Compte rendu de la visite aux Emirats Arabes Unis d'une délégation du Groupe sénatorial France-Pays du Golfe - du 9 au 16 mai 1998 -
COMPOSITION
DE LA DÉLÉGATION
MM. Daniel GOULET
Président du Groupe sénatorial, Sénateur (RPR) de
l'Orne
Jean BIZET
Vice-président délégué du Groupe
sénatorial, Sénateur (RPR) de la Manche
François TRUCY
Vice-président délégué du Groupe
sénatorial, Sénateur (RI) du Var
Mme Danielle BIDARD-REYDET
Sénateur (CRC) de Seine-Saint-Denis
La délégation était accompagnée de M. Marc LE DORH, Administrateur principal des Services du Sénat, Secrétaire exécutif du Groupe sénatorial.
CARTE
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
En 1997, à la demande de M. Daniel Goulet, sénateur de l'Orne, le
Sénat décidait la création d'un groupe sénatorial
France-Pays du Golfe. Très rapidement des contacts furent pris avec les
autorités des cinq pays couverts par le groupe sénatorial -Arabie
saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Oman, Qatar- qui se traduisirent
par l'établissement de relations étroites, amicales et de travail.
Le groupe sénatorial décida de consacrer sa première
mission à l'étranger aux Emirats Arabes Unis. Mal connus et
pourtant placés à une position charnière dans la
région, disposant d'une stabilité enviable, d'une économie
prospère, menant une politique étrangère constructive, les
Emirats entretiennent avec notre pays des relations spéciales
marquées par une chaleur particulière. Ceci est apparu clairement
lors de la visite effectuée sur place par le Président de la
République, M. Jacques Chirac, les 15 et 16 décembre
1997. Ceci s'est confirmé lors de la mission de notre groupe
sénatorial.
Son origine se trouve dans une conviction simple : rien ne saurait
justifier que la France abandonnât les pays du Golfe et, en particulier,
les Emirats Arabes Unis, à l'omniprésence et à
l'omnipotence des Etats-Unis. Il y a entre les peuples arabes et la France une
affinité comme naturelle qui provient de leur jaloux désir
d'indépendance nationale, la fierté d'une grande histoire, la
conscience d'une grande culture, frêles et courageux môles d'une
dignité humaine qui refuse encore de s'abaisser devant la conquête
de notre planète par la " civilisation " matérielle.
Si donc le groupe sénatorial se devait de porter l'amitié de la
France aux Emirats Arabes Unis, il ne fut pas, en retour, déçu
par la réponse des Emiriens. Partout, dans tous les Emirats composant la
Fédération des Emirats Arabes Unis, l'accueil
réservé à la délégation du Sénat fut
remarquable de chaleur, de délicatesse, de compréhension, de
sincère intérêt.
De surcroît, notre délégation a découvert un pays
ô combien attachant, riche certes de son pétrole, mais aussi des
qualités humaines, de ses dirigeants, en particulier Cheikh Zayed, son
charismatique président, et de son peuple, de l'équilibre de ses
politiques soucieuses de tradition bien comprise et d'utile modernité,
de son histoire et de ses paysages.
Aux termes de sa mission, la délégation a donc acquis la
conviction que les relations franco-émiriennes ne pouvaient en rester
là, qu'il existait entre nos deux pays une fibre amicale qu'il fallait
renforcer, développer, faire vivre. Ainsi est née l'idée,
parmi d'autres très concrètes, d'organiser au Sénat
le
colloque du 4 novembre 1998 sur les Emirats Arabes Unis
. Ainsi
s'ouvre, nous l'espérons, le début d'une série de
manifestations destinées à enraciner dans le réel
l'amitié de nos peuples.
Ce rapport rend compte brièvement de la mission effectuée par le
groupe sénatorial du 9 au 16 mai dernier. Mission d'un remarquable
intérêt et qui n'aurait certainement pas pris toute sa dimension
sans le dynamisme, la compétence et la disponibilité de
S. Exc. M. Jean-François Thibault, Ambassadeur de France aux
Emirats Arabes Unis, et de S. Exc. M. Abdelaziz Nasser Al Shamsi,
Ambassadeur des Emirats Arabes Unis en France. Qu'ils soient ici vivement
remerciés. La gratitude de la délégation va aussi à
tous les personnels de nos représentations sur place qui ont grandement
facilité notre travail, en particulier ceux de l'Ambassade de France et
du Poste d'Expansion Economique à Abou Dabi, du Consulat
général et du Poste d'Expansion Economique à
Dubaï.
