Colloque "Les Phares de la Caspienne : Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan (30 avril 2009)



Table des matières


Actes du colloque SÉNAT - UBIFRANCE

Les Phares de la Caspienne
Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan

Jeudi 30 avril 2009
Palais du Luxembourg

Ouverture

André DULAIT,
Sénateur des Deux-Sèvres

André Dulait donne lecture d'une déclaration de M. Gérard Larcher, Président du Sénat :

« Messieurs les Présidents, Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Directeur général adjoint d'Ubifrance, chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est heureux d'accueillir cette rencontre sur quatre pays du Caucase et de l'Asie centrale, que, dans leur plaquette de présentation, nos Chefs de mission économique n'ont pas hésité à qualifier « Phares de la Caspienne » : l'Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.

A la lumière de cette sympathique métaphore, je ne doute pas que nos travaux vous apporteront tous les éclairages que vous pouvez en espérer !

Permettez-moi, avant tout, de saluer chaleureusement les délégations de ces États, qui nous font l'honneur d'être parmi nous ce matin.

J'exprime aussi tous mes remerciements à nos amis d'Ubifrance, avec lesquels notre assemblée a engagé une fructueuse collaboration il y a maintenant plus de dix ans.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le Caucase et l'Asie centrale sont des régions avec lesquelles le Sénat entretient des liens anciens et réguliers. Dans le cadre du partenariat Sénat-Ubifrance, les colloques que nous leur consacrons régulièrement - en avril 2008, en mai 2006 et en mai 2005, pour ne citer que les plus récents - en sont une preuve parmi d'autres.

J'y vois une marque supplémentaire de l'action persévérante et efficace des deux groupes d'amitié concernés, France-Caucase, présidé par M. Ambroise DUPONT, et France-Asie centrale, présidé par M. André DULAIT.

Ils sont non seulement vos interlocuteurs - j'allais dire de vos ambassadeurs - au Sénat, mais aussi les promoteurs actifs de la présence française dans une région à laquelle les enjeux géopolitiques commandent que la France soit très attentive.

Le bassin de la Caspienne revêt en effet une importance stratégique pour l'Union européenne, tant sur le plan économique que du point de vue de sa sécurité internationale.

Certes, la situation propre de chacun des quatre pays diffère, aussi bien sur les plans politique, démographique ou culturel, que du strict point de vue économique.

Mais dans l'ensemble, tous représentent un vaste espace de développement moins touché que les nôtres par la crise qui secoue les économies occidentales, où se forge un marché intérieur dynamique, où émerge une classe moyenne ouverte aux produits étrangers et où s'expriment des besoins nouveaux - en équipement ou en biens de consommation - auxquels les entreprises occidentales peuvent répondre.

La région caspienne est aussi une très importante zone de production et de transit des hydrocarbures - gaz, pétrole - et d'autres matières premières stratégiques dont l'intérêt va croissant pour les États européens désireux de diversifier et de sécuriser leurs approvisionnements.

Or, comparées à leurs concurrentes européennes, les compagnies françaises ne semblent pas encore avoir bien pris la mesure de cette évolution et risquent donc de se laisser distancer dans une compétition où, pourtant, elles disposent d'excellents atouts. Il y a là, sans doute, une certaine frilosité, que des rencontres comme celle d'aujourd'hui doivent permettre de surmonter.

La France doit renforcer sa présence économique dans cette partie du monde, même si la persistance de foyers de tensions régionales - dans le Caucase, en particulier - peut légitimement inquiéter les opérateurs européens.

Côté Asie centrale, un autre sujet peut les préoccuper : les entreprises françaises seraient sans doute plus enclines à se tourner vers la région caspienne, si la transparence de certains circuits économiques et la sécurité juridique étaient renforcées. Certes, des progrès appréciables ont déjà été enregistrés, mais de grands pas restent à faire dans ce domaine.

Quoi qu'il en soit, les quatre États dont nous traitons aujourd'hui ont en commun un fort tropisme pour l'Europe, à la fois en tant que modèle de développement et comme zone d'influence susceptible d'équilibrer celles de leurs grands voisins, russe et chinois notamment.

Tous les quatre ont adhéré à l'OSCE et deux d'entre eux sont membres du Conseil de l'Europe : ce sont autant de points communs sur lesquels nous pouvons construire des partenariats et des solidarités durables.

Je suis sûr que les orateurs qui vont se succéder toute la journée à cette tribune sauront vous en convaincre !

Soyez assurés que pour ce qui le concerne, le Sénat sera à vos côtés dans une démarche à laquelle de toute évidence, notre pays a beaucoup à gagner.

Je souhaite à tous de fructueux travaux, et une excellente journée au Palais du Luxembourg ».

Gisèle HIVERT-MESSECA,
Chef du service Événements spéciaux, Département Intelligence Marchés, Ubifrance

Au nom d'Ubifrance et de notre Directeur général, je vous remercie de cette initiative. Je salue la présence des personnalités venues de Géorgie et du Kazakhstan mais également l'ambassadeur de France en Géorgie, Éric Fournier, et les ambassadeurs d'Azerbaïdjan, d'Ouzbékistan, de Géorgie et du Kazakhstan. Gints Apals, conseiller du représentant de l'Union Européenne pour l'Asie, participera à la table ronde Kazakhstan- Ouzbékistan.

Notre collaboration avec le Sénat, initiée en 1997, a permis la réalisation d'une douzaine d'événements sur le thème de l'Asie Centrale. Les pays de la région doivent relever des défis communs et présentent des opportunités semblables.

Après avoir atteint des niveaux de croissance record au cours des dix dernières années, la zone Caspienne a été confrontée à la crise financière et à la baisse du cours des hydrocarbures. Le Kazakhstan, dont le système financier est fortement interconnecté, a été durement et précocement touché par l'assèchement du crédit international. Les conséquences sur les autres pays ont été plus tardives et indirectes. Les exportations d'hydrocarbures représentent l'essentiel du revenu de l'Azerbaïdjan, du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan et la baisse des cours a dégradé les entrées de devises.

La diversification de l'économie constitue un défi important pour ces pays et leur dépendance à l'égard de l'industrie des hydrocarbures demeure un frein au développement. La plupart d'entre eux a constitué des fonds pour les générations futures qui permettent d'endiguer la crise et de préparer la modernisation de l'économie.

La région demeure un relais de croissance important et ne devrait pas connaître de récession durable. Les taux de croissance devraient rester positifs en 2008 et 2009.

Compte tenu de la richesse de leur sous-sol et de leur volonté commune de développer des filières industrielles à haute valeur ajoutée, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan devraient rapidement rebondir. L'Azerbaïdjan devrait développer ses autres secteurs d'activité tout en confirmant le rôle de Bakou comme carrefour stratégique vers l'Europe. La Géorgie, grâce à l'aide de la communauté internationale et la modernisation de son économie, affiche également de belles capacités de rebond.

Ces pays restent intéressants pour leurs grands projets énergétiques tels que Kashagan au Kazakhstan et Shah Deniz en Azerbaïdjan. Ces projets globaux n'intéressent pas seulement les entreprises du domaine des hydrocarbures mais aussi les sociétés de restauration collective ou de fournitures d'équipements connexes.

Les besoins de la région en infrastructures (eau, énergie, environnement et transports) sont importants et entraînent des projets de construction, de rénovation et de gestion qui sont prioritaires pour les autorités gouvernementales. Des contrats significatifs ont déjà été remportés par des entreprises françaises mais tout reste à faire.

Encore marginal, le secteur des biens de consommation s'avère prometteur compte tenu des atouts français en la matière et de l'émergence des classes moyennes, de nouveaux marchés de niches et de besoins agroalimentaires.

L'action d'Ubifrance dans cette région prend également la forme de séminaires et de pavillons français. Nous réfléchissons en outre à la mise en place de missions spécialisées dans le domaine des infrastructures et dans l'agriculture pour 2009 et 2010.

Dimitri GVINDADZE,
Vice-ministre des Finances de Géorgie

La Géorgie est un petit pays où la Révolution de velours a entraîné de nombreuses transformations. Le nouveau président élu en 2004 a lancé de nombreuses réformes. Le PIB a connu une croissance à deux chiffres et nous avons bien résisté à l'embargo russe. Enfin, nous avons subi l'intervention militaire russe et la crise financière.

D'après le classement de la Banque mondiale, la Géorgie est le premier pays réformateur dans la région pour la période 2003-2009. La croissance économique a atteint 12,3 % en 2007 avant une chute brutale à 2,1 % en 2009. Nous espérons remonter à 2,5 % et l'économie est globalement résistante.

Le facteur clé des réformes est l'interactivité entre la Géorgie et les investisseurs internationaux. En 2006 et 2007, nos chiffres sont stables contrairement à leur volatilité habituelle dans la région.

Nous avons par ailleurs mené une réforme fiscale et budgétaire, refondé les systèmes de douanes et d'imposition. Les revenus fiscaux ont augmenté grâce à l'élargissement de la base fiscale. Des causes exogènes font en outre baisser la courbe du déficit conventionnel.

