Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 7 - 1er avril 1996

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GHANA : UNE VOLONTÉ DE

RAPPROCHEMENT AVEC

L'AFRIQUE FRANCOPHONE

MM. Jacques LEGENDRE, Jean FAURE, François TRUCY et Yann

GAILLARD,

Sénateurs.

Compte rendu d'une mission effectuée au Ghana du 28 février au 3 mars 1996 par une délégation du groupe sénatorial France -pays d'Afrique de l'Ouest.

INTRODUCTION

Après la Côte d'Ivoire, la Délégation du Groupe d'amitié France -pays d'Afrique de l'Ouest s'est rendue, du 28 février au 3 mars 1996, au Ghana.

Pour la première fois, une délégation du Groupe d'amitié se rendait dans un État à la fois proche, car frontalier de la Côte d'Ivoire, mais relativement éloigné, car anglophone.

Une Délégation du groupe d'amitié, composée de :

M. Jacques LEGENDRE, sénateur (RPR) du Nord, président du groupe d'amitié.

M. Jean FAURE, sénateur (UC) de l'Isère, Vice-Président du Sénat,

M. Yann GAILLARD, sénateur (app. RPR) de l'Aube,

M. François TRUCY, sénateur (RI) du Var,

s'est donc rendue en Côte d'Ivoire du 24 au 29 février, puis au Ghana, du 29 février au 3 mars 1996.

Elle était accompagnée par M. Bernard RULLIER, administrateur du Sénat, commission des Finances, secrétaire exécutif du groupe sénatorial.

M. Georges OTHILY, sénateur (RDSE) de Guyane qui avait prévu de se joindre à la mission y a renoncé et M. Marc MASSION, sénateur (Soc.) de Seine-Maritime a été empêché, pour raison de santé, d'effectuer le déplacement.

Cette mission n'aurait pu se dérouler sans le concours actif et précieux de l'Ambassade de France en Côte d'Ivoire. La Délégation tient à remercier tout particulièrement S.E. l'Ambassadeur de France, M. Jean-Claude BROCHENIN et M. HUOT, Premier Secrétaire, pour l'aide qu'ils ont apportée à cette mission.

Le Ghana reste un pays mal connu. Pourtant, son chef de l'État, M. RAWLINGS, s'est rendu en France en 1991, pour son premier voyage dans un pays occidental.

De plus, la France est le deuxième partenaire commercial du Ghana.

La démocratie doit y faire son chemin. L'opposition n'est pas représentée au Parlement. Des élections législatives sont prévues en octobre 1996.

Á cet égard, la Délégation estime que la France doit user de son influence dans ce pays pour convaincre l'opposition de participer, cette fois, au scrutin et considère que la France pourrait, si le Ghana le lui demandait, apporter son aide technique pour l'organisation des élections législatives.

Cette mission a également permis à la Délégation d'apprécier la persistance des structures politiques traditionnelles, grâce à l'entrevue obtenue, par l'entremise du Président de l'Assemblée nationale, auprès du roi ashanti, l'Ashantehene.

Par ailleurs, elle a permis d'apprécier l'important travail de coopération économique réalisé par la Caisse française de développement.

Enfin, elle a évalué les progrès de la francophonie au Ghana.

Ces diverses actions ouvrent la voie vers un approfondissement de l'intégration de ce pays dans son contexte régional.

I. LE SYSTÈME POLITIQUE

A. UN RÉGIME PRÉSIDENTIEL

Indépendant en 1957, après une transition pacifique avec le colonisateur britannique, le Ghana a tout d'abord cherché une voie tiers-mondiste fondée sur l'économie socialiste et le rapprochement avec le bloc soviétique.

L'homme qui symbolisa cette période, N'KRUMAH. fut renversé en 1966. Une période de forte instabilité lui succéda. Le capitaine RAWLINGS prit le pouvoir une première fois en 1979, puis une seconde en 1981. Il a entrepris une démocratisation progressive des institutions.

