OUVERTURE
M. Philippe KALTENBACH
Sénateur des
Hauts-de-Seine
Président du groupe interparlementaire d'amitié
France-Arménie
Mesdames et Messieurs, bienvenue au Sénat.
Merci de vous être déplacés si nombreux.
Nous avons la chance de compter parmi nous de nombreuses personnalités. Je tiens à saluer, MM. Ara Toranian et Mourad Papazian, co-présidents du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF), M. Benjamin Abtan, président de l'association antiraciste européenne EGAM, MM. Levon Amirjanyan et Sergey Azarian, deux représentants de l'ambassade d'Arménie, M. Evragoras Mavrommatis, représentant de la communauté chypriote, et des représentants de l'Institut kurde, ainsi que toutes les personnalités qui nous font l'honneur d'être présents aujourd'hui avec nous. Je remercie enfin nos quatre intervenants venus de Turquie pour cette conférence.
Je vais tout d'abord essayer de répondre à cette question que vous vous posez peut-être : pourquoi le groupe d'amitié France-Arménie du Sénat a-t-il souhaité organiser une conférence sur le thème de l'engagement de la société civile turque dans la reconnaissance du génocide arménien ?
Les sénateurs membres de ce groupe d'amitié, tous groupes politiques confondus, ont considéré qu'il était très important de mieux faire connaître l'engagement de celles et ceux qui, en Turquie, défendent la reconnaissance du génocide.
Depuis de nombreuses années, le combat pour la reconnaissance a porté ses fruits dans un grand nombre de pays. Beaucoup d'États ont reconnu officiellement le génocide arménien, ainsi que des autorités éminentes, telles que le Pape.
Ce combat continue à progresser. J'étais, il y a quelques mois, en Égypte, où j'ai rencontré un député, M. Mustafa Bakri, qui est en train de préparer le vote d'une résolution par le Parlement égyptien afin que son pays reconnaisse le génocide arménien. Une majorité de députés égyptiens a d'ores et déjà signé cette résolution.
En ce moment même a lieu au Danemark un débat sur la reconnaissance du génocide. Cette cause avance donc dans de nombreux pays -et c'est tant mieux !
Toutefois, l'élément essentiel demeure la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie elle-même. C'est en quelque sorte la dernière marche, qui est certainement la plus haute. Pour que nous puissions la franchir, il faut bien sûr qu'il existe une pression internationale partout à travers le monde, mais également que l'on soutienne ceux qui, en Turquie, militent en ce sens.
Leur action n'est pas facile, surtout dans le contexte actuel. Vous suivez de près ce qui se passe en Turquie : on constate malheureusement que le pouvoir du président Erdoðan est en train de glisser d'un régime déjà très autoritaire vers ce que l'on peut qualifier de dictature. On a aujourd'hui une démocratie formelle, certes avec des élections, mais une démocratie ne peut se résumer à une élection. Il faut aussi, a minima , qu'elle respecte l'opposition, les libertés fondamentales -liberté de la presse ou liberté d'expression- et les minorités.
Ce n'est malheureusement pas le cas en Turquie. Je dirai même que la situation s'aggrave de jour en jour. C'est particulièrement inquiétant.
Il était essentiel, dans ce contexte, que l'on puisse soutenir le combat courageux de ceux qui, en Turquie même, luttent pour la reconnaissance du génocide arménien et font évoluer les mentalités.
Nous avons la chance de recevoir deux éminents intellectuels, MM. Cengiz Aktar et Ahmet Insel, qui font partie de ceux qui sont à l'origine de L'appel au pardon de 2008, signé par plus de 30 000 Turcs. Cette pétition qui demandait aux Arméniens leur pardon pour le génocide de 1915, a suscité des réactions très fortes, en Turquie et dans le monde. Elle a permis de nouer un dialogue sur lequel ils reviendront, et de casser ce tabou en Turquie.
Mme Ay°e Günaysu, militante des droits de l'Homme, s'implique beaucoup dans les manifestations commémorant le 24 avril en Turquie.
L'an dernier, avec l'association EGAM 2 ( * ) , j'ai eu l'occasion de me rendre à Istanbul pour les commémorations du génocide arménien. Différents rendez-vous avaient été organisés, ainsi que des rencontres et des manifestations. J'ai bien senti à l'époque, avant même la reprise en main par le président Erdoðan à la suite de la tentative de coup d'État, une très forte pression sur ces manifestations. J'ai été frappé par le courage des Turcs qui prennent position et manifestent sur la place publique.
Nous avons connu des moments très forts à Istanbul l'an passé. J'espère que de telles manifestations pourront avoir lieu l'an prochain, car il faut maintenir ce combat pour la reconnaissance du génocide à Istanbul, là où tout a commencé, il y a plus d'un siècle.