Nous nous sommes efforcés de maintenir l'indice des prix consommateurs (aujourd'hui à 5,5 %) à un taux à un chiffre et l'inflation n'est plus un problème.

Parmi les réformes engagées figurent l'éradication de la corruption, les réformes du service public, l'établissement de l'état de droit, la recherche de solutions énergétiques et la déréglementation. Par ailleurs, notre potentiel commercial s'est amélioré et notre pays, par son indice de liberté économique, se situe au quatrième rang mondial.

Nous essayons d'encourager les investisseurs étrangers. La résistance économique de la Géorgie s'explique par le niveau des réserves de la Banque centrale et des recettes fiscales. L'achat de dollars suspendu depuis le mois d'août par la Banque nationale de Géorgie a repris depuis le mois de janvier. Le marché de l'immobilier a connu des problèmes qui ont affecté les crédits, les prêts et les promoteurs eux-mêmes mais le niveau d'achat est bon comparativement à 2007.

Les déficits de notre compte courant sont habituels. L'impact de la baisse de l'investissement direct étranger sera ressenti dans quelque temps. Les déficits ont été contrebalancés par les afflux de capitaux privés.

Jusqu'en 2008, nous avons réussi à mettre en oeuvre 30 % des engagements pris à Bruxelles. Nous espérons en honorer 100 % d'ici deux ans.

Depuis que nous sommes membres de l'OMC, nous ne sommes soumis à aucune restriction sur les échanges commerciaux. Nous sommes membres du programme GPS depuis 2006 et la part des exportations vers l'Europe a augmenté. Nous avons signé un accord de libre-échange avec la Turquie et souhaitons faire de même avec les Etats-Unis et l'Union européenne.

Le Gouvernement a émis des appels d'offres et redéployé ses efforts de dépenses. La tendance de la dette publique est à la baisse. La dette publique extérieure représente environ 15 % du PIB.

Notre système bancaire est robuste : les banques, bien capitalisées, sont entièrement privées depuis 1996 et les étrangers peuvent acquérir des banques librement. Nous avons accusé des pertes en termes de prêts mais nous appliquons des critères très stricts. Notre réserve est conséquente et les banques géorgiennes affichent un taux performant de 23 % de responsabilités en termes de capitaux.

Le nouveau code fiscal ne définit plus que 6 impôts (contre 21 sous l'ancien régime). Les impôts sur le revenu et les contributions sociales ont baissé. Les dividendes ne seront plus taxés en 2012. Dans les zones franches introduites en 2008, seul l'impôt personnel sur le revenu subsiste.

La Géorgie est l'un des États les plus sécurisés de la région en termes de fourniture d'énergie. Nous avons signé un contrat de 5 ans avec l'Azerbaïdjan, un contrat de 20 ans avec Shah Deniz et nous avons des projets dans le Caucase du sud.

Alain PRZYBYSZ,
Délégué Pays Mer Caspienne - Asie Centrale, Total Exploration & Production

Je traiterai principalement du Kazakhstan et de l'Azerbaïdjan qui sont les deux pays les plus en vue dans le domaine pétrolier mais je n'oublierai pas la Géorgie, pays de transit des hydrocarbures en provenance d'Azerbaïdjan et d'Ouzbékistan, important producteur de gaz et pays de transit pour le gaz turkmène vers la Russie et peut-être bientôt vers la Chine.

Le gaz d'Asie centrale est essentiel pour l'approvisionnement de l'Europe via la Russie.

La Kazakhstan est un acteur régional stratégique en matière de transit du gaz en provenance d'Ouzbékistan et du Turkménistan dans la mesure où l'ensemble des réseaux de pipelines construit pendant la période soviétique passe par son territoire.

En 2007, La Russie, le Turkménistan et le Kazakhstan ont signé un protocole d'accord pour la reconstruction d'un grand gazoduc côtier. Les discussions sont en cours mais aucune réalisation concrète n'est enregistrée. A la même époque, un autre protocole a été signé entre l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kazakhstan et la Russie pour la remise en état et l'accroissement de capacité des grands réseaux de pipelines. Peu d'évolutions en ont découlé.

La Kazakhstan est un acteur mondial important en matière de production d'huile. A moyen terme, la production du Kazakhstan pourrait dépasser 3,5 millions de barils par jour grâce à la mise en production du gisement géant de Kashagan, ce qui lui permettra de se classer parmi les dix premiers producteurs mondiaux.

L'évacuation du pétrole, qui s'opère essentiellement par la Russie, constitue un problème stratégique pour le pays. Aussi le Kazakhstan a-t-il commencé à diversifier ses voies d'exportation avec la mise en service d'un oléoduc vers la Chine en 2007 et des exportations vers l'Iran et l'Azerbaïdjan. Il négocie également la possibilité de faire transiter son pétrole par l'Azerbaïdjan dans le cadre du projet KCTS inspiré par Total.

Avec l'extension du CPC et la construction du Baltic Pipeline System 2, l'offre d'exportation pourrait augmenter et la pose d'un oléoduc sera nécessaire à brève échéance.

L'Azerbaïdjan a été le berceau de l'activité de pétrolière au XIX ème siècle. Après l'indépendance, les gouvernants conscients de l'importance des hydrocarbures pour le développement économique du pays ont mis valeur son potentiel pétrolier et gazier, se sont dotés d'une législation adaptée pour attirer les sociétés occidentales et leurs technologies et ont négocié avec la Turquie et la Géorgie des conditions de transit pour leurs exportations.

Le développement du champ pétrolier ACG en Mer Caspienne (qui représente des réserves de 6 milliards de barils) est pratiquement terminé et le pétrole du pays s'exporte en grande quantité, essentiellement par l'oléoduc BTC. Les productions sont ainsi désenclavées.

La production du gaz a significativement augmenté ces dernières années avec la mise en ligne du gaz associé au pétrole du gisement ACG et à Shah Deniz.

Les exportations de gaz s'opèrent vers la Turquie et la Géorgie à travers le gazoduc SCP et les capacités du pays devraient s'accroître dans les années à venir avec une deuxième phase de mise en production de Shah Deniz . L'Azerbaïdjan aurait par ailleurs intérêt à exporter le pétrole kazakh à travers ses infrastructures. Les négociations sont en cours entre la SOCAR et la KMG.

Si l'augmentation prévisible de la production de gaz justifie la construction de gazoducs comme le TAP ou le TGI pouvant alimenter le sud de l'Europe, elle ne justifie pas la construction d'un ensemble plus ambitieux comme Nabucco pour lequel d'autres ressources de gaz sont nécessaires.

La Géorgie est un acteur essentiel pour le transit du gaz et du pétrole en provenance d'Azerbaïdjan par rails, gazoducs ou oléoducs.

Enfin, l'Ouzbékistan est un gros producteur de gaz qui doit renouveler ses réserves pour maintenir ses capacités d'exportation.

Les productions d'hydrocarbures d'Asie centrale sont ainsi en constante augmentation et représentent un enjeu important. Les pays, soucieux d'opérer leur désenclavement, cherchent de nouvelles voies d'exportations techniquement et politiquement sûres, et économiquement acceptables. Les enjeux les plus importants sont liés à l'exportation du pétrole du Kazakhstan et du gaz du Turkménistan.

Dominic FEAN

Qu'est-ce que le projet White Stream ?

Alain PRZYBYSZ

Il s'agit d'un projet de gazoduc sous la Mer Noire qui acheminerait du gaz de la côte géorgienne à l'Ukraine pour contourner la Russie. Techniquement lourd, le projet impliquerait un passage au-dessus du gazoduc Blue Stream reliant la Russie à la Turquie et l'obtention de l'accord des pays de la Mer Noire. Il est peu avancé même si une société s'emploie à le promouvoir.

Dimitri GVINDADZE

Il convient d'aller au-delà des considérations économiques car la géopolitique incite à diversifier les sources d'approvisionnement.

Philippe GAUNET

Que savez-vous du transit et de la production en l'Arménie ?

Alain PRZYBYSZ

Le tracé du BTC qui évacue du pétrole d'Azerbaïdjan a soigneusement évité l'Arménie.

Olivier GOURAUD

Qu'en est-il des interconnections électriques entre la Géorgie et la Turquie ?

Dimitri GVINDADZE

Un câble va connecter l'Azerbaïdjan à la Turquie via la Géorgie. La mise en place du câble est un préalable nécessaire à la construction des centrales hydroélectriques en Géorgie dans la mesure où celui-ci nous permettra d'exporter notre électricité. La Turquie exprime une forte demande et trois investisseurs sont impliqués dans le projet : la banque européenne, la banque d'investissement européen et KFW. Les travaux dureront trois ans.

Daniel SAILLAC

Suite au changement d'opérateur du projet Kashagan , quelles sont les évolutions à attendre pour les sociétés françaises ?

Alain PRZYBYSZ

Depuis le mois de janvier, l'opérateur de Kashagan est en effet la North Caspian Operating Company (NCOC). Elle regroupe les partenaires du projet et Total y occupe une position spéciale puisque le Directeur Général est issu de notre groupe et nous y appliquons notre management system . Total fournira une part importante du personnel. La NCOC a passé des contrats d'agence avec d'autres sociétés - l'ENI pour la phase 1, Shell pour la phase 2 et Exxon pour le forage. Total joue un rôle d'assembleur dans le cadre de la gestion de cette société opératrice. La NCOC a la charge de faire approuver par l'autorité de tutelle les contrats signés dans le cadre du développement de Kashagan.