La IVe République ghanéenne a été proclamée le 7 janvier 1993 à Accra. Aux termes de la Constitution du 28 avril 1992. l'indépendance des pouvoirs législatif et judiciaire est garantie. C'est un régime de type présidentiel, avec un président et un vice-président élus pour quatre ans.

Chef de l'État depuis 1981, le Capitaine d'aviation Jerry John RAWLINGS a été élu Président de la République le 3 novembre 1992 obtenant 58.3 % des voix. L'opposition qui avait dénoncé de nombreuses fraudes électorales lors de ce scrutin, a boycotté les élections législatives du 29 décembre 1992 qui ont amené au Parlement 198 membres de la coalition au pouvoir (National Democratic Congress, National Convention Party et EGLE Party), et seulement deux parlementaires indépendants suite au boycott d'une opposition faible et divisée.

Les institutions ghanéennes sont inspirées du modèle britannique.

Le Parlement, composé des élus de 200 circonscriptions, est monocaméral.

Le Gouvernement est composé de 25 ministres dont 5 sans portefeuille, de 26 vice-ministres, de 10 ministres de région et de 17 vice-ministres de région.

Le Cabinet, composé des ministres d'État (15 ministres les plus importants), se réunit chaque semaine au « Château » (Présidence) et assiste le Président dans la mise en oeuvre de sa politique.

Le Conseil d'État est composé de 25 membres, dont 22 sont désignés par l'exécutif. Anciens dignitaires du parti unique (PNDC) pour la plupart ils conseillent notamment le Président en politique intérieure. Le Président du Conseil d'État est Alhaji Mumuni BAWUMIA. Son rôle est important quoiqu'obscur.

La Cour Suprême est composée de 9 juges et présidée par le « Chief Justice » Philip ARCHER. C'est la juridiction suprême de la République.

L'homme fort du Ghana est le Président RAWLINGS.

Le capitaine Jerry John RAWLINGS est né à Accra le 22 juin 1947, de père britannique (écossais) et de mère ghanéenne (ewe) Marié à Nana Konadu Agyeman RAWLINGS, il a trois enfants. Il est de religion catholique.

Á l'issue de ses études secondaires, il s'engage, le 25 août 1967, dans l'armée de l'Air. Élève officier à l'Académie militaire d'Accra (1967-1968), puis à l'école des cadets de Takoradi (1968-1969), il est promu capitaine d'aviation en avril 1978.

Après un échec en mai 1979 qui lui vaut d'être emprisonné, il est presque aussitôt libéré par ses amis et réussit le 4 juin à renverser le général Fred AKUFFO qu'il fait exécuter. Il organise des élections libres en septembre 1979 qui portent M. LIMANN au pouvoir. Constatant l'absence d'amélioration dans la gestion du pays, il organise avec le soutien financier de la Libye un nouveau coup le 31 décembre 1981 et gouverne le pays en s'appuyant sur le « Provisionnal National Defense Council » (PNDC, ou Conseil National Provisoire de Défense), parti unique.

Suivant les conseils prodigués par la communauté internationale et les institutions de Bretton Woods, il organise des élections présidentielles et législatives en novembre 1992. Il est élu avec 58 % des voix contre M. ADU-BOAHEN, candidat du National Patriotic Party (NPP) conservateur : son parti devenu le National Democratic Congress (NDC) remporte la quasi-totalité des sièges au Parlement en raison du boycott de l'opposition.

Son épouse lui a apporté un soutien précieux en créant le « Mouvement des Femmes du 31 décembre ».

Il a effectué en 1991 en France, à l'invitation de M. MITTERRAND, son premier voyage dans un pays de l'Union européenne.

L'audience de deux heures que lui a accordée M. RAWLINGS, le 1er mars 1996, a donc constitué le point fort de la visite au Ghana de la Délégation.

D'emblée le Chef de l'État a exprimé son appréciation de l'aide apportée par la France au travers de la Caisse française de développement à la réalisation du programme de restauration économique du pays.

