TROISIÈME PARTIE - LES MISSIONS D'ÉVALUATION SUR LE TERRAIN |
Votre Délégation du Bureau à la coopération décentralisée a effectué, au cours de la période sous examen, cinq missions à l'étranger, dont les enseignements sont retracés dans les chapitres ci-après :
Chapitre I er : Le Laos , un exemple de développement par la valorisation du patrimoine ..................................... |
p. 41 |
Chapitre II : Le Cap-Vert : des coopérations à développer ............. |
p. 79 |
Chapitre III : Les Assises de coopération décentralisée franco- chinoise : expériences et bonnes pratiques .................. |
p. 103 |
Chapitre IV : Les assises de coopération décentralisée à Madagascar ........................................................ |
p. 137 |
Chapitre V : Africités IV : un espoir pour le développement municipal en Afrique .......................................... |
p. 145 |
CHAPITRE PREMIER : LE LAOS : UN EXEMPLE DE DÉVELOPPEMENT PAR LA VALORISATION DU PATRIMOINE |
Ce chapitre rend compte de la mission d'information effectuée au Laos, du 18 au 26 février 2005, au nom de la Délégation du Bureau du Sénat à la coopération décentralisée, par MM. Jean FAURE, président délégué, questeur du Sénat, sénateur de l'Isère, et Yves DAUGE, sénateur d'Indre-et-Loire, point focal UNESCO au Sénat.
Depuis quelques années, le Laos a fait de notables efforts pour s'engager dans la voie de la modernisation et a lancé d'importants chantiers de réforme d'ordre institutionnel, économique et social. La France a apporté son soutien à cette démarche, notamment au travers des actions de coopération entre les collectivités territoriales françaises et les communautés locales laotiennes.
La Délégation du Bureau du Sénat à la Coopération décentralisée a donc estimé le moment venu pour étudier les actions déjà engagées selon ces orientations nouvelles , et a chargé M. Jean Faure, en sa qualité de président délégué, d'évaluer, à partir des expériences concrètes menées sur le terrain, l'impact des coopérations existantes sur le développement du Laos .
Notre collègue Yves DAUGE, qui a piloté une importante opération de réhabilitation du site de Luang Prabang, sous l'égide de l'UNESCO (dont il est le point focal au Sénat), en prenant appui sur une coopération décentralisée avec la ville de Chinon, dont il est maire, a participé à cette mission.
A partir de l'expérience exemplaire menée à Luang Prabang, la mission sénatoriale s'est donné pour objectif d'analyser l'ensemble des actions de coopération décentralisée engagées au Laos à l'initiative des collectivités françaises, plus particulièrement dans les domaines de la valorisation du patrimoine naturel et architectural.
Parallèlement, M. Jean Faure, rapporteur, a souhaité évaluer, à l'occasion d'une première mission exploratoire, la faisabilité du projet « Grand Mékong » , que s'apprête à lancer le ministère français du tourisme, en coopération avec la haute autorité du tourisme laotienne, et avec le soutien financier de la Banque asiatique de développement, en vue de la mise en circuit des villes royales de la péninsule indochinoise, dont la région de Luang Prabang pour le Laos, en insistant sur le développement de l'écotourisme . Dans ce domaine, l'ONG « TETRAKTYS », que préside M. Jean Faure, rapporteur, a en effet déjà à son actif plusieurs réalisations, notamment en Afrique. C'est pourquoi, la mission a souhaité tester les chances de succès de ce projet pilote, au vu du potentiel touristique dont dispose le Laos, s'agissant plus spécialement des capacités d'hébergement que peuvent offrir les gîtes aménagés par la population locale. Il paraît en effet nécessaire de s'engager vers des solutions respectueuses des cultures locales et des richesses naturelles, qui demeurent assez largement préservées au Laos.
Le présent rapport, après un rapide panorama de la situation politique, économique et sociale du Laos, ainsi que de nos relations bilatérales, propose une analyse des actions de coopération décentralisée menées dans ce pays, en insistant plus particulièrement sur le cas de Luang Prabang et sur le projet Grand Mékong. Il s'attache à en tirer les enseignements avec le souci d'identifier les formes de partenariat les plus propices à l'essor économique et social du pays, au respect de son environnement et à la mise en valeur de ses atouts.
PROGRAMME
18 février : Vientiane
- Entretien avec M. Khamsing SAYAKONE, Président de la Commission des affaires économiques et financières, Président du groupe d'amitié Laos-France à l'Assemblée nationale.
- Bilan de la coopération décentralisée franco-laotienne avec Son Exc. M. Maurice PORTICHE, Ambassadeur de France, et ses collaborateurs.
- Entretien avec M. Boutième PISSAMAY, Ministre chargé du Conseil national des sciences, de la technologie et de l'environnement, et M. Somphong MONKHONVILAY, Ministre chargé du tourisme et Président de l'Autorité nationale du tourisme.
19 février : - Visite d'un projet d'adduction d'eau à Vientiane avec les représentants de l'AFD.
20 février : Luang-Prabang
- Réunion de travail à la Maison du Patrimoine (MDP), en vue de la préparation du Comité local du patrimoine et du Comité national du patrimoine
• Etat d'avancement du PASS-Luang Prabang
• Pérennisation MDP - Taxe de séjour
• PASS culturel, Dixième anniversaire du site classé au Patrimoine Mondial
• Etat d'avancement de la démarche Men And Biosphere (MAB)-Parcs naturels régionaux (PNR)
21 février : Journée de travail à Luang Prabang
- Rencontre avec le Vice Gouverneur
- Visite des réalisations urbaines (réhabilitation des venelles) de la MDP, dans la ville historique
- Participation à la mission de supervision de l'Agence française de développement (AFD) sur le programme PASS
- Inauguration du projet de réhabilitation du marché Hmong, en présence du Gouverneur
22 février : Journée de travail à Luang Prabang
- Réunion de travail avec le Comité local du patrimoine et le comité de suivi
(Ordre du jour : Pérennisation de la Maison du Patrimoine et taxe touristique ; lutte contre les constructions illicites ; mise en place de la démarche Men And Biosphère (MAB, programme de L'UNESCO) / Parcs naturels régionaux ; préparation du 10 ème anniversaire du classement UNESCO)
- Visite de la zone du futur parc naturel en amont du Mékong
23 février : Paksé
- Mission exploratoire dans le Sud du pays (Paksé) pour l'aide au montage de projets touristiques dans le cadre du projet « Grand Mékong »
- Entretien avec le Vice-Gouverneur de Champassak
- Visite d'un futur pôle de développement touristique : le Vat Phou
24 février : - Visite des sites du projet Grand Mékong
I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE : UN PAYS ENCLAVÉ, PAUVRE ET SOUS-PEUPLÉ
1. Une situation géographique enclavée
Pays enclavé et montagneux, au coeur de la péninsule indochinoise, le Laos recouvre 236.800 km² et s'étend du Nord au Sud sur 1.100 km. Il est irrigué longitudinalement par le Mékong dont le lit se développe sur 1.898 km (pour un parcours total de 4.200 km).
Bordé à l'Est par le Vietnam sur 2.069 Km et à l'Ouest par la Birmanie et la Thaïlande sur 1.835 Km, le pays a pour voisins, au Nord, la Chine (505 Km de frontières communes) et au Sud, le Cambodge (435 Km).
Le Laos se compose de trois grandes régions nettement différenciées : le Nord, au relief montagneux, culminant à 2.850 m, la plaine de Vientiane au centre, grenier à riz du pays, et le Sud, région de plateaux délimitée à l'Ouest par le Mékong et à l'Est par la cordillère annamitique.
Il bénéficie d'un climat tropical marqué par une saison sèche d'octobre à avril et une saison des pluies de mai à septembre.
2. Une population peu dense
Le Laos ne compte que 5,3 millions d'habitants, avec une densité très faible : 23 habitants au Km². Cette population comprend de nombreux groupes ethniques, dont beaucoup de petites communautés autarciques vivant dans les zones de montagne. Sa croissance démographique est de 2,8 % par an, mais le taux de mortalité infantile est élevé, atteignant 82 %o pour les enfants de moins d'un an. 54 % des Laotiens ont moins de 20 ans.
Les indicateurs de développement humain du PNUD classent le Laos au 131e rang mondial.
Le taux d'alphabétisation est de 58 % (64 % pour les hommes et 42 % pour les femmes) et le taux de scolarisation dans le primaire de 72 %. Seulement 51 % des Laotiens ont accès à l'eau potable.
La population demeure à forte dominante rurale, les campagnes regroupant 83 % des Laotiens, tandis que la population urbaine, 17 %, se répartit dans les quatre grandes villes du pays : Vientiane, la capitale, Luang Prabang, ancienne capitale historique, Savannakhet (chef-lieu de la province la plus peuplée), et Champassak.
La répartition de la population active, soit 70 % (3.157.417 habitants), se décompose comme suit :
- agriculture et pêche : 85 %
- secteur secondaire : 5 %
- secteur tertiaire : 10 %.
3. Une histoire tourmentée
Sa position géographique a valu au Laos d'être, au cours de l'histoire, l'objet des convoitises alternées des populations Thaï (à l'Ouest) et Khmers (au Sud), tout en étant perçu comme une zone naturelle d'expansion pour les Vietnamiens. Son enclavement en a fait ainsi une sorte d'Etat tampon, enjeu des luttes d'influence régionale menées par les Britanniques et les Français, puis par les protagonistes de la guerre froide.
QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES 1353 - 1376 Règne de Fa Ngum, fondateur du Lane Xang, « Royaume du million d'éléphants ». Début du 18 e siècle Partition du Lane Xang en trois royaumes rivaux : Luang Prabang, Vientiane et Champassak. 1885 Les trois royaumes passent sous la tutelle siamoise 1893 Signature du traité franco-siamois reconnaissant le Protectorat de la France sur le Laos. 1896 - 1897 Délimitation des frontières du Laos. 1940 - 1945 Occupation japonaise. Oct. 1945 Après la capitulation japonaise, naissance du premier mouvement d'indépendance, le Lao Issara, qui deviendra par la suite le Pathet Lao . Mars 1946 Les troupes françaises reviennent au Laos. 22 oct. 1953 Indépendance totale du Royaume du Laos. 1964 - 1973 Guerre du Vietnam. Au Laos, le Pathet Lao contrôle la majorité des provinces. 2 déc. 1975 Proclamation de la République Démocratique Populaire du Laos. 1978 - 1982 Gel des relations diplomatiques entre le Laos et la France. 1986 Adoption du « nouveau mécanisme économique » qui conduit le Laos vers l'ouverture à une économie de marché. 1991 Sommet de la Francophonie de Chaillot : le Laos fait désormais partie des pays ayant en partage la langue française. 23 juillet 1997 Le Laos est admis au sein de l'ASEAN. |
L'identité Lao a ainsi eu d'autant plus de mal à s'affirmer qu'elle se caractérise par une diversité ethnique exceptionnelle avec 47 ethnies officiellement répertoriées. Celles-ci se répartissent en trois grands groupes : les Lao Loum : Lao des plaines, de culture Thaï, qui regroupent les deux tiers de la population ; les Lao Theung ou Lao des plateaux, premiers occupants du pays, apparentés au groupe austroasiatique, qui représentent approximativement le quart de la population ; et enfin les Lao Soung ou « Lao des sommets », moins nombreux (environ 10 %), principalement les Hmong, venus de Chine au XIXe siècle. Parmi ces composantes, l'ethnie dominante Lao ne représente qu'environ la moitié de la population, alors qu'un nombre plus important d'entre eux vivent à l'extérieur des frontières et en particulier dans le nord-est de la Thaïlande. Cela renforce le sentiment de ceux qui critiquent la délimitation actuelle du Laos, en en imputant la responsabilité à la colonisation française.
Il reste que de nombreux Laotiens - de l'ethnie Lao en particulier - ont une conscience forte de leur identité culturelle, fondée sur une histoire qui remonte aux origines du royaume du Lane Xang, c'est-à-dire du « million d'éléphants », (XIVe - XVIIe siècle). Les Lao fondèrent à l'époque sur la rive gauche du Mékong une principauté dépendant de l'empire Kmer, le Muong Xua, avec pour capitale Luang Prabang, autour de laquelle gravitaient des principautés vassales jouissant d'une grande autonomie. La monarchie, qui s'appuyait sur le bouddhisme Theravada (« voie des anciens ») devenu religion d'Etat, a connu son « âge d'or » sous le règne de Souligna Vongsa. Mais la mort de celui-ci entraîne l'éclatement du Laos en trois royaumes rivaux, qui subissent les dominations successives des Birmans et du Siam au long des XVIIIe et XIXe siècles.
La France, qui entreprend la conquête de l'Indochine à partir de 1858, s'intéresse au Laos, car il lui permet d'accéder au marché chinois par le Mékong.
En 1893, le Siam reconnaît par traité la souveraineté française sur le territoire situé à l'est du Mékong. S'il cède à la France quelques territoires de la rive droite par un nouveau traité signé en 1904, il parvient à conserver le contrôle du plateau de Khorat où vivent les quatre cinquièmes de la population lao. Aussi, les frontières actuelles du Laos héritées de cette période, délimitent-elles un territoire appauvri et dépeuplé par la politique de déportation massive pratiquée par le Siam au XIXe siècle.
Le mouvement nationaliste émerge lentement sous le coup de nouvelles poussées expansionnistes des Thaïlandais au cours des années 1930, puis dans le tourbillon des guerres d'Indochine (1945-1975).
Les Japonais éliminent l'administration française en mars 1945. Un gouvernement dirigé par le prince Phetsarath, père du nationalisme Lao, déclare l'indépendance, confirmée par la capitulation japonaise. Le pays est réunifié autour de Luang Prabang.
La période est marquée par des dissensions internes entre les différentes forces politiques en présence. Après une brève reconquête du pays par la France en 1946, le pays accède au statut d'Etat associé en 1949. Avec l'appui du Viet Minh, se met en place un gouvernement provisoire de l'Etat lao (« Pathet Lao »). L'indépendance totale du Laos est consacrée en 1954 par la Conférence de Genève, qui prévoit également sa neutralisation. Cependant, le processus d'unification et de réconciliation est contrarié par une succession d'alternances entre les différentes forces politiques en présence (armée royale, Pathet Lao, neutralistes), sur fond de guerre d'influence étrangère, américaine et vietnamienne. Puis, en 1960, on assiste à la reprise de la guerre civile. A partir de 1964, le Laos devient un champ de bataille entre Nord-vietnamiens et Américains qui se disputent le contrôle de la « piste Ho Chi Minh », infligeant au Laos plus de bombardements que n'en subit l'ensemble de l'Europe pendant la Seconde guerre mondiale (certaines régions de l'est du pays demeurent encore aujourd'hui des champs de mines).
En 1973, l'accord de Paris sur le Vietnam entraîne un cessez-le-feu immédiat au Laos. Le gouvernement de coalition mis en place en 1974 ne résiste pas à la détermination du Pathet Lao de reprendre le pouvoir, avec le soutien du Vietnam. Le 2 décembre 1975, la monarchie est abolie et la République démocratique populaire Lao proclamée. Le pouvoir revient au parti populaire révolutionnaire lao dont le président Kaysone Phomvihane devient l'homme fort du pays jusqu'à sa mort en 1992. Le régime communiste lao dont le Vietnam a soutenu la mise en place, demeure placé dans l'orbite de ce pays.
Après une période de mise sous tutelle du clergé bouddhique, de nationalisation de l'économie et de collectivisation agraire, une ligne plus pragmatique est adoptée à partir de 1979. Depuis 1986, le régime s'est engagé dans un « nouveau mécanisme économique », qui se traduit par des réformes économiques et par l'ouverture graduelle du pays, dont l'adhésion à l'ASEAN a marqué une étape importante en 1997, sans pour autant que soit remis en cause le système politique.
4. Un régime communiste engagé sur la voie des réformes
Le régime institutionnel
La République démocratique populaire Lao (RDPL), instaurée le 2 décembre 1975, est un des derniers régimes marxistes-léninistes orthodoxes. Il est fondé sur le principe du centralisme démocratique et le rôle dirigeant du parti unique sur l'Etat et sur la société, ainsi que le réaffirme la Constitution de 1991.
Le Parti populaire révolutionnaire Lao, qui compte 100.000 adhérents, exerce une influence déterminante sur la marche de l'Etat. Le Parti contrôle également la société au travers des organisations de masse (Front d'édification nationale, qui assure la coexistence des groupes ethniques et religieux, Fédération des syndicats, Union des jeunesses révolutionnaires, Union des femmes). Organe suprême du Parti, le Congrès se réunit une fois tous les cinq ans. A cette occasion, il élit un Comité central, composé, lors de la rédaction du présent chapitre, de cinquante-trois membres, qui se réunit deux fois par an. C'est le Bureau politique, comprenant onze membres, qui détient la réalité du pouvoir. Sa composition reflète la prédominance du groupe ethnique des Lao Loum et la domination des provinces du Sud (Savannakhet et Champassak) et du Nord-Est (Xieng Khuang, Hua Phan). Elle traduit également la symbiose entre le Parti et l'armée.
La Constitution de 1991 a doté le Laos d'un pouvoir exécutif dirigé par le Président de la République, assisté d'un vice-président de la République et d'un gouvernement dont plusieurs membres ont le titre de ministre au bureau du Premier ministre, les autres ministres se répartissant les départements ministériels.
Le Parlement
Sur le plan législatif, le Parlement se compose d'une chambre unique, l'Assemblée nationale, dont les membres sont élus au suffrage universel direct et secret pour cinq ans. L'Assemblée nationale, présidée par le Général Samane Vignakhet, comprend un comité permanent de sept membres. Elle dispose de six commissions permanentes : les affaires étrangères ; les affaires ethniques ; l'économie, la planification et les finances ; la culture et les affaires sociales ; la défense nationale et la sécurité ; les lois.
Treize députés sont membres du Comité central du Parti populaire révolutionnaire Lao, dont trois appartiennent au Bureau politique du Parti.
La dépendance du Laos à l'égard de l'extérieur
Compte tenu du rôle joué par le Vietnam dans la mise en place du régime en 1975, le pays est demeuré fortement dépendant de son grand voisin, en particulier en matière de sécurité. L'armée laotienne, très démunie, ne serait en effet pas en mesure, à elle seule, d'assurer la défense du pays face à une menace intérieure ou extérieure, sans la protection vietnamienne.
Sur le plan politique et idéologique, le gouvernement de Vientiane s'en remet également assez largement au Vietnam, sur le fondement d'une « relation spéciale » instituée par le « traité spécial d'amitié et de coopération » de juillet 1977, impliquant pour le Laos d'accepter de se soumettre en échange de la protection vietnamienne.
Les relations institutionnelles entre les deux pays sont renforcées par des liens personnels qui unissent les dirigeants laotiens au Vietnam, à l'instar du père fondateur, Kaysone Phomvihane, d'origine lao-vietnamienne. Il existe cependant, au sein de la population, certains sentiments latents anti-vietnamiens. A un degré moindre, la Chine exerce également son influence politique sur le Laos.
En matière de politique étrangère, le Laos fait preuve de prudence et de discrétion du fait de sa dépendance politique vis-à-vis du Vietnam et de sa dépendance économique (cf. infra) vis-à-vis de la Thaïlande induisant des intérêts parfois contradictoires.
La situation politique marquée par la stabilité
Le VIIe Congrès du Parti populaire révolutionnaire Lao, qui a eu lieu en mars 2001, a reconduit la ligne politique suivie depuis 1986, combinant des réformes économiques progressives et le statu quo politique. Tous les membres historiques du Parti conservent leur place au Bureau politique. Le Président de la République élu en février 1998, le Général Khamtay Siphandone, a été réélu à l'unanimité à la présidence du Parti. L'armée conserve sa place prépondérante au Bureau politique où elle est représentée par huit membres sur onze. Les élections législatives du 24 février 2002 sont également inscrites dans la continuité, tous les candidats aux 106 sièges à pourvoir étant membres du Parti populaire révolutionnaire Lao. Le Parti se trouve donc ainsi assuré d'un soutien sans faille à l'Assemblée nationale.
Les remaniements ministériels récents se sont traduits par l'accession au poste de Premier ministre de l'ancien ministre des finances, Boungnang Vorachi, en 2001, et de la promotion du ministre de l'intérieur, le Général Asang Laoly, au rang de vice-Premier ministre en 2002.
Au sein de la population, se font jour certaines résistances.