Nous procédons par appels d'offres et les procédures sont mises en place sous la responsabilité de la NCOC. Ceci peut constituer un progrès pour les sociétés françaises car le régime est la concurrence.

Vardouhie ALEXANIAN

Pouvez-vous nous parler de la présence des sociétés américaines et anglaises dans cette région et de la relation qu'elles entretiennent avec Total ?

Alain PRZYBYSZ

En Azerbaïdjan, BP est l'opérateur du champ de Shah Deniz, d'ACG, du SCP et du BTS. Toutefois, ce pays désireux de diversifier ses collaborations a accordé à Total un permis d'exploration à Absheron. Au Kazakhstan, Tengiz est opéré par une société qui regroupe Chevron et Exxon.

La route des trois mers

Aymeri de MONTESQUIOU,
Sénateur, Président délégué pour le Kazakhstan
du groupe interparlementaire d'amitié France-Asie centrale

La région constitue un axe économique et politique majeur et les trois mers sont un axe de vie entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique. La zone était symbolisée par Europe, Climène et Lybie dans l'Antiquité et la Caspienne représentait alors la bordure du monde connu. Enfin, la route de la soie a été ouverte au II ème siècle après Jésus-Christ.

L'Asie Centrale, à la confluence des religions musulmane et chrétienne, des civilisations chinoise, turque, russe et perse dispose d'un sous-sol à fort potentiel économique et constitue une zone hautement stratégique : elle est depuis longtemps une zone d'abondance et une zone de conflit.

La France s'est rendue tardivement dans la région. Le premier rapport parlementaire que je lui ai consacré en 1994 s'intitulait L'indépendance inachevée parce que ces pays doivent trouver des voies de sortie autres que la Russie pour exploiter leurs richesses. Les Russes considèrent cette région, également convoitée par les Américains, comme leur pré carré. Or celle-ci a exprimé le désir d'une présence européenne mais cet appel a été peu entendu.

La région présente un réel potentiel de développement, notamment en termes d'exportations d'hydrocarbures et en particulier de gaz. Nous n'avons pas su saisir cette opportunité alors que nous avons besoin de diversifier nos sources d'approvisionnement. La voie du Sud par l'Iran me semble intéressante parce qu'elle est économique, courte, paisible et parce qu'elle ramènerait l'Iran dans le concert des nations.

La Caspienne et la Mer Noire sont aujourd'hui reliées par le Don. Le projet d'un canal entre ces deux mers est une hypothèse qu'il convient de mentionner.

Le gisement de Kurmangazy au Kazakhstan recèle potentiellement de réserves comparables à celles des grands champs irakiens ou saoudiens.

La France peut par ailleurs jouer un rôle dans le domaine de l'eau en termes d'arbitrage et d'équipement. Les pays d'amont disposent de réserves importantes mais l'exploitation doit prendre en compte les pays d'aval. Alstom ou Areva peuvent être intéressés.

Il est également possible de relier cette zone par chemin de fer. La Chine qui exporte par voie maritime aurait un intérêt à la construction de voies ferrées qui ouvriraient la zone à l'Europe. Un projet a été conçu par l'Union européenne (UE).

La région est inquiète de la proximité chinoise et russe et souhaite diversifier ses amitiés, peut-être plus particulièrement avec la France qui fait figure de nation indépendante vis-à-vis des Etats-Unis.

La Géorgie, terre de conquêtes ?

Éric FOURNIER,
Ambassadeur de France en Géorgie

Pourquoi est-il si difficile pour les investisseurs français de prendre le chemin de la Géorgie alors que ce pays offre de nombreuses opportunités ?

La Russie est arrivée dans le pays en 1801 à la demande de la monarchie géorgienne qui subissait les assauts d'autres conquérants. Était-ce alors les débuts d'une fusion entre ces deux voisins de cultures proches ?

En 1921, les bolcheviks prennent le pouvoir en Géorgie et poussent une partie des hommes politiques et des intellectuels à fuir vers la France. Au cours des 70 années suivantes, le Caucase est « agité » par d'autres types de conquêtes et se voit soumis aux déplacements de populations orchestrés par le régime stalinien.

En 2007-2008, les nouvelles manoeuvres russes aux frontières suscitent des interrogations, hormis chez quelques Européens qui ne croient pas à une agitation durable dans la région, considérant que l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) était ouvert et que les questions stratégiques du Caucase étaient réglées.

En juin 2008, les trains russes ont repris leur trafic en Abkhazie et on observe alors des luttes clandestines pour le contrôle du chemin de fer qui constitue un enjeu colossal. Dans ce domaine, l'UE a envisagé la restauration de la voie qui va de Sotchi à Tbilissi puis à Erevan afin de faciliter le commerce entre les états du Caucase mais ce projet est paralysé par l'indépendance de l'Abkhazie. Les infrastructures routières et ferroviaires constituent un enjeu majeur pour les investisseurs et représentent la clé du désenclavement de cette région.

Pourquoi investir dans un pays instable qui connaît des guerres, la convoitise du voisin russe et accueille des réfugiés à la suite du dernier conflit ?

Les réticences sont légitimes mais si vous souhaitez vendre des produits, la Géorgie regorge de promesses. Le pays a été dévasté par les guerres et par 70 ans de communisme : tout reste ainsi à faire, notamment en termes d'infrastructures et de tourisme. De plus, si nous n'investissons pas, les autres le feront.

La frilosité française tient au fait que la Géorgie n'est pas une priorité de notre politique étrangère. Ce raisonnement est faible dans la mesure où les priorités en politique étrangère sont soumises au cours des événements. Or la Géorgie comporte des enjeux de sécurité essentiels pour l'Europe.

Par ailleurs, il n'existe pas de représentation économique à Tbilissi. Nous avons toutefois créé le Club Français des Affaires pour combler ce manque. Pour la première fois depuis l'indépendance, un ministre du pôle de Bercy, Anne-Marie Idrac s'est rendue à Tbilissi pour signer un protocole financier dans le cadre des programmes « régime pays émergents ». La Géorgie figure depuis un mois sur la liste des pays éligibles au crédit RPE.

Enfin, les manifestations fréquentes qui ont lieu en Géorgie effraient et laissent à penser que la démocratie mal installée ne garantit pas la stabilité du pays. En réalité, la Géorgie est instable parce qu'elle est le seul État de la région qui a entamé un réel processus démocratique. La démocratie se stabilisera seulement avec le développement économique.

L'Azerbaïdjan doit éviter la Russie afin de préserver son indépendance et la Turquie (qui entend devenir un pays hub pour le gaz) afin d'éviter les surcoûts. Le projet White Stream permettrait à l'Azerbaïdjan d'exporter son gaz sans qu'aucun pays ne le contrôle (hormis la Géorgie qui restera un pays de transit). Les Iraniens qui ont intérêt à emprunter d'autres voies que la Turquie pourraient en profiter. Enfin, l'avenir de la Géorgie se joue avec l'Iran et la Russie et non contre eux.

Aymeri de MONTESQUIOU

Le gaz, produit historiquement régional est devenu un produit international avec le gaz liquide. Or la France est le leader mondial de ce secteur.

Géorgie : contre vents et marées...

Azerbaïdjan : une économie qui résiste. Une relation franco-azerbaïdjanaise qui se structure

Alexandre TROUBETZKOY,
Chef de la Mission économique à Bakou

La Géorgie n'est pas épargnée par la crise mais elle bénéficie d'un fort soutien de la communauté internationale suite à la conférence des donateurs de Bruxelles en octobre 2008. Elle a connu une forte croissance jusqu'en août 2008 (2,1 %). Le FMI prévoit une croissance de 1 % en 2009.

La relation commerciale bilatérale avec notre pays demeure modeste mais progresse nettement au cours des dix dernières années. La France est actuellement le 12 ème partenaire commercial de la Géorgie. Les faibles importations sont concentrées sur les secteurs de la chimie et du pétrole (acheté à l'Azerbaïdjan et transitant par chemin de fer en Géorgie) mais concernent également les engrais et les ferrailles.

Les investissements français sont significatifs et visibles. La Société Générale a pris le contrôle de Bank Republic en septembre 2006 et celle-ci est aujourd'hui la troisième banque du pays. Pernod Ricard a pris le contrôle de Georgian Wine and Spirit qui assurait à l'époque 10 % de la production de vin. Enfin, grâce à Boulangerie de France, nous disposons de bons pains et pâtisseries français en Géorgie. Un hôtel Novotel ouvrira à Tbilissi en 2010. Les montants sont modestes mais réels.

Les opportunités liées à la reconstruction et au développement du pays après la longue période communiste et les derniers conflits sont nombreuses. Des outils sont mis à la disposition des entreprises par Bercy (accord de protection des investissements depuis 2000, convention de non double imposition, ouverture de l'assurance-crédit Coface en 2009, ouverture à la RPE en 2009).