Il a ensuite consacré un long et passionné développement aux conflits régionaux, qu'il a qualifié de "partie de monopoly", rappelant que si l'Europe avait connu, de 1945 à 1989, une guerre froide, le tiers-monde avait en revanche connu des périodes de guerre chaude, avec la transposition des conflits des super-puissances dans certains pays du Sud. Il a relevé que lorsque les conflits étaient déclenchés à l'instigation de l'une des deux superpuissances, celles-ci s'impliquaient en revanche faiblement dans le règlement du conflit.

M. Jerry John RAWLINGS a exprimé, sur un ton très modéré, sa déception de notre faible engagement dans le processus du rétablissement de la paix au Libéria. Il a souligné avec force la nécessité de ne pas laisser aux seuls Nigérians et Ghanéens, qui disposent de la majorité des effectifs au sein de l'ECOMOG, la responsabilité de régler le conflit. Il a considéré sa maîtrise indispensable, pour éviter la répercussion des turbulences dans l'ensemble de la région. Il l'a jugé cependant difficile, compte tenu de la complexité de la guerre civile, dans sa dimension ethnique notamment.

Il a estimé que seule une participation importante des pays francophones, soutenues par la France, pouvait susciter chez les Libériens le climat de confiance nécessaire à l'instauration de la paix, à travers une véritable manifestation de solidarité régionale. Dans le même temps, et incidemment. M. RAWLINGS a demandé que la France dissuade les États avec lesquels elle entretenait une coopération militaire de provoquer ou d'intimider leurs voisins.

Á propos du Niger, M. RAWLINGS a regretté que le coup d'État ait interrompu le processus démocratique, mais a estimé néanmoins qu'il était justifié par l'inadaptation des structures constitutionnelles à la situation socio-économique du pays.

M. Jacques LEGENDRE lui ayant demandé des précisions sur ce point, il a considéré que l'application des institutions et des concepts occidentaux convenait rarement aux situations africaines. Il a précisé que le pluralisme démocratique devait être concilié avec la nécessité de liens unitaires. Il a déclaré qu'une Constitution ne devait pas être considérée comme un fétiche mais qu'elle devait pouvoir évoluer.

Ainsi au Ghana, il a considéré que l'obligation qui lui était faite par l'étranger d'introduire le multipartisme pour obtenir son aide, était en train de briser l'élan qui s'était manifesté auparavant derrière lui et faisait renaître les démons de la division. Il a estimé que l'Occident se devait de faire preuve de compréhension envers l'Afrique.

B. LA VIE POLITIQUE A U GHANA

1. La vie parlementaire : le poids de l'héritage britannique

Quoique la composition de l'Assemblée nationale conduise à penser l'inverse, le multipartisme existe au Ghana.

La coalition au pouvoir, dénommée « Alliance pour le progrès ». était composée initialement du National Democratic Congress (NDC), ex parti unique (PNDC), du National Convention Party (NCP), d'inspiration n'krumahiste et du EGLE Party.

Cependant, depuis janvier 1995. sous l'influence du Vice-Président M. ARKAAH, le NCP s'est retiré de cette alliance.

L'opposition libérale, qui revendique l'héritage politique de DANQUAH et BUSIA, est principalement constituée du New Patriotic Party (NPP), formation du Professeur Albert ADU-BOAHEN (battu aux présidentielles de 1992). Ce parti regroupe de nombreux universitaires et ses principaux fiefs sont en région ashanti.

Les partis de la « famille » n'krumahiste : les principales formations issues du démembrement du CPP, fondé par Kwane N'KRUMAH, sont :

- le People's Convention Party (PCP),

- le People's National Convention (PNC) du Dr. Hilla LIMANN, Président de la IVe République renversé par M. RAWLINGS en 1979,

- quelques petits partis issus de scissions précédentes : le National Independence Party (NIP), le People's Heritage Party (PHP) et le People's Party for Development and Democraty (PPDD).

