Le mercredi 12 février 2025, le groupe interparlementaire d’amitié France-Allemagne, sous la présidence de M. Ronan Le Gleut (Les Républicains - Français établis hors de France), président, s’est entretenu avec M. Paul Maurice, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Institut français des relations internationales (Ifri)

Étaient également présents : Mmes Nadine Bellurot (LR apparenté – Indre), M. Christophe Chaillou (Socialiste, Écologiste et Républicain – Loiret), Mme Michelle Gréaume (CRCE-K – Nord), MM. Jean-Raymond Hugonet (LR apparenté – Essonne) et Christian Klinger (LR – Haut-Rhin), Mmes Audrey Linkenheld (SER – Lois) et Mathilde Ollivier (GEST – Français établis hors de France), M. Olivier Rietmann (LR – Haute-Saône), Mme Anne-Sophie Romagny (Union Centriste – Marne) et M. Michaël Weber (SER – Moselle).

M. Paul Maurice a tout d’abord présenté un état des lieux à quelques jours des élections législatives anticipées organisées à la suite de la dissolution du Bundestag et qui auront lieu le 23 février. Les sondages mettent en tête les chrétiens-démocrates de la CDU de Friedrich Merz, qui remporteraient environ 29% des voix, suivie de l’extrême-droite (AFD) d’Alice Weidel, à un peu plus de 20% – ce qui représenterait un doublement de son score depuis 2021 –, puis des sociaux-démocrates du SPD d’Oscar Scholz (16%), des Verts de Robert Habeck (12/13%) et des libéraux du FDP de Christian Lindner (un peu moins de 5%).

L’élection au Bundestag, très complexe, a pour particularité de conférer deux voix à chaque électeur : l’une au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le cadre de chaque circonscription, l’autre à la proportionnelle sur liste par Land. Pour être représenté un parti doit obtenir au moins 5% des suffrages ou gagner au moins 3 circonscriptions directes. Les libéraux, qui n’ont jamais gagné une circonscription, risquent fort de ne pas être représentés dans la prochaine assemblée.

Plusieurs scénarios sont à ce stade envisageables :

  • Dans le premier, où quatre partis seraient représentés au Bundestag (CDU, extrême-droite, sociaux-démocrates et Verts) et la majorité en siège se situerait autour de 42% des suffrages, 20% de l’électorat pourrait ne pas être représenté. Une coalition chrétiens-démocrates/sociaux-démocrates ou chrétiens démocrates/Verts pourrait alors être envisageable ;
  • Dans le deuxième, où sept partis seraient représentés (les quatre précédents, auxquels s’ajouteraient les Libéraux, Die Linke et l'Alliance de Sahra Wagenknecht), la majorité en siège sera plus difficile à atteindre et une coalition à trois probable, associant notamment la CDU et le SPD à un troisième parti ;
  • Dans le troisième, actuellement le plus vraisemblable, cinq partis seraient représentés – le FDP et l'Alliance de Sahra Wagenknecht ne passant pas le seuil de 5%, contrairement à Die Linke).

S’agissant des questions programmatiques, M. Paul Maurice a fait observer que les partis parvenaient toujours à s’accorder pour gouverner. Ce sera par exemple le cas en Thuringe entre la CDU, le SPD et l'Alliance de Sahra Wagenknecht, afin d’éviter toute alliance avec l’AfD. Cette dernière ne devrait probablement pas gouverner à la suite des prochaines élections, aucun des principaux partis n’étant prêt à s’allier avec elle.

La question migratoire a pris une place centrale dans la campagne électorale, à la suite notamment de l’agression au couteau de deux personnes par un ressortissant afghan le 22 janvier, qui a conduit l’AfD à voter avec la CDU une proposition de résolution et un projet de loi durcissant la législation migratoire déposés par cette dernière. Si une majorité de l’électorat chrétien-démocrate est favorable à ces textes, il ne souhaite pas pour autant de coalition avec l’extrême-droite. à travers ce rapprochement circonstanciel avec l’extrême droite, Friedrich Merz chercherait à reprendre en main une campagne qui lui échappait, mais aussi à faire pression sur les autres partis de gouvernement, SPD et Verts. Quant à l’AfD, pour laquelle ces textes ne sont pas assez radicaux, elle ambitionne, en les votant avec la CDU, de déstabiliser le système politique et de réduire l’espace politique des chrétiens-démocrates.