Tout d'abord, si le Parti peut compter sur le soutien de certaines ethnies minoritaires qui ont constitué le vivier du Pathet Lao pendant la guerre, il doit faire face à l'instabilité d'autres minorités, en particulier celle des Hmong. Bien qu'il cherche à s'appuyer sur les valeurs traditionnelles du pays, en favorisant en particulier le bouddhisme, celui-ci reste étroitement encadré. Depuis 1999, on assiste à la montée de certains signes d'instabilité : manifestations estudiantines à Vientiane, attaque d'un poste frontière, série d'attentats à la bombe dans la période précédant le congrès de 2001 ; pillages de voyageurs dans les régions des hautes montagnes ; rebellion et revendication de la minorité Hmong dans la région de Vang Vieng...
Si la libéralisation économique de 1986 s'est accompagnée d'un certain assouplissement dans le domaine des libertés publiques, les droits civils et politiques demeurent très restreints, malgré les interventions de la communauté internationale en faveur du respect des Droits de l'homme. Mais en l'absence d'une véritable opposition et d'une base populaire forte, le régime ne semble pas menacé de l'intérieur.
5. Un potentiel économique encore sous-exploité
Pays enclavé aux potentialités encore inexploitées, le Laos souffre de plusieurs handicaps sérieux. En 2002, avec un PIB de 360 dollars par habitant, il est l'Etat le plus pauvre du Sud-Est asiatique, 75 % de ses habitants vivant avec moins de deux dollars par jour.
Recouvert aux trois quarts de massifs montagneux, il ne dispose pas des infrastructures de communication nécessaires à son développement et, en particulier, n'est doté d'aucune ligne ferroviaire.
Le secteur agricole demeure, on l'a vu, prédominant, employant plus de 80 % de la population active et assurant avec l'exploitation forestière la moitié du PIB.
Le Mékong et ses affluents offrent un réseau médiocrement navigable. La faible densité humaine (à peine 23 habitants au Km²) élève le coût individuel des infrastructures d'accueil sanitaires, sociales et éducatives. La période troublée des années 1975-1980 a induit un important phénomène d'exode engendrant une pénurie de personnels qualifiés dans tous les secteurs de l'économie.
Certes, les réformes économiques engagées à partir de 1986 en vue de la transformation progressive d'une économie planifiée en économie de marché ont produit peu à peu leurs résultats et favorisé un taux de croissance annuel relativement fort (7 % par an de 1988 à 1997, 5,5 % en 2003, 6,5 % en 2004). Mais le contrôle de l'Etat sur l'activité économique, de même que le délabrement et l'insolvabilité du système bancaire, l'inefficacité du système fiscal et le manque de dynamisme des entreprises publiques constituent autant de freins à l'essor économique.
De plus, le Laos a dû faire face, à la fin des années 1990, à un effondrement de sa monnaie, le kip, qui a ainsi perdu 80 % de sa valeur par rapport au dollar, entre 2001 et 2003 et à l'hyperinflation.
Mais le Laos dispose d'un réel potentiel de développement, à condition de réaliser un désenclavement effectif du pays, ainsi que les réformes de structures nécessaires. Sa situation géographique au centre de la péninsule indochinoise constitue en effet un atout et pourrait en faire un carrefour régional bénéficiant d'une demande mondiale et du dynamisme des marchés du Sud-est asiatique (Thaïlande, Chine, Vietnam), de même que du marché européen.
Le Laos dispose en outre de ressources naturelles importantes (agricoles, forestières et minières), d'un patrimoine naturel, ainsi que de ressources hydroélectriques (18.000 MW), qui permettraient d'en faire à terme le principal fournisseur d'électricité de la péninsule indochinoise.
Des facteurs encourageants peuvent être relevés :
- l'approbation par la Banque mondiale en juin 2002 d'un crédit d'ajustement pour la gestion financière en faveur du Laos devrait lui offrir une opportunité nouvelle d'engager les réformes de structures dans trois domaines clés : la gestion des finances publiques, la réforme des entreprises publiques et la restructuration du secteur bancaire ;
- la poursuite de la croissance qui s'accompagne désormais d'une stabilisation de l'inflation : 11,9 % en avril 2004 et du taux de change ;
- la nouvelle mise en place de mesures incitatives pour accueillir les investisseurs étrangers.
Le Laos attend également beaucoup du lancement à terme des travaux du barrage hydroélectrique Nam Theun II. L'électricité qu'il produira sera intégralement exportée vers la Thaïlande, renforçant les liens économiques puissants de ce pays avec le Laos.
La politique d'ouverture et la participation du Laos aux rencontres multilatérales devraient lui permettre de mieux affirmer son insertion dans le cadre régional. A cet égard, l'ASEAN, dont le Laos assure la présidence en 2004-2005, est considéré comme un vecteur de développement économique et le garant de la sécurité régionale.
Le Laos attend beaucoup de la mise en oeuvre de projets régionaux d'infrastructures dans les domaines des transports (corridors Est-Ouest et Nord-Sud qui passent tous deux par le pays) et de l'énergie (interconnexion des réseaux des pays du Mékong), autant de secteurs vitaux et stratégiques pour le développement et le désenclavement du pays.
6. Une identité culturelle et religieuse forte
Les Laotiens appartenant à l'ethnie Lao dominante ont une forte conscience de leur identité culturelle, produit de sept siècles d'histoire. Cette identité s'appuie sur le bouddhisme theravadin, le culte des esprits et les mythes fondateurs, associant les Lao des plaines (Lao Loum) et les Lao des plateaux (Lao Theung) et faisant du peuple des Laotiens les descendants du royaume du Lane Xang.
La société laotienne est caractérisée par des clivages qui reposent, non pas sur des bases sociales ou économiques, mais sur l'appartenance ethnique.
Les premiers habitants du pays ont été repoussés par l'ethnie, aujourd'hui dominante, dans les montagnes. Ils se sont concentrés dans certaines provinces du Nord et sur le plateau des Bolovens au Sud. En majorité agriculteurs sur brûlis, ils pratiquent l'animisme et sont dotés de structures d'organisation peu hiérarchisées, se limitant au niveau du village.
Les Lao Soung, Hmong pour l'essentiel, sont concentrés sur les hauteurs des provinces du Nord-Est, où ils vivent également de l'agriculture sur brûlis et de la culture de l'opium. Mais ils pratiquent le chamanisme et le culte des ancêtres, et forment une société clanique très hiérarchisée. Leur objectif est de créer un royaume Hmong, ce qui les amène périodiquement à se mobiliser dans de grandes manifestations.
Outre l'ethnie dominante, les Lao Loum rassemblent plusieurs ethnies, dites « Thaïs montagnards », pratiquant l'animisme. S'y ajoutent d'importantes communautés chinoises et vietnamiennes installées dans les villes et qui jouent un rôle prépondérant dans le commerce.
L'ethnie dominante Lao constitue une société paysanne composée de villageois, de riziculteurs, auxquels le bouddhisme theravadin fournit ses cadres spirituels, moraux et culturels. Les communautés de chaque village se réunissent dans le monastère ( vat ), non seulement pour les cérémonies cultuelles, mais aussi pour débattre des affaires profanes. Le vat joue un rôle essentiel dans l'existence du village.
La vie des Lao est rythmée par des fêtes religieuses, au cours desquelles les dons ostentatoires à la communauté monastique donnent l'occasion de manifester son rang social. Le bouddhisme est pratiqué par environ 60 % de la population du pays et constitue un élément fédérateur et essentiel. Il n'en cohabite pas moins de façon harmonieuse avec le culte prébouddhique des phi , qui rend un culte à différentes catégories d'esprits dont les plus importants sont les génies tutélaires des villages.
La littérature avec l'art traditionnel lao sont essentiellement d'inspiration religieuse, tout en portant l'empreinte des arts khmers, thaïs et birmans. Mais la statuaire bouddhique de même que l'architecture des temples du Laos ont leurs traits caractéristiques propres. L'ancienne capitale de Luang Prabang apporte le plus beau témoignage de cet art original.
7. Une organisation territoriale peu décentralisée
Marquée par le principe du centralisme démocratique propre au régime communiste laotien, l'organisation territoriale du pays n'est pas à proprement parler décentralisée, si ce n'est au niveau des villages . Elle fait plutôt l'objet d'une déconcentration - au sens français - au niveau des provinces, avec à leur tête des gouverneurs nommés par le pouvoir central.
A ces différents niveaux, c'est le Parti qui joue le rôle prépondérant.
Le Laos est divisé en 18 provinces , elles-mêmes composées de 142 districts et de 11.386 villages .
On relèvera que l'organisation des villes au Laos est spécifique et permet une forme d'autonomie locale reposant sur les traditions ancestrales.
En effet, la ville n'y est pas divisée en quartiers, mais en villages, dont la vie se déroule autour de leur temple ( vat ). Ces villages urbains ont la même organisation politique que ceux de la campagne. C'est cette structuration politique qui constitue la base d'une certaine forme de démocratie locale au Laos.
Dans chaque village, un conseil des sages, constitué des personnes les plus âgées, choisit les candidats au poste de chef, ainsi que ses assistants. Les membres du conseil des sages sont élus périodiquement par le village au suffrage universel.
Les autorités centrales sont très attentives aux demandes et aux réactions exprimées par les représentants des villages. Elles sont conscientes de l'importance des structures d'organisation villageoise et veillent à la satisfaction des demandes formulées par ces instances locales, le village constituant ainsi le cadre de base de la vie sociale et politique du Laos.
8. Les relations bilatérales entre la France et le Laos : un dialogue progressivement renoué
Le début des relations franco-laotiennes est relativement récent et doit beaucoup à l'attachement porté au Laos par Auguste Pavie, devenu vice-consul de France à Luang Prabang en 1887. Si la reconnaissance du statut du protectorat peut aujourd'hui jeter une certaine suspicion sur les relations entre colonisateurs et colonisés, beaucoup admettent que la présence française a évité au Laos de tomber sous domination siamoise et de préserver son existence entre ses puissants voisins.
Après l'indépendance du pays, consacrée par les Accords de Genève de 1954, la France maintient une forte présence économique et culturelle au Laos. Elle adopte une attitude favorable au courant neutraliste et soutient le Prince Souvanna Phouma, l'élite laotienne continuant à recevoir une formation universitaire en France.