I - UN PÔLE DE STABILITÉ POLITIQUE
Le monde arabe apparaît volontiers instable, travaillé par de sourdes et puissantes évolutions religieuses et politiques. Certains pays au demeurant justifient cette vision. Ce n'est pas le cas des Emirats Arabes Unis. Bénéficiant d'une réelle cohésion, engagés dans une politique étrangère constructive et pacifique, les Emirats offrent en outre un visage institutionnel apaisé.
1 - UNE RÉELLE COHÉSION
a/ Aux origines des Emirats Arabes Unis
Les
Emirats, cela est incontestable, sont un Etat jeune. Indépendants depuis
1971, ils sont à l'origine le produit, d'une part, et en quelque sorte
en creux, de la conquête saoudienne de la péninsule arabique et,
d'autre part, de la politique britannique dans la région.
L'histoire des Emirats remonte néanmoins beaucoup plus loin. La
côte est habitée depuis au moins 7 000 ans. Des peuples ayant
subi l'influence grecque puis christianisés s'adonnent au commerce dans
toute la région. Islamisés à partir du VII
e
siècle, ces peuples sont spécialisés dans le commerce
maritime et dans la pêche des perles.
Cependant, les Portugais au XVIII
e
siècle, puis les
Britanniques au XIX
e
siècle étendirent leur domination
sur la région. Sous le prétexte de l'existence d'actes de
piraterie, la Grande-Bretagne impose son protectorat aux Emirs de la
côte. Pesant, il sera cependant effectivement ... protecteur.
Car, au début du XX
e
siècle, la famille des Saoudites
s'impose peu à peu dans la péninsule arabique, s'opposant
à un Empire ottoman sur le déclin et à la dynastie
hachémite basée au Hedjaz. Cette conquête
s'échelonne de 1902 à 1932. Ibn Seoud conquiert successivement le
Nedj (plateau central de la péninsule), le Hasa (littoral Nord-Est),
l'Assir (littoral Sud-Ouest), le Djebel Chammar (province frontalière
avec l'Irak, la Syrie et la Palestine au Nord), enfin, le Hedjaz (littoral
Nord-Ouest englobant Médine et la Mecque). Ne reste plus que le
Yémen, l'Hadramout (actuel Oman), et les Emirats de la Trève (les
actuels Emirats Arabes Unis) à échapper à son
pouvoir.
b/ Naissance de la Fédération des Emirats Arabes Unis
Sans
doute cette situation n'aurait-elle guère duré si les
Britanniques ne s'étaient opposés à toute nouvelle
avancée du roi d'Arabie. Confrontés à la persistance des
prétentions saoudiennes, les émirs s'efforcèrent de
renforcer leur position par une union plus étroite. Le Conseil des Etats
de la Trève fut mis en place à partir de 1952 avec d'autant plus
d'empressement que la menace saoudienne s'amplifiait. En 1949, en effet,
l'Arabie saoudite, refusant toujours le tracé des frontières avec
les Emirats, réclame tout l'arrière pays de l'Emirat d'Abou Dabi.
En 1952, elle occupe militairement l'oasis de Bouraïni. Le Conseil des
Etats de la Trêve devait constituer la base de la
Fédération actuelle des Emirats Arabes Unis. En 1955,
après que le premier gisement de pétrole eut été
découvert à Abou Dabi, la Grande-Bretagne procédait
à une déclaration unilatérale de frontière et lui
donnait une consistance par sa présence militaire.
On doit retenir de cette histoire au moins trois éléments :
en premier lieu, si la Fédération des Emirats est un Etat jeune,
les Emirats, établis de longue date dans la région, lui
préexistaient. En second lieu, la nation des Emirats Arabes Unis a
été marqué par une situation conflictuelle. Les Emirats en
ont retiré une farouche volonté d'indépendance.
Forgée dans l'adversité, la conscience nationale émirienne
n'en a acquis que plus de vigueur et de solidité. Enfin, il
apparaît que la Fédération est la condition de la survie et
de l'indépendance des Emirats.
