CHAPITRE 3
L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE :
UN
CONCEPT INCONNU MAIS DES RÉALITÉS ARDUES
La
campagne pour les élections présidentielles de 2000 a mis en
évidence la problématique de ce que nous appelerions
l'aménagement du territoire : désertification de l'espace
rural, fossé grandissant entre villes et campagnes marquant l'opposition
d'une Finlande moderne et d'une vie rurale presque archaïque.
M. Esko AHO, président du parti du Centre, a souligné notamment
ces thèmes et sa place nettement en tête dans les campagnes, lors
de l'élection présidentielle, a illustré ce clivage.
Selon certains commentateurs, la victoire du Sud sur le Nord, des urbains sur
les ruraux qu'a impliqué l'élection de février 2000
devrait inciter à la réflexion car, dans la mesure où elle
recouvre l'évolution économique, elle constitue un défi
pour les responsables du pays.
Pour eux, d'une certaine façon, une « fracture »
géographique semblerait apparaître entre :
- d'une part, les régions d'Helsinki, de Turku, de Tampere et de
l'Uusisima, en développement ;
- et, d'autre part, les régions de Laponie, d'Oulu, de Vaasa et de
l'île d'Aland.
Il a semblé intéressant à la délégation du
groupe sénatorial d'amitié d'évaluer ce diagnostic et de
mesurer l'impact des politiques régionalisées
élaborées pour répondre à ce défi.
I. LES DONNÉES DE BASE : LES LIMITES DE L'OEKOUMÈNE ET LA MAÎTRISE DES INÉGALITÉS
A. LES CONTRAINTES CLIMATIQUES SONT SÉVÈRES
La
Finlande se situe, pour l'essentiel, entre les 60
ème
et
70
ème
parallèles. Un quart de sont territoire est donc
situé au nord du cercle arctique.
En dépit de cette latitude, le climat de la Finlande est affecté
par le réchauffement qu'exerce jusqu'à sa côte sud le Gulf
Stream. Il est ainsi humide, avec des hivers froids et une variation
prononcée des saisons.
L'été, la température avoisine 17° au sud et 10°
au nord. L'hiver, les lacs et les littoraux marins gèlent pendant un
à cinq mois, voire, pour les lacs, pendant huit mois.
Les précipitations surviennent en toutes saisons. Elles atteignent 600
à 900 millimètres au sud et 400 à 500 millimètres
en Laponie, la moitié de ces précipitations étant
constituées de neige.
La durée de l'éclairement diurne varie fortement selon les
saisons. A la fin du mois de juin, la durée du jour dépasse 19
heures dans le sud et le soleil ne descend pas au-dessous de l'horizon pendant
73 jours. En hiver, l'éclairement diurne atteint 6 heures au sud tandis
qu'
au nord, où l'hiver s'étend sur 200 jours, la nuit polaire
dure 51 jours
.
La durée de la croissance des végétaux, si elle atteint
170 jours dans le sud, ne dépasse pas 100 jours au nord.
Ces réalités climatiques limitent les types de cultures possibles
et imposent des coûts élevés.
Mais si le froid est une contrainte, il est aussi, sur le plan de
l'activité économique et du développement, un défi
à relever
.
Ainsi, comme les auteurs du présent rapport ont pu le constater de visu,
l'aéroport de Rovaniemi
, ville de la Laponie sur le cercle
polaire arctique, doit surmonter un environnement difficile pour les transports
aériens. La circulation y est pourtant la plus dense en hiver. Le fait
que l'aéroport domine son environnement ajoute aux impératifs de
sécurité en vol. Outre le froid et la neige, les nuages
recouvrent la piste, souvent des jours entiers. Les appareils d'observation
météorologique de Vaisala contribuent à renforcer la
sécurité sur un terrain où la neige, le froid, le gel et
les gelées blanches sont une réalité impitoyable.
Le trafic est donc le plus animé pendant les durs mois d'hiver sur
l'aéroport de Rovaniemi, le plus moderne aéroport de type CATT II
d'Europe du Nord. Le système d'atterrissage CAT II qui l'équipe
améliore la sécurité et la régularité des
vols. Aujourd'hui, 350.000 voyageurs transitent chaque année par
Rovianemi.
Des informations météorologiques précises,
communiquées en temps réel, contribuent à améliorer
les conditions des activités aériennes et la
sécurité de l'aéroport tout en abaissant les frais de
gestion. Le travail du personnel de maintenance de l'aéroport est
facilité par des systèmes informatiques modernes qui
préviennent des changements de conditions météorologiques
et de la surface de la piste. Les équipements d'observation
météorologique contribuent à la planification des mesures
d'entretien et à maintenir les frais opérationnels au minimum. La
station ROSA de Vaisala mesure la température de la surface de la piste,
du point de rosée et de l'air, la force de la pluie et les conditions
qui règnent à la surface du sol. Un capteur donne des
informations sur l'état de gel, les antigels chimiques, les teneurs en
eau et les températures de la surface de la piste. Les unités de
visualisation des vents Vaisala qui se trouvent sur la tour de contrôle
aident le personnel de l'aéroport à relever les défis du
climat arctique.
