3) M. Mohamed KABBAJ - ministre des Finances
M. KABBAJ se réjouit de l'avènement d'une nouvelle page inscrite dans les relations bilatérales entre les deux pays depuis l'accession de M. CHIRAC à la Présidence de la République. Cette évolution s'est ressentie à tous les niveaux, et la disponibilité de chacun très appréciée.
Abordant le dossier économique, M. le ministre souligne l'évolution extrêmement rapide au niveau mondial qui induit une pression très forte sur le Maroc qui doit en très peu de temps rattraper un grand retard vis à vis des pays occidentaux.
Cet effort considérable, pour adapter les structures du pays aux nouveaux enjeux mondiaux, n'est pas sans conséquence. C'est ainsi que le déficit budgétaire qui excédait 10 % du PIB au début des années 1980, ramené à moins de 3 % en 1993, observe de nouveau un glissement à plus de 5 % en 1995. Le chômage s'accentue à 16,6 % en 1995 contre 16 % en 1992. Le taux d'inflation qui progressait à plus de 10 % l'an au début des années 1980, stabilisé entre 1992 et 1994 aux environs de 5 %, s'accélère à plus de 6 % en 1995. Le déficit de la balance des paiements courants, qui s'élevait à plus de 12 % avant la mise en place du plan d'ajustement structurel, redescendu sous la barre des 2 % en 1993, s'aggrave à 4,8 % en 1995 sous l'effet conjugué de la chute des recettes du tourisme et de la baisse tendancielle du transfert des économies des résidents marocains à l'étranger, sans compter la pause observée dans l'essor de la croissance des investissements étrangers au début des années 1990.
Au total, les réserves de changes du pays ont en 1995 enregistré une forte diminution, pour redescendre à l'équivalent de cinq mois et demi d'importation. Rappelons toutefois qu'en 1983 les réserves étaient estimées à quelques jours d'importation seulement.
Quoi qu'il en soit, les bons résultats enregistrés à la fin de la période d'ajustement structurel ont permis au Maroc de mettre fin au cycle des rééchelonnements de sa dette externe (six rééchelonnements se sont succédés jusqu'en février 1992), même si celle-ci représente toujours un poids important puisque son encours est de 22,8 milliards de dollars en 1995, représentant encore 68 % du PIB. Il faut cependant en contrepartie relever la forte augmentation concomitante de la dette intérieure, qui entame d'autant les sources de financement disponibles pour le développement du secteur privé.
Finalement, au terme de l'année 1995, la croissance n'aura guère dépassé 1 % sur les cinq dernières années, se situant en deçà du taux d'accroissement naturel de la population.
Il reste que les dix années d'ajustement structurel qu'a connu le Maroc ont été l'amorce de profondes réformes de structure qui ont conduit à la libéralisation progressive de l'économie nationale.
Ainsi les contrôles portant sur les opérations du commerce extérieur ont été assouplis. Aujourd'hui, la quasi-totalité des importations sont libres et supportent un droit de douane maximum de 45 %. Les exportations représentent actuellement environ 15 % du PIB, les importations près de 25 %.
Les équilibres retrouvés ont encouragé les autorités monétaires à décréter en février 1993 la convertibilité du dirham pour les transactions courantes. Quant aux opérateurs étrangers, ils ont une totale liberté pour investir au Maroc, transférer les revenus de leurs investissements et le produit de la liquidation ou de la cession de ces investissements.
Une vaste réforme de la fiscalité a été entreprise avec l'introduction de la TVA en 1986, la refonte de l'impôt sur les sociétés et l'instauration de l'impôt général sur le revenu en 1990 a remplacé différents impôts cédulaires. Cette réforme s'est accompagnée d'une baisse progressive des taux des impôts directs (de 48 à 35 % à ce jour pour l'impôt sur les sociétés ; 60 % à 44 % pour le taux marginal de l'impôt général sur le revenu).
Le processus de privatisation de 112 entreprises publiques a démarré en 1992 et se poursuit depuis lors à un rythme assez soutenu (27 sociétés et 18 hôtels ont été à ce jour transférés au secteur privé).
La réforme des marchés monétaire et financier a été lancée en 1993. Bien qu'elle ne soit pas encore menée à son terme, elle a permis, grâce à la loi bancaire de juillet 1993, de décloisonner et de sécuriser le système bancaire, et grâce aux textes promulgués en octobre 1993, de poser les bases d'un marché boursier rénové et dynamique.
