Groupe interparlementaire d'amitié
France-Palestine
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LA VIE QUOTIDIENNE EN TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS |
Actes du colloque du 14 décembre 2015
Palais du Luxembourg
Salle Clemenceau
Ouverture du colloque par M. Gilbert Roger, Président du groupe d'amitié France-Palestine
Allocution d'ouverture dans la Salle Clemenceau du Palais du Luxembourg
OUVERTURE
M. Gilbert ROGER,
Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Palestine du Sénat
Monsieur l'Ambassadeur de Palestine,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec un très grand plaisir que je vous accueille ce matin au Sénat au nom du groupe d'amitié France-Palestine de notre assemblée. Je tiens à saluer la venue du nouvel ambassadeur de Palestine en France, S.E. M. Salman El Herfi, qui souhaitera peut-être nous dire quelques mots après mon intervention. Le Sénat, dont l'image traditionnelle en fait une chambre de réflexion, de dialogue, de proposition et de concertation apaisée, était le lieu tout désigné pour organiser un colloque sur la vie quotidienne dans les Territoires palestiniens occupés, en vue d'une connaissance plus fine et d'une meilleure prise en compte des réalités du terrain.
Je souhaiterais tout d'abord dire un mot sur cette initiative et sa genèse. C'est au cours d'un déplacement d'une délégation de notre groupe d'amitié à Jérusalem, Ramallah, Naplouse et dans la région d'Hébron, en mars 2014, qu'a germé l'idée de l'organisation d'un colloque qui rendrait compte de ce que nous avions vu sur place, des témoignages des acteurs de terrain que nous avions rencontrés. Je pense notamment à celui de Yehuda Shaul, directeur des Relations internationales de l'ONG Breaking the Silence , qui a accepté notre invitation à ce colloque, et que je tiens à remercier chaleureusement pour sa venue. C'est à l'occasion de deux visites spécifiques, conduites par les ONG Ir Amim et Breaking the Silence , que notre délégation a pu mesurer l'ampleur de la colonisation, qui tend aujourd'hui à compromettre définitivement la construction d'une solution à deux États.
Ce déplacement a permis à notre délégation de constater la situation économique, sociale et humanitaire très dégradée dans les Territoires occupés. Le taux de chômage, à 23,7%, connaît une hausse préoccupante, avec un taux de 43,1% pour les jeunes âgés de 20 à 24 ans. La colonisation israélienne représente un obstacle majeur pour le développement d'une économie solide, et ce malgré le haut niveau de formation des chefs d'entreprise palestiniens.
Lors d'une table ronde avec des représentants de la communauté d'affaires palestinienne, la délégation a pu apprécier les difficultés croissantes auxquelles fait face l'économie palestinienne : contrôle des exportations et des permis de construire par l'administration militaire israélienne ou restrictions de circulation des personnes et des biens. Lors d'une visite dans la ville nouvelle de Rawabi, immense projet palestinien soutenu par plusieurs investisseurs de la diaspora, notre délégation a pu constater le blocage des chantiers de construction d'infrastructures du fait des contraintes imposées par la partie israélienne : autorisation pour obtenir eau, électricité et droits d'accès par la route.
Vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis l'assassinat d'Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, par un extrémiste juif. Depuis, le conflit au Proche-Orient est parvenu à un point de non-retour : la guerre à Gaza, à l'été 2014, après le meurtre d'un jeune Palestinien de 15 ans, et la flambée de violence actuelle que connaît la région, en sont la preuve. Jamais le fossé entre les deux peuples n'a paru aussi grand, la ville de Jérusalem aussi divisée, et aussi peu partagée, alors que Benjamin Netanyahou a rétabli les barrières que Moshe Dayan avait enlevées de la Ligne Verte en 1967.
Tout au long des années 2000, la colonisation s'est accélérée à un niveau jamais atteint par le passé, comme le confirment les rapports de l'ONG israélienne Peace Now , que nous avons eu l'occasion de rencontrer lors de notre déplacement. Je souhaite remercier Mme Anat Ben Nun, directrice du développement et des relations internationales du département « Colonisation » de l'ONG, d'avoir accepté notre invitation à faire une communication ce jour. On compte aujourd'hui 350 000 colons israéliens en Cisjordanie, dans de véritables villes qui morcellent le territoire, rendant de moins en moins viable la création d'un État palestinien. C'est lors d'une visite de terrain avec l'ONG israélienne Ir Amim , qui se bat contre les projets de colonisation, que la délégation a pris la mesure de l'urgence à faire cesser ce processus de colonisation à marche forcée.
Lors d'une session avec la délégation de notre groupe d'amitié, les organisations internationales et les ONG ont fait le constat unanime d'une dégradation préoccupante de la situation humanitaire dans les Territoires occupés, principalement dans la Zone C (sous contrôle total de l'armée israélienne, soit 62% des Territoires occupés), et à Gaza.
