B. LA VIE POLITIQUE A U GHANA
1. La vie parlementaire : le poids de l'héritage britannique
Quoique la composition de l'Assemblée nationale conduise à penser l'inverse, le multipartisme existe au Ghana.
La coalition au pouvoir, dénommée « Alliance pour le progrès ». était composée initialement du National Democratic Congress (NDC), ex parti unique (PNDC), du National Convention Party (NCP), d'inspiration n'krumahiste et du EGLE Party.
Cependant, depuis janvier 1995. sous l'influence du Vice-Président M. ARKAAH, le NCP s'est retiré de cette alliance.
L'opposition libérale, qui revendique l'héritage politique de DANQUAH et BUSIA, est principalement constituée du New Patriotic Party (NPP), formation du Professeur Albert ADU-BOAHEN (battu aux présidentielles de 1992). Ce parti regroupe de nombreux universitaires et ses principaux fiefs sont en région ashanti.
Les partis de la « famille » n'krumahiste : les principales formations issues du démembrement du CPP, fondé par Kwane N'KRUMAH, sont :
- le People's Convention Party (PCP),
- le People's National Convention (PNC) du Dr. Hilla LIMANN, Président de la IVe République renversé par M. RAWLINGS en 1979,
- quelques petits partis issus de scissions précédentes : le National Independence Party (NIP), le People's Heritage Party (PHP) et le People's Party for Development and Democraty (PPDD).
Par ailleurs, l'Alliance pour le changement (Alliance for change) regroupe diverses personnalités de la nouvelle génération, radicalement opposées au régime (Nana AKUFFO-ADO, le Dr WEREKO-BROBBEY).
La Délégation a également été reçue, le 1er mars, par le Président de l'Assemblée nationale, Justice D. ANNAN, ancien Président de la Cour Suprême.
Après avoir salué la Délégation au cours de la séance publique, le Président ANNAN s'est longuement entretenu avec les sénateurs de l'organisation du pouvoir législatif au Ghana.
Il a tout d'abord rappelé que l'Assemblée nationale avait été élue il y a trois ans, pour un mandat de cinq ans et qu'elle était, pour la première fois depuis 25 ans, la deuxième législature du pays.
Il a jugé que le caractère pacifique de la transition démocratique permettrait de pérenniser le pouvoir législatif. Présentant le Parlement, il a rappelé que celui-ci ne comptait que trois groupes parlementaires, de nombreux partis politiques ayant préféré boycotter le scrutin en 1993.
La Délégation et le Président ANNAN ont ensuite procédé à un large tour d'horizon des pouvoirs du Parlement ghanéen, plusieurs députés ayant rappelé les contraintes du régime présidentiel.
Á une question de M. François TRUCY, le Président ANNAN a précisé que l'Assemblée nationale s'efforçait de contrôler l'activité politique du Gouvernement avant de tenter comme en France de contrôler les dépenses sociales.
Puis la Délégation s'est entretenue avec les nombreux députés ayant assisté à l'entretien et en particulier avec M. Nii Okai PARBEY, fondateur et Président du groupe d'amitié Ghana-France.
2. La vie politique traditionnelle : le poids des chefferies
En se rendant le 2 mars à Kumasi, capitale historique du royaume Ashanti, principale ethnie du Ghana, et en sollicitant une audience de l'Ashantehene, roi des Ashantis, Otumfuo OPOKU WARE II, la Délégation a voulu approfondir sa connaissance du Ghana par une approche des structures traditionnelles.
La chefferie joue encore un grand rôle politique au Ghana.
Certains chefs traditionnels exercent en effet une influence égale sinon supérieure aux ministres du Gouvernement central.
a) Un rituel monarchique...
Comme votre Délégation a pu l'apprécier, les rites à la cour de l'Ashantehene sont d'une extrême complexité, chaque geste et chaque parole ayant valeur de symbole sacramentel pour les initiés.
Les principaux officiers sont les porte-parole de la Cour. L'okyeame un homme de belle prestance verse les libations aux esprits du trône. Il doit pouvoir réciter la généalogie des souverains ashantis et connaître les milliers de proverbes akan. Homme de confiance du roi, il célèbre la fête nationale ashanti. Le symbole de sa charge est le bâton de commandant, magnifique pièce recouverte d'or. Dans ses interventions officielles, il est entouré des porte-sabre, des porte-hache et du héraut. C'est lui qui, dans la hiérarchie ashanti, sert d'intermédiaire entre les membres de la maison royale (adehye), les sujets (nkowa) et les étrangers (aholo). Ces deux dernières catégories ne peuvent voir le roi pour les affaires d'État sans passer par le porte-parole, qui prélève sa dîme sur les amendes, les droits et les cadeaux.
