Le groupe d’information internationale sur le Tibet, présidé par Mme Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains – Val-d’Oise), a organisé, mardi 3 décembre 2024, une table ronde sur le thème des enjeux de la gestion de l’eau du plateau tibétain animée par M. Vincent Metten, directeur de l’International Campaign for Tibet (ICT), et réunissant Mmes Palmo Tenzin, chercheuse et chargée de plaidoyer pour ICT en Allemagne, Dechen Palmo, chercheuse en environnement au Tibetan Policy Institute, basé à Dharamsala, en Inde, siège du gouvernement tibétain en exil (en visioconférence), et Tenzin Choekyi, chercheuse pour l’ONG Tibet Watch.

Étaient présents, outre la présidente du groupe d’amitié : Mmes Else Joseph (LR – Ardennes), vice-présidente du groupe, M. Olivier Rietmann (LR – Haute-Saône), secrétaire, et Mmes Marie Mercier (LR – Saône-et-Loire), Anne-Marie Nédélec (LR – Haute-Marne), Marie-Pierre Richer (LR – Cher) et Anne Ventalon (LR – Ardèche), membres du groupe, ainsi que M. Jean Sol (LR – Pyrénées-Orientales).

De gauche à droite : M. Vincent Metten et Mmes Palmo Tenzin, Jacqueline Eustache-Brinio et Tenzin Choekyi

Souvent qualifié de « troisième pôle » de la planète, le plateau tibétain joue un rôle essentiel dans l’équilibre hydrique de l’Asie. À travers ses glaciers et ses rivières, cette région fournit les ressources en eau nécessaires à près de 1,8 milliard de personnes, couvrant une large partie de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est. Cependant, les défis liés au réchauffement climatique, à la gestion controversée des ressources par la Chine et à la construction massive de barrages sur le plateau créent des tensions environnementales, sociales et géopolitiques majeures. À travers les analyses et points de vue de ses différents intervenants, la table ronde a exploré en profondeur ces enjeux.

Le Tibet : château d’eau de l’Asie et ses défis environnementaux

Situé à une altitude moyenne de 4 500 mètres, le plateau tibétain est l’une des zones les plus sensibles au réchauffement climatique. Les glaciers de la région, sources des plus grands fleuves asiatiques comme le Brahmapoutre, le Yangtsé, le Mékong et l’Indus, fondent à un rythme alarmant. Des projections indiquent que 75 % de ces glaciers pourraient disparaître d’ici 75 ans, exacerbant les crises hydriques pour les pays en aval.

Ces glaciers fournissent non seulement de l’eau pour la consommation humaine, l’agriculture et l’industrie, mais jouent aussi un rôle clé dans la régulation des cycles hydrologiques. Leur fonte déséquilibrée entraîne des crues soudaines suivies de périodes prolongées de sécheresse. Ces phénomènes affectent les écosystèmes locaux, mais aussi les économies des pays dépendants des rivières issues du plateau tibétain.

En raison de sa topographie et de sa situation géographique, le plateau tibétain subit un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. Cette vulnérabilité s’aggrave avec les pratiques anthropiques, comme la construction massive de barrages et l’exploitation intensive des ressources naturelles.

La prolifération des barrages hydroélectriques : un défi multidimensionnel

Depuis 2000, la Chine a construit ou planifié la mise en place de 193 barrages hydroélectriques sur le plateau tibétain. Ces projets, justifiés par la nécessité de répondre à la demande énergétique nationale et par l’argument de la transition vers des énergies renouvelables, soulèvent des préoccupations majeures à plusieurs niveaux.

Une expansion rapide et démesurée

Les barrages en construction sur le plateau tibétain devraient générer une capacité totale de 270 gigawatts, soit l’équivalent de la production énergétique de l’Allemagne en 2022. Pourtant, cette production dépasse largement les besoins locaux, le Tibet étant faiblement peuplé. L’énergie générée est ainsi principalement transportée et destinée aux centres industriels de l’est de la Chine, voire à l’exportation, créant des pertes considérables et marginalisant les communautés tibétaines.

Des impacts environnementaux significatifs

Les barrages perturbent le flux naturel des rivières, bloquent les sédiments qui fertilisent les terres agricoles en aval et détruisent les écosystèmes aquatiques. Ils exacerbent également les risques de catastrophes naturelles, comme les glissements de terrain et les séismes, en modifiant les équilibres géologiques.

En outre, l’argument selon lequel les barrages sont une source d’énergie propre est contesté. Les réservoirs des barrages émettent du méthane, un gaz à effet de serre puissant, en raison de la décomposition des matières organiques submergées.

Des conséquences humaines et culturelles

Les projets hydroélectriques entraînent des déplacements massifs de populations. Des milliers de villages et sites culturels, historiques et religieux sont engloutis, et des millions de Tibétains sont contraints de quitter leurs terres ancestrales. Ces déplacements impliquent la destruction de lieux sacrés, comme les monastères vieux de plusieurs siècles, qui constituent des piliers de l’identité culturelle tibétaine.