Par ailleurs, l'Alliance pour le changement (Alliance for change) regroupe diverses personnalités de la nouvelle génération, radicalement opposées au régime (Nana AKUFFO-ADO, le Dr WEREKO-BROBBEY).

La Délégation a également été reçue, le 1er mars, par le Président de l'Assemblée nationale, Justice D. ANNAN, ancien Président de la Cour Suprême.

Après avoir salué la Délégation au cours de la séance publique, le Président ANNAN s'est longuement entretenu avec les sénateurs de l'organisation du pouvoir législatif au Ghana.

Il a tout d'abord rappelé que l'Assemblée nationale avait été élue il y a trois ans, pour un mandat de cinq ans et qu'elle était, pour la première fois depuis 25 ans, la deuxième législature du pays.

Il a jugé que le caractère pacifique de la transition démocratique permettrait de pérenniser le pouvoir législatif. Présentant le Parlement, il a rappelé que celui-ci ne comptait que trois groupes parlementaires, de nombreux partis politiques ayant préféré boycotter le scrutin en 1993.

La Délégation et le Président ANNAN ont ensuite procédé à un large tour d'horizon des pouvoirs du Parlement ghanéen, plusieurs députés ayant rappelé les contraintes du régime présidentiel.

Á une question de M. François TRUCY, le Président ANNAN a précisé que l'Assemblée nationale s'efforçait de contrôler l'activité politique du Gouvernement avant de tenter comme en France de contrôler les dépenses sociales.

Puis la Délégation s'est entretenue avec les nombreux députés ayant assisté à l'entretien et en particulier avec M. Nii Okai PARBEY, fondateur et Président du groupe d'amitié Ghana-France.

2. La vie politique traditionnelle : le poids des chefferies

En se rendant le 2 mars à Kumasi, capitale historique du royaume Ashanti, principale ethnie du Ghana, et en sollicitant une audience de l'Ashantehene, roi des Ashantis, Otumfuo OPOKU WARE II, la Délégation a voulu approfondir sa connaissance du Ghana par une approche des structures traditionnelles.

La chefferie joue encore un grand rôle politique au Ghana.

Certains chefs traditionnels exercent en effet une influence égale sinon supérieure aux ministres du Gouvernement central.

a) Un rituel monarchique...

Comme votre Délégation a pu l'apprécier, les rites à la cour de l'Ashantehene sont d'une extrême complexité, chaque geste et chaque parole ayant valeur de symbole sacramentel pour les initiés.

Les principaux officiers sont les porte-parole de la Cour. L'okyeame un homme de belle prestance verse les libations aux esprits du trône. Il doit pouvoir réciter la généalogie des souverains ashantis et connaître les milliers de proverbes akan. Homme de confiance du roi, il célèbre la fête nationale ashanti. Le symbole de sa charge est le bâton de commandant, magnifique pièce recouverte d'or. Dans ses interventions officielles, il est entouré des porte-sabre, des porte-hache et du héraut. C'est lui qui, dans la hiérarchie ashanti, sert d'intermédiaire entre les membres de la maison royale (adehye), les sujets (nkowa) et les étrangers (aholo). Ces deux dernières catégories ne peuvent voir le roi pour les affaires d'État sans passer par le porte-parole, qui prélève sa dîme sur les amendes, les droits et les cadeaux.

Un deuxième officier, moins important, est le perahofo, le porteur du chasse-mouches, chargé d'écarter les mauvais esprits des cérémonies officielles. Le valet du roi (odabeni) joue le rôle de grand maître du sérail, d'intendant de la maison royale de gardien du cadavre du roi. Le porteur du tabouret (akondwasaoni) doit le manipuler avec des soins d'orfèvre, selon la coutume prescrite. Il tue les animaux sacrifiés. Le trésorier du roi (okotokuwani) répartir l'argent entre les femmes du monarque. Le héraut (osen) est une sorte de bouffon de cour qui devient huissier lors du prononcé des jugements et au cours des cérémonies.