Le statut de la Zone C interdit aux Palestiniens de construire des logements et empêche aujourd'hui 300 000 habitants de pouvoir vivre normalement. Les destructions de constructions « illégales », visant notamment des communautés bédouines ou troglodytes en zone C, sont en hausse et les projets humanitaires internationaux, qui font l'objet de procédures d'approbation lentes et aléatoires, sont parfois menacés par l'armée israélienne.
C'est pour rendre compte de la réalité de l'occupation, pour faire émerger ces témoignages, peu portés en France, que j'ai souhaité organiser cette journée de réflexion, et réunir pour ce faire des acteurs de terrain, des universitaires, des diplomates, français, israéliens et palestiniens, dans le respect du pluralisme.
Mieux comprendre la réalité de l'occupation, mieux percevoir l'ampleur du phénomène de colonisation, c'est saisir les obstacles de plus en plus nombreux à l'édification d'un État palestinien indépendant et souverain. Je crois toujours à la nécessité d'un processus politique sérieux, et la période 2009-2015 a vu la reconnaissance de l'État palestinien à l'Organisation des Nations Unies, ainsi que l'amorce d'une dynamique européenne, portée par la décision du Royaume de Suède de reconnaître officiellement l'État de Palestine, mais également par les résolutions des Parlements britannique, irlandais, espagnol, italien et français qui ont tous appelé leurs gouvernements à procéder à cette reconnaissance.
Je continue à plaider pour une reconnaissance de l'État de Palestine par l'État français. La reconnaissance d'un État palestinien souverain, vivant en paix aux côtés de l'État d'Israël, est la seule solution qui permette de redresser l'asymétrie qui régit depuis des décennies les rapports entre les deux parties, israélienne et palestinienne. Il n'y a pas d'autre démarche possible que celle-ci.
La solution à deux États, en n'abandonnant ni l'exigence de sécurité pour Israël, ni celle de la justice pour les Palestiniens, ne pourra aboutir si la colonisation se poursuit. Les spécialistes et acteurs de terrain qui interviendront à l'occasion de ce colloque feront un bilan de la situation de terrain et traceront des perspectives d'évolution, pour les Israéliens et les Palestiniens.
Notre journée s'organisera autour de trois tables rondes, animées par Benjamin Sèze, ancien journaliste à l'hebdomadaire Témoignage chrétien et spécialiste du dialogue entre les religions et du Proche-Orient.
La première table tracera un cadrage général de l'occupation dans les Territoires palestiniens.
M. Ardi Imseis ouvrira nos travaux en nous donnant le large éclairage d'un acteur de terrain. Par sa contribution, il fournira un cadre général de l'état actuel de l'occupation, en s'appuyant notamment sur des cartes et des données chiffrées.
Mme Anat Ben Nun, en charge du département « Colonisation » de l'ONG Peace Now apportera quant à elle un éclairage plus précis sur l'implantation des colonies. Leur expansion en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est très rapide et demeure l'un des noeuds du conflit. Elle nous expliquera comment ces colonies maillent et isolent les territoires, empêchant toute continuité territoriale, et rendant de plus en plus difficile la création d'un État palestinien.
M. Pierre Duquesne, ancien Ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement au ministère des Affaires étrangères et du Développement international, nous fournira les clés de compréhension de l'économie palestinienne : ses ressources, ses perspectives et bien entendu les défis que l'occupation fait peser sur cette économie prometteuse, mais aussi entravée.
La deuxième table ronde sera consacrée plus spécifiquement à la vie quotidienne en territoire occupé.
M. Daniel Seidemann, qui sera le premier intervenant de cette table ronde, est LE spécialiste de Jérusalem. Il brossera un portrait de cette ville qui fut voici quelques semaines le foyer d'un nouveau cycle de violence. Il fournira des explications sur la spécificité de la ville, la difficulté d'intégrer le règlement de son statut dans un accord définitif, et apportera des précisions sur le décalage de vie quotidienne entre les habitants de la partie Ouest et de la partie orientale de la ville.
Mme Asma Al Ghoul transmettra un témoignage de Gazaouie, pour évoquer la réalité de la vie quotidienne dans cette enclave martyre qui porte encore les plaies quasi intactes de l'opération militaire de l'été 2014. Au-delà, elle tentera de transmettre les aspirations et attentes de la population de Gaza.
MM. Gaël Léopold et Jehad Abu Hassan, quant à eux, nous présenteront la spécificité de la Zone C et de son administration par les autorités israéliennes. Ils évoqueront les régimes juridiques qui régissent la vie des Palestiniens sur place, et notamment celle des Bédouins.
Enfin, notre dernière table ronde portera sur la société israélienne. M. Yehuda Shaul, ancien soldat qui a notamment été déployé à Hébron, nous donnera son éclairage sur les jeunes soldats de Tsahal, mais plus largement sur la façon dont la société israélienne perçoit l'occupation et réagit aujourd'hui aux critiques qui émanent de ceux-là même qui sont chargés de son application.
