocation à devenir directeurs d'hôtels, dans les deux à trois années qui viennent. A l'avenir, nous envisageons en effet de procéder à de nouvelles ouvertures d'établissements via l'implantation ponctuelle d'une task force française sur place, et de confier à terme la direction de ces établissements à des personnels russes, dont la compétence n'est plus à démontrer.
Claude HELLER
Pour notre part, nous n'avons pas eu de difficulté à trouver un expatrié qui consente à aller s'établir à 400 kilomètres au nord de Moscou, dans une ville comptant 400 000 habitants, pour construire notre nouvelle usine, car nous comptons suffisamment de baroudeurs dans nos effectifs. A terme, nous emploierons 30 personnes au sein de cette unité de production, dont la construction aura nécessité un investissement de 100 millions d'euros. Le Directeur général de cette usine sera russe ; il sera néanmoins placé sous le contrôle d'un expatrié, durant les deux ou trois premières années d'exploitation de cette unité, compte tenu des spécificités importantes de notre secteur d'activité. A terme, toutefois, d'ici trois ou quatre ans, l'ensemble du personnel travaillant au sein de cette usine sera russe.
Andrey NEZHKIN
Dans le secteur des services, nous employons plutôt des expatriés ; pour les postes au contact direct de la clientèle, nous privilégions le personnel local. De toute évidence, en tous cas, ce ne sont plus les écarts de salaires qui motivent les décisions de recrutement, dans la mesure où un directeur financier venu de France et un directeurs financier russe bien formé sont dorénavant rémunérés à l'identique. J'ajoute qu'il n'est pas toujours évident de trouver des personnes prêtes à aller s'installer dans des coins perdus de Russie où recevoir un salaire élevé ne représente qu'un avantage très relatif, dans la mesure où il n'y a rien à acheter.
Elisabeth GORODKOV, de la salle
Il est tout aussi difficile de faire bouger les Russes d'une région à l'autre que de faire venir des expatriés français dans des villes russes a priori peu attrayantes. A cet égard, et dans la mesure où le marché moscovite est en pleine expansion, ces difficultés de recrutements en régions constituent un indéniable frein pour les projets industriels se développant hors des grandes villes de Russie.
Philippe COMTE, de la salle
Un des obstacles à la présence française en Russie ne tiendrait-elle pas au côté casanier de la main d'oeuvre française ? Du côté de la fonction publique, notamment, l'État rencontre toutes les difficultés du monde à trouver des hauts fonctionnaires prêts à aller travailler quelques années en Allemagne...
Elisabeth GORODKOV
Non, les Français ne sont pas particulièrement casaniers. L'embauche de jeunes français, motivés pour partir en Russie, n'est toutefois pas toujours très aisée, sur un plan administratif. Les permis de travail sont en effet difficiles à obtenir et il est souvent plus facile de recruter du personnel russe. Le recrutement de personnel expatrié continue toutefois à être privilégié pour des postes clés, tels que celui de contrôleur financier.
Jean-François COLLIN
Alors que d'aucuns publient des articles de presse alarmistes, sur le brain drain des jeunes cerveaux français, vous vous demandez aujourd'hui si ces derniers ne seraient pas trop casaniers. A ce titre, je signalerai simplement que nous recevons environ 42 000 candidatures par an pour des stages de volontariat international en entreprise (VIE), alors que le nombre de postes offerts dans ce cadre n'excède pas les 4 000. C'est donc bien du côté de l'offre, que l'emploi fait défaut.
Claude HELLER
Les VIE constituent un outil efficace pour acquérir une première expérience dans une entreprise étrangère. A ce titre, nous avons nous-mêmes recruté, en contrat local, trois personnes qui avait effectué un stage VIE en Russie.
Andrey NEZHKIN
Il conviendrait parfois de se montrer moins exigeant, en matière de recrutement. Il n'est en effet pas toujours aisé de trouver un ingénieur compétent, à même de diriger notre site de Nijni-Novgorod et qui parle parfaitement le français. Nous ne l'avons d'ailleurs pas trouvé et avons finalement opté pour un candidat très compétent, mais parlant anglais uniquement.