Otumfo (=Majesté) OPOKU WARE II

Asantehene (= roi des Ashantis)

Mattew John POKU est né en 1920. Neveu du roi PREMPEH II, marié, il est père de trois enfants. Après des études de droit à Londres (1952-1962) il fut avocat, nommé commissaire aux communications du Gouvernement de Libération nationale après le renversement de Kwame N'KRUMAH en 1968. Désigné comme ambassadeur en Italie en mars 1970 mais obligé lors du décès de son oncle PREMPEH II (mai 1970) de renoncer à rejoindre son poste à Rome. Le 27 juillet 1971, il devient sous le nom de OPOKU WARE II, le quinzième occupant du trône d'or du royaume ashanti fondé 300 ans auparavant par Osei TUTU.

Dès sa prise de pouvoir en 1957, N'KRUMAH s'est efforcé de limiter par des dispositions constitutionnelles le pouvoir du roi à la seule région administrative ashanti, dont la capitale est Kumasi. Néanmoins, il continue d'exercer sa souveraineté sur nombre de chefferies de la région Brong-Ahafo (capitale Sunyani) et de rester pour le peuple Akan qui représente plus de 40 % de la population de Ghana, son chef suprême. Sa puissance tient à ce qu'il est le gestionnaire des terres du royaume.

b) ...qui s'inscrit dans la recherche d'un passé mythique

Malgré l'instauration d'un régime républicain à l'échelon central et le tiers-mondisme des débuts de l'indépendance, la monarchie et son prestige ont conservé, au Ghana, leur puissance d'attraction.

Un moderniste aussi résolu et combatif que N'KRUMAH ne s'y trompait pas, lui qui fit sculpter pour les cérémonies officielles de la présidence un trône d'apparat s'inspirant directement du trône de Kumasi. symbole de l' Ashanti et par là même de la pérennité de la nation. En fait les interventions de N'KRUMAH devant le Parlement pouvaient dans une certaine mesure s'identifier aux apparitions charismatiques de l' Asantehene devant sa cour. Le décor et les institutions étaient occidentalisés, mais l'essence même du pouvoir avait plus de rapports avec la tradition des rois de Kumasi qu'avec le régime parlementaire à la mode de Westminster.

Cette recherche de liens avec un passé mythique avec l'Afrique d'avant l'arrivée des Blancs caractérisait le Ghana pendant le règne de N'KRUMAH.

Alors que des pays voisins comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Libéria cherchaient dans la modernisation économique et politique à se dégager de références africaines trop lointaines ou trop oppressives, le Ghana se voulait le continuateur de l'Afrique traditionnelle, tout en essayant de la sortir de son immobilisme.

La Délégation a eu un bref aperçu de la culture ashantie à l'issue de l'audience royale, lorsqu'elle a visité le musée Marhyia installé dans la maison où était assigné à résidence l'Ashantehene sous l'occupation britannique, puis lorsqu'elle a assisté à des danses traditionnelles au Centre pour la culture nationale de Kumasi.

Le préfet de Région a invité la Délégation à déjeuner. Au cours des toasts portés, il a rappelé l'étroitesse des liens unissant la Côte d'Ivoire et le Ghana, une délégation ivoirienne s'étant rendue dans le village d'origine de la famille de M. HOUPHOUET-BOIGNY pour annoncer le décès de celui-ci.

II. LA COOPÉRATION FRANÇAISE AU GHANA

Traditionnellement, le Ghana, pays anglophone, ne faisait pas partie des « pays du champ ». Depuis la réforme de la coopération et la suppression de la distinction « champ/hors champ », les pays anglophones de l'Afrique sub-saharienne ont vocation à recevoir le même traitement que les États francophones.

Pour la Délégation du groupe d'amitié, cette mission était l'occasion de rappeler la traditionnelle vocation du groupe qui englobe à la fois des États francophones, bien entendu de loin les plus nombreux, mais également des États anglophones et lusopohones, d'Afrique de l'Ouest.