L'avènement en 1975 du nouveau régime qui se tourne résolument ver l'Union soviétique crée une véritable coupure consacrée par la décision du gouvernement lao de rompre les relations diplomatiques en août 1978.
Le dialogue bilatéral reprend dans le courant des années 80 et donne lieu à la signature en 1989 d'un accord de coopération scientifique, technique et culturelle et d'un accord sur l'encouragement et la protection des investissements en 1997.
Le français, très pratiqué par les classes supérieures avant 1975, a cessé d'être enseigné à partir de là et n'est plus désormais parlé que par une population âgée.
Les relations politiques entre les deux pays ont été relancées :
- par la visite officielle en France, en 1997, de M. Khantay Siphandone, alors Premier ministre et aujourd'hui Président de la République ;
- par la visite en France, en septembre 2002 et janvier 2005, du vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, M. Somsavat Lengsavat ;
- par les visites des ministres laotiens en France, qui tendent à devenir régulières (deux ministres en 2003, et un ministre en 2004).
Sur le plan économique, la France est au 5e rang des pays donateurs.
Le Laos fait partie de la Zone de Solidarité Prioritaire. Les collectivités locales de notre pays apportent un concours non négligeable à l'aide française, ainsi que les ONG dont l'apport est estimé à 1,5 million d'euros par an.
Le total de l'aide française est évalué à 13 millions d'euros en 2004. L'intervention française porte prioritairement sur la formation des ressources humaines (appui à l'Ecole de formation des fonctionnaires laotiens, perfectionnement des fonctionnaires des ministères de la justice et des affaires étrangères), ainsi que sur la gestion de la santé (hôpital Mahosot de Vientiane notamment) et l'agriculture.
Un effort important a également été consenti pour renforcer la position du français dans ce pays, membre de la Francophonie depuis 1991 (développement des cours au centre de langue, formations des formations à l'université, classes bilingues).
La France est également le premier investisseur européen au Laos, les principaux secteurs concernés étant le tourisme, l'industrie textile et la santé.
En revanche, le Laos constitue un marché marginal pour les entreprises françaises. Notre balance commerciale est très déficitaire : nos exportations sont tombées à 6 millions d'euros en 2001 contre 49 millions d'euros d'importations. En dépit d'une légère reprise des exportations l'année suivante, les échanges restent très déséquilibrés.
La réalisation par un consortium piloté par EDF du projet de barrage de Nam Theun II - dont on attend un point de croissance supplémentaire pour le Laos - pour un montant de 1,1 milliard d'US dollars devrait jouer un rôle de levier sur l'ensemble de nos relations bilatérales. Bénéficiant du soutien du Président de la République française, ce projet a fait l'objet d'un accord signé le 8 novembre 2003 pour l'achat de puissance électrique. La Banque mondiale a accordé sa garantie en 2003 en la subordonnant toutefois à l'avancée des réformes structurelles que le gouvernement laotien s'est engagé à mettre en oeuvre. Le début des travaux est prévu pour le courant 2005.
II. LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE : UNE VOIE POUR LE DÉVELOPPEMENT DU LAOS
1. Les enseignements généraux de la mission
(a) L'amorce d'une nouvelle étape politique, économique et sociale
Le Laos semble à un tournant sur le plan politique. Même si les avancées se font avec beaucoup de prudence, on dénote une réelle volonté d'ouverture. Les dirigeants arrivés aux affaires en 1975 vont progressivement faire place à une nouvelle génération de quinquagénaires compétents et ayant reçu une solide formation (généralement en Union soviétique). Le Laos sait qu'il lui faut composer face à ses puissants voisins, en particulier le Vietnam, dont il reste très dépendant.
Le fait que le Sommet de l'ASEAN de novembre 2004 se soit tenu à Vientiane a été considéré comme un événement historique majeur et a permis de signer 32 accords. Le Laos a pu, à cette occasion, apporter la preuve de ses capacités organisationnelles et de son habileté diplomatique, ce qui a redonné confiance aux autorités.
Sur le plan économique, l'évolution est également positive : la croissance atteint 6 % l'an. Les conditions de vie s'améliorent en ville, mais également dans les campagnes. L'électricité et le téléphone (fixe) desservent de plus en plus de foyers.
La question des rapports entre les autorités centrales et les autorités provinciales demeure certes posée. Beaucoup de gouverneurs auxquels ont été donné de très importants pouvoirs déconcentrés et les moyens budgétaires correspondants ont pris une grande indépendance. Les gouverneurs ont d'autant plus de poids et d'influence qu'ils sont membres du Parti. Il en résulte en particulier que les ressources fiscales ne remontent pas jusqu'à l'Etat. Cependant, le gouvernement a réagi et a désigné chaque ministre, responsable d'une province pour mieux contrôler celles-ci. Certains gouverneurs pourraient être remplacés l'année prochaine à la suite des élections législatives.
(b) Le Laos demeure dépendant de l'aide extérieure
L'ouverture économique du régime a permis de développer un courant d'échanges avec l'extérieur, particulièrement intense avec le Vietnam, la Thaïlande et également avec la Chine. Le Laos continue cependant à faire partie des pays les moins avancés, avec un niveau de vie parmi les plus bas du monde. La balance des paiements laotienne est fortement déficitaire, de même que le budget. Le Laos demeure ainsi très dépendant de l'aide extérieure qui finance ses dépenses budgétaires d'investissement à 85 %.
L'apport des bailleurs de fonds internationaux est très important. Le FMI et le Laos sont parvenus, en avril 2001, à un accord sur une « Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) », ouvrant la voie à une reprise de l'assistance apportée par le Fonds et la Banque mondiale, qui avait été suspendue depuis 1997. Les institutions financières internationales (Banque asiatique de développement, Commission européenne, Banque mondiale, FMI, PNUD, Fonds nordique de développement) subordonnent pour la plupart leur aide à la mise en oeuvre de réformes structurelles les plus indispensables.
Le Laos a certes amélioré le cadre des investissements étrangers, mais la restructuration du secteur bancaire et la réforme de la gestion budgétaire tardent à se faire.
L'aide extérieure a marqué un certain tassement dans la période récente : après avoir atteint 386 millions de dollars en 2001, elle est tombée à 243 millions de dollars en 2003, du fait de la diminution de 30 % de l'aide japonaise. A ce niveau, elle représente malgré tout 13,9 % du PIB et 46 dollars par habitant.
En ce qui concerne les aides bilatérales, la France fait figurer le Laos dans la zone prioritaire et intervient notamment au travers des actions financées par l'Agence française de développement. Celles-ci se combinent avec les apports de la coopération décentralisée. Celle-ci, en même temps qu'elle apporte un savoir-faire technique, est assortie le plus souvent de soutien financier.
(c) Un tourisme en plein essor
Bien que l'agriculture reste l'activité prédominante, le Laos s'attache à développer d'autres branches d'activité économique, telles que les ressources minières et l'hydroélectricité, mais également et surtout le tourisme.
- Il existe, en effet, une volonté politique manifeste d'ouvrir le pays pour faire venir les étrangers. Les pays de l'ASEAN constituent la première cible. Des mesures ont été prises pour lever l'obligation de visa concernant les Thaïlandais et les ressortissants des pays de l'ASEAN, la Chine, le Japon, la Corée... Un effort est également fait pour attirer les touristes des pays européens, dont la France. Notre pays est le premier pays européen et le cinquième pays d'origine des touristes derrière la Thaïlande, le Vietnam, la Chine et les Etats-Unis, mais devant le Japon. Au nombre de 26.748 en 2002, un fléchissement dû vraisemblablement au SRAS a été observé les années suivantes, mais 2004 a marqué leur retour.
- Le Comité d'Etat du Mékong, avec à sa tête le ministre président de l'autorité Lao du tourisme, s'apprête à mettre en place un programme touristique d'envergure : le projet « Grand Mékong », qui a son siège à Vientiane et intéresse les quatre Etats indochinois : Thaïlande, Cambodge, Laos, Vientiane, ainsi que la Birmanie et la province du Yunnan. Ce projet, financé par la Banque asiatique, bénéficiera également des apports des pays donateurs, en particulier le Japon et la France (cf. ci-après 4).
- L'équipement hôtelier et la structuration des métiers du tourisme sont encore très lacunaires au Laos.
D'après les responsables de la Chambre de commerce et d'industrie de Ventiane, entendus par votre Délégation, les équipements hôteliers sont le fait d'investisseurs qui n'ont aucune culture touristique et ne sont formés ni aux services ni à l'accueil linguistique. Sur le plan du confort, les standards sont mal définis et donnent lieu à des appréciations approximatives. A côté des hôtels, se développe un important réseau de guest house, toutefois, il n'existe pas de classification satisfaisante et l'on peut rencontrer le meilleur et le pire. Le contrôle qualité s'avère difficile, d'autant qu'il dépend des différentes gestions provinciales. C'est sans doute un des points sur lequel l'effort devra porter au cours des prochaines années.
Il convient de souligner que le tourisme peut constituer un levier de développement privilégié, à condition de faire appel aux populations locales. Au Laos, l'écotourisme doit, en particulier, être encouragé car il peut irriguer le développement dans les villages dès lors qu'un effort de formation sera accompli pour préparer les habitants à l'accueil des touristes et des guides chargés d'animer les circuits.
(d) Le nécessaire sursaut de la francophonie
Après 1975, le français a cessé d'être enseigné et pratiqué au Laos. Aujourd'hui, peu de Laotiens sont en état de le parler, en particulier dans les tranches d'âge de moins de 60 ans. Alors que le plus fort contingent de touristes européens est français, la plupart des hôtels ne pratiquent pas notre langue, y compris les hôtels du groupe ACCOR, ce qui paraît tout à fait regrettable. Il n'y a pas d'Alliance française au Laos. On peut d'autant plus le regretter que la langue constitue un vecteur d'influence essentiel et que le français est en perte de vitesse. Le développement du tourisme d'origine hexagonal devrait pouvoir redonner au français sa place parmi les langues enseignées au Laos. Le Centre culturel et de coopération linguistique a été chargé de prendre des dispositions pour l'organisation de cours à l'intention du personnel des hôtels et des restaurants, ainsi que des guides touristiques.
A Luang Prabang, le gouverneur est lui-même favorable au développement de l'enseignement du français, en raison de l'accroissement du nombre des touristes français qui s'y rendent.
