Audition de Mme Armelle BEUNARDEAU, Directrice du Centre de Liaisons Européennes de Sécurité Sociale (CLEISS)
5 mai 2021 - 13h30
Le 5 Mai 2021, Mme Jacky Deromedi, présidente du groupe d’étude sur le statut, le rôle et la place des Français établis hors de France, a reçu Mme Armelle BEUNARDEAU, Directrice du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS). Étaient également présents : MM. Olivier Cadic (UC – Français établis hors de France), Pierre Cuypers (LR – Seine-et-Marne), Mmes Catherine Di Folco (LR – Rhône), Marie Evrard (RDPI –Yonne), MM. Christophe-André Frassa (LR– Français établis hors de France), Jean-Pierre Grand (LR – Hérault), Mmes Claudine Lepage (SER – Français établis hors de France), Marie Mercier (LR – Saône-et-Loire), et Catherine Procaccia (LR – Val-de-Marne).
Mme Jacky DEROMEDI, présidente du groupe d’étude, a d’abord remercié Mme Armelle BEUNARDEAU, directrice du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS), d’avoir répondu favorablement à l’invitation du groupe d’études dans le cadre du cycle d’auditions qu’il a engagé sur la situation des Français de l’étranger. Elle a rappelé que le CLEISS est un établissement public national, créé en 1959, chargé d'informer sur la protection sociale dans un contexte de mobilité internationale. Placé sous la tutelle des ministères chargés de la sécurité sociale et du budget, le CLEISS veille à faire respecter les différents accords conclus entre les États en informant les assurés et non assurés de leurs droits à la protection sociale dans le cadre de leur mobilité à l’étranger. Dans ce domaine, le CLEISS est l’interlocuteur des pouvoirs publics et de l'ensemble des institutions de sécurité sociale, quels que soient les risques (santé, vieillesse, accidents du travail, etc.) et tous régimes confondus. Il assure le rôle d'organisme de liaison entre les organismes français et les institutions étrangères de sécurité sociale. Le CLEISS assiste ainsi les organismes de sécurité sociale, français ou étrangers, les assurés et employeurs dans l'instruction des dossiers. Sur son site Internet, on peut trouver une information complète et actualisée sur les règlements européens, les accords multilatéraux et bilatéraux, mais aussi les législations sociales des États avec lesquels la France est liée par un accord de sécurité sociale. Réciproquement, le centre informe les institutions étrangères du contenu de la législation française et de son évolution. Organisme dont les missions sont souvent méconnues, le rôle du CLEISS est pourtant essentiel pour y voir plus clair dans le maquis des textes européens et des accords internationaux et bilatéraux, quand il s’agit de souscrire une protection santé ou de reconstituer une carrière au moment de la retraite.
Rappelant qu’elle dirige le CLEISS depuis un an et demi, Mme Armelle BEUNARDEAU a présenté la première mission de l’organisme, celle d’informer (depuis plus de 60 ans) les citoyens français et non français en mobilité internationale de leurs droits en matière de protection sociale. Afin de rendre la législation plus intelligible, le CLEISS a diversifié ses supports de communication, en répondant à des appels téléphoniques, des courriels, et en diffusant de nombreuses vidéos sur son site internet (traduit en plus de 6 langues). La seconde mission du CLEISS consiste en outre à assurer la traduction officielle de différents actes et documents (dont les actes d’état civil) pour l’ensemble des organismes d’assurance sociale.
Le CLEISS traite de situations juridiques diverses, tout d’abord parce que le terme « d’expatrié » recouvre des réalités extrêmement hétérogènes : la population concerne à la fois des étudiants séjournant pour une courte durée à l’étranger, des retraités ayant toujours vécu en France et choisissant d’aller passer leur retraite à l’étranger, ou encore des Français ayant toujours vécu à l’étranger qui décident de revenir en France.
