CONCLUSION DE LA 2E PARTIE : DES MÉDIAS POUR LA CONQUÊTE MÉDIATIQUE D'ESPACE PUBLIC

Les données rapportées dans ce chapitre précédent nous démontrent l'infinie diversité des acteurs sociaux qui interviennent dans la diffusion d'information visant l'espace public, au sens harbemasien du terme 948 ( * ) . Ces acteurs développent des relations directes multiples avec l'opinion publique ou avec d'autres supports de communication, qui interviennent en tant qu'intermédiaires de cette médiatisation, dans une situation de complémentation et de concurrence entre les médias traditionnels et les médias de source, et de ces derniers avec d'autres médias de source d'autres acteurs sociaux. Dans certains cas, cette relation s'effectue de façon directement concurrentielle. C'est le cas des produits médiatiques du Mouvement des Travailleurs Sans Terre - MST et de la Confédération Nationale de l'Agriculture et de l'Élevage - CNA, ou encore de la Centrale Unique des Travailleurs - CUT et de la Confédération Nationale des Industries - CNI, ainsi que des multiples médias de source religieux, à l'exemple des supports déjà décrits, d'orientation spirite, catholique et néopentecôtiste.

L'objectif du discours et des informations diffusées par les médias de l'église catholique n'est pas le même que celui recherché par ceux de l'église néopentecôtiste ; de même, les contenus du MST sont antagonistes de ceux de la Confédération de l'Agriculture et de l'Élevage du Brésil. Si dans le passé, comme l'a rapporté SCHLESINGER, les sources entraient en compétition pour l'accès aux médias journalistiques et se sont équipées pour ce faire en termes de ressources techniques et humaines dans un processus nommé par l'auteur professionnalisation de source 949 ( * ) , elles entretiennent aujourd'hui la concurrence, mais avec de nouvelles armes. En lieu et place des techniques pour sensibiliser et captiver les journalistes et la presse, au Brésil, les sources ont opté pour une méthode plus efficace et plus sûre, et elles ont investi leurs ressources de manière à posséder leurs propres médias et de mener à travers eux la confrontation des opinions dans la sphère publique.

Les informations qui sont considérées comme des artéfacts construits à partir de la confrontation de forces variées, situées aux niveaux personnel, social et idéologique, entre autres 950 ( * ) , acquièrent avec les médias de source de nouveaux lieux et de nouveaux référentiels de fabrication. L'espace médiatique s'est converti en un véritable champ de bataille. La cible stratégique à conquérir est l'opinion publique et les armes utilisées sont les médias. La presse traditionnelle a cessé de détenir le monopole informatif et se voit obligée de partager son public avec d'autres acteurs sociaux.

Le public est aujourd'hui soumis à une multiplicité de contenus de formats similaires au journalisme pratiqué historiquement. Ce schéma concurrentiel, cet affrontement, tend à favoriser le citoyen, qui bénéficie maintenant d'une plus grande pluralité d'informations. Le problème est que la pluralité se présente sous une forme segmentée. Un point de vue dans chaque média. Ainsi, pour se faire une idée de l'ensemble des opinions, le citoyen devra en théorie consommer les informations émises par différents médias de source. Une diversité qui, tout en pouvant d'un côté représenter la démocratisation de l'accès à l'information et au droit d'informer, peut, de l'autre, se convertir en une overdose informative conduisant à une désinformation.

Un autre effet positif est l'accès aux informations et aux procédés relatifs aux hautes sphères publiques du pouvoir. Avec l'avènement des chaînes législatives et du judiciaire, les décisions prises auparavant à huis clos peuvent aujourd'hui être suivies en direct par le citoyen, sans montage ou coupures, depuis son canapé. Cela donne davantage de transparence aux faits publics et permet au spectateur/citoyen d'être lui-même le chien de garde, une tâche auparavant attribuée par certains auteurs au journaliste.

Dans ce contexte de guerre, une réflexion peut être menée sur les pratiques d'une armée de professionnels. Au journaliste, qui se présente comme partie d'une force entraînée au service des médias de source, échoit une réflexion sur le rôle qu'il joue dans cet espace du champ journalistique.

L'élément concret, sur la base des données présentées dans les deux derniers chapitres, est qu'un nouveau cadre informatif s'est consolidé au Brésil. Il a entraîné des modifications structurelles dans le profil du marché du travail, dans le profil de l'information diffusée et dans le profil des contenus médiatiques véhiculés par la presse traditionnelle.

Les divers exemples cités de ce qui dans le jargon journalistique brésilien est nommé produtoras (boîte de production), montrent une facette de la transformation du profil de ce qui s'insère aujourd'hui dans le segment des entreprises journalistiques. Ces entreprises interviennent dans les segments du journalisme écrit, radiophonique, télévisuel et Internet et conforment ce que les économistes nomment le marché hors rédaction pour les journalistes et qui, comme nous l'avons démontré, représente 60 % de l'offre de travail pour les journalistes, dans le seul secteur privé.