(e) Une coopération décentralisée encore peu développée
La réussite remarquable de la coopération décentralisée établie entre Chinon et Luang Prabang, sous l'égide de l'UNESCO, ne doit pas cacher la faiblesse des actions de coopération engagées par les collectivités territoriales au bénéfice des entités territoriales laotiennes.
L'ouverture progressive du pays devrait contribuer à corriger cet état de chose. L'exemple de Luang Prabang pourra, à cet égard, beaucoup apporter. Il est apparu au cours des entretiens de votre mission que les autorités laotiennes avaient une attitude positive à l'égard de ce type de partenariat. Le projet « Grand Mékong » devrait, lui aussi, à terme, servir de laboratoire pour la mise en place de partenariats, axés notamment sur le tourisme et s'appuyant sur les institutions locales laotiennes (en particulier les villages).
L'importance et la richesse du patrimoine naturel au Laos, de même que l'enjeu de sa préservation justifient de mettre l'accent sur des coopérations faisant également appel à l'expérience française des parcs naturels.
(f) La coopération interparlementaire
M. Jean Faure, rapporteur, a été particulièrement heureux, en sa qualité de président du groupe d'amitié sénatorial France-Laos, de rencontrer le président du groupe d'amitié Laos-France de l'Assemblée nationale populaire Lao, en présence de M. Yves Fromion, député du Cher et président du groupe homologue de l'Assemblée nationale française. Au cours de l'entretien, il est apparu que l'Assemblée laotienne, qui a déjà bénéficié d'un premier appui de la part de l'Assemblée nationale française, souhaite que puissent être développés les échanges interparlementaires, notamment avec le Sénat, pour permettre au Parlement laotien de bénéficier de l'expérience française. L'objectif est de pouvoir améliorer les procédures relatives, d'une part, au processus parlementaire et, d'autre part, à la formulation des lois. M. Jean Faure, rapporteur, a fait savoir que le Sénat était disposé à participer à cette coopération interparlementaire.
2. Les coopérations décentralisées franco-laotiennes
Depuis 2000, la coopération décentralisée au Laos, soutenue par le ministère des affaires étrangères, s'incarne essentiellement dans un partenariat établi entre deux collectivités locales françaises : la ville de Chinon et le Conseil général du Puy-de-Dôme , avec respectivement la ville de Luang-Prabang et la province du Champassak .
(a) Les coopérations recensées et cofinancées par l'Etat
Six projets ont été cofinancés à ce titre par le ministère des affaires étrangères entre 2000 et 2004 pour un total de 594 500 € (dont 205 700 € en 2003 et 110 000 € en 2004).
• Chinon - Luang Prabang
Le projet le plus emblématique mené en coopération décentralisée avec le Laos est sans doute celui de la ville de Chinon (37) qui a développé, depuis 1996, un partenariat avec la ville de Luang Prabang , inscrite au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Cette coopération vise à renforcer les compétences du gouvernement local en matière de gestion des espaces publics urbains et de réhabilitation du patrimoine architectural. Ces programmes ont également pour objectif de sensibiliser les communautés à la sauvegarde de l'environnement et de l'espace public (cf. ci-après 3).
Les principales coopérations décentralisées franco-laotiennes
Collectivité |
Partenaire |
Domaine
|
Description |
Année de
|
Régions Centre |
Région de
|
Tourisme |
Développement touristique |
En cours |
Centre |
Région de
|
Protection de l'environnement général |
Environnement |
En cours |
Rhône-Alpes |
Province Khammouane |
Santé |
Aide médicale |
2001 |
Rhône-Alpes |
Province Khammouane |
Culture et loisirs |
Francophonie |
2001 |
Départements Puy-de-Dôme (63) |
Préfecture de Vientiane |
Tourisme |
Formation des cadres du tourisme au Laos |
2000 |
Puy-de-Dôme (63) |
Préfecture de Vientiane |
Tourisme |
Projet éco-touristique dans la zone de conservation de Xe Plan |
2000 |
Communes Chinon |
Luang Prabang |
Distribution d'eau et assainissement |
1997 |
|
Dinan |
Champassak |
Non affecté / non spécifié |
2002 |
|
Gardanne |
Education,
|
Développement du réseau éducatif pour enfants aveugles et malvoyants |
||
Gardanne |
Culture et loisirs |
Soutien au développement du livre et des bibliothèques |
||
Paris |
Vientiane |
Formation technique supérieure de gestion |
Formation aux métiers de la ville (projet « Asia Urbas » 2002-2003) |
Cette coopération est également exemplaire par ses financements qui reposent sur des contributions très diverses : AFD région Centre, Union européenne, UNESCO. Une nouvelle requête a été déposée en 2003 pour un financement sur trois ans.
• Le Conseil général du Puy-de-Dôme et la région Auvergne
Le Conseil général du Puy-de-Dôme a entrepris, depuis 1999, plusieurs programmes dans le domaine de l'ingénierie touristique visant à former les professionnels laotiens du tourisme à un tourisme de qualité, respectueux de la culture locale, de l'environnement et du patrimoine. Des partenariats ont été établis avec les universités de la région Auvergne et une convention interuniversitaire franco-laotienne a été signée en vue d'engager un programme de coopération décentralisée sur une durée de cinq ans.
Le dernier projet (démarrage fin 2004, requête de 110 000 € sur 2 ans) doit apporter une aide à la planification d'une stratégie de développement touristique durable de la zone de conservation de Xe Plan (tourisme solidaire et communautaire). Des activités génératrices de revenus sont créées, notamment avec la mise en place de circuits de trekking. Par ailleurs, les populations concernées par le projet recevront un appui pour l'indentification et la mise en place d'un plan de développement concerté. (A noter que ce projet s'inspire du projet pilote de l'UNESCO à Luang Namtha considéré comme exemplaire et devrait faire l'objet d'un appui conseil du WWF).
• Les autres partenariats
- Le Conseil général des Côtes d'Armor - Pays de Dinan via l'Association Armor Mekong développe avec PAKSE (province de Champassak) des contacts visant principalement à une sensibilisation au patrimoine et à la culture laotienne.
- En novembre 2001, la région Rhône-Alpes a signé une convention de coopération décentralisée avec la province de Khammouane. Cette convention, qui s'achèvera en décembre 2004, prévoit une poursuite des interventions dans le domaine de la santé, centrée sur l'hôpital de Thakhek : missions de formation médicale, chirurgicale et hospitalière, bourses, remises d'équipements et de matériels pédagogiques notamment. Lors d'une mission au La os en septembre 2004, le vice-président de la région Rhône-Alpes a préparé avec le nouveau gouverneur de la province de Khammouane une convention concernant la période 2005-2008 qui prendra la suite du protocole actuel. Un volet « appui au commerce équitable » pourrait être inclus dans la convention triennale. Le conseil régional a décidé de doubler le montant de l'aide qu'il consacre au développement et envisage de porter l'enveloppe annuelle actuellement consacrée à Khammouane de 150 000 à 400 000 €.
- D'août 2001 à septembre 2003, la ville de Paris a développé avec Bruxelles et Vientiane, dans le cadre d'un projet Asia Urbs, un projet d'appui institutionnel à la préfecture de Vientiane, d'un montant total de 800 000 euros dont 500 000 euros de subvention européenne, visant à former une équipe de treize cadres techniques essentiellement municipaux à travers l'étude et le traitement de projets concrets choisis, avec les responsables de la ville de Vientiane, parmi les priorités les plus urgentes. Il comporterait trois composantes consacrées à la formation en urbanisme, au montage et suivi de projets en alimentation en eau potable dans la zone périurbaine. Un FSP « développement urbain », sur financement de l'ambassade, pourrait prolonger ce projet avec la préfecture de Vientiane incluant l'expertise de la ville de Paris.
(b) Le rôle des organisations non gouvernementales
Les ONG françaises au Laos ne sont pas très nombreuses, mais constituent de par la pertinence de leurs interventions une référence pour nos partenaires laotiens. Elles sont par ailleurs reconnues pour leur professionnalisme par les organisations internationales, l'Union européenne, la coopération technique française et l'Agence française de développement, qui les utilisent très souvent comme opérateurs dans la mise en oeuvre de leurs projets de terrain.
Huit projets portés par des ONG françaises au Laos sont soutenus depuis 2001 pour un montant total de 1.217.300 euros.
Six d'entre elles concernent le secteur de la santé :
2001 - EED - Enfants et développement : mise en place d'un réseau de soins de santé primaire
- HI - Handicap international : projet d'appui au secteur de la santé
- SFE - Service fraternel d'entraide : appui médical à la province d'Attopeu
2002 - CRF - Croix-Rouge française : éducation à la santé et amélioration des conditions sanitaires
2003 - ACFL - Amitié et coopération franco-laotienne : appui médical et chirurgical à la province de Khammouane
- AOI - Aide odontologique internationale : appui au programme de santé bucco-dentaire
Deux concernent le développement rural :
2001 - FONDEM - Fondation énergies du monde : électrification rurale et développement durable
2003 - HI - Handicap international : projet de développement rural dans l'est de la province de Savannakhet.
3. Luang Prabang : une coopération décentralisée exemplaire et hors norme
(a) Historique
Le point de départ : le classement au Patrimoine mondial de l'UNESCO
Le 2 décembre 1995, à Berlin, le Comité du Patrimoine mondial a inscrit Luang Prabang sur la liste des Villes du patrimoine mondial, mettant ainsi en évidence le caractère de « valeur universelle de cette ville ».
Dans sa partie urbaine, Luang Prabang réunit en effet des paysages naturels et urbains, de zones humides remarquables et un patrimoine bâti exceptionnel d'architecture Lao et coloniale.
La mise en place de la coopération décentralisée
Le gouvernement de la République démocratique populaire Lao a demandé à l'UNESCO le soutien de la communauté internationale, « afin de pérenniser l'authenticité et la valeur du patrimoine de la ville ».
En réponse, l'UNESCO a suggéré l'élaboration d'un projet de coopération décentralisée entre les villes de Chinon et de Luang Prabang, qui a été acceptée par les deux parties et par le gouvernement Lao, le 10 août 1996.
Cette solution a aussi été approuvée par le gouvernement français et par l'Union européenne, qui ont apporté les premiers financements. Les partenaires du projet se sont donné pour mission de conduire un projet global de protection et de mise en valeur de la ville.
