3. La réglementation professionnelle comme inducteur d'un nouveau territoire
L'ensemble des législations qui réglementent l'exercice du journalisme au Brésil est en grande partie responsable de la façon dont cette activité s'est développée dans le pays. Les premiers débats sur la nécessité d'instituer un système de formation et d'accréditation professionnelle ont eu lieu dès le début du XXe siècle, à travers l'ABI. Celle-ci entretenait le désir d'accréditer professionnellement ceux qui exerçaient le journalisme. La proposition était d'habiliter à travers des titres de capacité intellectuelle et morale les prétendants qui souhaitaient entrer dans le journalisme 392 ( * ) et qui seraient inscrits dans l'Annuaire de la Presse. C'est alors que le principe théorique du registre professionnel des journalistes a vu le jour.
Suivant les courants internationaux et peut-être influencé par les idéaux anarchistes importés par le Brésil avec la main d'oeuvre italienne, le Congrès National brésilien a réalisé, au début des années 1920, les premières études sur la réglementation du travail des journalistes. À cette même époque, seuls les travailleurs graphiques de Rio de Janeiro ont obtenu le droit au repos hebdomadaire rémunéré. C'est dans les années 1930, au cours de l'Ère Vargas 393 ( * ) , que la profession a été réglementée et que le registre professionnel a été institué, mais celui-ci n'a pas été placé sous la responsabilité de l'ABI. La mission a été confiée aux mains de l'État, dans la personne du Ministère du Travail.
La création du premier statut des journalistes brésiliens est interprétée à tort par certains comme un harnais de l'État pour brider le travail journalistique. Elle n'a pas été imposée, et elle ne fut pas non plus le résultat d'initiatives de l'ABI, mais celui de l'action politique des syndicats de Rio de Janeiro et de São Paulo, qui venaient à l'époque d'être créés 394 ( * ) . Cette interprétation est mentionnée par l'ex-président de l'entité, Fernando Segismundo, pour qui la réglementation professionnelle a découlé de l'action de la bande de gauche infiltrée dans les journaux. L'ABI n'avait pas de poids. Elle avait du poids pour sortir les personnes de prison. Pas pour approuver la réglementation professionnelle. La base de la campagne de l'anticommunisme était contre 395 ( * ) .
La carte de presse brésilienne a vu le jour le 30 novembre 1938 et son certificat de naissance est le Décret - Loi n° 910. Cette même législation prévoyait la création du cours universitaire de journalisme au Brésil et établissait, dans son article 1er, que seuls ceux qui étaient porteur de diplôme ou de certificat d'habilitation délivrés par les Écoles de journalisme, dûment reconnues par le Gouvernement Fédéral pouvaient exercer la profession de journaliste dans les entreprises de journaux, de radio et de télévision. Comme les écoles étaient encore inexistantes, il a été établi que pour l'obtention du registre professionnel, il suffisait au candidat de posséder une expérience journalistique préalable, certifiée auprès du Ministère du Travail par la direction de l'entreprise pour laquelle il travaillait.
Cette première réglementation professionnelle a introduit des normes qui ont contribué à l'intersection des champs professionnels du journalisme et des relations publiques. En premier lieu, elle a autorisé le double emploi, ou le double exercice professionnel, même si l'une des activités était dans le pouvoir public. Comme décrit antérieurement, c'était une réalité du marché et les entités syndicales ne s'efforçaient pas de l'interdire. La mesure, qui est en vigueur jusqu'à aujourd'hui (2007), permet aux journalistes de travailler simultanément pour plus d'un support de presse, ainsi que dans des structures de journalisme institutionnel, privées ou gouvernementales. La loi a été plus loin en créant la fonction de journaliste du service public, un professionnel habilité à travailler dans les moyens de communication publics, mais aussi dans les organismes de communication institutionnelle des pouvoirs publics.
Un autre privilège créé par la législation de 1938, et en vigueur jusqu'à nos jours, a été la fixation de la journée de travail à cinq heures quotidiennes. Cela a facilité l'exercice de la profession dans deux supports de travail ou plus. À l'époque, les entreprises médiatiques ne se sont pas opposées à une telle situation, car ces règles leur permettaient de payer des salaires plus bas à leurs professionnels. Pour les salariés, c'était une opportunité d'obtenir une rémunération plus élevée et, une fois dans le service public, de s'assurer une retraite plus tranquille, en bénéficiant des règles concernant les fonctionnaires 396 ( * ) .
Au cours des quatre décennies suivantes, le cadre légal des journalistes a subit de petites modifications, en particulier en ce qui concerne la classification des activités journalistiques. La réglementation professionnelle a été renforcée en 1969- en conservant des caractéristiques des réglementations antérieures, y compris pour ce qui concerne le journaliste du service public -, avec la publication du Décret -Loi n° 972/69, réglementé dix ans plus tard par le Décret n° 83.284/79. Les deux textes réaffirmaient l'obligation de la formation universitaire - quatre ans d'études de journalisme (voir détails dans le Chapitre I, item I-C-2 - Le diplôme : de l'obligation à l'explosion de l'offre d'étudiants).