Un deuxième officier, moins important, est le perahofo, le porteur du chasse-mouches, chargé d'écarter les mauvais esprits des cérémonies officielles. Le valet du roi (odabeni) joue le rôle de grand maître du sérail, d'intendant de la maison royale de gardien du cadavre du roi. Le porteur du tabouret (akondwasaoni) doit le manipuler avec des soins d'orfèvre, selon la coutume prescrite. Il tue les animaux sacrifiés. Le trésorier du roi (okotokuwani) répartir l'argent entre les femmes du monarque. Le héraut (osen) est une sorte de bouffon de cour qui devient huissier lors du prononcé des jugements et au cours des cérémonies.
Otumfo (=Majesté) OPOKU WARE II Asantehene (= roi des Ashantis) Mattew John POKU est né en 1920. Neveu du roi PREMPEH II, marié, il est père de trois enfants. Après des études de droit à Londres (1952-1962) il fut avocat, nommé commissaire aux communications du Gouvernement de Libération nationale après le renversement de Kwame N'KRUMAH en 1968. Désigné comme ambassadeur en Italie en mars 1970 mais obligé lors du décès de son oncle PREMPEH II (mai 1970) de renoncer à rejoindre son poste à Rome. Le 27 juillet 1971, il devient sous le nom de OPOKU WARE II, le quinzième occupant du trône d'or du royaume ashanti fondé 300 ans auparavant par Osei TUTU. Dès sa prise de pouvoir en 1957, N'KRUMAH s'est efforcé de limiter par des dispositions constitutionnelles le pouvoir du roi à la seule région administrative ashanti, dont la capitale est Kumasi. Néanmoins, il continue d'exercer sa souveraineté sur nombre de chefferies de la région Brong-Ahafo (capitale Sunyani) et de rester pour le peuple Akan qui représente plus de 40 % de la population de Ghana, son chef suprême. Sa puissance tient à ce qu'il est le gestionnaire des terres du royaume. |
b) ...qui s'inscrit dans la recherche d'un passé mythique
Malgré l'instauration d'un régime républicain à l'échelon central et le tiers-mondisme des débuts de l'indépendance, la monarchie et son prestige ont conservé, au Ghana, leur puissance d'attraction.
Un moderniste aussi résolu et combatif que N'KRUMAH ne s'y trompait pas, lui qui fit sculpter pour les cérémonies officielles de la présidence un trône d'apparat s'inspirant directement du trône de Kumasi. symbole de l' Ashanti et par là même de la pérennité de la nation. En fait les interventions de N'KRUMAH devant le Parlement pouvaient dans une certaine mesure s'identifier aux apparitions charismatiques de l' Asantehene devant sa cour. Le décor et les institutions étaient occidentalisés, mais l'essence même du pouvoir avait plus de rapports avec la tradition des rois de Kumasi qu'avec le régime parlementaire à la mode de Westminster.
Cette recherche de liens avec un passé mythique avec l'Afrique d'avant l'arrivée des Blancs caractérisait le Ghana pendant le règne de N'KRUMAH.
Alors que des pays voisins comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Libéria cherchaient dans la modernisation économique et politique à se dégager de références africaines trop lointaines ou trop oppressives, le Ghana se voulait le continuateur de l'Afrique traditionnelle, tout en essayant de la sortir de son immobilisme.
La Délégation a eu un bref aperçu de la culture ashantie à l'issue de l'audience royale, lorsqu'elle a visité le musée Marhyia installé dans la maison où était assigné à résidence l'Ashantehene sous l'occupation britannique, puis lorsqu'elle a assisté à des danses traditionnelles au Centre pour la culture nationale de Kumasi.
Le préfet de Région a invité la Délégation à déjeuner. Au cours des toasts portés, il a rappelé l'étroitesse des liens unissant la Côte d'Ivoire et le Ghana, une délégation ivoirienne s'étant rendue dans le village d'origine de la famille de M. HOUPHOUET-BOIGNY pour annoncer le décès de celui-ci.