ANNEXE II
LE STATUT
SPÉCIAL DE LA SICILE
Allocution de M. Vincenzo Leanza, président de la
Commission de l'Assemblée régionale sicilienne pour les
changements du Statut.
L'autonomie spéciale de la région Sicile est née au
lendemain de la seconde guerre mondiale dans un climat où l'ancienne
tradition parlementaire et constitutionnelle de l'île ainsi que sa
vocation naturelle à l'indépendance, par ailleurs stimulée
par des facteurs géographiques, historiques, culturels et politiques,
ont trouvé un terrain fertile pour une insertion particulière de
la Sicile dans le giron de l'État unitaire.
A ce propos, je soulignerais que la Charte constitutionnelle de la
région, le Statut spécial, n'a pas été
imposée d'en haut par l'Assemblée nationale constituante mais,
bien qu'il s'agisse formellement d'un acte étatique, est issue d'un
projet rédigé par l'organe consultatif régional
formé par 24 membres choisis parmi les représentants des
organisations politiques, économiques et syndicales siciliennes de
l'époque.
Les caractéristiques particulières du Statut n'ont pas
d'équivalent dans les autres formes de collectivités locales
prévues et garanties par la Constitution. Les régions ordinaires
relèvent d'un modèle pyramidal, caractéristique de la
suprématie étatique. Les cinq régions à statut
spécial (outre la Sicile, il s'agit du Frioul, de la Sardaigne, du Val
d'Aoste et du Trentin) se sont vu attribuées des « formes et
des conditions particulières d'autonomie ». Telle est la
formule de l'article 116 de la Constitution, toujours en vigueur.
Parmi ces cinq régions à statut spécial, l'autonomie
sicilienne est la plus avancée, avec des caractéristiques
particulières qui concernent, d'abord, les organes institutionnels
mêmes de la région (Assemblée et Président) et
deviennent évidentes dans la définition de la fonction
législative exclusive, des garanties juridictionnelle et de l'autonomie
financière.
J'illustrerai brièvement les caractéristiques actuelles de
l'autonomie spéciale de la région Sicile et les
éléments du Statut. Mais, en ma qualité de
Président de la Commission spéciale instituée au mois
d'octobre dernier par une loi régionale avec pour tâche de
réformer le Statut lui-même, il me faut souligner la grande
importance de la mission qui a été confiée à cette
Commission, qui devra intervenir dans toute une série de matières
d'importance vitale pour l'institution régionale. D'abord la forme de
gouvernement, le mode d'élection de l'Assemblée régionale
sicilienne, les règles du référendum, de l'initiative
législative, mais aussi le système des fonds régionaux,
les relations avec les collectivités locales et avec l'Union
européenne. Le travail de mise à jour et de
réécriture du Statut régional devra porter sur les points
névralgiques de la configuration même de l'entité
régionale, à un moment où le fédéralisme et
la décentralisation des pouvoirs sont à l'ordre du jour dans
toute l'Italie. La Sicile est appelée à confirmer les motifs de
sa spécificité et à en renforcer les contenus.
Mais , pour avoir une idée de la répartition des
compétences opérée par le Statut en vigueur, je crois
qu'il faut commencer par les organes de la région :
Assemblée, députés, Président de la région
et Gouvernement régional, et par les fonctions qui leur ont
été attribuées en 1946.
L'organisation de la région a été conçue et est
encore inspirée d'une forme de gouvernement de type parlementaire,
même si elle a d'une certaine manière été
tempérée par les récentes modifications statutaires
introduites par la loi constitutionnelle n°2 de 2001, qui prévoit
l'élection directe du Président de la région, introduisant
ce que les spécialistes appellent une forme de gouvernement
néoparlementaire.
L'Assemblée régionale sicilienne a des fonctions essentiellement
législatives et politiques. Lui ont aussi été
attribuées d'importantes fonctions consultatives concernant les actes de
gouvernement (tels que les avis sur les nominations et sur les programmes),
ainsi que des fonctions de contrôle sur l'action de la junte.
