IV. LA PLACE DU FRANCAIS DANS L'ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE DES LANGUES-CULTURES
Si très peu de Coréens pratiquent couramment
une langue occidentale, presque tous sont d'accord pour constater que
l'enseignement/apprentissage des langues-cultures est à la base du
développement des échanges internationaux dans tous les domaines.
En effet, la langue est à la fois le véhicule
privilégié de la transmission de la culture et le
dépositaire de cette même culture.
Cependant, l'enseignement/apprentissage livresque et théorique du
coréen a fortement influencé celui des langues
étrangères, en accordant la priorité à
l'écrit et à la grammaire. Pour bien comprendre la place
qu'occupent les langues-cultures en général, celle du
français en particulier, il est utile de préciser la conception
de la langue et celle de la culture par les Coréens eux-mêmes qui,
naturellement, va se projeter sur les autres langues-cultures. La conception
livresque de l'enseignement/apprentissage induit l'idée que
l'école demeure un lieu d'études déconnecté des
aspects pratiques. La politique linguistique actuelle et les problèmes
relatifs à l'enseignement/apprentissage des langues-cultures
reflètent en partie cette conception.
A. CONCEPTION DE LA LANGUE
A l'origine du système éducatif en
Corée, il existait deux langues, puisque l'enseignement était
entièrement dispensé en chinois, même après
l'invention de l'alphabet coréen au XVe siècle. Dans les huit
grandes écoles, on n'étudiait que la littérature et les
sciences chinoises, le chinois étant
" la langue officielle du
gouvernement et de la haute société " (Ch. DALLET, 1874,
P. 77).
Lorsque le roi Sejong rendit publique son intention de créer un nouveau
système d'écriture, susceptible d'être appris facilement
par tous, un groupe d'érudits aux idées conservatrices s'opposa
violemment à ce projet. Ils pensaient qu'aucune écriture ne
pouvait rivaliser avec l'écriture chinoise et, qu'en l'abandonnant, le
coréen risquait de perdre son prestige, d'autant que ces
idéogrammes avaient été adoptés dix siècles
auparavant pour la transcription de la langue coréenne.
Malgré ces fortes oppositions, l'alphabet coréen fut
promulgué. Mais, si cette invention a contribué à
l'instruction de la population, tout l'enseignement continuait à se
donner en chinois et celui-ci constituait l'outil indispensable pour la
transmission du savoir, réservée aux classes
élevées. Seules la recherche intellectuelle et les études
des classiques chinois étaient prises en considération, tandis
que les études pratiques demeuraient plus ou moins
méprisées. Par exemple, le métier d'interprète
était peu considéré malgré un travail reconnu par
la cour royale et les plus hautes administrations. Ces fonctionnaires ne
pouvaient jamais atteindre des postes élevés ; ils devaient
même supporter un certain mépris dû au fait d'exercer un
travail pratique.
C'est précisément cette longue tradition qui conduisit
l'enseignement - de manière exclusive - vers la transmission du savoir
et non du savoir-faire, c'est-à-dire uniquement expliquer et
mémoriser. Dans cette optique, la maîtrise de l'écrit
était indispensable. Savoir lire et écrire en chinois restait
l'objectif essentiel des études. Le concours national consistait
à évaluer la compétence de chaque candidat à
l'écrit.
En revanche, savoir s'exprimer à l'oral ne fut jamais pris en compte.
" Parler trop "
était même mal
considéré, comme le montrent bien certaines expressions courantes
:
" L'homme doit avoir la bouche cousue ; il vaut mieux se taire
que de
dire n'importe quoi ; il faut bien réfléchir avant de s'exprimer,
car la parole versée est comme l'eau renversée,
irrécupérable... "
En somme, il ne fallait pas trop
parler, mais parler à bon escient, ainsi qu'en témoigne cette
autre maxime :
" une belle parole rembourse une grosse
dette "
.
Cette tradition de la transmission du savoir s'est perpétuée
dans l'enseignement moderne, où l'accent est toujours mis sur
l'écrit. L'enseignement du coréen consiste uniquement dans la
compréhension des textes proposés. Le professeur explique d'abord
l'idée générale, donne ensuite des explications
détaillées de chaque phrase et les élèves
l'écoutent attentivement, en essayant de prendre le plus de notes
possible. Ce sont donc des études livresques où les
élèves apprennent par coeur ce que le professeur enseigne.
La priorité à l'écrit est valable pour les autres
matières, y compris les langues étrangères. Les
élèves travaillent sur la langue, la grammaire et le lexique, qui
doivent normalement faciliter la compréhension de textes. La
littérature étrangère est également
étudiée au travers de traductions de textes, mais les professeurs
essayent rarement de faire comprendre les idées des auteurs ou les
styles qui leur sont propres.
Le contact avec les langues étrangères, lors de l'ouverture du
pays, fut l'occasion de prendre conscience de l'importance de la langue comme
moyen de communication. Depuis, cette prise de conscience s'est
renforcée, car les échanges internationaux s'amplifient et la
langue coréenne n'est pratiquée que localement et dans les
communautés installées à l'étranger.
La connaissance de langues est considérée comme un
enrichissement personnel sur le plan culturel et intellectuel et elle constitue
aujourd'hui l'un des objectifs essentiels des études. L'introduction des
langues étrangères a conduit à une réflexion sur la
conception de l'enseignement/apprentissage des langues en général
et l'a fait, en partie, évoluer dans un sens pratique.
L'anglais et le japonais commencent à privilégier l'oral. De
même, un changement radical est intervenu avec la rénovation des
programmes de l'enseignement du coréen. Désormais, les
écoliers apprennent leur langue maternelle avec des objectifs pratiques
répondant aux besoins de communication exigés dans la vie
courante. Non seulement, le contenu de l'enseignement a changé, mais
aussi son appellation : de coréen tout court, elle se nomme aujourd'hui
cours de coréen parlé, écrit et lu.
Cette prise de conscience de l'importance de l'oral n'a pas eu, à ce
jour, les mêmes conséquences dans chacune des langues
étrangères enseignées. En effet, les langues, dont
l'utilité pratique n'est pas directement perçue, comme le
français ou l'allemand, sont encore largement dispensées selon
les méthodes traditionnelles.