Enfin, Monsieur Saakachvili a mis en place des réformes remarquables notamment en matière de lutte contre la corruption. Les conditions pour investir sont ainsi en nette amélioration.

L'Azerbaïdjan a connu une croissance record qui s'est essoufflée suite à la chute des cours du pétrole (11 % en 2008 ; 2,5 % en 2009). Ce pays ne connaît pas les effets de la crise financière car son secteur bancaire est peu développé et ne dépend pas des crédits extérieurs. Le secteur industriel est relativement marginal en Azerbaïdjan, le marché des capitaux est peu développé et les réserves sont évaluées à 18 milliards de dollars. L'inflation est fortement retombée avec la crise, les ressources financières sont importantes et l'équilibre budgétaire n'est pas en danger grâce à l'intervention du secteur pétrolier. Le secteur bancaire est assuré par la Banque nationale mais le climat des affaires fait encore débat.

L'Azerbaïdjan et la France entretiennent une forte relation politique. La cinquième commission mixte de coopération économique s'est tenue à Bakou le 19 mars et la visite du président Sarkozy en 2009 sera sans soute assortie d'une visite du président Aliyev en France. Des outils sont à la disposition des entreprises (convention fiscale, accord de protection réciproque des investissements, couverture Coface renforcée). Deux contrats ont été signés et deux autres sont en cours d'exécution notamment avec Thales pour des contrôles aériens.

Kazakhstan, Ouzbékistan : lorsque le vent fraîchit,
les bourgeons s'endurcissent

Daniel PATAT,
Chef de la mission économique à Almaty

Les pays d'Asie centrale ne sont pas épargnés par la crise actuelle. Le Kazakhstan a été doublement confronté à ces difficultés car le paradoxe de son émergence première l'a conduit à souffrir de la crise financière et de la baisse des cours. Les pays d'Asie Centrale sont dépendants de leurs grands voisins russes et kazakhs, grands pourvoyeurs d'emplois. La première exportation de ces pays est en effet la main-d'oeuvre. Le Kazakhstan a pris des mesures dès les premières alertes et a rassemblé ses capacités dans le cadre de la holding Samruk Kazyna. L'émergence de ces pays inclut leur entrée dans le jeu de l'économie mondiale.

Le projet Samruk Kazyna au Kazakhstan

Sabr ESIMBEKOV,
Directeur exécutif du Fonds Samruk-Kazyna

Nous nous trouvons au centre du monde, à équidistance de l'Europe et du Moyen Orient. Nous avons eu des débats sur le rôle que peut jouer l'UE au Kazakhstan et nous pensons que l'Europe a besoin de nous compte tenu de notre position géographique.

Après son indépendance en 1991, le Kazakhstan a traversé une période de transition entre l'économie de planification et l'économie libérale. L'ébranlement du pays consécutif à la crise financière atteste que nous faisons partie de l'économie mondiale.

Le secteur des minerais est un domaine-clé pour notre économie depuis 17 ans. L'importance des hydrocarbures augmentera avec le développement du projet Kashagan. De plus, le Kazakhstan est le 3 ème producteur mondial d'uranium et le 2 ème producteur de chrome. L'immobilier et les minerais représentent 72 % du PIB.

Samruk Kazyna est né de la fusion de deux sociétés : Samruk (transports, pétrole et gaz) et Kazyna (entreprise d'État travaillant sur le développement financier). Ce projet est indispensable à la pérennité de notre économie. La société holding regroupe plusieurs entreprises de l'industrie lourde, de l'industrie des services mais aussi des institutions de développement financier et des institutions bancaires.

Christian MARTIN

Quelles sont les relations diplomatiques et économiques entre les pays du Caucase et l'Iran ?

Aymeri de MONTESQUIOU

L'Asie centrale était une zone d'influence et de culture perse. L'Iran a développé une relation particulière avec le Kazakhstan, seul pays ayant renoncé à l'arme nucléaire lors de son indépendance alors qu'il était la sixième puissance nucléaire mondiale. Par ailleurs, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan craignent une contamination politique du wahhabisme afghan. Le chiisme iranien tend à rapprocher les pays d'Asie centrale de l'Iran.

Enfin, il existe un monde indo-persan. En effet, l'ancienne Perse englobait l'Afghanistan, l'Iran, incluait le Pakistan et une partie de l'Inde.

Mamuka KUDAVA

Nous avons besoin du soutien de la communauté européenne en Géorgie pour surmonter nos problèmes. Par ailleurs le pays a demandé en 1801 un soutien à la Russie et non son annexion. De nombreux pays sont tentés de construire des oléoducs et gazoducs qui passeraient par l'Iran mais aujourd'hui, la Géorgie est la seule solution alternative pour les exportations vers l'Europe.

Comment envisagez-vous la confrontation entre une Géorgie instable et un Iran stable ?

Enfin, vous n'avez pas mentionné le rôle stabilisateur de la Russie qui achemine les ressources du Kazakhstan et du Turkménistan.

Aymeri de MONTESQUIOU

La Géorgie est l'itinéraire privilégié pour l'exploitation du gaz et du pétrole d'Azerbaïdjan. Les hydrocarbures kazakhs doivent quant à eux contourner la Russie ou traverser la Caspienne par des moyens très polluants (tankers ou pipelines). Le tracé le plus court passe par l'Iran et l'Asie centrale présente l'avantage d'offrir le plus d'alternatives possibles. L'embargo imposé à l'Iran me paraît en outre une erreur qui nous est dommageable.

Il me semble enfin anormal que l'on demande à la Russie, à la fois d'appliquer une économie de marché et de vendre son gaz à l'Ukraine à des prix préférentiels. Ce blocage est dû au refus des pays baltes et de l'Ukraine de payer plus cher. L'UE a eu tort de ne pas entendre l'appel des pays d'Europe centrale puisqu'aujourd'hui, Gazprom détient 80 % du gaz de la région.

De la salle

J'ai mené des affaires en Iran pendant 10 ans, avant et après la révolution. Puis je me suis installé en Géorgie qui a très rapidement adopté des vues similaires aux nôtres en termes économiques. Il est aujourd'hui impossible d'investir en Iran. L'État iranien s'éloigne de la vie économique du monde occidental par le biais des nationalisations.

Franck de LA RIVIERE

Pendant la guerre Iran-Irak, des convois de camions-citernes amenaient du pétrole à Téhéran. Ainsi, le Kazakhstan ou l'Ouzbékistan soutenaient l'Iran.

Aymeri de MONTESQUIOU

A l'époque, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan n'existaient pas en tant que pays. L'URSS, tout comme la France, les Etats-Unis, les pays du Golfe et l'Arabie Saoudite vendait des armes à l'Irak. L'Iran était seul à l'époque.

Frank BENAIM

Existe-il une communauté des pays d'Asie centrale ?

Aymeri de MONTESQUIOU

Dans le passé, l'Asie centrale faisait partie de l'empire perse et constituait donc un ensemble. Par ailleurs, de manière très curieuse, les frontières artificielles des pays ont créé des nationalismes.

Enfin, je rappelle que la France peut jouer un rôle dans la gestion de l'eau. La construction de centrales hydroélectriques dans les montagnes du Tien Shan permettrait d'approvisionner l'Iran, l'Afghanistan, le Pakistan, la Chine, le Kazakhstan et la Russie en électricité.

De la salle

Pouvez-vous commenter la solidité du système financier kazakh et l'accord avec la Chine sur un prêt contre les fournitures de pétrole à long terme ?

Sabr ESIMBEKOV

Nous connaissons des tensions en lien avec l'acquisition de deux banques en situation difficile suite à la crise financière. Cependant, le Gouvernement a entamé le processus nécessaire pour sauver ces établissements. Le Gouvernement essaie de mettre en place une politique efficace pour rassurer les investisseurs et il soumettra un mémo à la communauté financière.

Le prêt chinois concerne pour 5 milliards de dollars l'acquisition par la Chine de gaz et d'une partie des gazoducs et oléoducs. 5 autres milliards seront dévolus à la banque de développement du Kazakhstan.

Pauline DEVOUGE

Vous avez mentionné l'émergence d'une classe moyenne Comment se répartit la richesse de ces pays en forte croissance ?

Daniel PATAT

L'effet de répartition est faible. Toutes les économies en voie d'émergence et adoptant une voie plus libérale accusent des disparités économiques importantes au sein de la population. Seule une faible part de cette dernière a accès à la consommation telle que nous la concevons.

Table ronde

Azerbaïdjan - Géorgie

Participent à cette table ronde :

Alexandre TROUBETZKOY, Chef de la mission économique à Bakou

Antoine BARDON, Président de Saint Michel Ltd (distribution de biens de consommation)

André BERTHE, Directeur général adjoint, Division environnement, CNIM

Jean-Michel CHARLES, Directeur général, Boulangerie de France, Géorgie (équipements de boulangerie et gastronomie)

Jacques FLEURY, Président Directeur Général, Georgian Glass and Mineral Waters, CCEF

Gilbert HIE, Directeur général, Banque Republic, Président du French Business Council de Géorgie, Vice Président d'ICC Georgia, CCEF

Camille MARQUETTE, Directeur, French Business Council de Géorgie

Alain PRZYBYSZ, Délégué Pays Mer Caspienne-Asie Centrale, Total Exploration&Production

Gilles REMY, Président Directeur Général, Cifal Groupe, CCEF

Cette table ronde est animée par Christine MURRIS.

