Réunis le mercredi 10 juillet 2024, sous la présidence conjointe de M. Bruno BELIN (Les Républicains – Vienne), président du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, et de M. Hugues SAURY (LR – Loiret), président du groupe d’amitié France-Pays de la Corne de l’Afrique, les deux groupes d’amitié se sont entretenus avec M. Rémy RIOUX, Directeur général de l’Agence française de développement (AFD), accompagné par MM. Christian YOKA, Directeur Afrique, et Philippe BAUMEL, Responsable du secrétariat des instances en charge des relations avec les administrateurs et le Parlement.
Ont également participé à la réunion : Mme Martine BERTHET (LR – Savoie), présidente déléguée pour le Sénégal du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, M. François BONNEAU (Union centriste – Charente), président délégué pour le Niger du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, Mmes Marion CANALÈS (Socialiste, Écologiste et Républicain – Puy-de-Dôme), présidente déléguée pour la Sierra Leone du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, et Marie-Arlette CARLOTTI (SER – Bouches-du-Rhône), vice-présidente du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest et membre du groupe d’amitié France-Pays de la Corne de l’Afrique, MM. Philippe MOUILLER (LR – Deux-Sèvres), secrétaire du groupe d’amitié France-Pays de la Corne de l’Afrique et membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, et Michel CANÉVET (UC – Finistère), membre des groupes d’amitié France-Afrique de l’Ouest et France-Pays de la Corne de l’Afrique, Mme Corinne IMBERT (LR – Charente-Maritime), membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, M. Patrice JOLY (SER – Nièvre), membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, Mme Corinne NARASSIGUIN (SER – Seine-Saint-Denis), membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, et M. David ROS (SER – Essonne), membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest.
M. Rémy RIOUX a d’abord fait observer qu’il était très intéressé par les informations obtenues par les parlementaires au cours de leurs déplacements en Afrique, car elles nourrissent la réflexion de l’Agence sur les projets qu’elle y conduit. Selon un sondage commandé par l’Agence et publié avant les élections européennes du 9 juin dernier, plusieurs centres d’intérêt de l’opinion publique, tels que le climat, l’immigration et le développement, figurent parmi les priorités de l’AFD qui, depuis huit ans, s’efforce d’apporter des réponses à ces sujets. L’Agence cherche à mobiliser les différents acteurs du développement, y compris les collectivités territoriales, notamment à travers la Facilité de financement des collectivités territoriales (FICOL), mise en place il y a 10 ans, ainsi que la société civile, avec laquelle l’AFD entretient des relations depuis 15 ans. L’Agence promeut également la cause des banques publiques de développement (BPD) ; son Directeur général avait d’ailleurs proposé, dès 2016, la fusion de l’AFD et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de façon à favoriser le financement de l’innovation. Toutefois, Finance en commun permet aujourd’hui de mettre en réseau, au niveau mondial, 533 BPD qui sont à l’origine de 15 % de l’investissement mondial.
Le Directeur général a indiqué que les engagements de l’AFD relatifs à l’Afrique s’établissaient à un niveau annuel stable depuis 2020, compris entre 12 et 14 milliards d’euros, dont 7,5 milliards pour le climat et plus d’1 milliard pour la biodiversité, ce qui représente environ 1 000 projets par an ; les deux tiers des projets africains comportent par ailleurs une dimension relative à l’égalité entre les hommes et les femmes. L’Afrique reste la première région d’intervention de l’AFD, même si sa part a décru, passant de plus de la moitié en 2016 à 40 % aujourd’hui. Les crédits alloués par la loi de finances à l’AFD ont un impact direct sur le nombre de projets et les secteurs soutenus par l’Agence, le niveau de ses fonds propres déterminant le volume de ses interventions. L’Agence apporte des subventions et des dons (programme 109) et pratique aussi la bonification des prêts (programme 110).
M. Rémy RIOUX a rappelé que le conseil d’administration de l’Agence devait, le lendemain, examiner une nouvelle stratégie déclinant le contrat d’objectif et de moyen, attendu depuis 18 mois, et qui sera soumis au Parlement pour avis des commissions compétentes des deux Chambres. Il a estimé que la politique de communication de l’AFD n’était pas, jusqu’à présent, orientée vers le grand public, et qu’elle devrait l’être davantage ; à ce propos, le Directeur général a cité une publication récente de l’Agence consacrée à l’économie africaine en 2024.
M. Rémy RIOUX a fait observer que l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique comportaient des pays émergents, la Côte d’Ivoire par exemple, mais aussi des pays très fragiles et en crise. Le processus d’intégration régionale y est plus ou moins avancé, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) étant toutefois bousculée par les crises sahéliennes. Depuis la pandémie de Covid-19, l’Afrique souffre d’un tarissement des financements, tant publics que privés, de ses projets. Un retrait de la Chine est observé depuis 4 ou 5 ans ; l’Afrique est actuellement dans une phase de remboursement de ses emprunts chinois, alors que les prêts chinois ont longtemps soutenu la croissance africaine – certains pays, la Zambie ou le Ghana par exemple, connaissent même des situations de surendettement vis-à-vis des banques chinoises. Du reste, celles-ci commencent à s’inquiéter et à envisager des annulations de dette. Alors que les investissements chinois en Afrique s’établissaient à un montant compris entre 80 et 90 milliards de dollars avant la pandémie, ils ont chuté depuis lors. Pour autant, les entreprises chinoises sont encore très présentes sur le continent, et beaucoup d’entre elles remportent des marchés de la Banque mondiale.