Dans la majorité des cas, elles sont choisies pour externaliser les services de confection du contenu intéressant les sources, celles-ci se trouvant dispensées de la nécessité de recruter directement la main d'oeuvre et d'acquérir les équipements nécessaires au produit médiatique/journalistique. Bien qu'aucune statistique ne soit disponible, cette pratique est aussi très courante dans de nombreux médias journalistiques traditionnels. Ils utilisent un tel procédé pour réduire leurs coûts opérationnels. Au lieu de recruter les professionnels ou d'acquérir les équipements, les journaux, les magazines et les stations de radios et de télévision achètent les produits - reportages, photos, programmes, documentaires etc. - déjà prêts, pour tenter d'échapper aux dépenses liées aux charges sociales.

Normalement, la programmation, les thèmes, les personnes à interviewer et les angles de traitement sont entièrement définis par les contractants, la mission de les exécuter, selon une optique prédéfinie, revenant à la maison de production. Cette dernière ne dispose d'aucune indépendance éditoriale. Éventuellement, lorsque le client, la source, ne possède pas de professionnels pour définir les thèmes, les maisons de productions peuvent présenter des suggestions, mais le critère final de notiziabilità - de définition de la valeur informative - est définit par le contractant, la source.

Le recrutement indirect de journalistes et l'externalisation des services, à travers les contrats avec des entreprises prestataires d'activités dans le champ du service de presse, sont des pratiques très courantes au Brésil. Les principaux contractants de ce type de services journalistiques sont les secteurs de la santé et des nouvelles technologies. Ils ont été pointés par les agences, dans une recherche réalisée à la demande de l'Association Brésilienne des Agences de Communication - Abracom, comme représentant les grands clients de ces dernières, aux alentours de 46,5 % et 40,5 %, respectivement. Ce qui est appelé le troisième secteur - les organisations non gouvernementales - apparaît en troisième position, constituant une tranche de 33 %, devant l'industrie automobile, 18 %. Les travaux développés pour le secteur automobile comprennent essentiellement la fourniture de nouvelles et d'informations aux supports (magazines, programmes de TV, etc.) considérés comme spécialisés dans l'automobilisme. Selon le secrétaire exécutif d'Abracom, Carlos Carvalho, l'externalisation est plus avantageuse, car elle permet la fourniture de produits aux divers médias 951 ( * ) .

Une autre source de changements structurels du journalisme au Brésil est attribuée à l'action des entités liées au troisième secteur - ONG, fondations, instituts, associations et mouvements sociaux, entre autres. Nelson Sato, économiste du Département Intersyndical d'Études et Statistiques - Dieese et du Syndicat des Journalistes de l'État de São Paulo, attribue à ces entités, «principalement celles liées aux droits de l'homme, du consommateur et à l'écologie, entre autres», l'une des raisons du fort accroissement des recrutements de journalistes et de l'apparition de nouveaux médias. Un autre élément déclenchant serait la multiplication des portails et des pages sur Internet.

Toute entreprise de taille moyenne ou au-delà a sa page institutionnelle. Enfin, les entreprises avec des investissements sociaux ont besoin de journalistes pour élaborer leur propre `Bilan Social'. Ce sont de belles publications institutionnelles, chères et bien élaborées. Sans compter, évidemment, le travail de communication et de divulgation traditionnelle - affirme Sato 952 ( * ) .

Avec les informations fournies dans la deuxième partie de cette thèse, nous pouvons conclure que les dernières décennies ont été marquées par une transformation du modèle informatif national. Aujourd'hui, deux modèles de diffusion des informations, deux modèles de marché du travail pour les journalistes, se côtoient au Brésil. Cette cohabitation constitue déjà, en elle-même, un schéma journalistique différencié, différent de celui que le pays a connu auparavant, différent de celui que le monde s'est habitué à consommer et différent de celui que la littérature spécialisée et les chercheurs se sont accordés internationalement à qualifier de journalisme.

Reste à savoir si le modèle plus récent va dorénavant côtoyer le modèle traditionnel, ou s'il anticipe une future étape, une nouvelle phase dans laquelle le journalisme brésilien assumera majoritairement ou intégralement un profil de journalisme de source. Seul le temps permettra de répondre à cette question.

* 948 HABERMAS, J, 1992, p.195.

* 949 SCHLESINGER, Philip, 1992 p. 75-99.

* 950 SOUSA, Jorge Pedro, 2000, p. 21.

* 951 Cf. JBCC. 2004.

* 952 Qualquer empresa de médio porte para cima tem a sua página institucional. Por último, as empresas com investimentos sociais precisam de jornalistas para elaborar o próprio `Balanço Social'. São publicações institucionais bonitas, caras e bem elaboradas. Além, é claro, do trabalho de comunicação e divulgação tradicional. - Économiste Nelson Sato, consulté par courriel par l'auteur de cette thèse.

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