Par ailleurs, les accords signés entre la France et les États européens recouvrent également des situations diverses. On distingue quatre cas principaux :
1. Les « pays de l’Union européenne (UE) et assimilés », comprenant les 27 pays de l’UE ainsi que le Lichtenstein, le Royaume-Uni et la Suisse, sont couverts par des règlements européens qui assurent une certaine continuité de la protection sociale. En effet, la question de la coordination des protections sociales des États membres a été présente dans les tous premiers règlements européens. Dans un premier temps, les accords européens ont visé à réguler le travail, afin de favoriser la mobilité des travailleurs au sein de l’Union européenne. Dans un second temps, ils ont cherché à assurer une coordination pour faciliter la liquidation des pensions de retraite des travailleurs ayant eu une carrière professionnelle fractionnée dans différents États européens. Aujourd’hui, tous les risques sont couverts, y compris le chômage. Ainsi, au sein de l’UE, la continuité des droits est désormais assurée en théorie, malgré « quelques rares trous dans la raquette. » Les règlements européens permettent en particulier le détachement des travailleurs, afin de favoriser la mobilité du travail dans les meilleures conditions. Ils permettent également la prise en charge des soins dans le cadre de déplacements temporaires, sans avoir à avancer les frais : au sein de l’UE, il n’est pas nécessaire d’avancer les frais des soins, ni de prendre une autre assurance, notamment grâce à la carte européenne d’assurance maladie, un instrument constituant l’un des grands acquis de l’Union européenne.
2. Les territoires d’outre-mer régis par des décrets de coordination : parmi les territoires d’outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française sont régis par des décrets de coordination. En revanche, les départements et régions d’outre-mer (DROM) relèvent du régime général.
3. Les territoires d’outre-mer régis par des conventions bilatérales de sécurité sociale : quarante-et-un pays sont régis par des conventions bilatérales de sécurité sociale, qui permettent d’assurer la continuité de tout ou partie des droits sociaux. Ces conventions, dont le champ couvert peut être étendu ou bien étroit, dépendent de la volonté des parties et sont soumises au caractère parfois composite des droits des pays concernés. Certaines conventions peuvent être partielles et ne couvrir qu’un nombre limité de risques ou exclure de leurs champs certaines personnes : sur le sujet des retraites, beaucoup de conventions excluent de leur champ les fonctionnaires, les familles, les travailleurs indépendants, etc. Il s’agit dans ce cas d’un accord bilatéral, régissant la situation entre deux États, et non multilatéral comme dans le cadre de l’UE. Pendant longtemps, ces conventions n’avaient pas de caractère cumulatif. Les droits d’une personne ayant vécu dans deux pays différents avec lesquels la France avait signé une convention ne s’additionnaient pas. Aujourd’hui, certaines conventions prévoient la possibilité d’additionner des droits entre différents États parties à une convention avec la France. Néanmoins, il existe encore aujourd’hui autant de cas que de conventions. Par conséquent, il est important que les citoyens se renseignent bien avant leur départ à l’étranger. Une attention particulière doit être portée aux conventions anciennes, qui peuvent être lacunaires ou peu avantageuses pour les citoyens français.
4. Les pays avec lesquels la France n’a signé aucun accord : de manière paradoxale, il peut parfois s’agir de pays dans lesquels sont présents de nombreux citoyens français comme la Thaïlande, le Vietnam, le Liban, le Mexique et l’Ile Maurice, les cinq pays pour lesquels on constate le plus de remboursements depuis la France dans la liste des pays avec lesquels la France n’a signé aucun accord. Néanmoins, même dans ces pays, les Français ne sont pas complètement démunis, et de nombreux soins y sont remboursés tous les ans. Il est en effet possible de demander des remboursements de soins en montrant qu’il s’agit de « soins inopinés » ou via la Caisse des Français de l’Étranger (CFE). Des retraites sont également versées dans ces pays : en 2020, 306 000 euros ont été versés à d’anciens assurés résidant en Thaïlande. Il est intéressant de noter qu’il peut y avoir davantage de flux de remboursements dans ces États que dans ceux dans lesquels la France a signé une convention. Par exemple, il y a plus de pensions d’accident du travail à destination de la Thaïlande que dans de nombreux États avec lesquels la France a signé une convention.