Ma conviction profonde est qu'il faut que cette reconnaissance du génocide arménien soit effective en Turquie. Il s'agit du combat des Arméniens depuis un siècle, et le génocide a été une souffrance considérable auquel s'ajoute le négationnisme d'État. Comme l'a très bien dit Elie Wiesel, le négationnisme revient à assassiner une deuxième fois les victimes. C'est inacceptable. Le combat des Arméniens est juste, et nous devons continuer à l'appuyer, car il touche l'humanité tout entière.
La reconnaissance du génocide est aussi indispensable pour faire en sorte que la Turquie évolue vers une démocratie effective. En continuant à nier le génocide, la Turquie s'enferme dans un mensonge, et ceci contribue à une dérive autoritaire et au refus d'accorder les libertés fondamentales et de respecter les minorités. Il suffit de voir comment sont traités les Kurdes dans le sud-est de la Turquie.
Si l'on veut que la Turquie évolue vers la démocratie, il faut qu'elle passe par cette étape de la reconnaissance du génocide arménien. C'est rendre service à la Turquie que de mener ce combat.
En outre, il s'agit aussi de contribuer à la réconciliation entre les Arméniens et les Turcs. C'est indispensable. Ce fut le grand combat de Hrant Dink, dont nous avons célébré hier le dixième anniversaire de l'assassinat à Istanbul. Je profite de cette conférence pour rendre hommage à Hrant Dink et demander à ce que justice soit faite.
Il a donné sa vie pour la reconnaissance du génocide et pour la réconciliation.
Je vais tout d'abord donner la parole à M. Cengiz Aktar, politologue, journaliste, écrivain, spécialiste de l'Union européenne. Il a travaillé pour les Nations unies et l'Union européenne sur les politiques de migration et d'asile. C'était un grand ami de Hrant Dink.
Il a raconté cette aventure dans un ouvrage intitulé L'appel au pardon , il y a sept ans maintenant, mais cela reste d'actualité lorsqu'on sait ce qui se passe aujourd'hui en Turquie. Je vous conseille la lecture de cet ouvrage.
Tout le monde connaît également M. Ahmet Insel.
Il est également à l'initiative de l'appel au pardon. Il est professeur à l'université de Galatasaray et maître de conférences à l'université Paris I. Il est économiste, politologue et a écrit de nombreux ouvrages sur la Turquie moderne. Je citerai en particulier l'ouvrage remarquable qu'il a écrit avec M. Michel Marian, Dialogue sur le tabou arménien .
Ces deux intervenants s'exprimeront en français. Les deux autres intervenants s'exprimeront en anglais. Leurs propos feront l'objet d'une traduction simultanée.
Mme Ay°e Günaysu est militante des droits de l'Homme. C'est une féministe qui résiste au pouvoir très dur du Parti de la justice et du développement (AKP) et du président Erdoðan. Elle est une des chevilles ouvrières des commémorations du 24 avril à Istanbul. Merci, Madame, d'être venue spécialement de Turquie pour cette conférence.
Enfin, nous donnerons ensuite la parole à un homme politique, M. Garo Paylan, député au Parlement turc et d'origine arménienne. Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu de parlementaire d'origine arménienne au Parlement turc. Je crois même qu'il faut remonter à 1915.
Il appartient au Parti démocratique des peuples (HDP), parti opposé à l'AKP du président Recep Tayyip Erdoðan, dont le leader est en prison, comme le sont douze autres parlementaires du HDP. Lui-même a été suspendu pendant trois jours du Parlement turc pour avoir osé prononcer le mot de « génocide » dans l'hémicycle.
Je l'ai rencontré à Istanbul en avril dernier.
En France, la politique n'est pas toujours facile. On prend des coups, on subit des critiques, des attaques, des coups bas, mais lorsqu'on voit ce qu'endurent les députés de l'opposition en Turquie, on se dit qu'on a bien de la chance en France. M. Garo Paylan subit des menaces de mort et dispose en permanence d'un garde du corps à Istanbul.
La pression du pouvoir pour intimider ou interdire toute expression à l'opposition démocratique est très forte. C'est inqualifiable et scandaleux, et je considère qu'en France comme en Europe, nos gouvernements ne le dénoncent pas assez. Ce qui se passe en Turquie est à nos portes.
Il faut que l'Europe cesse d'être conciliante en raison du soi-disant accord sur les réfugiés passés entre la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, et le président Erdoðan, qui constitue une forme de chantage. Soyons fermes et dénonçons la dérive dictatoriale de la Turquie.
C'est la meilleure manière d'aider et de soutenir ceux qui combattent l'AKP et M. Recep Tayyip Erdoðan en Turquie.
Je laisse à présent la parole à nos intervenants.
INTERVENANTS
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M. Ahmet INSEL Économiste, politologue, professeur à l'université Galatasaray et maître de conférences à l'Université Paris I M. Garo PAYLAN Député turc (d'origine arménienne) du Parti démocratique des peuples (HDP) |
Mme Ay°e GÜNAYSU
M. Cengiz AKTAR
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Ce document constitue un instrument de travail. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat. |
* 2 European Grassroots Antiracist Movement.