F. LA DÉPENDANCE STRUCTURELLE
Le rôle des structures de service de presse a pris une importance vitale dans le processus industriel de l'information. Il est difficile d'identifier ce qui est la cause ou la conséquence. L'histoire indique que les supports ont réduit leurs équipes, qu'ils ont éliminé des couvertures journalistiques sectorielles, qu'ils ont renvoyés les professionnels spécialistes de thèmes considérés par le nouveau paradigme mercantile de la presse comme de seconde importance et qu'ils se sont mis à travailler dans ces domaines presque uniquement à partir des bulletins d'informations institutionnels. De cette façon, la quasi-totalité des informations de certains secteurs s'est mis à être assurée, ou au moins transmise, par les sources elles-mêmes (voir le cas du radiojournalisme brésilien dans l'item B-2 - Les informations diffusées sur les radios du Chapitre III - IV).
Dans le contexte national, cette dépendance s'accentue à partir du début du dernier quart du XXe siècle, quand la communication institutionnelle commence à exercer un poids important sur les routines journalistiques. Les acteurs sociaux se sont adaptés aux formats journalistiques exigés par les rédactions. Dans de nombreux cas, de véritables rédactions parallèles à la presse traditionnelle ont été montées. Le rôle de l'attaché de presse en tant que grand collaborateur du journal en est même arrivé à supplanter la position assumée par les hommes qui pensent, planifient et décident - note DINES 485 ( * ) .
Le simple contenu de l'information, même quand il est doté d'un poids significatif, n'est pas toujours assez fort pour garantir, en lui-même, un espace dans l'agenda. Les services de presse sont vus par certains analystes comme des agents chargés d'intervenir dans les compétences des journalistes, de façon à rivaliser avec ces derniers et à influencer le mécanisme de sélection de l'information 486 ( * ) . Le communiqué est une pièce journalistique qui, bien qu'elle soit majoritairement produite par des journalistes, porte dans sa panse l'intention intrinsèque de la promotion. Ce type de nouvelle-publicité, produite par des services de presse ou par le secteur des relations publiques, a directement pour but la recherche de la divulgation gratuite, dans un espace public, de certains intérêts privés - atteste MARSHALL 487 ( * ) . Quand ils ne fournissent pas un texte tout prêt (voir IIe Partie, item II-B-3 - Les radio-agences de source), les agents sociaux cherchent à sensibiliser les médias à travers des événements esthétiquement bien élaborés et qui répondent aux attentes de l'audience. Ce modus operandi peut représenter une perte du sens critique et de la qualité éditoriale des supports, en transformant les rédactions en simples organes de sélection des communiqués de presse 488 ( * ).
Qu'en serait-il des journaux, si un jour les sources officielles se taisaient ? - s'interrogeait avec déception, à la fin des années 1990, Ricardo Noblat, alors rédacteur en chef du principal périodique de la capital brésilienne, le Correio Braziliense. Et il donnait lui-même la réponse - Ou bien ils cesseraient de circuler, ou bien ils découvriraient enfin un matériel riche, abondant et fascinant bien au delà des cabinets et des couloirs feutrés du pouvoir 489 ( * ) . Il est possible que l'utopie de Noblat puisse se réaliser, et favoriser des informations plus humaines et concernant davantage le citoyen ordinaire. Toutefois, assurément, avant que ceci ne se produise, ces mêmes périodiques se verraient dans l'embarras et critiqueraient et condamnerait le manque d'efficacité des structures de communication institutionnelle des sources devenues muettes. Dans la réalité brésilienne, indique LIMA, de nombreux journaux rencontreraient des difficultés pour maintenir leurs portes ouvertes s'ils ne pouvaient compter sur le matériel distribué par les services de presse 490 ( * ) . Il est facile d'identifier la dépendance ou l'interdépendance existant vis-à-vis des structures informatives de source. La `releasemania' est un phénomène marquant dans la presse contemporaine. L'idéologie du néolibéralisme et du laissez-faire aide à transformer les pages des journaux en vitrines commerciales remplies de communiqués - atteste MARSHALL 491 ( * ) . Ce n'est pas pour rien que lors des grèves de journalistes, l'une des premières actions des dirigeants syndicaux est de rechercher la solidarité des structures de communication institutionnelle sous la forme d'une suspension de la fourniture de textes et de photographies aux médias.