Alexandre TROUBETZKOY

Au cours des trois ans que j'ai passés en Géorgie j'ai pu inviter des personnalités « choisies » telles que Dimitri Gvindadze dans le cadre de nos séminaires. La communication et la collaboration sont aisées dans ce pays qui est sensiblement proche du nôtre.

Au cours des trois dernières années passées en Azerbaïdjan, nous avons vendu 90 camions de lutte contre l'incendie, 6 ATR, un dispatching électrique et une sous-station avec Areva, des aides à la navigation pour les aéroports avec Thales.

Au début de l'année 2009, nous avons signé le plus gros contrat dans cette région entre la CNIM et le ministère du développement économique d'Azerbaïdjan. Il s'agit d'un contrat structurant pour la construction d'une usine d'incinération de déchets urbains à Bakou, dont le montant s'élève à 346 millions d'euros. Nous nous sommes engagés pour 23 ans au minimum (3 ans de construction et 20 ans de gestion)

Total et SOCAR ont signé en outre un contrat pour l'exploration du bloc d'Absheron, dont ils détiennent respectivement 60 et 40 %. Total devient un interlocuteur important pour les communautés azéries même s'il n'est pas encore aussi implanté que BP dans la région.

La nature des relations économiques entre la France et d'Azerbaïdjan s'est ainsi renforcée.

Christine MURRIS

Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur le projet d'usine d'incinération et nous expliquer le déroulement de la négociation ?

André BERTHE

Dans le cadre de la rénovation de la ville de Bakou, le pays a décidé il y a trois ans d'enrayer le problème de la saleté. Je me suis rendu sur place en juin 2006 et en visitant la décharge de la ville, j'ai fait le constat du désastre écologique qui a poussé les autorités à intervenir. Après 7 mois d'investigation, notre président a signé un memorandum of understanding et nous avons obtenu le feu vert pour préparer une offre formelle dans le cadre d'un concours public au sein duquel la concurrence était surtout japonaise.

Nous avons préparé une offre pendant un an. Après le retrait des Japonais, la concurrence a été russe, allemande et autrichienne. Nous avons été sélectionnés le 19 mars 2008 et nous avons développé le contrat durant 8 mois. L'équipe du ministère du développement économique azéri était parfaitement formée, jeune, compétente et avait engagé des conseillers techniques autochtones et étrangers. L'expérience a été enrichissante pour les deux parties.

Une commission a été nommée en juin 2008 pour obtenir les approbations nécessaires au sein des différents cabinets ministériels. Ce projet sera financé par l'Etat qui a spécialement créé la société Clean City Bakou. Celle-ci deviendra notre client et sera responsable de la construction et de la gestion complète des déchets.

Christine MURRIS

La construction et l'exploitation impliqueront-elles des importations, une présence importante de votre entreprise ?

André BERTHE

La construction nécessitera la présence de 500 à 600 personnes sur le site qui couvre 9,5 hectares. Nous pensons couler 90 000 m 3 de béton. Nous avons ouvert un bureau à Bakou qui sera sans doute transféré sur le site.

Christine MURRIS

Envisagez-vous de travailler avec des entreprises françaises ?

André BERTHE

La plupart des équipements seront importés. Notre sous-traitant constructeur partenaire sera une société turque et une partie de nos équipements viendra de Turquie. Environ 90 personnes seront en charge de l'exploitation et nous nous sommes engagés à compter 90 % d'Azéris dans nos équipes. Nous devrons donc créer nos propres écoles.

Christine MURRIS

Penchons-nous sur le pétrole. Monsieur Przybysz, quels sont les développements de votre société ?

Alain PRZYBYSZ

La société Total est présente en Azerbaïdjan depuis 1996, nous y avons déjà été opérateurs et nous sommes partenaires de BP et d'autres sociétés dans le cadre de l'exploitation de Shah Deniz. Nous détenons des participations dans le BTC et dans le gazoduc SCP.

Dans le cadre de notre implication à Shah Deniz, nous avons voulu être présents sur place pour être connus des Azéris. La première condition pour mener des affaires dans ce pays est d'avoir une présence sur place, d'apprendre à connaître les futurs collaborateurs et d'être estimés par eux. Nous avons créé une relation privilégiée avec la société nationale SOCAR. Afin de valoriser nos savoir-faire, nous avons par la suite invité des délégations de techniciens azéris à Pau.

Lors de la négociation du contrat, nous avons accepté de créer une société commune avec la société nationale pour la phase de développement afin d'instaurer un climat de confiance.

L'apport et la collaboration technologiques sont importants dans ce pays.

Christine MURRIS

Assurez-vous de nombreuses formations ?

Alain PRZYBYSZ

Le contrat prévoit des engagements importants en termes de formations. La relation interpersonnelle est très importante en Azerbaïdjan.

Christine MURRIS

Dans quelle mesure pensez-vous recourir aux savoir-faire des entreprises françaises ?

Alain PRZYBYSZ

Nous faisons appel à des sociétés de service pour certaines prestations dans le cadre du forage d'exploration. Nous procédons à des appels d'offres internationaux. Nous n'oublierons pas les entreprises françaises mais nous retiendrons les meilleures au niveau international.

Lorsque nous entreprenons un forage d'exploration, le puits peut finalement s'avérer sec. Si le puits est positif, les perspectives deviennent plus importantes avec des investissements qui se comptent en milliards de dollars. La phase d'exploration devrait durer environ un an, le développement après la découverte de 5 à 6 ans, la mise en production une dizaine d'années.

Christine MURRIS

Monsieur Rémy, quels secteurs vous paraissent prometteurs en Azerbaïdjan ?

Gilles REMY

Cifal est arrivé en Azerbaïdjan en 1993, avec l'arrivée au pouvoir du président Aliyev qui a permis une stabilisation politique et un développement économique. L'Azerbaïdjan est certainement un des pays les plus porteurs de la zone Caspienne mais il reste mal connu.

Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan dispose de nombreux moyens. Le dynamisme de Bakou donne le ton. Or les Français ne participent pas aux nombreuses constructions engagées sur place. Si Cifal assure des prestations de services à des entreprises industrielles ou énergétiques, elle possède également un volet commercial qui l'a amenée à prendre connaissance d'un projet présidentiel de construction pour lequel nous n'avons pas trouvé de société française.

Nous ne sommes pas à la hauteur des marchés en termes commerciaux. Il faut peut-être redéployer des moyens actuellement engagés dans d'autres pays.

La CNIM fournit un bel exemple concernant les infrastructures. Le pays accueille des réfugiés qu'il convient de loger et les investissements ont été absents depuis 1985. Tout est ainsi à refaire. Enfin, l'Azerbaïdjan a récemment connu un taux de croissance exceptionnel.

Christine MURRIS

Le pays n'est pas facile à approcher.

Gilles REMY

Les Azéris sont « commerçants » et les négociations sont en effet délicates.

Christine MURRIS

Comment se manifeste la volonté d'attirer les entreprises étrangères ? Existe-t-il des zones qui offrent un régime fiscal préférentiel ?

Gilles REMY

La fiscalité n'est pas fondamentalement différente de celle des autres pays de la région.

Les relations progressent sensiblement entre l'Azerbaïdjan et la Turquie et nos principaux concurrents dans ce pays sont les Turcs

Christine MURRIS

Quel regard les autorités portent-elles sur les entreprises françaises ?

Gilles REMY

La France bénéficie d'une belle image qui rejaillit sur les entreprises mais leur aptitude à répondre aux attentes en termes de dynamisme, de réactivité et d'écoute est une autre question.

Frank BENAIM

Monsieur Przybysz, pourriez-vous nous apporter des précisions sur le type de formation que vous assurerez en Azerbaïdjan ?

Alain PRZYBYSZ

Nous dispenserons une formation technique dans le domaine pétrolier qui sera directement opérée par les services techniques de Total ou par l'Institut français du pétrole.

De la salle

Les paiements sont-ils sûrs ?

André BERTHE

Nous avons pris des assurances d'ordre politique et nous avons envisagé la possibilité de perdre un an de paiement. Notre assurance (groupement de cinq sociétés) nous couvrira en cas de suspension de paiements.

Nous avons en outre initialement revu la question du cash flow et d'un acompte important afin de minimiser les risques. Nous nous appuyons sur des garanties bancaires d'un montant important. La Coface n'était pas en position d'apporter à elle seule sa garantie.

Le Gouvernement a sollicité notre assistance pour supporter les banques françaises dans la gestion d'un crédit d'agence de gouvernement. Le projet est néanmoins aujourd'hui financé par le Gouvernement.

Babour TADJIEV

La Société Générale est prête à étudier les projets d'exportation français en Azerbaïdjan.