Mme Michelle Gréaume s’étant interrogée sur l’existence d’enjeux communs à l’ensemble des pays européens – augmentation du coût de l’énergie, désindustrialisation, aide à l’Ukraine, problématiques migratoires – qui expliqueraient une même polarisation sur les préoccupations des partis d’extrême-droite, M. Paul Maurice a convenu qu’il existait un effet de ce type à l’échelle de l’Union européenne. Il a rappelé toutefois que le SPD avait emporté les élections législatives de 2021, y compris dans les Länder de l’Est, plus enclins désormais à voter pour l’AfD car les électeurs ressentent une frustration face à l’incapacité de la coalition au pouvoir à mener à bien le programme social sur lequel elle a été élue. Le parti de gauche radicale Die Linke, qui pouvait autrefois canaliser ces mécontentements, a perdu de son aura, y compris à l’Est, au profit de discours populistes. On observe aujourd’hui une radicalisation dans l’ensemble du spectre politique poussant les électeurs à porter leurs voix sur les partis protestataires (AfD, Alliance de Sahra Wagenknecht) perçus comme capables de prendre les décisions améliorant la vie quotidienne.

Derrière ces évolutions politiques se pose la question de l’avenir du modèle économique allemand, avec une industrie automobile et chimique déclinante, et un durcissement de la concurrence chinoise. Les Verts proposent une réponse politique, mais sans doute trop axée sur la dépense publique.

La réforme du « frein à l’endettement », cette règle constitutionnelle limitant à 0,35% du PIB la dette publique, revient également au cœur du débat ; si elle présente de nombreuses exceptions – à travers les fonds spéciaux, inscrits hors budget –, son assouplissement passerait par à la fois par un relèvement de son seuil à 0,5% et un ciblage permettant d’y soustraire des dépenses structurelles – défense, éducation et infrastructures.

Interrogé par Mme Michelle Gréaume sur l’influence des réseaux sociaux durant la campagne, M. Paul Maurice a indiqué que TikTok était utilisé par l’extrême-droite à destination des jeunes, qui votent en majorité pour ces courants politiques. La crainte d’une ingérence étrangère via les réseaux sociaux est très présente en Allemagne, qu’elle soit d’origine russe, chinoise ou même américaine, à la suite notamment du soutien à l’AfD d’Elon Musk, qui bénéficie globalement d’une bonne image dans le pays. Si ce parti d’extrême-droite a souligné son attachement à la relation transatlantique, c’est dans la perspective d’un rapprochement avec l’administration Trump.

Questionné par Mme Nadine Bellurot sur l’avenir de la relation franco-allemande, M. Paul Maurice a observé que si le probable futur chancelier, Friedrich Merz, était plus francophile que l’actuel, Olaf Scholz, et attaché à la fois à la relation avec la France et les Etats-Unis, il n’était pas certain pour autant qu’il relance la relation entre nos deux pays s’il était élu. La France est en effet perçue en Allemagne comme un partenaire peu fiable aujourd’hui. Pour autant, certains enjeux essentiels – politique énergétique et place du nucléaire, compétitivité européenne, coordination des politiques extérieures – impliqueront nécessairement des échanges étroits entre France et Allemagne.

Mme Audrey Linkenheld lui ayant demandé pour quelles raisons l'Alliance de Sahra Wagenknecht ne dépasserait pas, selon lui, le seuil des 5% de suffrages aux élections, M. Paul Maurice a indiqué que si ce parti s’était relativement bien implanté à l’Est de l’Allemagne, en raison notamment des origines est-allemandes de sa fondatrice, l’électorat protestataire portait ses voix, lors des scrutins, sur Die Linke, un parti davantage institutionnalisé et implanté localement et plus au fait des problématiques sociales.

M. Olivier Rietmann ayant fait remarquer que certains sujets d’incompréhension entre France et Allemagne auraient pu être anticipés (fin du moteur thermique dans l’Union européenne en 2035, adhésion au Mercosur…), M. Paul Maurice a estimé que l’inquiétude ne provenait pas tant de l’existence de divergences entre les deux pays que de la difficulté à les gérer sereinement.

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M. Maxime REVERSAT
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