Relevons que dès 1995, en cohérence avec la décision de classement de l'UNESCO, notre collègue Yves Dauge lançait l'élaboration d'un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) très complet, fort de l'expérience acquise avec celui de Chinon. Dès ce stade, un soin tout particulier a été mis à faire participer la population à ce projet.
Dans leur avant-propos au Guide pratique de la coopération décentralisée : le cas de la coopération Chinon - Luang Prabang , (publication : Agence de développement et d'urbanisme du Chinonnais, 2003), Mme Minja Yang, qui a suivi ce programme au nom de l'UNESCO, et M. Yves Dauge soulignent : « Dans ces deux villes, nous avons un patrimoine très complexe qui recouvre plusieurs domaines :
- un outil technique, le plan de sauvegarde qui est le guide de tous les jours pour les projets ;
- une administration qui instruit, conseille ;
- et la force du droit qui permet le contrôle, s'il le faut, le sanctionne ».
Ce plan de sauvegarde devait prendre en compte tous les richesses patrimoniales de Luang Prabang.
Ainsi que le relèvent les auteurs :
« La ville est une superposition et un mélange d'histoire, d'architecture, de nature, de fonctions très variées. Il s'agit de prendre en compte tous ces patrimoines dans ce qu'ils sont chacun et dans leurs relations subtiles.
« En effet, plusieurs villes se superposent : La ville religieuse, avec ses nombreux monastères ; la ville villageoise, avec ses quartiers d'habitat populaire et ses architectures de bois ; la ville coloniale, avec ses équipements publics, ses maisons, sa trame ; la ville végétale, avec ses arbres exceptionnels, ses fleurs, ses jardins, ses cultures plantées ; la ville des zones humides, avec ses parcours de roseaux, sa production de cresson, de poisson, son rôle essentiel pour l'équilibre de la qualité du milieu ; la ville du fleuve puissant, de ses berges cultivées avec sa batellerie, sa pêche, ses baignades, son tourisme fluvial. C'est tout cela que le Plan de sauvegarde a dû reconnaître, analyser, protéger et chercher à mettre en valeur. Le Plan comprend une partie réglementaire et surtout un cahier de recommandations illustré pour aider les habitants, les pouvoirs publics au quotidien. »
Si la ville de Luang Prabang présentait beaucoup de similitudes avec celles de Chinon, il existe aussi des différences évidentes tenant au cadre institutionnel et législatif d'ensemble, à l'organisation territoriale dans les deux pays et aux cultures administratives.
A Luang Prabang, il convenait donc de mettre en place un cadre législatif adapté et de mettre à profit l'expérience acquise et les compétences techniques développées par Chinon.
L'accent a été mis sur l'importance du facteur humain : « Les liens entre Chinon et Luang Prabang sous l'égide de l'UNESCO n'ont pu se concrétiser que grâce à une volonté partagée de travail en commun et à l'instauration de contacts personnels ».
On notera que l'originalité et la force du projet tiennent à ce qu'il repose sur un partenariat international où le Centre du Patrimoine mondial de l'UNESCO a joué un rôle primordial, avec le soutien dès l'origine du ministère des affaires étrangères (ainsi que l'Union européenne). L'engagement du programme de coopération décentralisée entre collectivités de même type et sur la base d'un engagement très personnel et très riche est alors intervenu pour appuyer la politique de protection du site de Luang Prabang menée par l'UNESCO : le projet a d'emblée eu une portée non seulement locale, mais globale.
Sur la base de l'approbation donnée au projet par le gouvernement Lao , sous la forme d'une décision interministérielle , une convention a été établie entre les deux villes pour une durée de trois ans, le 4 août 1997, et a été renouvelée le 12 novembre 2001, puis le 12 février 2004 pour une durée de deux ans.
La première convention a précisé le but de la démarche : le projet « vise à l'appropriation par les autorités et la population lao de leur patrimoine, des capacités de le protéger et de le valoriser. Outre les aspects réglementaires à mettre en place, cela passe par un apprentissage des divers... principes et notions dans la préservation du patrimoine... des moyens de sauvegarde et de mise en valeur... » (article 1-3 de la convention de 1997).
La démarche s'est appuyée sur l'expérience de Chinon, qui a souhaité faire bénéficier Luang Prabang de ses connaissances pour la préservation d'éléments remarquables du patrimoine de Luang Prabang, notamment par son assistance technique et l'ingénierie de montage des projets. En retour, la ville de Chinon a bénéficié de l'expérience pour enrichir sa propre démarche et ses projets.
(b) Objectifs, méthodologie, stratégie
Les objectifs du projet ont ainsi été définis : « adopter une perspective de développement durable », ce qui suppose de préserver :
- le patrimoine tout en envisageant l'avenir de la ville dans le respect de la tradition urbaine laotienne ;
- développer les capacités institutionnelles locales par le transfert de compétences, de gestion locale, d'aménagement et de développement territorial entre les collectivités, grâce à des échanges entre responsables politiques locaux d'une part et entre techniciens d'autre part ;
- placer la population locale au coeur du projet, en veillant à prendre en compte la culture locale : élément caractéristique de la vie quotidienne et de la vie culturelle populaire.
En effet, ainsi que le relève notre collègue Yves Dauge, « Quelle légitimité la communauté internationale a-t-elle à poser ses critères de valeur, ses canons d'esthétisme, ses priorités et ses méthodes ? Quel effet induit du programme sur la ville et sur ses habitants ... ? Qu'en est-il de la population, de ses aspirations, de ses choix ? Car c'est bien de la population dont il s'agit. Il n'a jamais été question de préserver des bâtiments et des espaces naturels de la ville au détriment de ses habitants, mais de respecter l'échange permanent qui existe entre ces trois pôles... »
C'est ainsi, en particulier, que la restauration des bâtiments, sites villageois, s'est faite tout en maintenant en place la population actuelle.
Les décisions ont été prises par le gouverneur, les administrations locales (chefs provinciaux des ministères), les bonzes, les chefs de village et la population.
La sensibilisation et la concertation avec la population ont occupé une place privilégiée au sein du projet. Il est en effet apparu essentiel que la population s'approprie les valeurs culturelles propres à la spécificité de sa ville.
L'équipe du projet s'est attachée dès le départ à définir une méthodologie et une stratégie :
A partir de l'identification des besoins a été élaborée une méthode d'intervention définie et mise en oeuvre par un architecte des Bâtiments de France, qui a été chargé dès mai 1996, de définir cette méthode. Celle-ci repose sur les principaux points suivants : étude préalable pour la connaissance du site, élaboration d'un règlement spécifique de protection : le Plan de sauvegarde et de mise en valeur , appelé à servir de guide aux prises de décision, l'animation de chantiers-écoles , pour réapprendre les savoir-faire locaux dans les domaines de la construction et de la fabrication des matériaux traditionnels, avec relance des filières locales correspondantes, réalisation d'opérations démonstratives de restauration d'édifices historiques et d'habitats traditionnels, d'aménagement urbain et d'assainissement, mise en place d'un fonds d'aide à la population pour aider les habitants les plus modestes à restaurer et à moderniser leur habitation, création d'une structure locale de conseil : la Maison du Patrimoine (MDP), disposant d'une équipe permanente de techniciens laotiens, formés pour assurer à terme la pérennité de la structure. L'assistance technique et organisationnelle apportée par l'agence de développement et d'urbanisme du Chinonnais (ADUC) à la MDP. Cette méthode approuvée par tous les partenaires a été mise en oeuvre à partir de 1997.
La stratégie retenue, à partir du cadre institutionnel, a été établie en collaboration avec les autorités lao au niveau national et au niveau local.
Un cadre institutionnel adapté au Laos :
- Les pouvoirs publics, à la demande de l'UNESCO, ont accepté de travailler à la mise en place d'un dispositif politique et réglementaire d'ensemble.
Au niveau national , l'engagement a été pris de préparer un projet de loi cadre sur le territoire.
D'autre part, a été créé un comité interministériel, le Comité national de conservation du patrimoine national, culturel, historique et naturel (CNCPCHN), dont le président est le ministre de l'information et de la culture. Il est composé de quatre des vice-ministres représentant les principaux ministères laotiens, ainsi que des membres de la commission nationale lao de l'UNESCO.
Au niveau local , la création d'un Comité local du patrimoine (CLP), dont le président est le chef du district de Luang Prabang. Cette instance est composée principalement de représentants de la province, de directeurs et directeurs adjoints des services des provinces des ministères et de chefs de village représentant la maîtrise d'ouvrage provinciale.
- La Maison du Patrimoine (MDP)
Vrai service public d'urbanisme et de conseil architectural, la Maison du Patrimoine est une entité tout à fait originale chargée de mettre en application les programmes suivant les directives retenues par le comité local du patrimoine (sous l'autorité duquel elle est placée). Constituant un pôle de conseil et d'assistance auprès des autorités locales, la MDP est chargée d'une double mission :
une mission permanente de conseil pour tous les projets publics ou privés situés dans le périmètre de protection. Le service provincial de la construction doit solliciter systématiquement son avis sur la base du règlement urbain, sur toutes les demandes de permis de construire et de démolir, ainsi que le contrôle des constructions illicites ;
une mission de mise en oeuvre des différents programmes financiers provenant de l'aide publique internationale et pour lesquels la MDP peut être soit maître d'ouvre soit conducteur d'opérations. Initialement codirigée par un représentant des autorités lao et un représentant des partenaires internationaux, la MDP est depuis juillet 2001 dirigée exclusivement par des responsables lao.
Les statuts de la MDP ont été adoptés le 9 avril 2002 et lui ont conféré une identité administrative lui permettant d'être intégrée au service provincial du ministère de tutelle et aux autorités locales provinciales représentées par le comité local du patrimoine. Ses statuts lui garantissent également les ressources nécessaires pour assurer sa pérennité et son indépendance. Dans le cadre de la coopération décentralisée avec Chinon, l'Agence de développement et d'urbanisme de Chinon lui a servi de base arrière en affectant à ce dossier trois personnes.
Un programme d'action reposant sur le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), puis sur le schéma de cohérence territoriale (SCOT)
Le programme d'action était riche et complexe puisqu'il déclinait le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) de la ville de Luang Prabang, lui-même porté par une vision globale.
Son lancement a nécessité l'élaboration de règles de protection du patrimoine. Pour ce faire ont été réalisées des études analytiques (zones humides, étude morphologique, étude architecturale).