Cette mission fut également le prétexte pour illustrer le nouveau cours de la politique de coopération de la France.

A. LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE

1. Le cadre général de la coopération économique franco-ghanéenne

La coopération économique a été également abordée lors de l'entretien que le chef de l'État a accordé à la Délégation, le 1er mars 1996.

M. Jerry John RAWLINGS a tout d'abord estimé que le progrès économique était sans doute plus nécessaire au Ghana que l'application stricte d'une Constitution écrite.

Invité par M. Yann GAILLARD à présenter l'évolution économique du Ghana, le chef de l'État a remercié la France de son soutien au redressement économique du pays depuis 1983. notamment pour le développement des télécommunications et dans le secteur de l'énergie. Il a indiqué que le Ghana s'ouvrait à son marché régional notamment au Burkina-Faso et que l'amélioration des infrastructures routières à partir de Kumasi vers le nord constituait une priorité afin de renforcer l'intégration économique régionale du Ghana.

Évoquant l'action de la Caisse française de développement dont il a souligné qu'elle avait ouvert au Ghana son premier bureau dans un pays anglophone, il a estimé que son action avait permis de dynamiser l'économie ghanéenne citant en exemple de réalisation française la construction de l'hôtel Novotel d'Accra ou la rénovation de la distribution de l'eau ou des infrastructures routières.

Interrogé par M. Jean FAURE sur les relations économiques franco-ghanéennes M. Jerry John RAWLINGS a regretté l'absence de la France dans la privatisation du secteur bancaire.

Interrogé par M. François TRUCY sur les relations avec le Burkina Faso. pays frontalier, le chef de l'État a fait part de ses inquiétudes relatives au barrage projeté sur la Volta Blanche pour alimenter Ouagadougou en eau potable, de l'impact écologique de ce projet et ses conséquences sur l'approvisionnement en eau du barrage ghanéen d'Akosombo, dont il a rappelé le caractère stratégique pour le Ghana. Il a estimé nécessaire une approche globale, concertée et régionale du projet.

2. L'action de la Caisse française de développement au Ghana

La Caisse Française de Développement (CFD), ainsi que sa filiale PROPARCO pour le secteur privé, constituent un volet significatif de la coopération franco-ghanéenne pour le financement de l'aide au développement.

L'agence a ouvert ses portes à Accra en 1986 : c'était alors la première mission de la CFD en pays anglophone.

D'avril 1986 à mars 1993, 1 316 millions de francs (240 millions de dollars) de concours financiers et 464 millions de francs de dons (84 millions de $) ont été consentis au Ghana par la CFD faisant de la France l'un des trois plus importants bailleurs de fonds du Ghana pour 1992.

Les conditions de financement se sont diversifiées. Depuis les Sommets de Casablanca (1988) et de La Baule (1990) qui ont permis l'annulation de 20,7 millions de dollars de dettes publiques bilatérales, la Caisse Française de Développement intervient auprès du Gouvernement ghanéen exclusivement sous forme de dons. Des prêts concessionnels (à faible taux d'intérêt) ont également été attribués - en direct - à des entreprises du secteur public marchand pour financer leurs investissements.

La PROPARCO pour sa part finance, par le biais de prêts et de participations en capital, les investissements du secteur privé, soit directement, soit par l'intermédiaire des banques locales.

Le principal secteur d'intervention de la CFD au Ghana est celui des infrastructures : énergie, alimentation en eau (aussi bien en zone urbaine qu'en zone rurale), transport ferroviaire et télécommunications.

La Délégation a donc visité trois projets soutenus à des degrés divers par la CFD :


• Á Takoradi,
le 28 février la Délégation a visité le projet de réhabilitation d'une plantation agro-industrielle d'hévéas de 9 000 ha la Ghana Rubber Estate Ltd (GREL), et de construction d'une nouvelle usine de transformation du latex, avec l'appui de l'opérateur français SOCEDI (129 millions de francs). Après un redressement réussi, le projet est actuellement engagé dans un processus de privatisation impliquant des investisseurs français.