Jacques FLEURY

La dévaluation de la monnaie locale représente-t-elle un risque réel ?

Alexandre TROUBETZKOY

Tous les pays alentour ont dévalué mais la dévaluation ne stimulerait pas les exportations et une monnaie forte est un atout pour les importations. Depuis la crise, le problème de l'inflation est secondaire en Azerbaïdjan. Dans tous les cas, la dévaluation ne sera pas brutale.

François de PEYRON

Comment est organisé le système bancaire en Azerbaïdjan ?

Alexandre TROUBETZKOY

Le système bancaire est relativement peu développé et il est dominé par l'International Bank of Azerbaïdjan. On recense une quarantaine de banques et la Banque nationale qui détient un pouvoir de contrôle dispose de réserves suffisantes pour sauver une banque qui rencontrerait des difficultés. Le système ne dépend d'intervenants extérieurs qu'à hauteur de 20 %. Les autorités sont hostiles à l'entrée de banques occidentales sur le marché. La Société Générale est modestement présente dans le pays.

Philippe GAUNET

Il est difficile en Azerbaïdjan d'obtenir des prestations de qualité. Qu'est ce qui fonctionne le mieux selon vous ?

Alain PRZYBYSZ

Nous travaillons avec nos expatriés. Nous avons également embauché des Azéris de qualité mais cela a pris du temps. Dans le cadre de notre nouveau projet, nous nous appuierons sur des sociétés de services qui ont acquis des savoir-faire en travaillant pour d'autres sociétés. Je n'ai donc pas de conseils pour les PME.

Christine MURRIS

Comment se présente le paysage bancaire en Géorgie ? Quelle place y occupe la Société Générale et quelles sont les évolutions dans le contexte actuel ?

Gilbert HIE

La Géorgie est plus ouverte que ses voisins en la matière. La Société Générale a eu la possibilité de prendre le contrôle d'une banque géorgienne à hauteur de 60 % en 2006 et celle-ci s'est hissée à la troisième place de son secteur. L'environnement compétitif est dominé par les banques locales. Jusqu'à la crise d'août 2008, le secteur connaissait des taux de croissance allant de 50 à 70 % par an. Peu de possibilités d'entrée subsistent car il s'agit d'un marché modeste dans lequel opèrent déjà une vingtaine de banques.

La Société Générale compte aujourd'hui sur place 45 agences et plus de 1 000 collaborateurs. Le réseau se développe et 500 personnes ont été recrutées en 2 ans. La Géorgie n'a que cinq années d'expérience d'économie de marché. Nous avons dispensé de nombreuses formations en vertu d'une stratégie globale de long terme. Notre part de marché se situe entre 10 et 12 %.

Les quatre premières banques contrôlent environ 80 % du marché. Le système bancaire s'est avéré assez solide face à la crise et a été consolidé par l'aide financière internationale.

Aujourd'hui, les bilans des principales banques géorgiennes ressemblent davantage aux nôtres avec un refinancement basé sur les institutions financières internationales. La crise en Géorgie est plutôt économique. Ce petit pays présente des opportunités pour les PME dans plusieurs secteurs. Il n'est pas difficile de s'y installer et vous pouvez vous appuyer sur la Société Générale.

Christine MURRIS

Je propose à nos autres intervenants de nous faire part de leurs expériences.

Jacques FLEURY

Nous avons privatisé un grand domaine viticole du XIX ème siècle appartenant à l'ancienne famille royale. Nous avons reconstitué un château de Champagne avec l'idée de créer un vin de qualité qui serait vendu au prix des grands crus bordelais. La première production qui date de 2007 a été récompensée en Allemagne et en France. Nous espérons créer une niche de vins de qualité d'un coût compris entre 20 et 25 euros en Europe alors que les vins géorgiens se vendent environ à 10 ou 12 euros. Nous attendons également la réouverture des frontières russes qui permettra d'envisager des prix plus élevés.

Nous souhaitons faire de ce domaine un complexe touristico-vinicole proche de la capitale sachant que les zones traditionnelles de vins sont plus éloignées.

Christine MURRIS

Des projets de construction d'hôtels sont également en cours.

Antoine BARDON

Accor souhaite gérer des hôtels trois et quatre étoiles sur des périodes assez longues car il nous semble qu'un tourisme d'affaires plus modeste se développe au-delà du tourisme d'affaires grand luxe. Avec Ibis, nous disposons d'un programme couvrant la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Christine MURRIS

Ces projets sont-ils ralentis par le contexte actuel ?

Antoine BARDON

En Géorgie, le projet a pris du retard suite à la guerre et à des problèmes de cadastre.

Christine MURRIS

Quelle est la situation des infrastructures hôtelières en général ?

Antoine BARDON

On recense en Géorgie, deux cinq étoiles, un Radisson cinq étoiles en voie d'achèvement, un Hyatt en construction et un Best Western quatre étoiles en voie d'achèvement. Il existe en outre de nombreuses pensions de familles.

Jean-Michel CHARLES

Je suis arrivé en Géorgie il y a deux ans en tant que représentant d'un équipementier (qui développe un concept complet de transformation alimentaire) et depuis le mois de décembre, j'ai ouvert deux boulangeries pâtisseries françaises haut de gamme en partenariat avec un géorgien à Tbilissi sous la marque « Boulangerie de France ». Nous ouvrirons deux autres magasins cette année. Nous importons les équipements exclusivement d'Europe de l'ouest et principalement de France.

Christine MURRIS

Faites-vous le constat d'un accueil positif ?

Jean-Michel CHARLES

Le contexte est très favorable pour les PME : il n'existe pas de corruption, les frais sont limités, la fiscalité est légère, les services locaux sont accessibles, les formalités administratives sont simples et la TVA est récupérable.

Christine MURRIS

Ce contexte est plus favorable encore depuis la création du French Business Council.

Camille MARQUETTE

Il s'agit d'un club d'affaires franco-géorgien créé il y a un an par sept entreprises et deux chambres de commerce (géorgienne et lorraine). Il rassemble en Géorgie tous les acteurs économiques français et promeut en France le marché géorgien. Le FBC regroupe une cinquantaine de membres : des entreprises géorgiennes travaillant avec la France et des entreprises françaises de tous types implantées en Géorgie

Nous recevons une mission de prospection d'entreprises lorraines, wallonnes et luxembourgeoises à la fin du mois de mai. Le sénateur Masseret accompagnera la mission.

Table ronde

Kazakhstan - Ouzbékistan

Participent à la table ronde :

Aymeri de MONTESQUIOU, Sénateur, Président délégué pour le Kazakhstan du groupe parlementaire France-Asie centrale

Daniel PATAT, Chef de la Mission économique à Almaty

Christian LOUBET, Directeur Business Development Asie centrale Caucase, Alstom

Monsieur HENRY, Malteries Soufflet

Jean-Michel MEUNIER, Représentant à Almaty, Société Générale, Directeur général adjoint de ProstoKredit, CCEF

Alain PRZYBYSZ, Délégué Pays Mer Caspienne-Asie Centrale, Total Exploration&Production

Gilles REMY, Président Directeur Général, Cifal Groupe, CCEF

Gints APALS, Conseiller du représentant de l'Union européenne pour l'Asie centrale

Cette table ronde est animée par Christine MURRIS.

Christine MURRIS

Comment les entreprises s'adaptent-elles à la nouvelle donne dans ces pays ? Je cède la parole à Monsieur de Montesquiou qui préside cette table ronde.

Aymeri de MONTESQUIOU

Cette région est stratégique. Elle recèle un fort potentiel de développement économique mais aussi un fort potentiel conflictuel.

La zone concentre un pourcentage important de la production mondiale d'hydrocarbures, en particulier au Kazakhstan qui sera d'ici 20 ans le cinquième exportateur de pétrole. La France y est bien représentée avec Total qui est un véritable partenaire pour le pays.

La France peut également jouer un rôle important dans le secteur de l'eau comme je l'ai déjà évoqué. L'approvisionnement en eau et l'assainissement constituent en effet un problème majeur dans les grandes villes. Il en est de même pour le chauffage urbain qui engendre des pertes colossales.

La France a aussi sa place dans le domaine agro-alimentaire. Ces pays présentent parfois un fort potentiel agricole (fruits et coton en Ouzbékistan - blé dur au Kazakhstan). Le Kazakhstan est en outre un des premiers fournisseurs d'uranium, de chrome et de cuivre.

Par ailleurs, la Chine voisine effraie compte tenu du déséquilibre démographique et le grand frère russe est vu comme oppressant. La France a une place privilégiée à tenir en vertu des raisons déjà mentionnées.

La législation s'est stabilisée et les transferts de technologie sont importants en raison de la forte demande de formation de ces pays.

Christine MURRIS

Monsieur Przybysz, quels changements sont visibles au Kazakhstan ?

Alain PRZYBYSZ

Total est implanté au Kazakhstan depuis le début des années 1990. Aujourd'hui, nous sommes présents sur le CPSA, nous avons un contrat d'exploration et de partage de production qui couvre un domaine large sur lequel on retrouve le champ géant de Kashagan. Le développement de ce champ a commencé début 2004 mais la première phase de production ne débutera qu'à la fin de l'année 2012. Les défis techniques, logistiques et écologiques sont énormes.

