SECTION 3 - MÉTHODOLOGIE ET QUESTIONS POUR LA RECHERCHE.
L'étude d'un thème marqué par son caractère inédit est gratifiante pour le chercheur, mais elle représente aussi beaucoup de responsabilité et un grand défi. Comprendre comment les secteurs de la société réagissent dans un contexte de médias oligopolisés et d'agenda informatif concentré s'avère important pour les études dans les champs des Sciences de la Communication, de la Sociologie et des Sciences Politiques. Ce sont des facteurs importants pour la compréhension des processus de production et de diffusion de l'information, de l'organisation des moyens de communication, et de l'organisation d'une société donnée. Les données présentées dans cette thèse pourront mettre en évidence de nouveaux paramètres et paradigmes - ou en renforcer d'anciens - pour la compréhension de l'activité journalistique et des territoires où elle se développe.
L'étude du thème proposé dans cette thèse contribue à la compréhension d'un phénomène socioculturel qui se révèle aujourd'hui plus proéminent au Brésil, mais qui peut se répéter, avec une intensité égale ou plus grande, dans d'autres nations. Pour faciliter l'analyse et la critique par des tiers - principalement par ceux qui ne connaissent pas la réalité nationale -, il devient important d'apporter des connaissances plus détaillées sur ce phénomène. D'où notre option de chercher à décortiquer le mieux possible la réalité des médias de source, leur origine, leur amplitude, leur champ d'action, leurs répercussions, ainsi que les éléments historiques dont nous jugeons qu'ils ont contribués à leur existence.
L'existence de ce présupposé nous incite à nous pencher, pour mieux les connaître, sur les origines ou les éléments qui peuvent être intervenus dans l'apparition des médias de source. Remonter le passé, rechercher et récupérer des données de la trajectoire du journalisme au Brésil permet d'enrichir la perspective historique de l'observateur qui cherche à reconstituer les formules sociologiques mises en oeuvre par les divers acteurs sociaux impliqués dans la construction d'un phénomène 230 ( * ) . Ainsi le présent travail comportera-t-il un cadre descriptif très accentué, car nous pensons que ceci contribuera à une meilleure compréhension et à la réflexion de tous.
Cette recherche a exigé une optique différente de celle communément adoptée. Nous ne nous centrerons pas uniquement sur les moyens de communication, mais aussi sur l'action des acteurs sociaux avides de communiquer avec la sphère publique. Une optique qui s'inspire d'autres initiatives importantes, comme celles de SCHLESINGER 231 ( * ) et RUELLAN 232 ( * ) , contribuant à la construction d'une nouvelle perspective sur l'identité du journaliste et de son territoire d'intervention.
Cette nouvelle optique a impliqué l'utilisation d'auteurs de différentes écoles et nationalités. La vision brésilienne, aux côtés d'auteurs d'écoles d'autres nationalités - réunissant principalement des chercheurs français, canadiens, portugais, espagnols et anglais - contribue en tant qu'instrument de réflexion pour élargir les références d'analyse des données et informations recueillies, ainsi qu'à la construction de l'hypothèse centrale de cette thèse. Nous nourrissons l'espoir de contribuer, avec cette étude, à une meilleure compréhension de la dynamique informative au sein de la sphère publique, ainsi que de la transformation du rôle de source, des journalistes et des médias comme un tout.
La problématique devant laquelle nous nous trouvons est vaste et complexe, mais nous pensons pouvoir la synthétiser en quelques questions.
1. L'existence des médias de source au Brésil représente-elle la présence d'un nouvel acteur sur la scène journalistique ?
2. Avec eux, le territoire journalistique se transforme-t-il en direction d'une étape qui pourrait être nommée journalisme d'Influence 233 ( * ) ?
3. Et en ce qui concerne le territoire professionnel, qui est ce professionnel de l'information, ce journaliste de source ? Est-il un journaliste comme les autres, avec les mêmes valeurs et paradigmes ? Ou bien serions-nous face à un nouveau territoire professionnel, occupé par une nouvelle profession, celle des journalistes d'Influence ?