Les mauvais résultats de l'année 1995 sont la parfaite illustration de l'évolution en dents de scie de l'économie marocaine, laquelle reste encore trop directement dépendante des aléas climatiques (après avoir successivement diminué de 4,4 et de 1,1 % en 1992 et 1993, le PIB a cru de près de 12 % en 1994, avant de connaître sous l'effet d'une grave sécheresse une récession de 7,6 % en 1995). Cette contrainte climatique qui pèse sur le secteur primaire n'est par ailleurs pas compensée par les performances du secteur secondaire, lequel ne parvient pas à dépasser le quart du PIB malgré toutes les mesures prises pour encourager le développement et la diversification du tissu industriel.
La faiblesse du marché intérieur (le revenu annuel par habitant ne dépasse guère 1 000 dollars), l'insuffisance des investissements en équipements et en formation, la concurrence du secteur informel (qui pourrait employer jusqu'à 600 000 personnes et peser au minimum 20 % du PIB selon certaines estimations de l'administration marocaine) contribuent à expliquer ces performances assez décevantes. En outre la faible diversification des exportations majoritairement constituées de produits agricoles et de la pêche, des phosphates et de ses dérivés et d'articles textiles, rendent le Maroc fortement dépendant des fluctuations de l'activité internationale, notamment de celle de ses principaux partenaires, les pays de l'Union européenne. Elles y subissent de plus la concurrence croissante, notamment pour les produits industriels et textiles, des importations en provenance des pays européens de l'Est et des pays d'Extrême Orient.
Ainsi, subsiste un déficit commercial élevé, aux environs de 11 % du PIB en moyenne annuelle sur la période 1989-1995.
L'année 1996 pourrait toutefois être celle d'un retournement de tendance pour un certain nombre d'indicateurs. En effet, le taux de croissance attendu est supérieur à 10 %, les conditions climatiques ayant été cette année très favorables. Le rythme d'inflation serait inférieur à 5 % et s'accompagnerait d'une décélération du processus de création monétaire. Une nette remontée des avoirs extérieurs est enregistrée, conséquence de la progression des recettes du tourisme et du maintien relatif des transferts des marocains à l'étranger. Par ailleurs, les autorités compétentes prévoient un niveau de recettes fiscales plus que satisfaisant, la campagne d'assainissement et de lutte contre la contrebande ayant finalement porté ses fruits.
Mais pour confirmer ce retournement de tendance, le Maroc a besoin d'intensifier ses efforts en matière de stabilisation économique et de réformes structurelles .
Les faibles performances en matière de commerce extérieur et la difficulté d'attirer les investissements privés étrangers sont le clair reflet des insuffisances et des dysfonctionnements persistants de l'économie marocaine au niveau de la formation des hommes, des lourdeurs administratives et judiciaires et de l'archaïsme des structures productives , toutes choses pesant sur le niveau global de productivité de l'économie marocaine.
Afin de consolider les bases de sa croissance, le Maroc doit aujourd'hui approfondir et accélérer le rythme de son processus de réformes.
Outre des efforts supplémentaires en matière de rigueur budgétaire, les mesures à prendre concernent les réformes du code du travail, du système judiciaire et de la réglementation sur la concurrence et le foncier, réformes essentielles pour encourager l'investissement privé. Par ailleurs, d'importantes réformes ont été adoptées au cours de l'année 1996, telles que le nouveau code du commerce et la nouvelle loi sur les sociétés anonymes ou encore la libéralisation des taux d'intérêt et la création d'un marché des changes.
Sous l'impulsion royale, le Maroc paraît déterminé à poursuivre le processus de réformes nécessaire pour assurer au pays une croissance soutenue et durable qui seule peut permettre de réduire les inégalités, notamment par la promotion de l'emploi, l'amélioration de l'habitat urbain et des conditions de vie en milieu rural où résident encore 48 % de la population marocaine.
Le 1er janvier 1997 sera le premier jour d'application de l'accord d'association conclu entre le Maroc et l'Union européenne. Ce rapprochement consacre la volonté du royaume de renforcer ses liens avec l'Europe et de participer à la construction d'une zone de libre-échange. Il constitue une chance pour le Maroc de s'ajuster et de s'intégrer vraiment à l'économie internationale.