Natalia MARZOIEVA, de la salle
Lorsque nous avons ouvert Fauchon à Moscou, nous avons commencé à travailler avec des expatriés. Au bout de six mois, les 6 top managers français étaient partis et avaient été remplacés par des personnels russes, que nous avions préalablement formés.
Jean-François COLLIN
Nombre d'entreprises qui s'implantent en Russie font le choix d'externaliser certaines de leurs fonctions. Quelles sont selon vous les fonctions qu'il est souhaitable d'externaliser ? Et, à l'inverse, quelles sont les fonctions qu'il serait risqué d'externaliser ?
Alexis DELAROFF
Dans le cadre des contrats de management que nous concluons, la question ne se pose pas puisqu'aucune fonction n'est externalisée. Au sein du siège d'Accor, qui emploie cinq personnes, nous avons en revanche externalisé notre comptabilité, étant entendu que notre directeur général continue à exercer son contrôle sur l'ensemble des processus et que notre comptabilité est régulièrement soumise à des audits internationaux.
A terme, il est question de créer une comptabilité interne permettant d'assurer un meilleur suivi de nos mouvements de trésorerie, suite à l'ouverture de nos derniers hôtels. En outre, dans la mesure où les propriétaires de nos hôtels ont décidé de garder la main sur la maintenance de leurs établissements, nous avons conclu un contrat d'externalisation avec eux. C'est certes un peu coûteux, dans la mesure où un tel contrat permet à ces derniers de nous facturer plus que ce que coûtent réellement les prestations rendues, mais c'est un moindre mal.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Nous déconseillons généralement vivement à nos clients d'externaliser leur comptabilité. C'est souvent beaucoup trop risqué, comme l'ont prouvé plusieurs expériences désastreuses.
Alexis DELAROFF
Il me semble que l'on peut externaliser la comptabilité sans risque, à condition que quelqu'un, au siège, comprenne parfaitement le fonctionnement de la comptabilité russe, qui est une comptabilité de cash-flow .
Mathieu FABRE-MAGNAN
Certes. Il n'en reste pas moins que nous recommandons généralement de ne pas externaliser ce type de fonctions, même s'il existe bien évidemment des exceptions pouvant justifier une telle procédure.
S'agissant des autres fonctions de l'entreprise, les possibilités d'externalisation sont nombreuses, dans la mesure où les services proposés au sein de la capitale russe sont en constante expansion.
Claude HELLER
Pour ma part, je vous recommanderai d'externaliser vos besoins en gaz, si vous en avez...Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos attentes.
Dans le cadre de la joint-venture que nous avons créée avec Severstal, nous avons procédé, dans un premier temps, à l'externalisation de notre comptabilité, afin de nous donner le temps de recruter une chef comptable compétente sur le site de Tcherepovetz. Nous avons néanmoins pris la peine de confier cette fonction à une société que nous connaissions par ailleurs et en laquelle nous avions confiance.
Nous avons également externalisé la maintenance technique de nos systèmes d'information, comme nous l'avions fait dans la plupart de nos filiales à travers le monde. La société retenue a été préalablement auditée, ce qui réduit sensiblement les risques. De même, nous avons externalisé les fonctions de gardiennage sur le chantier de construction de notre usine.
Andrey NEZHKIN
De manière générale, les Russes n'ont pas trop le réflexe de l'externalisation car ils considèrent que ce sera toujours moins cher, s'ils font eux-mêmes. Il n'en reste pas moins qu'il existe un potentiel d'externalisation indéniable, pour les entreprises implantées en Russie, et ce même si certaines fonctions, telles que la comptabilité, présentent évidemment un caractère sensible.
Anne ZUCCO, de la salle
Dans le cadre du processus de collaboration que nous avons initié entre l'École centrale de Lyon et l'Université Baouman, nous avons créé un centre franco-russe de transfert de technologies. Nous pouvons ainsi mettre à votre disposition les laboratoires de recherche de nos deux écoles. Encore une fois, si vous avez des pistes à explorer ou des demandes à formuler, vous pouvez vous adresser à nous et nous vous aiderons à mettre en oeuvre des innovations technologiques qu'il vous serait difficile de développer en interne.
Catherine MANTEL, de la salle
De plus en plus d'industriels cherchent à externaliser tout ce qui ne touche pas à leur coeur de métier. Pour la gestion des utilités, notamment, c'est une tendance qui se développe de plus en plus en Russie.