Ce champ était à l'origine opéré par l'ENI. L'évolution majeure que nous avons connue à ce niveau est un changement de modèle opératoire pour le développement et l'exploitation, ce changement étant consécutif à des dérives en termes de coûts et de délais. Ce champ est le plus grand projet industriel jamais mis en oeuvre.

Le 22 janvier, l'operating est passé à la NCOC avec la répartition des tâches suivante : l'ENI pour la phase 1, Shell pour la phase 2 et Exxon pour le forage. La NCOC s'inspire essentiellement des méthodes de management de Total. Son Directeur général est issu de notre société et nous pensons fournir plus d'un tiers des effectifs.

Christine MURRIS

Monsieur Comte de la société Vallourec s'était déclaré intéressé l'an dernier par ces projets.

Thomas COMTE

Nous suivons toujours le projet Kashagan avec intérêt en tant que fournisseurs de matériel de forage.

Christine MURRIS

La situation est-elle dès lors plus favorable pour les entreprises françaises ?

Alain PRZYBYSZ

Je ne commenterai pas la manière dont l'ENI établissait ses contrats. Les appels d'offres et les contrats doivent être approuvés au titre de l'accord que nous avons signé avec l'Etat. Les procédures sont transparentes.

Christine MURRIS

Christian Loubet représente Alstom Transport est également présent autour de cette table.

Christian LOUBET

Le groupe Alstom est présent au Kazakhstan, en Asie centrale et en Russie depuis moins de dix ans. Nous avons deux priorités : l'énergie et le transport. Je vous parlerai du transport. Nous avons démarré au Kazakhstan il y a environ quatre ans et nous rencontrons de nombreuses difficultés. L'adaptation culturelle est progressive. Il convient d'être réactif, souple et patient, de trouver un bon partenaire, de disposer de moyens, de savoir investir dans le temps qui est une notion différente en France et au Kazakhstan.

Christine MURRIS

Travaillez-vous sur des projets spécifiques actuellement ?

Christian LOUBET

Nous réfléchissons avec KTZ à la mise en place d'une usine de fabrication de locomotives électriques. Nous travaillons sur la modernisation des lignes en matière de signalisation, nous cherchons des partenaires pour répondre à un appel d'offres de la ville d'Astana pour un tramway. Cependant, la recherche de partenaires prend du temps et il convient de créer des conditions de confiance car les investissements sont lourds.

La crise budgétaire nous impose en outre la recherche de solutions de financement. De nombreux concurrents déploient par ailleurs des stratégies d'acquisition de partenaires similaires à la nôtre. Nous visons aujourd'hui trois cibles : Samruk Kazyna, KTZ et les mairies.

Christine MURRIS

Comment se déroulent les négociations ?

Christian LOUBET

Nos clients discutent avec trois ou quatre sociétés simultanément. Ils ont au départ une idée fonctionnelle de ce qu'ils souhaitent mais ne pensent pas aux détails. Nous devons ainsi faire preuve de pédagogie et construire un projet avec eux. Celui qui apportera les bonnes solutions techniques et les moyens de financements décrochera le contrat. Les négociations sont longues parce que les projets sont importants. Néanmoins, la volonté politique existe car la modernisation est obligatoire. Nous avons un rôle à jouer et si nous ne le faisons pas, d'autres le feront.

Christine MURRIS

Est-ce également l'analyse de Monsieur Rémy ?

Gilles REMY

Les besoins en termes d'infrastructures sont et resteront considérables. Le Kazakhstan est le pays le plus sensiblement et précocement touché de la région alors qu'il faisait figure d'exemple.

Le fait qu'une entreprise française, Total, soit leader du plus grand projet industriel mondial stimulera sans doute les entreprises pour autant qu'elles soient en mesure de répondre aux besoins.

Il est regrettable que le Turkménistan ne soit pas à l'ordre du jour. La présence française y est très importante : Bouygues s'y est implanté depuis 1993, Vinci vient d'y entrer, Thales a notamment opéré le système de contrôle aérien et le président sera invité en visite officielle en 2009.

L'Ouzbékistan, premier état de la zone en termes d'habitants, est un pays difficile mais relativement peu touché par la crise, exprimant des besoins importants et présentant des capacités de financements. Par ailleurs, la concurrence y est moins vive qu'ailleurs. La présence française est très faible dans ce pays.

Christine MURRIS

L'environnement juridique et l'accès y sont difficiles.

Gilles REMY

Les coûts d'approche sont en effet très élevés. Ces pays sont très bureaucratiques, ce qui aboutit à des lenteurs dans la mise en oeuvre des projets. De nombreux appels d'offres ne débouchent sur aucun contrat.

Christine MURRIS

Le secteur pétrolier est-il le plus prometteur au Kazakhstan si la crise ralentit les projets en matière d'infrastructures ?

Gilles REMY

Oui. Les majors pétrolières ne ralentiront pas leurs projets au Kazakhstan, en Ouzbékistan et aux Turkménistan. Par ailleurs, des opportunités existent en dépit de l'intervention importante des Chinois. Un pipeline qui va du Turkménistan vers la Chine offre de véritables possibilités.

Christine MURRIS

Au Kazakhstan, le gouvernement est-il intervenu avec force et rapidité ?

Gilles REMY

Oui, les banques privées ont été quasiment nationalisées et le centre de gravité de la vie économique est passé du côté de l'État.

Christine MURRIS

Je me tourne à présent vers Monsieur Henry qui représente les malteries Soufflet. Comment avez-vous développé votre activité et quelles sont vos attentes ?

Monsieur HENRY

Le groupe Soufflet intervient dans le négoce de céréale, la meunerie et la malterie. Nous sommes arrivés au Kazakhstan en rachetant une malterie tchèque qui possédait une filiale dans ce pays. Celle-ci est importante en termes de capacités de production. Si, à l'époque, elle ne produisait que 8 000 tonnes, elle en génère aujourd'hui 85 000. Le Kazakhstan a représenté une opportunité pour nous car ce pays est globalement un grand producteur et exportateur de céréales dans une zone importatrice nette.

Nous avons développé la production d'orge à travers un réseau de 120 agriculteurs qui travaillent sur de grandes exploitations. Nous avons investi sur la formation technique des producteurs en les accueillant en France et en développant sur place la sélection des semences. Notre ambition est de continuer à développer la seule malterie du Kazakhstan et l'un des seules malteries de cette zone pour la porter à une production de 120 000 tonnes, la bière étant le produit qui connaît la plus grande expansion mondiale en termes de consommation.

Nous réfléchissons également sur le négoce de céréales qui est le coeur de métier du groupe. Nous rencontrons des problèmes de logistique ferroviaire et le Kazakhstan n'est pas relié aux grandes zones d'importations par voies maritimes, ce qui se répercute sur le prix des céréales exportées. Ce pays jouera un rôle fondamental dans le cadre de l'équilibre alimentaire mondial.

Deux éléments sont fondamentaux : la sélection des semences et la logistique.

Christine MURRIS

Monsieur Patat, voyez-vous se manifester un intérêt français à la mesure des perspectives dessinées par Monsieur Henry ?

Daniel PATAT

Un réel intérêt est exprimé par les industriels du secteur. Si l'on souhaite développer l'agriculture dans un pays qui dispose de 220 millions d'hectares de terres arables, il faut investir. Des investisseurs locaux sont présents mais la taille des exploitations implique une mécanisation difficile à financer et à gérer. Nous devons donc contribuer à l'investissement.

La direction des grandes cultures au ministère de l'agriculture kazakh déplorait encore le caractère arriéré de ce secteur. Le Kazakhstan est fondamentalement un pays de grande culture mais il abrite également dans le sud une frange agricole qui peut permettre une diversification et se rapprocher du potentiel de l'Ouzbékistan. Tout cela implique toutefois des travaux considérables.

Nous souhaitons entrer dans ces processus, en trouvant des investisseurs au Kazakhstan et en collaborant avec l'État ou des fermes publiques en Ouzbékistan

Christine MURRIS

Quelle est la position du gouvernement du Kazakhstan ?

Daniel PATAT

Je n'ai pas perçu beaucoup d'enthousiasme. Le Kazakhstan produit suffisamment pour alimenter sa population et les populations environnantes. Il est un exportateur net et peut même devenir un grand exportateur. KazAgro qui constitue le conglomérat public chargé du développement agricole a été doté de moyens considérables pour accompagner le développement des grandes cultures et la modernisation de l'ensemble de l'agriculture.

Christine MURRIS

Mais les Français ne se sont pas saisis de cette problématique jusqu'à présent.

Daniel PATAT

Ni les Français, ni d'autres investisseurs étrangers.

Monsieur HENRY

Nous avons le sentiment qu'en matière de grande culture, le Kazakhstan en est encore au stade de la « cueillette » par rapport aux concurrents de la région (Russie et Ukraine). Nous discutons avec KazAgro pour amener cet interlocuteur à trouver des moyens de financer directement les agriculteurs. Aujourd'hui, les investisseurs préfèrent « ramasser » ce qui existe plutôt qu'investir véritablement.

