CHAPITRE III - L'ÉCONOMIE TCHÈQUE : UN LIBÉRALISME PRAGMATIQUE
A.- LES RÉFORMES DE STRUCTURES ET LES PRIVATISATIONS
Le retour en Europe n'est pas un slogan symbolique, c'est un maître-mot qui devait aussi influencer la réforme économique. Il était clair que les Tchèques souhaitaient rappeler à l'Europe qu'ils étaient la septième puissance économique dans les années trente et sous l'aiguillon de ce passé glorieux, ils ont mis entre 1990 et 1996 une sorte d'enthousiasme frénétique à se jeter dans une course à l'excellence. Ils ont cherché à montrer qu'il y avait une solution tchèque au passage d'une économie étatisée à la libre entreprise et ils l'ont fait en cherchant à compenser la pénible frustration de ceux qui ont appartenu « injustement » à un bloc sous développé, dont il fallait s'extraire au plus vite.
La sagesse du Président Havel, autant que l'urgence de se mettre au travail et le désir de regarder vers l'Ouest, alors qu'on les avait forcés pendant cinquante ans à tourner la tête vers l'Est, ont fait que les acteurs de la transformation ont été choisis avec indulgence pour leur passé ou cooptés avec souplesse. En effet, les anciens rouages et les personnels de l'administration n'ont pas subi d'épurations massives. En 1995, sur plus de 200.000 demandes de vérification de dossiers personnels, moins de 10.000 personnes auraient été convaincues d'avoir collaboré et nui à autrui sous le communisme dans un pays où les communistes étaient environ 1,5 million. Une des explications de cette grande clémence réside dans la volonté de ne pas désorganiser l'État. Certes, le Président Havel et le Gouvernement furent accusés de faiblesse et parfois même d'angélisme, mais l'indulgence de l'épuration a permis de maintenir une gestion quotidienne propice à l'efficacité des grandes transformations que l'on prévoyait de mettre aussitôt en chantier.
1.- Les acteurs de la réforme
Les acteurs du changement se partageaient au départ en trois principaux groupes.
Le premier groupe est, bien entendu, celui de Havel et de son entourage, groupe fortement marqué par la culture de la dissidence et l'humanisme du Président. Ces tendances furent toutefois tempérées par le deuxième cercle de l'entourage présidentiel, celui des représentants de la grande diaspora tchèque rentrée au pays (grands industriels, grands financiers, grands aristocrates, nostalgiques de la 1 ère République et de l'Empire et plus nationalistes que les Tchèques restés sur place). Ce premier groupe souhaite restaurer la démocratie en renouant la chaîne du temps. On lui doit d'avoir soutenu sans fléchir le principe des restitutions malgré les difficultés de sa mise en oeuvre (ainsi que l'influence du modèle constitutionnel de la 1ère République sur la Constitution de 1992).
Le second groupe, issu de l'Institut de la prévision de l'Académie des Sciences (où a travaillé Vaclav Klaus), est constitué de techniciens, financiers ou économistes, actifs ou évincés pendant la normalisation. Ils participent au premier Gouvernement et certains sont encore ministres.
Le troisième groupe est celui des exécutants : ingénieurs (la République tchèque est une « République d'ingénieurs »), cadres techniques et responsables des entreprises d'État pour lesquels une fabuleuse ère de valorisation et d'ascension sociale vient de s'ouvrir.