La dimension géopolitique : une eau sous contrôle

La gestion des ressources en eau du Tibet dépasse les frontières de la Chine. Les fleuves issus du plateau alimentent plusieurs pays, notamment l’Inde, le Pakistan, le Cambodge, le Laos et le Vietnam. La Chine, en contrôlant ces ressources grâce à ses infrastructures, exerce un pouvoir géopolitique considérable.

Les pays en aval face aux pressions hydriques

Les barrages construits par la Chine sur le Mékong ont exacerbé les sécheresses en aval, y compris durant les saisons des pluies. Ces phénomènes affectent gravement la pêche, l’agriculture et l’accès à l’eau potable. Les pays dépendants du Mékong subissent une pression croissante, aggravée par le monopole de la Chine sur les données hydrologiques. Ces données, vitales pour la gestion des crises hydriques, ne sont partagées que sporadiquement et sous conditions.

Une arme diplomatique

En contrôlant les flux des rivières, la Chine utilise l’eau comme un outil stratégique pour renforcer son influence sur ses voisins. Cette situation entraîne des tensions diplomatiques croissantes, notamment avec l’Inde, qui dépend largement des eaux du Brahmapoutre.

Les voix tibétaines : protestations et répression

Les populations tibétaines ont exprimé à plusieurs reprises leur opposition aux projets de barrages. Bien que pacifiques, ces protestations sont souvent violemment réprimées. À Dergué, par exemple, des manifestations contre la construction d’un barrage ont conduit à des arrestations massives et à une surveillance renforcée. Les habitants, désespérés, ont tenté d’attirer l’attention des autorités locales en les implorant à genoux, mais leurs efforts se sont heurtés à une répression sévère.

Privés de leurs terres, les Tibétains sont également réduits de facto au silence. Les outils numériques, surveillés de près, limitent leur capacité à partager des informations sur leurs conditions de vie et les injustices qu’ils rapportent.

Des recommandations pour une gestion durable

Face à ces défis, les intervenants ont proposé une série de recommandations pour une gestion plus équitable et durable des ressources en eau du plateau tibétain :

  1. Impliquer les communautés locales : les Tibétains doivent être consultés et inclus dans les décisions concernant leurs terres et leurs ressources. Le respect de leurs droits fondamentaux est essentiel pour garantir une gestion juste et durable.
  2. Renforcer la recherche scientifique : le Tibet reste une région sous-étudiée, avec peu de données disponibles sur l’impact environnemental des projets de barrages et du réchauffement climatique. Une collaboration internationale est nécessaire pour combler ce vide scientifique.
  3. Promouvoir des accords de gestion transfrontalière : la mise en place de traités entre la Chine et les pays en aval est cruciale pour garantir une gestion équilibrée des ressources en eau et prévenir les conflits.
  4. Encourager des alternatives à l’hydroélectricité : investir dans d’autres formes d’énergies renouvelables, comme l’énergie solaire ou éolienne, pourrait réduire la dépendance aux barrages et leurs impacts négatifs.
  5. Exiger le partage des données hydrologiques : la Chine doit être incitée à partager de manière transparente les données sur les flux des rivières afin de permettre une planification régionale coordonnée.
  6. Mobiliser la communauté internationale : les institutions internationales, comme l’UNESCO, doivent intervenir pour protéger le patrimoine culturel tibétain menacé par les projets de barrages. De plus, les organisations multilatérales, comme la Commission du Mékong, doivent jouer un rôle plus actif dans la gouvernance régionale.

Le rôle de la France et de l’Europe

Les experts ont souligné l’importance du rôle que peuvent jouer la France et l’Europe dans la résolution de ces enjeux. En tant qu’acteurs influents sur la scène internationale, ils peuvent :

  • Sensibiliser l’opinion publique mondiale aux conséquences des politiques chinoises sur le plateau tibétain ;
  • Soutenir la création d’accords transfrontaliers pour une gestion équitable de l’eau ;
  • Promouvoir des normes environnementales et sociales élevées pour les projets d’infrastructures ;
  • Défendre les droits des Tibétains, notamment leur droit à participer aux décisions concernant leurs ressources.

Conclusion : un défi global

La gestion des ressources en eau du plateau tibétain est une question qui dépasse largement les frontières de la région. Elle touche à la fois à la survie des populations locales, à la préservation de l’environnement et à la stabilité géopolitique de l’Asie. Une réponse internationale coordonnée, impliquant des acteurs politiques, scientifiques et sociaux, est essentielle pour protéger cette région cruciale. Les enjeux du Tibet ne sont pas seulement tibétains, mais mondiaux, et nécessitent une attention urgente pour garantir un avenir durable et équitable.

Le public de la table ronde

Contact :

M. Thierry MUNIER
01.42.34.39.74 – Courriel : t.munier@senat.fr