L'ouverture du pays est récente et les grands opérateurs internationaux commencent à peine à découvrir que le Kazakhstan peut jouer un rôle important.

Christine MURRIS

Pouvez-vous nous parler des investissements agricoles en Ouzbékistan ?

Daniel PATAT

L'Ouzbékistan est le jardin de la CEI pour des raisons climatiques, parce que sa population est importante et parce qu'il met en oeuvre une politique d'irrigation. L'Ouzbékistan est un pays agricole qui dispose d'une grande capacité d'extension dans le type de cultures qui devrait prédominer dans le pays. La planification économique a conduit à une spécialisation excessive en matière de céréales et surtout du coton. Le gouvernement suite au tassement du cours du coton commence à envisager une diversification. L'économie n'est cependant pas complètement libéralisée en la matière.

De plus, la population est importante et concentrée dans les zones agricoles. Aujourd'hui le pays a pris conscience de son potentiel et a accru son professionnalisme.

Le développement des infrastructures est en marche même s'il devra être légèrement différé. La difficulté tient au fait que tout repose sur les épaules des États. Concernant les grandes infrastructures de transport, il faudra justifier l'investissement par l'importance de la circulation. La question sociale se pose par ailleurs concernant la distribution de l'électricité et de l'eau.

Jean ROPERS

Trouve-t-on des contremaîtres et des techniciens sur ces marchés ?

Gilles REMY

Des pays comme le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan disposent d'une génération de cadres à fort potentiel formés dans les grandes universités occidentales. Le système de formation pour les techniciens s'est en revanche affaibli depuis 10 ans et il est difficile de rencontrer des cadres intermédiaires qualifiés.

Avec Cifal, nous proposons trois types d'activité aux opérateurs pétroliers du Kazakhstan :

· la gestion des expatriés et le recrutement des cadres locaux pour lequel nous faisons face à une pénurie de main-d'oeuvre de cadres qualifiés ;

· la certification d'équipements, un domaine dans lequel notre chiffre d'affaires doit être réalisé avec des cadres locaux ;

· la métrologie pour laquelle nous avons également besoin de cadres locaux.

Il est difficile de répondre aux obligations en termes de local content pour les investisseurs, les opérateurs et les prestataires de services. La réponse passe par la formation qui est plus aisée à mettre en oeuvre pour les grands groupes.

Pauline DEVOUGE

Où en est l'Ouzbékistan en termes d'accès aux biens de consommation par rapport aux autres pays de la zone ?

Daniel PATAT

La formation est une question sur laquelle nous travaillons avec le gouvernement du Kazakhstan et nous essayons de lancer des programmes de formations de cadres intermédiaires en intensifiant les échanges entre nos deux pays.

Sur la question de l'Ouzbékistan, il convient de considérer que l'économie ouzbèke n'est pas une économie de consommation ou libéralisée comme le Kazakhstan. En contrepartie, la richesse est mieux répartie.

Jean-Claude PASTY

Est-il possible juridiquement d'acquérir des terres au Kazakhstan et qui sont les agriculteurs dans ce pays ? Sont-ce les anciens dirigeants des fermes collectives comme en Ukraine ?

Daniel PATAT

Pour acquérir des terres, il suffit de se constituer en une société ou de signer un partenariat avec des acteurs locaux.

On recense encore très peu d'investisseurs privés. Beaucoup de terres sont encore gérées dans un esprit de kolkhoze et les anciens dirigeants de ces communautés sont encore en activité.

Jean-Michel MEUNIER

Les kolkhozes ont été dissous et les terres ont été partagées entre des membres qui ne disposaient pas des équipements adéquats. Aussi, des sociétés se sont-elles rapidement constituées et ont racheté les parts des petits propriétaires agricoles qui sont redevenus salariés.

Daniel PATAT

Le même processus a été observé en Ouzbékistan. Les petites exploitations qui ne parvenaient pas à un certain seuil de rendement ont été renationalisées l'année dernière.

Gilles REMY

Les Chinois ont acheté des terres dont ils confiaient ensuite l'exploitation à leurs compatriotes. Le gouvernement du Kazakhstan n'a pas apprécié cette initiative et le projet a été retiré.

Eloi MANGION

Existe-t-il des problèmes de convertibilité de monnaie et de rapatriement des bénéfices en Ouzbékistan ?

Daniel PATAT

L'économie est encadrée et la Banque centrale d'Ouzbékistan contrôle les flux de devises et le taux de change. Théoriquement, vous devez pouvoir rapatrier vos bénéfices. En réalité, les exportateurs étrangers souffrent de retards de paiement répétés et nous intervenons souvent auprès des autorités.

De plus, les rentrées d'argent des travailleurs expatriés qui représentent une part importante des flux de devises sont réduites dans la mesure où les expatriés trouvent moins d'emplois et sont moins bien payés.

Christine MURRIS

Le Kazakhstan ajuste son système bancaire. Dans quelle mesure les entreprises peuvent-elles être touchées par cet ajustement et plus particulièrement la Société Générale ?

Jean-Michel MEUNIER

La crise bancaire a évolué lentement. La première conséquence a été l'assèchement du marché du crédit et le credit crunch des banques kazakhes qui n'avaient plus les moyens de renouveler les emprunts contractés à l'étranger et devaient les rembourser à chaque échéance.

Depuis un an, tous les secteurs sont confrontés à des problèmes de financement et le premier touché a été la construction. Le pays a toutefois enregistré un PNB record de 135 milliards de dollars en 2008, les exportations en représentant la moitié. Le Kazakhstan a donc engrangé des réserves et a augmenté les encours de son fonds national. Devant les problèmes de financement, le Gouvernement a recapitalisé quatre grandes banques kazakhes au point d'en prendre parfois le contrôle.

L'essentiel des nouveaux financements vient aujourd'hui de l'État par l'intermédiaire de sa holding Samruk Kazyna. Il a investi entre autres dans l'agriculture, les grands travaux et les PME. Les crédits se font en monnaie nationale à des taux plus bas que ceux des banques commerciales.

Les conséquences de la mise en oeuvre de ce crédit ne sont pas encore tangibles car la mise en route des projets demande du temps.

Le montant des financements qui seront injectés cette année représente 20 % du PNB et ceux-ci devraient constituer un moteur de modernisation sociale. Le logement sera plus accessible et les taux d'intérêt seront plus modérés.

L'activité en matière de crédits personnels de trésorerie se maintiendra.

Christine MURRIS

Je cède à présent la parole à Monsieur Apals qui représente l'Union Européenne en Asie Centrale.

Gints APALS

La situation géopolitique évolue profondément dans la région et les changements concernent les rôles respectifs joués par le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.

Quatre facteurs majeurs sont à l'origine du changement géopolitique. Le premier renvoie à l'impact de la crise financière. Le Kazakhstan est très touché (comme en témoignent l'affaiblissement du système bancaire, les faillites potentielles dans le secteur de la construction, la perte de ses économies par la classe moyenne et le retour possible de travailleurs émigrés de la Russie) tandis que le déficit de la balance des paiements se creuse. Le deuxième facteur concerne les forces internationales présentes en Afghanistan. L'Asie centrale devient une zone d'importance stratégique dans le cadre du conflit et le renforcement des troupes aura un impact économique dans les pays de la région. Le troisième facteur recouvre les tensions grandissantes autour des ressources en eaux entre les pays de l'amont qui voudraient utiliser ces ressources pour produire de l'électricité et ceux de l'aval qui souhaitent les mettre au service de leur agriculture. Enfin, la politique de plus en plus offensive de la Russie et la présence de la Chine constituent le dernier facteur qu'il convient d'évoquer.

Le Kazakhstan a été tellement affaibli qu'il a perdu son rôle de leader économique et politique. L'Ouzbékistan essaie avec succès de profiter de la situation pour récupérer son leadership régional

De plus, l'économie ouzbèke se porte plutôt bien. Ses exportations principales sont dans l'ordre le gaz naturel, l'or, le coton et le cuivre. En 2009, les revenus issus de ces exportations devraient augmenter de 25 %. De même, le PIB devrait augmenter sensiblement en 2009 et l'emploi sera le problème majeur. Le Gouvernement essaie de créer des emplois avec l'aide de l'Union Européenne et des institutions financières internationales.

Le gouvernement ouzbek se pose en adversaire de la Russie dans l'organisation internationale des États post-soviétiques. Il n'est pas ouvertement soutenu par les autres pays mais ses efforts sont appréciés.

La politique de maintien de la stabilité politique et sociale au détriment de l'accélération du développement économique est payante car le pays est moins touché par la crise. Il souffrira moins de la baisse du prix du gaz en Europe car les marges de profit de Gazprom sont très importantes.

L'Ouzbékistan est toujours méfiant envers les investissements étrangers. 80 % des investissements étrangers sont russes et se concentrent dans le secteur du gaz. Aujourd'hui, les conditions politiques sont davantage propices à une collaboration économique.

Christine MURRIS

Merci de cette approche géopolitique et merci de toutes vos interventions.