D. LE SEGMENT HORS RÉDACTION
Cette action soutenue de source, en tant que producteurs et diffuseurs d'informations, a favorisé la création d'un segment nommé par les économistes hors rédaction. Il réunit un contingent important de la main d'oeuvre journalistique brésilienne (voir tableau 2.4). En 2004, il comptait 18 679 journalistes embauchés de façon formelle, soit l'équivalent de 60 % du contingent employé par l'initiative privée au Brésil 799 ( * ) . Les chiffres pourraient en réalité être encore plus élevés, puisqu'il s'agit d'un secteur qui utilise également de façon intensive les formules de précarisation des rapports de travail.
Le secteur se montre historiquement plus ouvert à la présence féminine. Si les femmes journalistes occupent à partir de 2000 un espace moindre dans la radio et la TV, et si l'on observe des hauts et des bas dans la presse écrite, hors des rédactions la présence des journalistes femmes est de plus en plus sensible. Au cours des dix-neuf années étudiées, leur proportion moyenne a été de 47 %, et pour les années 1996 à 1998, 2000 et 2002 à 2004, elles étaient majoritaires. Ceci nous amène à conclure que la méta-tendance de féminisation du journalisme brésilien est fortement portée par les structures situées hors des rédactions.
Le poids du journalisme institutionnel développé par les assessorias (services) de presse, les médias de source et les autres structures informatives liées aux sources est significatif dans l'éventail d'options d'offre de travail pour les journalistes brésiliens. La série historique de statistiques du Ministère du Travail révèle son importance en comparaison avec les médias traditionnels. Dans la seconde moitié des années 1980, le segment représentait une tranche moyenne de 52 % des emplois offerts aux journalistes. Dans la décennie suivante, il a chuté à environ 38 % et, au cours des quatre premières années du nouveau millénaire, il a atteint 46 % avec, à partir de 2003, un impressionnant niveau de plus de 60 %.
Il est important d'examiner ce segment du marché du travail de manière croisée avec les périodes conjoncturelles du Brésil. Les moments où celui-ci abrite le plus de professionnels coïncident en effet avec les phases de plus grandes mobilisations sociales dans l'histoire récente du pays. Entre 1986 et 1988, par exemple, plus de la moitié des journalistes exerçaient hors des rédactions traditionnelles. C'est à cette époque que se consolide le processus de re-démocratisation du pays et qu'est installée l'Assemblée Nationale Constituante, chargée d'élaborer une nouvelle Carta Magna pour le Brésil après 21 ans de dictature militaire. Au cours de cette période, divers groupes d'intérêt se sont organisés et ces derniers ont mis en oeuvre divers systèmes de communication institutionnelle pour mobiliser des secteurs de la société et donner de la visibilité à leurs aspirations et à leurs revendications auprès de l'opinion publique et des membres de l'Assemblée Constituante. Les syndicats et les mouvements religieux et sociaux ont alors monté une véritable presse parallèle 800 ( * ) .
L'année suivante, 1989, est celle de la première élection présidentielle au suffrage direct et universel après la déroute du régime militaire. Une vingtaine de candidats se sont présentés et chacun a monté une structure de communication institutionnelle pour alimenter la presse, qui se voyait dans l'incapacité de parcourir tout le pays pour suivre les déplacements des candidats. Un processus similaire a eu lieu dans les différents états, avec les élections simultanées des gouverneurs, de senateurs et des députés. La mobilisation des divers secteurs sociaux autour des élections a maintenu un taux élevé de recrutement de professionnels, qui atteignait, en 1989, 52 % de l'univers.