Quant à son organisation interne, l'Assemblée dispose de la
pleine autonomie réglementaire, de son propre organe de gestion et
d'administration, le Conseil de la présidence, de l'autonomie
administrative et financière. Très important est le rôle
des Commissions, qui ont le pouvoir de rapporter les propositions de loi
à approuver en séance plénière. Une fonction
délicate et de premier plan revient au Président de
l'Assemblée, et ces dernières années à la
Conférence des présidents des groupes parlementaires, qui
établissent le calendrier et le programme des travaux, en faisant des
choix qui déterminent les priorités à aborder.
En ce qui concerne les députés, ceux-ci ne peuvent pas être
poursuivis pour les votes émis et les opinions exprimés dans
l'exercice de leur mandat, ils sont titulaires du pouvoir de contrôle
(à travers les questions et les interpellations) et d'adresse politique
(à travers les motions), outre naturellement leur pouvoir d'initiative
des lois (partagé avec le Gouvernement, le peuple et les Conseils
communaux et provinciaux, selon les dispositions du nouvel article 12 du
Statut).
A ce propos, rappelons que la possibilité du référendum
populaire a récemment été aussi introduite, qui faisait
auparavant défaut dans le Statut.
Je m'arrêterai brièvement au Gouvernement, à qui revient la
compétence administrative et réglementaire. L'occasion se
prête à souligner, en marge de notre propos, que les
règlements devront être un instrument de simplification dans le
nouveau systèmes des sources de droit que nous imaginons pour le Statut
à réécrire. La Junte régionale est composée
du Président, qui en est le chef, et des assesseurs
préposés chacun à une branche particulière de
l'administration.
Il faut préciser que la nature du Gouvernement, qui dispose du pouvoir
d'initiative législative, a changé à la suite des
modifications introduites par la loi constitutionnelle n°2 de 2001.
Celle-ci a modifié les modalités de formation du Gouvernement,
qui n'est plus élu par l'Assemblée en son sein, mais est
l'émanation du Président de la région qui nomme et peut
révoquer à tout moment ses propres assesseurs. Ceux-ci, depuis
2001, peuvent être choisis en dehors de l'Assemblée (dans
l'exécutif actuel, ils sont ainsi quatre à venir de
l'extérieur). Ceci est la conséquence du nouvel ordre
institutionnel qui accentue, pour des raisons de stabilité et de
fonctionnalité, le rôle de l'exécutif.
Il n'est pas nécessaire de souligner que le Président tire sa
force de l'investiture populaire que lui donne l'élection directe. Il en
découle pourtant, conformément au principe de l'équilibre
des pouvoirs, la possibilité de sa destitution à la suite d'une
motion de défiance approuvée par une majorité
qualifiée de l'Assemblée. Dans ce cas, on procède aux
nouvelles élections concomitantes du Président de la
région et de l'Assemblée régionale sicilienne.
Une autre particularité de la fonction de Président est le droit
d'intervenir avec voix délibérative sur les matières qui
intéressent la région lors des réunions du Conseil
des ministres. De surcroît, aux termes de l'article 31 du Statut, le
Président assure le maintien de l'ordre public. Cette disposition n'a
pas encore été suivie de mesures d'application.
Le Statut est mis en application par des normes approuvées par une
commission paritaire constituée de représentants de l'État
et de représentants de la région.
Tout à fait importante est la fonction législative exclusive
conférée à l'Assemblée par l'article 14 du Statut
dans certaines matières dans lesquelles elle peut
légiférer sur son territoire sans autres limites que celles des
lois constitutionnelles de l'État.
Parmi les matières de compétences législative exclusive,
il me faut évoquer l'agriculture et les forêts, l'industrie,
l'urbanisme, les travaux publics, le tourisme, la surveillance
hôtelière, la tutelle des paysages et la conservation des
antiquités et des oeuvres artistiques.
