Cette commémoration a eu lieu le 27 mai 1975 en présence du Président de la République, M. Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci a prononcé son discours dans un hémicycle "banalisé", c’est à dire sans tribune. Ses propos n'ont pas été reproduits dans le Journal officiel des débats du Sénat ; en effet, depuis 1875, les Constitutions françaises interdisent l’accès des salles du Parlement au Président de la République, qui ne peut communiquer avec les assemblées que par des messages.
Discours d’Alain Poher, président du Sénat
Vraiment, depuis cent ans, le Sénat a bien mérité de la République.
Le peuple de France l’a bien compris, qui par trois fois, en 1946, 1958 et 1969, a marqué son attachement au système bicaméraliste.
(…) Il est curieux de constater combien, au fil des décennies, la Haute Assemblée – sans doute par l’effet de sa composition politique, c’est à dire indirectement par sa source électorale – est demeurée fidèle au principe de la " concentration républicaine ". Position de prudence, de réalisme, de sagesse, correspondant bien à l’une des faces du tempérament de notre race…
C’est ainsi, pour ne citer que deux exemples, qu’à quelques années d’intervalle, sous la IIIe République, devant les divisions trop accentuées de la Chambre des députés, le Sénat renversa tour à tour André Tardieu et Léon Blum. Et, alors que sa composition politique était demeurée la même, on l’accusa successivement d’être " de gauche ", puis " de droite " !
Ce sens de la mesure, cette influence modératrice dont ne s’est jamais départie l’Assemblée du Luxembourg, pourraient conduire certains esprits à la taxer d’immobilisme ou de sclérose. Quelle évolution pourtant, quelle distance entre le Grand Conseil réactionnaire et conservateur, imaginé par les monarchistes de 1875 et notre Assemblée qui vient d’adopter, à l’issue de débats dont la haute tenue a été soulignée, des projets sociaux dont l’audace témoigne de la mutation de nos mœurs !
(…) Voici quelques années, l’un des meilleurs écrivains français de notre époque, M. Jean Guitton, me disait : " A propos du Sénat, je pense à la parole de Bergson sur le temps et la durée. Si l’Assemblée nationale reflète le frémissement du pays, le Sénat représente la durée, la sagesse stable, la modération, la liaison nécessaire entre les générations et les styles ".
Discours de Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République
(…) Le Sénat de la République française " la plus belle assemblée du monde " écrivait un jour André Siegfried, est une institution profondément originale. Aucune autre ne lui ressemble vraiment parce qu’aucune autre ne se recrute comme lui, par un système de suffrage reposant sur des choix opérés par les membres des assemblées municipales ou départementales. Ce fut la justesse étonnante du coup d’œil politique de Gambetta qui lui fit comprendre que l’assemblée, issue du vote des élus locaux, et qu’il baptisa du beau nom de Grand Conseil des communes de France, ne s’opposerait pas à la souveraineté du suffrage universel et apporterait au fonctionnement de la démocratie un élément précieux de stabilité.
Tel fut bien, en effet, le rôle du Sénat sous la IIIème République : plus modéré que la Chambre lorsque celle-ci penchait vers la gauche, plus avancé au contraire lorsqu’elle s’orientait vers la droite, il a constamment joué un rôle stabilisateur. Au temps du boulangisme comme pendant l’Affaire Dreyfus, il a contribué à protéger la République contre les entreprises de ses adversaires. Dans d’autres circonstances, il a tempéré son évolution. Plus circonspect que la Chambre, moins sensible qu’elle à la séduction des idéologies non encore éprouvées au contact des réalités, le Sénat a apporté dans la gestion des affaires publiques le concours de l’expérience et de la sagesse.
(…) Dans cette salle où se sont exprimés les plus grands talents de la politique française, depuis cent ans, et dont nous sentons autour de nous les ombres hautaines ou débonnaires, ironiques ou tourmentées, dans cette salle où a retenti le langage de l’histoire, mais aussi, plus modeste et plus émouvante, la voix de tous ceux qui entendaient traduire, à leur manière, les aspirations de leur terroir ou de leur ville, oui, dans cette salle, mesdames et messieurs les sénateurs, souffle une part de l’esprit de la France.
Je souhaite longue vie au Sénat de la République.