Dans le cadre de la célébration du 35ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort, M. Robert BADINTER, qui fut sénateur des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011, a exprimé le vœu de remettre au Sénat un exemplaire corrigé de sa main du discours qu’il avait prononcé à la tribune du Sénat le 28 septembre 1981 en sa qualité de Garde des Sceaux.
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Les circonstances de l'adoption de la loi du 9 octobre 1981
Après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, dont la position abolitionniste avait toujours été clairement exprimée, un projet de loi portant abolition de la peine de mort est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 29 août 1981. Son exposé des motifs est bref ; il retient le principe d’une abolition définitive et générale de la peine capitale.
Pour le Gouvernement, son défenseur est Robert Badinter, Garde des Sceaux du Gouvernement Mauroy, qui, dans sa fonction d’avocat, au cours des années précédentes, avait mené un combat passionné en faveur de l’abolition de la peine capitale. Des débats passionnés, mais de haute tenue, ont lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat.
La discussion dans les deux assemblées
A l’Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des lois est son président Raymond Forni, depuis longtemps défenseur de l’abolition de la peine de mort au nom des députés socialistes. La discussion a lieu les 17 et 18 septembre. Après de nombreuses interventions et le rejet d’une question préalable, l’abolition de la peine de mort est votée par 369 députés contre 113. Un article additionnel est également adopté, stipulant qu’un projet de loi portant réforme du code pénal devra déterminer l’adaptation des règles d’exécution des peines rendue nécessaire pour l’application de la loi d’abolition.
Au Sénat, le sort du projet de loi est, au début de la discussion, plus incertain. Le rapporteur désigné par la commission des lois, Edgar Tailhades, démissionne. Il est remplacé par Paul Girod qui indique : " Compte tenu de la position prise par la commission – et celle-ci ne constitue, à l’évidence, que le reflet des incertitudes de beaucoup d’entre nous -, votre rapporteur ne peut, en définitive, que s’en remettre à la sagesse du Sénat, et aussi à la conscience de chacun de ses membres. ". La discussion en séance publique se déroule également de façon exceptionnelle : la Conférence des Présidents a décidé de ne limiter ni le temps de parole des intervenants, ni la durée des débats. La discussion a donc lieu les 28, 29 et 30 septembre.
Récit de l’examen du projet de loi au Sénat par Robert Badinter
" J’avais refusé de recourir à la procédure d’urgence. Il aurait été paradoxal de l’invoquer, s’agissant d’un débat qui durait depuis deux siècles. Mais, si le Sénat rejetait le texte ou l’amendait, il faudrait recourir à la navette et, faute d’accord entre les deux Assemblées, imposer, en dernière lecture, la volonté de la majorité des députés. Cette éventualité me déplaisait, car elle donnerait à l’abolition le caractère d’une loi votée à l’arraché.
(…) A la reprise des débats, le mercredi matin, la partie se joua. (…) Chacun savait que si l’amendement d’Edgar Faure [maintien de la peine de mort uniquement pour les crimes les plus odieux] était rejeté, la voie était ouverte à l’abolition. Le moment était décisif. Le groupe socialiste demanda un scrutin public. L’effervescence régnait dans les couloirs et la salle des pas perdus tandis que le scrutin se déroulait à la tribune. Enfin, le président de séance, Robert Laucournet, donna le résultat : l’amendement était rejeté par 172 voix contre 115. Les applaudissements éclatèrent, y compris dans les travées de droite. L’article premier – La peine de mort est abolie – fut adopté aussitôt par un scrutin public à la majorité de 160 voix contre 126. Les applaudissements reprirent de plus belle. Dès lors, la partie était jouée. Tous les amendements déposés par les adversaires de l’abolition furent retirés. C’est par un simple vote à main levée que la loi fut définitivement adoptée. Il n’y aurait pas de navette, pas de seconde lecture.
Je regardai l’horloge : il était douze heures et cinquante minutes, ce 30 septembre 1981. Le vœu de Victor Hugo – " l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort " - était réalisé. La victoire était complète. " (Extraits de " L’abolition ")
Après les discours de Robert Badinter et de 28 orateurs et le rejet d’une question préalable, l’abolition de la peine de mort est votée par 161 voix contre 126. La loi est alors promulguée par le Président de la République le 9 octobre et publiée au Journal officiel le 10 octobre 1981.