Sylvie GOUJON, de la salle
L'externalisation de la comptabilité, sur notre filiale de Tver, a été une très mauvaise expérience et nous avons rapidement dû tout reprendre en main. Nous recruterons très prochainement un chef comptable et une assistante, sur cette filiale, afin de redresser la situation.
Olga LAMBERT, de la salle
SGS Monitoring est présente sur le marché russe depuis 25 ans maintenant et emploie 1 200 personnes sur place, dans les secteurs de l'énergie, notamment. Nous pourrions par conséquent mettre à disposition nos personnels sur certains projets de court terme, menés par des entreprises s'implantant en Russie.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Le détachement de personnel est un instrument à manier avec la plus grande précaution, dans la mesure où les personnels détachés pourraient faire le choix de dénoncer leurs contrats, afin de se faire embaucher, de manière définitive, par la société auprès de laquelle ils ont été détachés.
Claude HELLER
Notre usine devrait entrer en production à l'été 2007 ; nous nous sommes en effet fixé les mêmes délais de construction qu'en Europe de l'Ouest ou aux États-Unis, soit 27 mois, ce qui constitue un véritable challenge en Russie. Pour tenir ce délai particulièrement exigeant, nous avons opté pour la méthode des permis partiels, susceptible de nous faire gagner un temps certain. Si nous n'avions pas fait le choix de cette méthode, il nous aurait probablement fallu au moins un an de plus pour construire notre usine.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Selon quels critères avez-vous choisi vos prestataires ?
Claude HELLER
Nous avons tout simplement procédé à une évaluation objective de leurs compétences. Le choix a été un peu plus compliqué pour les sous-traitants de réalisation, dans la mesure où nous avons constaté des niveaux de qualité très disparates des prestations délivrées, ce qui nous a d'ailleurs valu quelques discussions assez âpres avec notre partenaire russe. Nous n'avons en effet pas forcément retenu toutes les sociétés locales avec lesquelles il voulait que nous travaillions.
Andrey NEZHKIN
Il est évidemment nécessaire d'opter pour le système des permis partiels, faute de quoi vous vous découragerez avant même d'avoir commencé.
Viktor KLOTCHAÏ, de la salle
Le système de certification en Russie est complexe, mais c'est également le cas dans d'autres pays. De toute évidence, il faut lutter contre la corruption en ne versant aucun pot-de-vin. Dans la région de Nijni-Novgorod, les choses se passent bien et nous ne rencontrons aucun problème de certification.
Quand une société étrangère souhaite investir dans notre région, elle nous fait une demande d'autorisation et nous l'acceptons, la plupart du temps. Le taux de refus est en effet très bas puisqu'il n'excède pas les 2 %. Les projets de construction présentés doivent respecter les normes techniques et écologiques en vigueur dans notre pays.
Une fois la construction achevée, la Commission d'État l'examine et statue sur sa conformité. Préparé durant la période de construction, le permis d'exploitation est ensuite délivré si aucun problème particulier n'est décelé. L'entrepreneur étranger pourra alors commencer à exploiter sa structure.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Il convient de s'adapter à la donne russe.
Alexis DELAROFF
Les processus sont effectivement différents de ceux auxquels nous sommes habitués en Europe de l'ouest et l'adaptation n'est pas toujours aisée. Pour autant, si c'était impossible, personne n'irait. Si l'on respecte toutes les étapes, on ne rencontre en effet pas plus de problèmes qu'ailleurs. Et pour paraphraser certains spécialistes de la zone, « les Français ont inventé la bureaucratie, les Russes l'ont améliorée ».
François WOLF, de la salle
Je suis moi-même en train de construire une usine en Russie et le système d'octroi des permis et des autorisations me semble on ne peut plus logique, à condition qu'on le suive à la lettre. S'agissant du choix à opérer entre le greenfield et le brownfield , le premier sera souvent plus coûteux que le second.
Mathieu FABRE-MAGNAN
Pour construire une usine en Russie, il convient de se conformer, comme partout dans le monde, à un certain nombre de règles. Espérons que de nouveaux projets verront le jour, dans les prochains mois, suite à ce colloque !