La présentation de ces trois questions nous ramène à un nombre infini d'autres interrogations. Des questions du type : l'existence des médias de source représente-t-elle un retour au journalisme de transmission ? Un journalisme auquel font référence CHARRON et DE BONVILLE, marqué par une influence directe de source sur les supports et où ces derniers jouent essentiellement le rôle d'intermédiaire entre la source et le lecteur 234 ( * ) . L'apparition des médias de source serait-elle une étape non imaginée par SCHLESINGER, dans sa théorie du professionnalisme de source 235 ( * ) ? Une nouvelle étape qui propose un mécanisme allant au delà des techniques de simple sensibilisation de la presse, en passant à la diffusion gratuite, de façon à faire concurrence aux médias traditionnels. Ou bien tout cela ne correspondrait-il en rien à une activité journalistique et devrait-il être en réalité analysé dans le champ des relations publiques, de la publicité et de la propagande, ou même du lobbying ?
Quant aux journalistes de source, quel est le meilleur critère pour leur délimitation professionnelle ? Nous proposons une optique différente, qui s'écarte des modèles européens, selon lesquels en ne travaillant pas pour un support de communication de format traditionnel, on perd le statut de journaliste; tout comme du modèle brésilien, qui est uniquement liée au cadre légal. Notre analyse accordera la priorité aux routines et aux valeurs professionnelles, pour constater l'existence d'un territoire journalistique à partir du concept de déplacement de frontières 236 ( * ) , selon lequel les professionnels tendent à étendre leur espace professionnel d'action en emportant avec eux les pratiques et les paradigmes faisant déjà l'objet de consensus au sein de la corporation.
Les questions sont multiples et sur de telles interrogations, nous ne chercherons pas à présenter une réponse complète et définitive, mais à apporter les éléments d'une réflexion approfondie. Nous tenterons dans un premier temps d'identifier les dimensions de ce phénomène sur la scène nationale, ses acteurs principaux, ses techniques communicationnelles et sa répercussion sur le marché du travail. Au travers d'une étude de cas, nous déterminerons qui est le professionnel travaillant pour les médias de source, quels sont ses paradigmes et ses routines professionnelles et quelles sont ses représentations personnelles du rôle social de l'information dans la sphère publique, ainsi que de celui des médias de source. Et jusqu'à quel point les pratiques journalistiques traditionnelles sont incorporées par les journalistes de source dans leur activité quotidienne.
À partir de cette étude de cas, nous déterminerons aussi les répercussions de ce phénomène sur l'action informative des journalistes et sur les supports de la presse traditionnelle. Selon REIS, le journalisme est couramment présenté et défendu comme une élaboration discursive dépourvue de l'intention de convaincre ou de séduire et uniquement préoccupée par l'action innocente d'informer et avec de très bonnes intentions. L'auteur lui-même contribue à déconstruire ce point de vue, en rappelant l'existence des artifices séducteurs du journalisme, qui se cachent si bien sous les nuances de sa prétendue neutralité 237 ( * ) . Notre propos est de déterminer si l'action informative des sources configure, ou non, un journalisme d'Influence, un journalisme où les artifices séducteurs seraient plus intensément mis en oeuvre.
Le référentiel théorique de ce travail repose sur deux axes principaux. Ces axes s'entrecroiseront pour démontrer que la dynamique de la production et diffusion d'information n'est pas à l'abri des effets des conjonctures socio-économiques, pas plus que les organisations médiatiques et l'univers dans lequel elles sont insérées.
D'un côté, la sociologie professionnelle ou occupationnelle. La sociologie professionnelle dans le champ du journalisme, en tant qu'activité insérée dans la communication de masse, se concentre essentiellement sur l'étude des tâches, des routines, des balises éditoriales internes, des relations avec d'autres acteurs, dont les sources, les supérieurs, les collègues, etc 238 ( * ) . Elle est aussi présente dans l'étude des territoires professionnels occupés par les acteurs de l'information et les éléments qui caractérisent une telle activité journalistique 239 ( * ) .