La matière du régime des collectivités locales, que le
Statut attribue au pouvoir législatif exclusif, mérite une place
à part. En effet, la Sicile l'a exercée avec ampleur et a souvent
dans ce domaine précédé des choix importants faits
ultérieurement au niveau national. Je fais allusion à la loi
régionale n°9 de 1986 qui a institué les Libres
coopératives régionales et surtout à la loi
régionale n°7 de 1992 qui a introduit en Sicile, avant le reste du
pays (avec la loi n°81 de 1993) l'élection des maires au suffrage
universel direct.
Pour compléter cette vue panoramique des compétences
législatives de la région, il me faut encore citer la
compétence dite concurrente qui, tout en respectant les limites
générales de la compétence exclusive, se déploie
dans les matières énumérées par l'article 17 du
Statut et dans les principes généraux définis par la
législation de l'État.
Il s'agit du type de compétence que la Constitution prévoyait
jusqu'à la fin de l'année dernière pour les régions
ordinaires. Le nouveau texte de l'article 117 de la Constitution, tel que
réformé par la loi constitutionnelle n°3 de 2001, renverse
le modèle précédent en s'inspirant d'un critère de
type fédéraliste. En effet, dans le nouvel article 117 les
matières de compétences exclusivement étatiques sont
énumérées, tout comme celles de compétence
régionale concurrente, et surtout une compétence
législative régionale résiduelle est introduite dans
toutes les matières non expressément réservées
à l'État.
La portée novatrice pour toutes les régions de cette nouvelles
organisation ne saurait échapper : la région Sicile devra
donc en tenir compte dans le travail de révision du Statut que la
Commission que j'ai l'honneur de présider devra accomplir. Il faut par
ailleurs souligner que pour les cinq régions spéciales, l'article
116 de la Constitution maintient dans sa nouvelle formulation le formes et
conditions particulières d'autonomie déjà prévues
en 1948.
Les finances de la région méritent un développement
à part puisque, à la différence de celles des
régions ordinaires, elles ont hérité du Statut un
régime de séparation.
L'article 36 du Statut établit que les besoins financiers de la
région sont couverts, outre par les revenus patrimoniaux de la
région, par des impôts décidés par celle-ci. Les
impôts sur la production et sur les tabacs sont réservés
à l'État, tandis que reviennent à la région tous
les impôts du Trésor perçus en Sicile.
Le Statut prévoit ensuite, à l'article 38, une contribution que
l'État doit verser chaque année à des fins de
péréquation au titre de la solidarité nationale. Ce n'est
pas ici le lieu pour exposer le contentieux relatif à ce fonds, qui a
été toujours plus réduit et vidé de contenu. Il
suffit de souligner que la conception qui inspire le Statut est celle d'un
fédéralisme solidaire - à laquelle devront se
rattacher les réformes institutionnelles en cours de discussion dans le
pays - qui trouve ses fondements historiques et culturels dans la question
méridionale et dans l'écart existant entre le Nord et le Sud de
l'Italie.
Un dernier mot sur les garanties juridictionnelles. Le Statut, en effet, avait
prévu un organe juridictionnel, la Haute Cour, chargé de se
prononcer sur la constitutionnalité des lois émanant de
l'Assemblée régionale et sur les lois et règlement
émanant de l'État au regard du Statut sicilien.
La Haute Cour a été déclarée absorbée par la
Cour constitutionnelle par un arrêt de 1957. Toutefois, j'ai voulu la
citer parce qu'il s'agissait d'une particularité autonomiste qui en dit
long sur le rôle que la Sicile avait à cette époque au sein
du pays.
Un rôle de guide justifié, comme je l'ai déjà dit,
par des raisons historiques, culturelles et politiques que la Sicile revendique
encore, en dépit de processus de nivellement subi par rapport aux autres
régions italiennes.