Seule union arabe ayant réussi, grâce à la politique
visionnaire et généreuse de Cheikh Zayed, émir d'Abou Dabi
et président des Emirats Arabes Unis, elle a aujourd'hui une
incontestable cohésion. Celle-ci est renforcée par la
complémentarité forte entre ses différents membres aussi
bien en ce qui concerne leur population, leur superficie, leur puissance
économique. Mais elle est rendue viable et durable par l'action de
Cheikh Zayed. Celui-ci est en effet très largement à l'origine
des deux forces principales des Emirats : une réelle volonté
politique d'union et une prospérité économique
incontestable.
Depuis l'indépendance de 1971, la politique voulue par Cheikh Zayed de
redistribution de la rente pétrolière, issue d'Abou Dabi pour
l'essentiel (80 % des revenus), a puissamment contribué à
préserver la cohésion de la Fédération en
enrichissant la société émirienne toute entière. De
surcroît, les Emirats ne se sont pas contentés de vivre de cette
rente, mais se sont engagés dans une politique de diversification
ambitieuse.
Le développement des Emirats a été à la fois cause
et conséquence de la stratégie permanente de
sédentarisation et d'aménagement du territoire, suivie par Cheikh
Zayed : l'occupation et le développement des régions
frontalières ont en effet pour but de fixer l'ensemble du territoire de
la Fédération.
La Guerre du Golfe semble par ailleurs avoir renforcé le sentiment
national émirien.
La cohésion nationale des Emirats comporte toutefois quelques
éléments de fragilité que l'on ne peut passer sous silence.
La première provient de l'importance des communautés
étrangères dans la Fédération. Pays peu
peuplé (2,4 millions d'habitants), les Emirats accueillent un
très grand nombre d'étrangers.
Les étrangers représentent en effet, d'après le
recensement de 1995/1996,
environ 80 % de la population et 95 %
des actifs
. Ils sont principalement originaires du sous-continent indien,
des Philippines et aussi d'Iran. Ce sont eux qui construisent les
infrastructures, assurent l'administration et la gestion de la
Fédération et animent l'activité économique.
L'importance de leur rôle pourrait apparaître aux autorités
émiriennes comme une menace potentielle pour la sécurité
et l'identité nationale. Cette main d'oeuvre étrangère
massive génère également un malaise économique et
culturel : concurrencés par des immigrés moins bien
payés et moins exigeants, les jeunes diplômés
émiriens trouvent difficilement des emplois tandis que leurs
aînés ont le sentiment d'être minoritaires dans leur propre
pays.
Un effort a donc été entrepris pour
mieux contrôler
l'immigration et pour favoriser le rapatriement de la main d'oeuvre non
qualifiée
. Le 1
er
juillet 1996, une loi est entrée
en vigueur, qui limite le regroupement familial, durcit les conditions d'octroi
du parrainage (sponsorship), diminue la durée de validité des
visas, interdit le travail à temps partiel et réprime plus
sévèrement les infractions à la législation de
l'immigration. De juillet à octobre 1996, 150 000 immigrés
clandestins ou devenus illégaux ont été expulsés
mais la plupart sont revenus avec de nouveaux papiers, tandis qu'une
minorité a saisi cette occasion pour échapper aux peines de
prison qui sanctionnent l'immigration clandestine.
Les mesures de
contrôle et d'expulsion de la main d'oeuvre illégale ont
montré leurs limites et se heurtent en effet
à l'insuffisance
du dispositif policier, notamment dans les Emirats du nord, mais aussi et
surtout
à la complaisance de certains nationaux
qui ont
intérêt au recrutement d'étrangers peu payés et
dépourvus de droits civiques et syndicaux.
De même, la faiblesse des ressources humaines locales
restreint la
portée de la politique d'émiratisation appliquée au sein
des armées, des administrations sensibles et de certaines
entreprises
. Afin d'accroître le nombre des emplois disponibles pour
les citoyens, les responsables politiques cherchent à augmenter le
niveau de qualification des nationaux et à favoriser le
développement d'un important secteur tertiaire.
Autre incertitude : celle de la dévolution du pouvoir suprême
de la Fédération. L'autorité de Cheikh Zayed n'est
contestée par personne. Cependant, les institutions émiriennes
comportent, pour l'avenir, une ambiguïté concernant la
désignation du Chef de l'Etat. En effet, celui-ci est élu tous
les cinq ans par ses pairs, les Emirs. La Constitution de la
Fédération laisse entière liberté de choix à
ces derniers. Mais comment la concilier avec la disproportion entre le poids
considérable de l'Emirat d'Abou Dabi, le plus peuplé, le plus
vaste, le plus riche..., et celui des autres Emirats ?