Nous allons l'associer à la notion de champ développée par BOURDIEU, en tant qu'un univers dans lequel les caractéristiques des producteurs sont définies par leur position dans des rapports de production, par la place qu'ils occupent dans un certain espace de relations objectives 240 ( * ) . Pour NEVEU, le concept de champ permet de désigner un espace social relativement autonome, structuré par le jeu de la rivalité, dont les limites sont fixées par l'adhésion des participants à un profil de valeurs et de conventions 241 ( * ) . Une espèce de microcosme où chaque acteur possède des objectifs et des intérêts spécifiques. Ce sont des fragments de l'espace social disposant d'une autonomie pour établir leurs règles et se prémunir des interférences externes d'autres champs. À la structure d'un champ correspond un état de relations de forces, de capacité à modifier ou à conserver le capital spécifique de cet espace, comme la formation académique, les connaissances, le mode de vie, les conquêtes professionnelles, etc 242 ( * ) .
Le champ journalistique doit quant à lui être conçu, selon RIEFFEL, comme un système déterminé par des contraintes externes réparties en trois groupes distincts : le groupe juridique, formé par les législations existantes (loi de la presse, réglementation professionnelle, etc.); celui formé par les techniques professionnelles et, finalement, le groupe des questions économiques 243 ( * ) . Nous ajouterions quant à nous deux groupes supplémentaires : celui des aspects idéologiques professionnels et celui du profil socioculturel.
Dans la mesure où nous considérons le journalisme comme une pratique culturelle, nous pouvons concevoir qu'elle peut se transférer dans l'espace et dans le temps. Sous cet état, elle se reproduit de la même manière que les autres pratiques culturelles, en permettant son appropriation sociale. Une appropriation qui n'a pas nécessairement lieu de façon intégrale, ce qui peut contribuer à la transformation du champ initial 244 ( * ) .
L'objet de la transmission y est différent de l'objet (matériel) de la représentation ; en effet, ce qui est transmis n'est pas le contenu substantif de la représentation (ce n'est pas comme dans le cas d'une idée [l'égalité de sexes], d'une histoire [Le petit Chaperon rouge] ou d'une chanson, le thème et le propos des articles ou des reportages), mais un objet formel, à savoir la méthode, la manière qui sert a produire cette représentation (le paradigme journalistique 245 ( * ) ).
Toujours selon l'optique de la sociologie du journalisme, nous utiliserons des préceptes théoriques qui contribuent à expliquer la façon dont se présente la scène informative et quels sont les éléments qui influencent le contenu informatif qui parvient au public. Des concepts qui cherchent à expliquer les processus de sélection des faits et de construction de la nouvelle, tels que notiziabilità, agendamento et gatekeeper. Notre optique cherchera à cibler la dynamique existante entre les effets de la nouvelle sur l'espace public et l'action de certains secteurs de cet espace public, en particulier les groupes d'intérêts, dans la production d'informations.
C'est à ce stade que nous travaillerons sur le deuxième axe, reposant sur la capacité de transformation du journalisme 246 ( * ) au cours de l'histoire. Une transformation provoquée par la combinaison d'éléments économiques, politiques et culturels. D'où, à notre avis, l'importance de consacrer un espace privilégié à la vision anthropologique de la presse au Brésil. La réalité nationale, comme il sera démontré, est formée d'entreprises engagées envers des acteurs sociaux puissants, ce qui incite à l'apparition de médias alternatifs. Dans une situation ou dans l'autre, les professionnels sont de simples soldats d'infanterie 247 ( * ) et ils internalisent et reproduisent, dans leur plus grande partie, les normes dominantes 248 ( * ) .
En nous appuyant sur des préceptes plus critiques, comme ceux du Cultural Studies , nous chercherons à déconstruire l'affirmation, proclamée par l'école libérale, de l'existence d'une presse autonome et indépendante, et au sein de laquelle les journalistes jouissent d'une autonomie professionnelle qui leur garantit une liberté d'expression - ce point constituant le principal élément de différenciation du champ journalistique des autres activités communicationnelles.