Ce projet s'accompagne d'un soutien aux planteurs villageois d'hévéas, de palmiers à huile et de tabac (20,5 millions de francs).


• Á Somanya, la Délégation a visité le 29 février le barrage hydroélectrique d'Akosombo sur le bassin de la Volta qui assure la totalité des besoins d'électricité du Ghana.

Au sein du secteur des infrastructures, le poste le plus important (33 % de l'encours global des financements de la CFD) est celui de l'électricité. Les engagements de la Caisse en faveur de la Volta River Authority et de l'EIectricity Cooperation of Ghana s'élevaient au 31 décembre 1995, à 548 millions de francs.


• Enfin à Cape Coast, la Délégation a visité le 3 mars un projet du BURGEAP , groupe français d'ingénieurs-conseil en environnement financé par la CFD. de trois programmes d'hydraulique villageois représentant près de mille points d'eau dans la Central Region pour un total de 120 millions de francs.

B. LA COOPÉRATION CULTURELLE

La progression de la francophonie dans l'Afrique anglophone est un objectif qui doit se développer. La France et les pays concernés y ont intérêt.

Pour la France, cette politique conforme à son action diplomatique culturelle qui est l'une des plus actives du monde doit lui permettre une approche plus globale et régionale de l'Afrique de l'Ouest.

Pour les pays anglophones concernés, le développement de la francophonie doit leur permettre de briser leur isolement, comme pour le Ghana, ou de développer leurs liens avec les pays voisins.

La Délégation s'est rendue le 29 février à Somanya pour visiter le Mount Mary Training College où près de 400 élèves-professeurs apprennent le français.

Le projet de coopération a été résumé dans un discours prononcé par le vice-principal du collège devant l'ensemble des élèves-professeurs après que ceux-ci aient accueilli la Délégation en chantant une Marseillaise aussi inattendue qu'émouvante.

« Au nom du Principal, Monsieur Vincent AMETEFE, retenu à l'Université de Cape-Coast de l'ensemble du personnel et des élèves-professeurs de l'École normale, en mon nom personnel, j'ai le grand honneur de vous souhaiter la bienvenue à l'occasion de votre visite.

"Le projet franco-ghanéen d'établir ici à Somanya une école normale, ayant pour mission de former les professeurs de français pour les écoles secondaires date de 1975, date à laquelle un accord mutuel non signé fut conclu entre le Ghana et la France.

"Cette école est devenue aujourd'hui une pépinière reconnue pour la formation des professeurs de français au Ghana et la diffusion de la langue française.

"J'aimerais faire état des récents développements au sein de l'école, à la lumière des réformes dans le secteur de l'Éducation Nationale.

"Il fallut cependant attendre 1992 et la signature de nouveaux accords franco-ghanéens à Accra par M. Jean CHARROING pour relancer le projet.

"Conformément aux accords, le Gouvernement ghanéen a voté un budget important devant permettre à Mount Mary les travaux nécessaires pour la rénovation des salles de classes, du département de français, des dortoirs, la création de postes de professeurs de français et d'une unité pédagogique de production destinée à la fois à la formation initiale de nos élèves-professeurs et à la formation continue des professeurs de français en poste dans les dix régions du Ghana.

"Dès janvier 1993, le gouvernement français pour sa part fournissait les équipements nécessaires au projet.

"Le 16 décembre 1993, M. Jean-Claude BROCHENIN. Ambassadeur de France à Accra, et M. Harry SAWYERR, ministre de l'Éducation, inauguraient l'achèvement de la première tranche des travaux de rénovation et la réception satellite par antenne parabolique des émissions de télévision de Canal France international, de TV 5 et de Radio France Internationale.

"Le ministre de l'Éducation Nationale ghanéen attache une importance primordiale au projet.