M. Jeff Halper, anthropologue et militant, tentera de nous donner une perspective plus large sur l'état de la société israélienne aujourd'hui, et ouvrira sur la possibilité de penser un seul État, et non deux.
Débat qui sera repris en conclusion, par le professeur Chagnollaud.
Ce sont ces sujets infiniment complexes que nous souhaitons aborder aujourd'hui avec modestie et dans le respect des expériences les plus diverses.
Je vous souhaite à tous un excellent colloque.
Allocution de M. Salman El Herfi, Ambassadeur de Palestine en France
S.E.M. Salman EL HERFI,
Ambassadeur de Palestine en France
Mesdames et Messieurs,
Je suis très honoré aujourd'hui d'être parmi vous. Nous sommes toutes et tous très fiers de votre solidarité avec le peuple palestinien. Nous avons besoin de cette solidarité, aujourd'hui encore plus que jamais. Nous sommes très reconnaissants de toutes ces initiatives de soutien, qu'elles émanent du Sénat dans son ensemble, du groupe d'amitié France-Palestine en particulier, mais également de toutes les organisations d'amitié et de solidarité avec le peuple palestinien.
Nous traversons ces jours-ci des moments très difficiles, très critiques dans notre histoire. La situation à laquelle nous faisons face, est celle de l'humiliation de notre peuple, un peuple qui vit sous l'occupation depuis plus de 70 ans. Notre jeunesse doit faire face à ces humiliations quotidiennes, sans entrevoir la fin de cette situation inique. Nous ne ménageons aucun effort pour tenter de retenir les gestes de désespoir de cette jeunesse. Nous menons un travail politique, social, économique, culturel énorme pour éviter le glissement vers des actions désespérées. Le gouvernement israélien pousse de plus en plus toute la région dans la violence. Nous voulons lui dire qu'il n'est pas dans l'intérêt du peuple israélien, ni du peuple palestinien, de s'affronter. Il est aujourd'hui temps de mettre fin à l'occupation. Les dirigeants israéliens prétendent qu'Israël est une démocratie, mais on ne peut pas être démocrate et occupant en même temps. Il est temps de réfléchir, de prendre des décisions courageuses et de mettre en oeuvre tous les accords signés avec l'Autorité palestinienne et avec l'Organisation de Libération de la Palestine. Nous faisons appel à la communauté internationale pour la protection du peuple palestinien face à l'agression permanente contre nos jeunes, contre notre peuple. Nous voulons seulement vivre en paix comme d'autres peuples à travers le monde. C'est notre message : vivre en paix, côte à côte, avec le peuple israélien, en voisins. Nous ne cherchons pas la guerre, nous cherchons toujours la paix. Nos enfants ont besoin de vivre comme tous les autres. C'est pour cette raison que nous condamnons toute forme de terrorisme, toute forme d'agression, toute forme d'occupation. Nous appelons le monde entier à condamner ce qui s'est passé en France récemment. Nous sommes solidaires avec le peuple français, avec le gouvernement français. Nous avons manifesté notre solidarité dans les Territoires occupés et ailleurs parce que nous sommes, nous aussi, les victimes du terrorisme. Nous savons comment vit un peuple victime de terrorisme. Le terrorisme n'a pas de religion, il n'a pas d'identité, c'est une chose à condamner. Nous sommes toujours unis contre le terrorisme et nous vaincrons, et nous sommes sûrs de la victoire contre ce phénomène qui secoue le monde entier.
Je vous remercie.
M. Ardi Imseis
* (1) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Palestine : M. Gilbert ROGER, Président , Mme Leila AÏCHI, M. David ASSOULINE, Mme Marie-France BEAUFILS, Mme Esther BENBASSA, M. Michel BILLOUT, M. Jean-Pierre BOSINO, M. Yannick BOTREL, Mme Laurence COHEN, Mme Annie DAVID, M. Michel DELEBARRE, Mme Michelle DEMESSINE, Mme Évelyne DIDIER, Mme Josette DURRIEU, M.Bernard FOURNIER, M. Jean-Claude FRÉCON, M. Jean-Pierre GODEFROY, Mme Sylvie GOY-CHAVENT, M. François GROSDIDIER, M. Loïc HERVÉ, M. Robert HUE, Mme Gisèle JOURDA, Mme Christiane KAMMERMANN, Mme Bariza KHIARI, Mme Élisabeth LAMURE, M. Jean-Yves LECONTE, M. Jacques MÉZARD, M. Jean-Vincent PLACÉ, Mme Christine PRUNAUD, M. Daniel REINER, M. Jean-Pierre SUEUR, Mme Catherine TASCA, M. Jean-Pierre VIAL, Mme Evelyne YONNET.
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N° GA 133 - Mai 2016