Le PSMV lui-même a été précédé d'une phase de collecte des données, puis d'analyse et de synthèse de celles-ci.
Une fois le plan élaboré, ont été lancées diverses réalisations à vocation démonstrative.
La valeur d'exemplarité a été recherchée dans la restauration d'édifices anciens, à des coûts abordables, tout en les adaptant aux normes de confort actuelles, la réalisation des constructions neuves respectueuses de l'identité locale, la réalisation d'aménagements urbains, l'expérimentation des techniques d'assainissement peu coûteuses ou l'organisation de chantiers-écoles à destination des entreprises locales et réintroduisant les techniques anciennes. L'ensemble de ces actions a été réalisé en y associant, à tous les stades, la population. Les réalisations probantes d'aménagement urbain ont inspiré aux autres opérateurs internationaux intervenant sur le site des principes d'aménagement concertés avec la population locale.
Sans citer toutes les opérations exemplaires réalisées avec le support du PSMV dans le cadre de cette coopération décentralisée, le présent rapport s'attache à celles qui ont été présentées sur place à la mission sénatoriale (cf. infra Les réalisations ).
En 2002, a été lancé un nouvel outil financé par l'Agence française de développement, le schéma de cohérence territoriale (SCOT), plus souple que le PSMV dans sa procédure mais plus complexe par les thématiques abordées. Il a été mis au point pour assurer la cohérence du développement territorial, la coordination des politiques menées en matière de développement économique, d'infrastructures, d'habitat, de déplacement et d'implantations commerciales.
Dès lors que la ville de Luang Prabang est devenue un site touristique majeur et la cible d'investissements privés, elle exerce une attractivité très forte sur les populations des territoires avoisinants et elle subit une pression foncière très difficile à maîtriser.
Le SCOT, lancé selon un processus de participation et de concertation avec les acteurs et les décideurs locaux, a par conséquent tenté de définir des actions tenant compte des problèmes, mais également des opportunités de développement de la ville.
Les principales propositions du SCOT ont été présentées aux autorités provinciales et nationales qui les ont aussitôt validées. Ces autorités ont également donné leur accord à la création d'un Parc naturel régional (PNR) qui a pour objet de protéger les espaces naturels tout en s'attachant à la valorisation de la région en matière d'animation, d'éducation, de développement économique et touristique.
Le SCOT privilégie deux axes de développement de l'urbanisation, l'un vers le sud-est de la ville, l'autre à moyen terme vers le nord-est, n'en veille pas mois à maintenir le cadre paysager de la ville et à préserver sa centralité, tout en établissant des zones d'accueil pour les immigrants des campagnes environnantes d'une part, pour les activités nouvelles d'autre part.
Il prévoit, en outre, des interventions urbaines de cinq ordres : des actions structurantes, des actions de consolidation, des interventions de dégagement sur des nouveaux secteurs d'activité et d'urbanisation, des interventions d'accueil des nouvelles populations et enfin de préservation du paysage, en particulier pour préserver le potentiel des terres agricoles.
(c) Les financements et les partenaires
Le programme de coopération entre Chinon et Luang Prabang s'est construit de manière progressive au fur et à mesure que les compétences s'affirmaient et que les projets se concrétisaient.
Au cours des trois phases qui se sont succédé jusqu'ici (lancement, montée en puissance, pérennisation), il a été nécessaire de mobiliser les concours financiers appropriés.
Pour la première phase (1996-1998), un total de douze bailleurs ont apporté leur soutien dont le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, l'Union européenne, le ministère français des affaires étrangères et le ministère de la culture, pour un montant global de 670 000 €.
Au cours de la montée en puissance (1999-2001), les résultats positifs de la première phase ont permis de donner une plus grande envergure au programme grâce, en particulier, au soutien de l'Agence française de développement qui a joué un rôle essentiel et complété la coopération décentralisée par une coopération bilatérale.
La Commission européenne a également accru son soutien. Pour sa part, la région Centre s'est investie dans la réhabilitation du patrimoine bâti, celle en particulier de la Maison des Douanes, qui abrite désormais la Maison du Patrimoine. Elle a également participé au programme « Zones humides ».
La phase de pérennisation (depuis 2002)
Les programmes existants se poursuivent et de nouveaux projets pilotes émergent. Le financement des opérations relevant de la coopération décentralisée fait désormais intervenir les villes de Chinon, Hofheim et Luang Prabang, ainsi que la région Centre, avec l'appui de l'Union européenne, de l'UNESCO, ainsi que des ministères français des affaires étrangères et des affaires sociales.
Au titre de la coopération bilatérale, l'AFD a financé notamment le programme PAU-LP (Plan d'aménagement et d'urbanisme), le soutien à la MDP, la restauration de bâtiments, des crédits d'étude et des travaux de structure.
A partir de 2002, l'Agence a mobilisé 5,5 millions d'euros pour financer un second programme : PASS-LP (Plan d'aménagement du secteur sauvegardé) qui porte notamment sur l'aménagement de dix villages urbains, la mise en valeur de bâtiments remarquables, la mise en cohérence des réseaux urbains et l'appui institutionnel.
(d) Les réalisations
La restauration d'édifices historiques : le temple de Vat Pafang
En mars 1999, le Grand vénérable de Luang Prabang a souhaité confier à la MDP le projet de restaurer le temple de Vat Pafang menacé de tomber en ruine. Les travaux de restauration se sont déroulés au travers de différents chantiers-écoles associant les architectes de la MDP, la Fédération bouddhique Lao et les bonzes du Vat. Ce chantier offrait une occasion privilégiée de sensibiliser la population au programme de coopération, compte tenu de la place des pratiques culturelles dans la vie sociale lao. Rappelons que les temples sont gérés par trois personnes : le chef du temple, le chef de village et un ancien (représentant du Parti). Les travaux ont porté sur la restauration du Taht et du Vihan , le renforcement des murs de soutènement et la mise en valeur des abords. L'opération a permis d'apporter aux bonzes les techniques de base de restauration et d'entretien des édifices monastiques anciens. La MDP a élaboré des simulations d'implantation et dessiné les plans d'une nouvelle construction à l'intérieur de l'enceinte du Vat. Ces deux opérations réalisées dès 1999 ont ouvert un dialogue entre les autorités religieuses de la ville et la MDP avec l'avantage de sensibiliser les bonzes aux richesses de leur patrimoine.
La restauration de l'ancienne Maison des Douanes et régies
Le choix de cette maison a été guidé par plusieurs considérations : elle est située à l'intérieur du site inscrit au point de confluence du Mékong et de son affluent la Nam Khan. Cet édifice public est représentatif de l'architecture coloniale. Le bâtiment et ses annexes permettaient d'accueillir l'ensemble des activités de la Maison du Patrimoine. L'enjeu était de démontrer qu'il était possible de restaurer un bâtiment ancien en l'adaptant à des besoins modernes tout en préservant sa valeur patrimoniale. Lancé dès 1997, ce projet a été réalisé grâce à un engagement de la région Centre (pour un montant de 150 000 € sur trois ans).
La restauration des venelles de Luang Prabang
Répondant au souhait des autorités locales de mettre l'accent sur les chemins et venelles irriguant la partie ancienne de la ville, cette opération a été inscrite dans le premier programme de financement de l'AFD et a fait partie des travaux démonstratifs d'aménagement urbain.
Plus de 40 venelles ont ainsi été réaménagées, dotées d'un réseau d'assainissement, avec une amélioration du passage. Leur aménagement qui préserve la personnalité de chacune d'entre elles, comporte un parement en brique de terre cuite et des bornes lumineuses (dont les alimentations sont enterrées). Une bande de terre laissée libre de chaque côté des voies a permis aux riverains, associés au projet, de planter des fleurs et arbustes, caractéristiques des petites voies piétonnes de la ville ancienne. Les caniveaux conçus en forme de V assurent une vitesse d'écoulement optimale des eaux de ruissellement.
Ce sont les potiers d'un village situé à quelques kilomètres de là qui ont fabriqué les matériaux traditionnels de construction nécessaires. A partir des deux premiers chemins réaménagés, ce type de réalisation a été étendu à l'ensemble de la ville.
Les mobiliers urbains
Dans le cadre du projet européen Asia Urbs, sur la thématique des marchés publics, la MDP a mis en place des projets pilotes de stands et d'étals démontables et transportables pour répondre aux besoins du marché artisanal, ainsi que des corbeilles à papier en osier tressé, supportées par des petits poteaux en bois, qui, outre leur aspect esthétique, règlent en partie le problème de la gestion des déchets publics. Le modèle dessiné par la MDP a un coût unitaire de 12 €.
Votre délégation a assisté à l'inauguration officielle du marché public de plein air, dont la réalisation est également à porter au crédit de la MDP.
Le projet « zones humides » : la construction de l'écomusée de Bona Kang Boung
Les zones humides jouent un rôle important pour l'équilibre écologique de la ville. Un programme a été lancé pour les préserver et les réhabiliter, avec l'idée de construire un écomusée au sein des zones humides.
Le site retenu a été choisi pour son intérêt paysager et architectural : il était composé de deux mares, dont l'une accueillait une maison sur pilotis. L'état sanitaire du bâtiment ne permettait pas sa restauration. Aussi a-t-il été décidé de réaliser une nouvelle construction conforme à la réglementation mais s'inspirant des modèles présents à Luang Prabang. Les matériaux et les techniques utilisés ont repris les savoir-faire traditionnels (maison en bois, toitures en bardeaux de bois).
Les mares ont été parallèlement assainies.
Ce chantier a, depuis, inspiré des opérateurs privés qui investissent dans les zones humides, pour des programmes hôteliers notamment.
Les chantiers-écoles pour la restauration d'édifices historiques : la maison en bois de Ban Xieng Movane
Construite en 1900 par un dignitaire, cette maison d'architecture traditionnelle est l'une des plus belles et des plus vastes, située dans le centre historique de la ville.
Dès 1996, cette maison a été sélectionnée pour son exemplarité et l'élégance très représentative de l'architecture locale. Elle a été mise à la disposition du projet par les autorités locales lao pour servir de support aux chantiers-écoles.
Les principaux objectifs du chantier étaient de :
- démontrer la faisabilité d'une intervention de réhabilitation lourde et la possibilité d'y intégrer de nouvelles fonctions (ex : salle de bains) ;
- donner une vitrine au patrimoine local, en faisant appel aux matériaux traditionnels ;
- retrouver des savoir-faire dans la construction et constituer une documentation technique pour la diffusion de ces savoirs.