"Le projet, loin de se terminer en 1996 rebondit avec la rénovation des dortoirs des élèves-professeurs garçons et la décision de doubler la capacité de travail et d'accueil de l'École Normale, de nouveaux accords franco-ghanéens devant être signés en juin 1996 à Paris.

"Après la signature des accords de 1992 un pas notable a été franchi et le bilan est positif. Mais il reste beaucoup à faire. Je crois que nous pouvons continuer à avoir confiance et soutenir le partenariat fructueux entre nos deux pays : partenariat exemplaire le répète.

"Territoire anglophone enclavé dans un ensemble de pays francophones, le Ghana accorde un statut privilégié à la langue française. La formation initiale et continue des professeurs de français reste un axe prioritaire pour le gouvernement ghanéen.

"Qu'il me soit permis de saluer les hautes autorités du ministère des Affaires étrangères français chargées du dossier de l'École normale de Somanya. Je leur adresse par votre honorable intermédiaire, Messieurs les sénateurs, nos sentiments de reconnaissance."

*

* *

CONCLUSION

Á l'issue de cette brève mission, la Délégation du groupe d'amitié est donc convaincue de la nécessité mutuelle du renforcement des relations franco-ghanéennes.

Pour la France, cette orientation lui permet de manifester concrètement le nouveau cours de sa politique de coopération et de sortir dans l'Afrique sub-saharienne, de son champ d'action traditionnel. Elle est davantage conforme à l'évolution historique et économique de cette région.

Pour le Ghana, l'intérêt que lui porte la France est une clé lui ouvrant les portes de relations plus étroites avec les pays de la région et avec ses voisins immédiats. Cette orientation s'inscrit dans la géographie. Elle sera donc pérenne.

Pour sa part le groupe d'amitié France -pays d'Afrique de l'Ouest du Sénat s'attachera à développer une vision régionale des relations avec les institutions parlementaires des pays de cette zone sans distinction de langue tout en continuant à privilégier bien évidemment les relations avec les États francophones partenaires historiques de la France.

SÉNAT

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE - PAYS

D'AFRIQUE DE L'OUEST

République Française

PROGRAMME DE LA MISSION

Mercredi 28 février 1996

vers 10 h : Accueil à la frontière ivoirienne

17 h 30 : Installation à l'hôtel

18 h 30 : Entretiens à la Résidence

19 h 30 : Diner avec les chefs de service de l'Ambassade

Jeudi 29 février 1996

8 h 30 : Départ pour Somanya centre de formation des professeurs de français.

9 h 30 : Visite de Somanya

12 h 30 : Déjeuner à l'hôtel du barrage d'Akosombo

14 h : Visite du Barrage

18 h 30 : Réception à la Résidence de France

Vendredi 1er mars 1996

9 h 00 : Entretien avec le Dr. Ibn Chambas. Vice-ministre des Affaires étrangères

10 h 00 : Entretien avec M. Jerry John Rawlings, Président de la République

12 h 00 : Entretien avec M. Justice D. Annan Président du Parlement

12 h 30 : Présentation au Parlement

12 h 30 : Déjeuner offert par M. Justice D. Annan

13 h 00 : Entretien avec le groupe d'amitié parlementaire Ghana-France

19 h 30 : Dîner offert par le Directeur de la Caisse française de développement

Samedi 2 mars 1996

Journée organisée par M. Justice D. Annan

8 h 00 : Départ pour Kumasi

11 h 30 : Audience de l'Asantehene

12 h 30 : Déjeuner à la Préfecture de Région

Après-midi : Visite de Kumasi

18 h 30 : Retour à Accra

Dimanche 3 mars 1996

8 h 30 : Départ pour Cape-Coast. via Elmina

13 h 00 : Déjeuner offert par la société Burgeap

14 h 30 : Visite de villages où la Burgeap fore des puits, sur financement C.F.D.

18 h 30: Retour à l'hôtel

20 h 00 : Dîner à l'Ambassade de France

23 h 30 : Départ pour Paris

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