Parmi les motifs de l'utilisation massive de textes et de dossiers de presse élaborés par les sources, se trouve la nécessité des supports de se maintenir économiquement à faible coût. Les exigences capitalistes amènent les entreprises à chercher à réduire les coûts de toutes les manières possibles. Les efforts de la plupart se traduisent par la réduction des équipes de journalistes 492 ( * ) . Pour beaucoup d'entre elles, l'information est un détail, le réel objectif de l'entreprise est de capter des annonces publicitaires. Comme le note l'imaginaire populaire des publicitaires au Brésil, un journal est un ensemble de publicité entouré de quelques textes journalistiques. Cette question économique intervient directement dans le processus de sélection des thèmes à couvrir et dans la façon dont le contenu des informations sera obtenu.
L'entreprise médiatique, visant un fonctionnement économique rationnel, et par conséquent le plus rentable possible, tend à diminuer ce coût en réduisant la durée (temps passé à la réception du message) et la distance (entre l'émetteur du message et le récepteur), tout en développant la fidélité (qualité de diffusion) qui, finalement, est le résultat visible de l'activité pour laquelle elle est sanctionnée sur le plan commercial. Pour la presse, et dans une bien moindre mesure pour l'audiovisuel, ce `principe' a conduit à privilégier l'activité des agences de presse aux dépens des reportages et enquêtes extrarégionales des journalistes - note MATHIEN 493 ( * ) ,
Le journalisme quotidien est donc réalisé sous une optique d'économie. Parce que c'est plus cher, le reporter ne se déplace pas sur le terrain pour être le témoin des faits et les confirmer. Les interviews sont réalisées par courrier électronique ou par téléphone et un nombre croissant de sujets sont traités sans un véritable travail de vérification. Son periodistas de escritorio más que de calle, classe ORDÓÑEZ 494 ( * ) . L'information se fonde principalement sur des dossiers et des notes d'information élaborés par les sources. Ces dernières s'efforcent de répondre aux critères de notiziabilità des médias et, pour faciliter leur utilisation, fournissent le matériel déjà digitalisé, édité et, dans certains cas, avec des illustrations, un titre et une mise en page aux standards du support bénéficiaire 495 ( * ) . Dans certains cas, cette (inter) dépendance entre supports et sources dépasse les intérêts d'ordre économique et commercial, le désir de réduire les coûts, et prend la forme d'une identité de valeurs politico-idéologiques.
* 485 BELTRO, Luiz, 1980, p. 88.
* 486 Parmi ceux qui pensent de la sorte, on peut citer DEMERS, François (1995), CHARRON, Jean et JACOB, Loïc, (2001: 2)
* 487 MARSHALL, op. cit. p. 124
* 488 WOLF, Mauro, 2003, p. 119.
* 489 Ricardo Noblat, apud NOGUEIRA, Nemércio, 1997, p. 82.
* 490 LIMA, G.M. 1985, p. 111.
* 491 MARSHALL, idem.
* 492 CHAMPAGNE, Patrick et MARCHETTI, Dominique, 2000, p. 4.
* 493 MATHIEN, Michel, 1992, p. 177.
* 494 Selon une étude réalisée par la Fundación Konrad Adenauer et l'Instituto Prensa y Sociedad (Ipys) dans les pays latino-américains, sur dix heures de travail journalistique, seule quatre sont consacrées à la vérification externe des faits. ORDÓÑEZ, Oscar A., 2005.
* 495 CHAMPAGNE, op. cit.