TABLEAU 2.4
JOURNALISTES DANS LE SEGMENT HORS RÉDACTION - BRÉSIL - 1986 - 2004
Année |
Par sexe |
Poids sectoriel - Brésil |
Mutation annuelle - % |
||||
Masculin |
Féminin |
||||||
absolu |
% |
absolu |
% |
absolu |
% |
||
1986 |
5 787 |
60,20 |
3 745 |
38,96 |
9 613 |
54,84 |
|
1987 |
5 702 |
60,24 |
3 764 |
39,76 |
9 466 |
53,27 |
(1,53) |
1988 |
5 545 |
59,82 |
3 725 |
40,18 |
9 270 |
51,11 |
(2,07) |
1989 |
6 208 |
60,92 |
3 983 |
39,08 |
10 191 |
52,82 |
9,94 |
1990 |
5 895 |
60,97 |
3 773 |
39,03 |
9 668 |
51,18 |
(5,13) |
1991 |
4 964 |
56,20 |
3 868 |
43,80 |
8 832 |
47,74 |
(8,65) |
1992 |
4 695 |
57,65 |
3 449 |
42,35 |
8 144 |
48,17 |
(7,79) |
1993 |
4 431 |
56,13 |
3 463 |
43,87 |
7 894 |
46,06 |
(3,07) |
1994 |
3 553 |
52,30 |
3 241 |
47,70 |
6 794 |
38,44 |
(13,93) |
1995 |
3 440 |
52,22 |
3 147 |
47,78 |
6 587 |
35,48 |
(3,05) |
1996 |
3 134 |
49,94 |
3 142 |
50,06 |
6 276 |
32,31 |
(4,72) |
1997 |
2 982 |
48,77 |
3 133 |
51,23 |
6 115 |
31,40 |
(2,57) |
1998 |
3 510 |
49,95 |
3 517 |
50,05 |
7 027 |
34,40 |
14,91 |
1999 |
3 282 |
50,39 |
3 231 |
49,61 |
6 513 |
32,66 |
(7,31) |
2000 |
3 182 |
46,68 |
3 634 |
53,32 |
6 816 |
31,88 |
4,65 |
2001 |
3 886 |
50,36 |
3 831 |
49,64 |
7 717 |
36,15 |
13,22 |
2002 |
4 473 |
49,77 |
4 514 |
50,23 |
8 987 |
42,87 |
16,46 |
2003 |
7 664 |
44.51 |
9 556 |
55.49 |
17 220 |
60.46 |
91.61 |
2004 |
7 766 |
41,58 |
10 913 |
58,42 |
18 679 |
60.74 |
8.47 |
Obs.: le sexe de 81 journalistes n'a pas été indiqué en 1986.
Source : Elaboration personnelle à partir de la RAIS - Ministère du Travail, Sec. des Politiques de l'Emploi et des Salaires - SPES
Avec un taux un peu plus bas, de l'ordre de 47 %, le segment reste à peu près stable jusqu'en 1993, année de la révision de la nouvelle Constitution - une révision qui était déjà prévue dans la première version. À partir de cette date, le secteur connaît une chute accentuée. C'est une phase de crise économique, pendant laquelle le pays expérimente des plans et des bouquets de mesures de stabilisation économique. Malgré tout, les statistiques montrent que le secteur employait alors un journaliste en activité sur trois. La croissance reprend en 2001 et en 2003 801 ( * ) , à la veille des élections présidentielles et municipales, respectivement. En 2002, annés des présidentielles et législatives, au niveau national, et d'élection des gouverneurs et des députés dans chaque Unité de la Fédération la croissance observée était de 16,46 %. En 2004, année d'élections municipales, une nouvelle croissance, supérieure à 8 %, sera enregistrée.
* 799 Sur les 18 679 journalistes employé de façon formelle en 2004 - l'équivalent de 60,46 % du contingent employé par l'initiative privée au Brésil -, 7 766 étaient des hommes (41,58 %) et 10 913 (58,42 %), des femmes.
* 800 Ce phénomène est détaillé dans la première partie de cette thèse.
* 801 De 2002 à 2003, les statistiques du Ministère du Travail indiquent une croissance du secteur supérieure à 90 %. Il s'agit d'un taux qui s'écarte de la normale historique. Comme on a déjà mentionné, initialement, nous avons pensé ne pas prendre en compte de telles données, puisque ce comportement statistique heurtait la normalité historique. Cependant, les données de 2004 confirment le profil du marché du travail, avec les mêmes niveaux qu'en 2003. En réponse à nos questions - sur les raisons qui pourraient avoir provoqué ce changement de comportement -l'économiste Nelson Sato, du Département Intersyndical d'Etudes et Statistiques - Dieese et du Syndicat des Journalistes de l'État de São Paulo, avance quelques hypothèses: 1) il n'existerait pas de chute des professionnels dans les rédactions comme l'indiquent les statistiques. Il s'agirait d'un faux portrait de la réalité, car la réduction des chiffres serait le résultat de diverses techniques de précarisation des contrats de travail. Ce processus produirait l'image fausse d'une diminution du nombre de journalistes dans les rédactions. Ainsi, l'univers des journalistes travaillant effectivement serait plus grand, mais ils n'apparaîtraient pas dans les statistiques en raison de l'absence de contrat de travail formel. 2) Un reflet du phénomène d'externalisation de la production de contenus. Ce qu'on appelle les produtoras - maisons de production - s'insèrent dans la catégorie hors rédaction. L'externalisation des services provoquerait une migration des professionnels des rédactions hors de ces dernières. 3) Les données représenteraient une croissance effective du secteur hors rédaction.