Mme Armelle BEUNARDEAU a ensuite répondu aux nombreuses questions des sénateurs :
À Mme Jacky Deromedi, qui souhaitait savoir comment, lors de son retour en France, un Français expatrié en perte d’autonomie pouvait solliciter une place en EPHAD sans disposer d’une résidence en France, Mme Armelle BEUNARDEAU a indiqué que, dans un premier temps, il s’agit de savoir si la personne est connue des systèmes de sécurité sociale français, en d’autres termes s’il possède un numéro d’immatriculation, ou Numéro d'Inscription au Répertoire de l'INSEE (NIR). Si la personne n’a jamais vécu en France, il est possible qu’elle ne possède pas ce numéro, condition indispensable mais non suffisante pour lui ouvrir des droits. En effet, disposer d’un numéro d’immatriculation est un prérequis à l’ouverture des droits : cela signifie que la personne est connue des services de sécurité sociale, mais ce n’est pas une condition suffisante. L’ouverture des droits est également soumise à un critère de résidence régulière, qui suppose une durée minimale de 3 mois. Ainsi, à son retour en France, les droits à l’assurance maladie d’un Français en perte d’autonomie pourront être ouverts au bout de 3 mois passés sur le territoire français au titre de la Protection universelle maladie (PUMA). Des droits lui seront alors ouverts à titre subsidiaire en termes de prestation en nature (soins) ou en espèce (indemnités par jour). Ainsi, la question n’est pas tant celle du retour que du respect de la durée de résidence dans le pays. Ensuite, l’inscription dans un EHPAD relève du département de résidence.
M. Jean-Pierre GRAND a fait remarquer qu’il y avait donc une impossibilité juridique à ce qu’un senior français résidant à l’étranger souhaitant être hébergé dans un EHPAD français le soit dès son retour en France, même lorsque son état le requiert. Mme Catherine PROCACCIA a renchéri en pointant du doigt un autre problème, celui de la prise en charge en EHPAD dans certains départements dans lesquels il n’y a plus de place disponible. Cela peut contraindre ces personnes à changer de département afin de trouver une place en EHPAD. En réponse, Mme Armelle BEUNARDEAU a rappelé que la condition de résidence stable et régulière, qui date de l’instauration de la couverture maladie universelle en 2000, avait pour but d’étendre l’accès à la protection sociale aux personnes exclues du marché de l’emploi, en leur ouvrant l’accès à l’assurance maladie.
Mme Jacky DEROMEDI a ensuite demandé si le CLEISS offrait une aide aux Français expatriés pour reconstituer les carrières professionnelles à l’étranger pour préparer la liquidation de leur retraite, opération qui relève le plus souvent du parcours du combattant. Mme Armelle BEUNARDEAU a répondu par l’affirmative en précisant que le CLEISS offre également cette aide aux étrangers. Toutefois, le CLEISS ne gère directement aucune prestation et n’instruit aucun dossier. L’organisme a un rôle de facilitateur et d’intermédiaire, mais il ne s’agit pas d’un organisme de sécurité sociale à proprement parler. Malgré le travail de coordination permis par le CLEISS et les conventions en vigueur, la liquidation des retraites pour les Français ayant effectué leur vie professionnelle dans différents pays se fera par chacun des États dans lequel il a vécu. En aucun cas, un seul pays (comme la France), ne liquidera l’ensemble de la retraite. Il y a coordination mais pas intégration globale. Le système de coordination permet tout de même l’addition des retraites perçues dans chacun des pays, en agrégeant des règles complexes, propres à chaque État. Par exemple, en France, la période de base est le trimestre, ce qui n’est pas forcément le cas dans tous les pays, certains Etats liquidant sur la base du nombre de mois ou de semaines. En outre, il y a des règles différentes pour les congés maladie, le chômage, etc.