A. LA MÉTHODE DE RECHERCHE
Pour le développement de cette thèse, des procédés distincts ont été utilisés, alliant révisions bibliographiques, recherches documentaires et ressources statistiques. Les travaux sur le terrain ont impliqué des recherches quantitatives, d'observation de routines, de comparaison de contenus de textes et de recueils de témoignages, entre autres, qui ont interagi de façon complémentaire pour viabiliser les informations et les analyses présentées ici.
Il est tout d'abord nécessaire de préciser le profil de la personne du chercheur - auteur de cette thèse -, puisque lui-même entretient des liens étroits avec l'objet d'étude et assume donc une position d'observateur participant. Cette condition ne se limite pas au fait d'être un journaliste professionnel dans l'exercice de ses activités. Au-delà de son parcours professionnel, celui-ci possède une trajectoire de dirigeant syndical. Il exerce depuis 1977 en tant que journaliste et travaille depuis 1993 dans les médias du Senado Federal - qui seront le corpus principal objet d'étude de cette thèse - en tant que documentariste et rédacteur pour la TV Senado . En tant que syndicaliste, il est intervenu entre 1983 et 2001 à divers niveaux de la structure syndicale nationale et internationale des journalistes, en particulier en tant que président du Syndicat des Journalistes Professionnels du District Fédéral, vice-président de la Fédération Nationale des Journalistes du Brésil, et vice-président de la Federación Latinoamericana de Periodistas (Felap) et de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ).
Ce statut a permis au chercheur d'être, au cours de sa carrière, témoin et acteur de certains des faits rapportés dans cette thèse. Une situation dans laquelle l'investigateur joue un rôle dans le contexte du phénomène observé, et qui se caractérise comme une observation participante, dans les termes définis par HAMMERSLEY 249 ( * ) . Ce sont des cas où la présence de l'auteur n'est pas dissociée du contenu de la recherche. Elle permet cependant que des expériences, des faits vécus personnellement, liés en particulier au processus historique intervenant dans le thème analysé, soient apportées au texte à partir d'un témoignage personnel.
Les procédures méthodologiques utilisées pour la collecte des données sont explicitées dans les sous-sections suivantes.
* 230 OFFERLÉ, Michel, 1994.
* 231 SCHLESINGER, Philip, 1992.
* 232 RUELLAN, Denis, 2004.
* 233 La théorie selon laquelle le journalisme se transforme au cours de l'histoire est défendue par ces mêmes auteurs canadiens. CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean, 1996, p. 17.
* 234 Selon les deux auteurs canadiens, le journalisme de transmission est apparu en Amérique du Nord au XVIIe siècle et consistait en l'action d'imprimeurs qui recueillaient et diffusaient dans leurs gazettes des annonces et d'autres informations sans plus grande intervention sur les contenus diffusés. Les supports bénéficiaient de l'appui financier de mécènes et d'autres acteurs sociaux intéressés par le contenu informatif diffusé. L'information reçue était retransmise sous la même forme, sans modifications de valeurs. CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean, 2004, p. 03 e 143.
* 235 SCHLESINGER, Philip, 1992.
* 236 RUELLAN, Denis, 1993.
* 237 das artimanhas sedutoras do jornalismo, que tão bem se escondem sob as nuances da sua pretensa neutralidade. REIS, Ruth, 2002, p. 5.
* 238 HIRSCH, Paul M., 1980.
* 239 RUELLAN, Denis, 1993.
* 240 BOURDIEU, Pierre, 2002, p. 82.
* 241 NEVEU, Erik, 2001, p. 36
* 242 CHAUVIRÉ, Christiane et FONTAINE, Olivier, 2003, p. 16-17.
* 243 RIEFFEL, Rémy, 1984, p. 24.
* 244 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean, 2004-A, p. 58.
* 245 Idem, p. 59.
* 246 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean, 2004-D, p. 216.
* 247 MATHIEN, Michel, 1992, p. 148.
* 248 GUREVITCH, M. et alli, 1982.
* 249 HAMMERSLEY, Martyn et ATKINSON, Paul, 1995.