S'agissant de la recherche, l'effet du froid sur la santé de l'homme est
à l'étude depuis de nombreuses années. La Finlande, qui
appartient en partie à la zone arctique, en partie à la zone
subarctique, est naturellement portée à cette recherche. Les
unités de recherche ont ainsi créé, en coopération
avec les entreprises, des produits et des matériaux qui permettent de
neutraliser les effets du froid.
L'institut régional de médecine du travail d'Oulu
qui est
spécialisé dans l'étude du froid dispose de laboratoires
spéciaux (habillement, climatisation, ergonomie, hygiène du
travail et froid). On y étudie, entre autres, la capacité
d'isolation thermique des textiles, la perméabilité des tissus
à l'air et leur résistance à la pénétration
de la vapeur d'eau ainsi que les effets conjugués du froid et des
vibrations.
B. LES CONTRAINTES TOPOGRAPHIQUES SONT RÉELLES
Les
contraintes topographiques s'ajoutent à celles du climat.
Des étendues importantes sont occupées par des lacs.
Sur une superficie totale de 33,8 millions d'hectares, la forêt en
représente 23 millions, les cours d'eaux, lacs et étangs 3,36
millions et les terres improductives 3,7 millions.
Il ne reste que 0,95 million d'hectares pour les surfaces bâties et 2,75
millions de terres cultivables (soit 8,1 %).
Enfin, le substrat morainique de la plupart des terres impose d'éviter
l'érosion des sols et la perte de leurs éléments
nutritifs. D'où le souci d'exploiter les terres cultivées dans le
respect des conditions naturelles et le respect du potentiel de production.
C. LES SÉQUELLES DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIALES DE LA RÉCESSION DES ANNÉES 1990-1993 SE RÉSORBENT PROGRESSIVEMENT
1. Les inégalités de répartition de la population restent fortes
Les inégalités de répartition de la population sont sensibles. Ainsi, la région de Laponie, qui couvre près du tiers de la Finlande, ne compte que 200.000 habitants, encore ceux-ci sont-ils regroupés, pour l'essentiel, dans les agglomérations comme Rovaniemi ou Kemi. Certaines zones connaissent en moyenne une densité de population de 2 habitants au kilomètre carré. Par contraste, l'agglomération d'Helsinki regroupe, à elle seule, 20 % de la population finlandaise.
2. Le vieillissement de la population est un défi à relever
Un
récent rapport de l'OCDE sur la Finlande a mis en lumière le
véritable défi que constitue, pour ce pays, le vieillissement de
sa population.
On compte actuellement un retraité en Finlande sur quatre personnes en
âge de travailler. On estime qu'en 2030 la proportion des
retraités dans l'ensemble de la population sera, en Finlande, la
deuxième la plus élevée des pays de l'Union
européenne.
La conséquence du vieillissement de la population entraînera un
alourdissement de la part des salaires consacrée aux cotisations de
retraite, celle-ci passant de 21,5 % actuellement à 32 % en 2050.
Des financements nouveaux devront, en outre, être cherchés pour
assurer la couverture maladie des personnes âgées.
Pour y remédier, l'OCDE suggère que l'âge réel de la
retraite, qui est en Finlande de 59 ans, soit relevé et reporté
vers 65 ans. Elle suggère, en outre, l'introduction de comptes de
retraites.
En outre, bien que ce pays soit un de ceux de l'OCDE où les
inégalités de revenus sont les moins grandes, la récession
des années 1990-1993 a douloureusement marqué la Finlande. C'est
un sujet que les Finlandais n'abordent qu'avec pudeur, convenant que le nombre
des exclus et des suicides a représenté, pour cette
période heureusement révolue, un coût qui pourrait sembler
inacceptable. Cette récession pèse encore, en dépit de la
reprise économique, sur certaines portions du territoire. Certaines
poches, notamment dans le nord, concentrent des populations dont la moyenne
d'âge excède 50 ans, sans formation et au chômage de longue
durée. Elles paraissent difficilement résorbables.
3. L'égalitarisme apparent semble parfois masquer des réalités plus diffuses
La
société finlandaise originaire, rurale, profondément
égalitariste et marquée par le luthéranisme, proscrivait
les différenciations de richesse, de prestige ou de pouvoir. Or, on
notera que la Finlande partage avec la Suède la particularité
d'une capitalisation concentrée dans les mains d'une partie relativement
limitée de la population, phénomène qui vient en quelque
sorte contredire le modèle social-démocrate dominant en
matière de revenus.
Bien plus, le creusement de certaines inégalités -comme la
distribution de la propriété foncière, la situation au
regard de l'impôt, le recours à certaines aides publiques, comme
celles afférentes à l'entretien du patrimoine ou à
l'octroi de bourses pour les étudiants à l'étranger- tend
à susciter une forme de contestation des populations
géographiquement isolées ou socialement oubliées.
Selon certains commentateurs enfin, les sphères dirigeantes d'Helsinki
ne sont, quant à elles, pas toujours spontanément enclines
à considérer les disparités du développement
territorial comme un problème central alors que la conjoncture
économique, sur un plan global, est particulièrement favorable
pour la Finlande.