Le Directeur général a rappelé que, dans les années 2000, l’idée selon laquelle l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud seraient des pôles de stabilité et soutiendraient la croissance économique du continent était répandue. Or, l’Afrique du Sud est aujourd’hui un pays en crise, et les pays arabes africains n’ont guère tenu leurs promesses en matière d’investissement. L’AFD a mis en place deux directions régionales qui recouvrent les pays d’Afrique de l’Ouest : la direction « Grand Sahel », établie au Sénégal, au Tchad et au Burkina Faso – le déménagement de Ouagadougou est prévu compte tenu de la situation politique et sécuritaire dans le pays –, où l’activité reste stable ; et la direction « Golfe de Guinée ». Le Sénégal illustre la nouvelle voie que pourrait emprunter l’AFD ; en effet, 95 % de son portefeuille dans ce pays concerne de l’aide à projet, alors que l’appui aux politiques publiques y est résiduel. Or les nouvelles autorités sénégalaises sont demandeuses d’un tel appui, notamment en termes de développement local, et de conseil en matière de benchmark. Quant à la Corne de l’Afrique, elle est constituée surtout d’États très fragiles, marqués à la fois par un important dérèglement climatique et par une forte croissance démographique, tant rurale qu’urbaine, ce qui est peu courant ; la croissance économique y est certes élevée, mais pas suffisamment pour absorber la croissance démographique. Cette situation contribue à alimenter d’importants flux migratoires. Djibouti, l’Éthiopie et le Kenya sont les trois principaux pays d’intervention de l’AFD dans la Corne de l’Afrique.
Un large débat s’est ensuite engagé, au cours duquel sont intervenus Mme Marie-Arlette CARLOTTI, vice-présidente du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest et membre du groupe d’amitié France-Pays de la Corne de l’Afrique, MM. Patrice JOLY, membre du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, et Hugues SAURY, président du groupe d’amitié France-Pays de la Corne de l’Afrique, et Mme Martine BERTHET, présidente déléguée pour le Sénégal du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest.
M. Rémy RIOUX a rappelé qu’au printemps dernier, le Gouvernement avait annulé plus de 700 millions d’euros sur le budget du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), dont plus de 400 millions sur les crédits de l’AFD, soit 100 millions sur les dons (ce qui représente 10 % des crédits initiaux) et près de 350 millions sur la bonification des prêts. Cette annulation a nécessairement des conséquences concrètes sur la politique conduite par l’Agence, notamment sur les pays démunis tels que la République démocratique du Congo, au profit de projets moins risqués, la lutte contre le réchauffement climatique au Mexique par exemple. Si l’AFD était appelée à fournir davantage d’efforts, elle sera de moins en moins en mesure de soutenir les pays en crise.
Le Directeur général a indiqué que la moitié des financements apportés par l’AFD passait aujourd’hui par les gouvernements, tandis que l’autre moitié transitait par le secteur privé, via sa filiale dédiée Proparco, et par les collectivités territoriales. Elle est l’une des rares agences de développement à financer directement des collectivités territoriales étrangères, par exemple en Ukraine. Lorsque la crise au Sahel a éclaté, l’Agence était engagée à hauteur de 2,5 milliards d’euros au Burkina Faso, au Mali et au Niger. L’AFD veut être le dernier partenaire à en partir, et le premier à y revenir. Pour autant, la politique africaine de l’AFD ne doit pas se limiter à ces trois pays, les encours de l’Agence s’élevant à 28 milliards d’euros sur le continent africain. D’autres pays présentent des perspectives intéressantes, l’Angola par exemple. Le Cap-Vert et les Comores illustrent parfaitement la nature contracyclique des transferts d’argent des migrants : lorsque la croissance diminue dans le pays, les transferts augmentent et peuvent atteindre des montants considérables – jusque 30 % du produit intérieur brut au Cap-Vert par exemple. La question se pose de savoir comment transformer cette épargne en investissement, alors qu’aujourd’hui elle finance surtout la consommation. La Caisse des dépôts et consignations a mis en place un programme intéressant sur ce sujet.
M. Rémy RIOUX a fait part de sa confiance dans la coopération décentralisée. En dépit d’inquiétudes il y a quelques années, les projets se renouvellent : elle est très appréciée dans les pays partenaires et par les élus locaux, et devrait constituer un axe important de la diplomatie parlementaire. Les parlementaires sont très bien placés, bien mieux que le MEAE, pour promouvoir et valoriser la coopération décentralisée qui devrait être érigée en sujet politique par les collectivités territoriales françaises. La coopération est globalement bloquée au Sahel, mais avec des nuances : les autorités burkinabés sont hostiles, le dialogue reste possible au Mali et une revue va être menée au Niger sur les activités appelées à se poursuivre – les autorités nigériennes ne souhaitent pas le départ de l’AFD.
Le Directeur général a conclu en invitant les sénateurs à l’accompagner dans ses déplacements sur le terrain.
Contact(s) :
- M. Xavier DUPRIEZ
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