(1ère lecture, 1ère délibération, séance du jeudi 7 février 1884,
La publicité des séances des conseils municipaux est une des plus importantes innovations de la loi du 5 avril. Elle donna lieu à de nombreuses prises de position divergentes.
M. Lafond de Saint-Mür. Si cette disposition est adoptée, les conseils municipaux se chargeront, à chaque session, dans les villes, de remanier de fond en comble, en quelques heures, l’organisation économique, politique et sociale de la France. (...)
La publicité des séances fournira de nouveaux éléments à ces rivalités, à ces haines personnelles qui tiennent une si grande place, vous le savez tous, dans la vie collective des petites agglomérations. (C’est évident ! à droite.) (...)
Je suis donc persuadé que si le Sénat s’associe aux conclusions de sa commission, les assemblées municipales courent le risque de ressembler en tous points, dans les villes, dans les grandes surtout, aux réunions publiques de Paris, et de devenir, dans les campagnes des sociétés de diffamation mutuelle. Voilà pourquoi je repousse la réforme. (Vive approbation sur plusieurs bancs.)
M. Barbey, membre de la commission. Eh bien, j’ai été maire pendant douze ans d’une commune importante, composée en grande majorité d’ouvriers, et je vous affirme que j’aurais été heureux que les électeurs fussent admis à entendre les discussions du conseil municipal que je présidais. (Interruptions à droite) (...)
Je crois que beaucoup d’insinuations, beaucoup de calomnies répandues dans la presse et dans le public ne se seraient pas fait jour s’il y avait eu là des auditeurs même peu sympathiques à l’administration qui auraient entendu les discussions, qui auraient apprécié les arguments développés par les conseillers municipaux et par le maire, et qui auraient pu réfuter eux-mêmes les critiques injustes répandues dans le public. (...)
Et ne savez-vous pas, messieurs, qu’en France, les désordres qui se produisent dans certaines assemblées délibérantes ne sont pas le résultat de la publicité des séances, mais de l’ardeur, de l’emportement de quelques-uns de ses membres ? (Rires)
M. le comte de Saint-Vallier. (...) J’ai demandé la parole, messieurs, pour déclarer que dans un nombre considérable de communes rurales, la publicité est matériellement impossible. (Approbation à droite) (...)
Ce seraient de nouvelles dépenses analogues à celles que nous avons faites et que nous avons encore à faire pour les écoles. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)
Je vous demande donc, messieurs, de n’admettre pour les séances des conseils municipaux, ni la publicité obligatoire votée par la Chambre, ni la publicité facultative proposée par la commission. (Nouvelles marques d’approbation sur un grand nombre de bancs.)
M. Milhet-Fontarabie. On parlait, il n’y a qu’un instant, de petites communes qui n’avaient pas de locaux suffisants. Je me suis trouvé comme maire, pendant nombre d’années, dans une commune importante mais dont la salle de délibération n’était pas très grande ; la température étant très élevée, on était obligé d’ouvrir portes et fenêtres ; de cette façon, on assistait aux séances du conseil municipal. (Exclamations et rires sur un grand nombre de bancs.)
Messieurs je crois que vous n’avez pas bien saisi ma pensée.
Plusieurs sénateurs. Mais si !
M. Milhet-Fontarabie. Je vous demande pardon ; vous n’avez pas bien saisi ma pensée. Est-ce que vous auriez voulu, par exemple, qu’au nom de la liberté j’eusse donné l’ordre aux personnes qui étaient à une certaine distance de se boucher les oreilles et de ne pas écouter ce qui se disait dans la séance du conseil municipal ! Bien certainement, vous ne l’auriez pas voulu.
En vous citant ce fait, je voulais vous prouver que la population pouvait sans inconvénient assister aux séances du conseil municipal. (Nouveaux rires.)