Ce dernier texte légal a également renforcé l'interprétation selon laquelle le journalisme peut être exercé hors des rédactions. Indépendamment du lieu où elles étaient réalisées, même dans les entreprises non journalistiques et dans les organes publics, une série d'activités ont vu leur exercice réservé exclusivement aux journalistes, porteurs d'une carte de presse. En raison de l'importance de l'existence de ce cadre légal, nous l'analyserons à nouveau dans le Chapitre I - 2. - La différentiation de territoires.
a) Le champ professionnel, fruit de la confusion du cadre légal
Si d'un côté, il est vrai que la corporation syndicale a réussi à obtenir des normes pour démarquer la part qu'elle revendiquait pour les journalistes, il est également vrai que d'autres normes ont embrouillé les pratiques. C'est par exemple le cas de l'arrêté n°. 160 du 04/04/1975, publié pendant la période militaire pour réglementer l'exercice professionnel de ceux qui travaillaient dans le champ de la communication sociale publique. Le Département d'Administration du Service Public - DASP, une sorte de département des ressources humaines de l'ensemble du gouvernement fédéral - avec y compris des ramifications dans certaines entreprises publiques -, a édité cette norme fonctionnelle déterminant que les journalistes, publicitaires, professionnels des relations publiques et professionnels de la radio - tous détenteurs de statuts professionnels spécifiques - soient réunis en une carrière unique. Cette carrière, valable exclusivement pour le service public, a été nommée technicien de communication sociale.
À travers elle, le gouvernement permettait dans la pratique - bien que cela ne soit pas mentionné de façon formelle - que les journalistes travaillent en tant que professionnels des relations publiques et vice-versa. Au plan opérationnel, elle a introduit différentes techniques communicatives en un champ unique. Elle a créé, au moins légalement, un territoire professionnel hybride, qualifié de Communication Sociale. Les journalistes organisaient des événements, des professionnels des relations publiques écrivaient des articles pour la presse et ainsi de suite. Même si cet arrêté n'existe plus, il a laissé des traces profondes dans le mode d'organisation interne du Service Public. Aujourd'hui encore (2007), certains plans de structuration des postes et carrières au sein des entités publiques conservent ce profil. C'est le cas du Ministère de l'Éducation - qui inclut dans son organisation fonctionnelle les professionnels des services de presse et ceux qui travaillent dans les stations de radio et les chaînes de télévision universitaires, sous la dénomination de Technicien de communication sociale (voir encadré 1.1).
ENCADRÉ 1.1
TÂCHES TYPIQUES DE LA FONCTION DE TECHNICIEN DE COMMUNICATION SOCIALE AU MIN. DE L'ÉDUCATION
a) Planifier et coordonner la politique de divulgation et de promotion institutionnelle de l'organe ou entité ; |
b) Superviser le travail effectué par l'équipe impliquée dans l'activité de divulgation et de promotion institutionnelle, en établissant une convergence avec d'autres organes de l'État, pour la divulgation des objectifs de la politique administrative du Gouvernement ; |
c) Coordonner l'accréditation du personnel de presse, en sélectionnant les organes et les professionnels qui exerceront leurs activités dans l'organe/entité ; |
d) Analyser et évaluer les informations concernant l'organe ou l'entité, en réalisant une lecture et une observation attentive de ces dernières et en proposant la vérification des dénonciations véhiculées par la presse ; |
e) Elaborer des textes pour la confection de brochures, affiches, bulletins, dépliants et autres ressources audiovisuelles, avec clarté et concision, pour leur divulgation par les organes ou entité ; |
f) Rédiger, interpréter et organiser les programmes de divulgation, pour leur diffusion par les supports de communication disponibles ; |
g) Elaborer, rédiger, réviser et distribuer des bulletins, des journaux et d'autres moyens de divulgation interne, en signalant les aspects importants, pour la diffusion d'informations intéressant les fonctionnaires de l'organe/entité ; |
h) Elaborer, rédiger, réviser, préparer et distribuer des produits, en veillant à la qualité de ces derniers, pour leur publication par les organes de presse, en accompagnant leur divulgation ; |
i) Réaliser des interviews sur le travail effectué par les divers niveaux et secteurs, en notant les déclarations des personnes interrogées, pour la divulgation d'informations d'intérêt général. |
Source : Elaboration personnelle à partir du Plan de Postes et Carrières des Groupes Professionnels d'Activités des Services de l'Éducation Supérieure - ASES, Activités des Services de l'Éducation Supérieure 397 ( * ) .
En se fondant sur les normes du Ministère de l'Éducation, une description synthétique de la fonction de technicien de communication sociale comprendrait les actions de planifier, coordonner et accompagner la politique de communication de l'organe, en ayant comme tâches typiques celles présentées dans l'encadré 1.1. Une lecture comparative de ces tâches avec celles établies comme étant propres aux journalistes (voir encadré 1.4) révèle, selon nous, que l'ensemble des activités comprises entre l'alinéa «a» et «e» sont typiques du champ des relations publiques et même de la publicité, dans le cas de l'alinéa «e»; les autres concernant davantage le champ journalistique.