À Mme Jacky DEROMEDI qui demandait comment affilier à la sécurité sociale un étudiant né de parents français mais ayant toujours vécu à l’étranger, Mme Armelle BEUNARDEAU a indiqué que cela se faisait en plusieurs étapes. Tout d’abord, l’organisme de protection sociale vérifie que l’étudiant possède un numéro de sécurité sociale, ou NIR. Cependant, là encore, ce simple numéro d’immatriculation ne permet pas d’ouvrir de droits à lui seul. Il s’agit simplement d’un moyen de reconnaitre l’assuré, qui est alors un « affilié. » Dans le cas de personnes résidant à l’étranger, cette affiliation se fait souvent par le biais de l’employeur, qui demande un NIR pour la personne qu’il souhaite embaucher.
Mme Armelle BEUNARDEAU a également fait valoir qu’une demande d’affiliation à la sécurité sociale doit forcément se rattacher à un projet concret (études, travail, etc.).
Mme Catherine PROCACCIA a ensuite demandé si la suppression du délai de carence de trois mois pour les Français de l’étranger revenant en France à la suite de la crise sanitaire serait prorogé au-delà du 1er Juin.
Mme Armelle BEUNARDEAU a indiqué que la décision relève du gouvernement. Dans l’hypothèse d’un retour au droit commun, le délai de carence de 3 mois serait rétabli. Mais il n’est pas exclu que la disposition soit prorogée. Le passage au critère des trois mois était perçu comme une avancée permettant un élargissement de l’accès à la sécurité sociale, en passant d’une approche bismarckienne dans laquelle seul le travail ouvre des droits par le biais des cotisations, à une approche beveridgienne ou populationnelle, dans laquelle même des Français ou non Français exclus du marché du travail ont accès à la protection sociale, à condition qu’ils aient résidé sur le territoire français depuis au moins trois mois.
À Mme Catherine PROCACCIA qui s’étonnait de la disparition sur le site de l’assurance maladie du formulaire destiné aux Français de l’étranger de retour en France du fait de la pandémie, Mme Armelle BEUNARDEAU a répondu qu’il ne fallait pas forcément en conclure à l’extinction des droits des Français de l’étranger à une prise en charge sans délai de carence.
En réponse à une demande de précision de M. Olivier CADIC sur les droits à la vaccination et à la prise en charge des tests PCR des Français de l’étranger de retour en France, Mme Armelle BEUNARDEAU a rappelé que l’approche choisie par le gouvernement a été celle d’une vaccination pour toute personne installée en France : on parle d’approche populationnelle. Toute personne installée en France, qu’elle possède ou non la nationalité française, peut se faire vacciner gratuitement en France. S’agissant des tests PCR, ils sont réservés aux assurés Français et ne sont donc pas gratuits pour les Français de passage qui n’ont pas résidé au moins 3 mois sur le territoire national.
En ce qui concerne le Brexit, à propos duquel M. Olivier CADIC souhaitait que puisse être présenté un point de situation, Mme Armelle BEUNARDEAU a indiqué que les accords européens seront appliqués jusqu’au mois de juin. Ensuite, un nouvel accord devra être négocié. L’objectif est de préserver un maximum de droits afin de maintenir une certaine continuité pour les assurés. Une des questions principales est celle concernant le droit au séjour, pour lequel les discussions sont en bonne voie.
Enfin, plusieurs sénateurs représentant les Français de l’étranger ont fait part des nombreuses questions qui leur étaient adressées par leurs concitoyens expatriés au sujet de leurs droits à la protection sociale. Mme Armelle BEUNARDEAU est convenue que les citoyens ont souvent des difficultés à faire reconnaitre leurs droits en la matière. Le CLEISS s’attache à favoriser une meilleure information des citoyens, dont un partenariat en cours avec les services administratifs des hôpitaux visant à mieux informer les patients. Elle s’est inquiétée de la diffusion d’informations erronées sur certains sites, en souhaitant que soit privilégiée la consultation des informations fiables du CLEISS.
Mme Jacky DEROMEDI a conclu l’audition en remerciant Mme Armelle BEUNARDEAU pour sa très grande clarté, et plus globalement pour son travail de coordination remarquable, en rappelant qu’il y a en France pas moins de 600 caisses nationales d’assurance maladie !