ENCADRÉ 1.2
CONNAISSANCES SPÉCIFIQUES POUR LES POSTES DE NIVEAU SUPÉRIEUR - TECHNICIEN DE COMMUNICATION SOCIALE
Communication Sociale |
• Les bases fondamentales de la communication : la communication dans la culture contemporaine ; les théories contemporaines de la communication ; • La relation entre communication et politique ; les canaux (supports) de communication, leur histoire et leur comportement ; • Le processus de communication ; intégration mondiale et nouveaux moyens de communication ; • Connaissance de la norme culte de la Langue Portugaise. |
Journalisme |
• Le langage journalistique : structure, texte, lead, sous-lead', titre, intertitre ; le journalisme économique ; • Le Service de presse : concept, finalité ; • Moyens de divulgation : interview collective, interview exclusive, communiqué de presse etc. Relations et réception de la presse ; • Les supports : journal, magazine, télévision ; agence, média électronique/Internet. |
Publicité |
• Les concepts et finalité de la publicité ; • Les concepts de campagne publicitaire (objectifs et processus de création) ; • La structure des agences de publicité ; • L'analyse de la relation de la publicité avec la nouvelle technologie des communications ; • Les effets d'une campagne sur les ventes et l'image institutionnelle d'une entreprise ; • Concurrence entre annonce publicitaire et autres formes de divulgation de l'image institutionnelle d'une entreprise. |
Edition |
• Édition - copy desk ; • Normes de l'Association Brésilienne des Normes Techniques ; • Notions de projet visuel et programmation visuelle ; • Notions de révision, de production graphique ; • D'éditions électroniques et des logiciels les plus utilisés. |
Marketing et Communication Organisationnelle |
• Bases fondamentales du Marketing ; concepts, définitions, fonctions mercantiles, systèmes mercantiles ; • Marketing pour la promotion institutionnelle et marketing culturel ; • Gestion stratégique de la communication organisationnelle ; communication interne ; communication intégrée interne-externe ; • Planification stratégique. |
relations publiques - |
• Organisation de cérémonial et protocole ; événements, campagnes et réunions. |
Source : Élaboration personnelle à partir des informations collectées à partir de l'Avis de concours n° 01/2005 du Ministère des Villes.
Un autre exemple illustratif est l'avis de concours du Ministère des Villes lancé en 2005 pour le recrutement des techniciens de communication sociale 398 ( * ) . On note que les pouvoirs publics n'ont pas encore déconstruit cette catégorie fonctionnelle, même pour les nouveaux recrutements. Les pouvoirs publics évitent de sélectionner leurs fonctionnaires en fonction de la spécialisation effective de chaque profession. L'analyse de l'avis renforce la notion de la construction d'un espace professionnel hybride. Les contenus des épreuves de connaissances, dont les candidats devaient démontrer qu'ils les dominaient, mettent en évidence le mélange des divers champs. Le candidat, pour être approuvé, devait présenter des caractéristiques d'un professionnel polyvalent, capable d'exercer des techniques journalistiques, publicitaires, de marketing, d'édition graphique et de relations publiques. (Voir encadré 1.2)
* 392 Idem, p. 85.
* 393 Leader politique du sud de pays, Getúlio Vargas a mené une révolution en 1930, qui lui a permis, par le truchement de moyens plus ou moins constitutionnels, de rester président de la République jusqu'en 1945. Il est réélu en 1950, mais il se suicide en 1954 après une crise politique. Sous son gouvernement, le Brésil, alors pays très rural, a commencé à développer son industrie de base. C'est aussi à cette époque que les travailleurs ont obtenu leurs droits sociaux et labourables et les femmes le droit de voter. Vargas c'est une figure très polémique, puisqu'il est, pour certains, un dictateur et pour d'autres, un visionnaire qui a changé la réalité brésilienne. L'Ère Vargas, les années 1930-45, est marquées par la période de l'Estado Novo de Getúlio Vargas, qui, comme Mussolini, développe un modèle d'organisation syndicale en lien étroit avec l'État. Les principes de Vargas étaient basés sur la loi italienne, Carta Del Lavoro. Néanmoins, selon RIBEIRO, José (2001), la loi brésilienne consacrée aux droits sociaux s'inspirait, en réalité, de la loi soviétique des droits des ouvriers, élaborée pendant le mandat de Lénine. Pour l'auteur, la popularisation de la version d'une inspiration italienne est le fruit d'une campagne de diffamation de Getúlio Vargas, orchestrée par le patronat industriel brésilien.
* 394 ROCHA, Paula Melani, 2005.
* 395 Fernando Segismundo, alors président de l'ABI, dans un entretien avec l'auteur le 22/07/2002
* 396 SANT'ANNA, Francisco, 2006-C.
* 397 Disponible sur http://www.uvanet.br/web_docs/planos_cargos_carreiras.pdf
* 398 Cf. Avis de concours n° 01/2005.