Le chantier a été financé par l'Union européenne. En outre, en 1997 et 1998, quatre chantiers-écoles ont été organisés par l'Ecole des métiers d'Avignon (menuiserie, moulures, charpente, maçonnerie) et financés par le ministère français de la culture.
Enfin, on citera deux outils originaux mis en place à Luang Prabang :
- le « contrat village », passé entre le chef du temple, le chef du village, le président du Comité local du patrimoine de la MDP, pour mener à bien une action conjointe,
- et le fonds d'aide à la population qui a vocation à aider les habitants à restaurer leur maison, tout en y apportant des améliorations d'hygiène et de confort.
A l'examen, la coopération décentralisée avec Luang Prabang est apparue très vivante à M. Jean Faure, rapporteur. Lors de sa visite sur place, il a assisté à une réunion de travail associant les responsables de la Maison du patrimoine et les représentants du Comité local du patrimoine, portant notamment sur les prochains chantiers portés par le projet, en particulier la mise en place d'un parc naturel, sur le bassin versant de la Nam Khan, principal affluent du Mékong à Luang Prabang, avec le soutien de l'UNESCO dans le cadre du programme « Biosphère ». L'objectif est de favoriser l'émergence d'un nouveau mode de gestion conciliant préservation de la biodiversité et développement humain.
Le partenariat mis en place entre Luang Prabang et Chinon (ainsi qu'avec d'autres acteurs régionaux : région Centre, Parc naturel de la Vallée de la Loire) apparaît donc d'une grande richesse. Ses enseignements le sont tout autant et peuvent beaucoup apporter, en particulier pour les autres coopérations pouvant se mettre en place au Laos.
4. Le projet du Grand Mékong et la mission exploratoire de la Délégation sénatoriale
Depuis 1992, la Thaïlande, le Vietnam, le Laos, la Birmanie, le Cambodge et la province de Yunnan ont élaboré sous l'égide de la Banque asiatique de développement (BAD) un programme régional de développement (GMS).
En décembre 2003, la BAD a approuvé l'octroi de prêts et de dons pour un montant de 30 M$ pour le Cambodge, 10,9 M$ pour le Laos et 8,5 M$ pour le Vietnam. Les objectifs généraux de ce programme sont de développer le tourisme durable, en particulier l'écotourisme et le tourisme rural, ainsi que la formation, de mettre en place les infrastructures nécessaires et l'appui institutionnel aux autorités nationales du tourisme. Ainsi conçu, le tourisme apparaît en effet comme un moyen privilégié de lutte contre la pauvreté des communautés villageoises. La BAD a clairement identifié le tourisme comme secteur de développement prioritaire pour le GMS.
Cette approche rejoint la doctrine française concernant la coopération en matière de tourisme éthique et responsable. Depuis quelques années, des actions menées conjointement par le ministère délégué au tourisme et la DGCID ont permis de constituer un réseau des acteurs du tourisme durable, de créer un comité des agences de coopération et bailleurs de fonds du tourisme responsable.
La France a donc décidé de matérialiser la démarche dans les quatre Etats du Sud-Est asiatique concernés par le programme GMS, en proposant de l'inscrire dans une vision globale susceptible d'être intégrée dans les programmes régionaux des différents bailleurs de fonds, à commencer par la Banque asiatique de développement, puis de procéder par voie d'accords-cadres bilatéraux avec chacun des Etats. Il a été décidé, fin 2003, de contribuer ainsi à la création d'une nouvelle offre touristique diversifiée susceptible de répondre aux nouvelles demandes des touristes (tourisme culturel, patrimonial, éthique et responsable) dans le respect de la diversité culturelle.
Ce programme régional intègre des coopérations existantes axées sur le patrimoine et la formation.
L'idée de relier les quatre sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO (Sukhothai en Thaïlande, Angkor au Cambodge, Luang Prabang au Laos et Hué au Vietnam) a été retenue comme « tête d'affiche » du programme régional. Cette route des « cités royales du grand Mékong » sera réalisée sous l'égide de l'UNESCO et de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT). Le projet consistera à définir un circuit de tourisme culturel , en liaison avec les quatre autorités nationales du tourisme , les compagnies aériennes et à créer un portail internet commun pour le promouvoir .
Ce programme régional permet d'ouvrir l'accès au financement de la Banque asiatique de développement, qui semble disposée à ce que la France devienne « un partenaire du développement » dans les quatre Etats du Grand Mékong.
A partir d'un travail réalisé à sa demande par des consultants et des experts, la BAD a préparé un plan stratégique pour le développement du tourisme dans les pays du Grand Mékong pour la prochaine décade, dont les objectifs sont les suivants :
- protéger et mieux gérer les sites patrimoniaux pour un tourisme culturel ;
- promouvoir la région du Mékong en tant qu'entité géographique ;
- développer des produits touristiques susceptibles d'avoir un impact positif sur les populations locales ;
- contribuer par le tourisme à la réduction de la pauvreté des communautés villageoises ;
- définir des zones prioritaires de développement ;
- développer les infrastructures nécessaires au développement touristique ;
- mettre en place une réelle politique de formation de l'ensemble des acteurs et opérateurs ;
- encourager la participation et le partenariat avec le secteur privé ;
- développer l'appui institutionnel aux autorités nationales du tourisme.
Les trois grandes composantes du programme régional présenté par la France et qui ont été intégrées à la stratégie décennale de la BAD sont de :
- relier les quatre sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO (Sukhothai en Thaïlande, Angkor au Cambodge, Luang Prabang au Laos et Hué au Vietnam) par une valorisation numérique du patrimoine ;
- diversifier l'offre touristique par la création d'un réseau régional de nouveaux hébergements, de nouveaux circuits et produits touristiques gérés par de petits opérateurs locaux afin d'augmenter la part de la valeur ajoutée et contribuer à la création d'emplois pérennes ;
- assurer une réelle formation continue pour ces opérateurs leur permettant de maîtriser l'ensemble des métiers du tourisme depuis l'accueil à la commercialisation de leurs produits.
A partir de ces orientations, chacun des Etats concernés devra pouvoir bénéficier d'un programme de travail spécifique correspondant à des demandes particulières.
Chaque accord-cadre prévoira la constitution de groupes de travail mixtes chargés d'élaborer les cahiers de charges des projets inscrits dans un plan d'action triennal associant le tourisme, la culture, la formation et les nouvelles technologies.
Dans ce contexte, l'ONG « TETRAKTYS », qui a à son actif des interventions de ce type, notamment en Afrique, en faveur du tourisme éthique et responsable, est pressentie pour jouer un rôle fédérateur, assurant le lien entre les différentes initiatives mises en route sur place, mais qui actuellement ne sont pas coordonnées, ce qui fait que leur action n'a pas de visibilité pour la BAD.
En tant qu'opérateur, TETRAKTYS, qui n'est pas partie prenante à l'heure actuelle, pourrait faire un état des lieux et proposer aux bailleurs de fonds un vrai programme d'ensemble sur trois ans, qui puisse être éligible selon les critères définis par la Banque asiatique du développement.
L'approche complémentaire est celle de l'appui institutionnel, qui suppose une articulation entre l'appui de l'Etat et celui que peut apporter la coopération décentralisée sur la thématique du tourisme.
Lors de la mission exploratoire dans le sud du Laos, M. Jean Faure, rapporteur, a pu constater le caractère encore très embryonnaire des coopérations décentralisées dans cette partie du pays.
Cela est d'autant plus dommage qu'il existe de réelles opportunités de placer le tourisme au coeur d'un projet de développement : patrimoine naturel d'une très grande richesse, sites historiques d'un intérêt architectural exceptionnel, tel le temple préangkorien Vat Phou, ressources de la faune et de la flore, beauté des paysages du Mékong dont le lit s'étend sur plusieurs kilomètres parsemé d'îles très attractives.
Au cours de l'entretien qu'il a eu avec le Vice-gouverneur de Champassak, M. Sengkham Phomke , votre président délégué, a constaté que les autorités provinciales étaient conscientes de ces atouts exceptionnels, mais qu'elles souhaitaient privilégier la mise en place d'un tourisme équitable, la priorité étant le développement local des habitants.
Le Vice-gouverneur a indiqué qu'avant de prendre toute décision concernant les projets touristiques présentés par divers investisseurs, une étude préalable était effectuée, sur la nature des projets à mettre en oeuvre et leur impact sur la population.
En particulier, les autorités lao, en dépit de pressions, semblent marquer la plus grande réserve à l'égard de gros complexes hôteliers, qui n'ont pas d'impact positif sur l'économie locale et risquent de porter atteinte à l'environnement.
M. Sengkham Phomke a indiqué qu'il existait plusieurs projets d'aménagement touristique sur les îles du Mékong situées au sud du pays, mais qu'ils faisaient l'objet d'études préalables approfondies.
Il a cité l'exemple d'une île située à proximité de Paksé et disposant de 15 Km de côtes : plutôt que de retenir la solution d'équipements hôteliers lourds, la solution vers laquelle s'orientent les autorités consisterait à mettre en valeur les huit villages ( bans ) installés sur l'île, y développer de petits équipements de type guest house , afin, d'une part, de faire bénéficier les habitants des retombées touristiques et, d'autre part, de préserver la nature.
M. Jean Faure, rapporteur, estime que ces orientations doivent être encouragées et accompagnées, le cas échéant, d'une politique de création et de mise en valeur de parcs naturels, prenant appui sur les entités territoriales locales .
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Votre président délégué a eu l'occasion, au cours d'une réunion de travail à la Maison du Patrimoine de Luang Prabang, de rappeler la philosophie dont la mise en oeuvre trouve idéalement à s'appliquer dans la politique des parcs naturels régionaux, mais peut sous-tendre plus largement toutes les actions de coopération décentralisée, faisant de la mise en valeur des richesses patrimoniales un vecteur du développement.
Cette politique doit être inspirée par deux principes : préserver et développer, mais à condition de préserver en développant, car si on ne développe pas, on n'apporte pas de réponse aux populations locales. En leur faisant comprendre qu'ils peuvent bénéficier du développement de leur territoire, ils sont incités à le protéger.
Le développement ne peut reposer que sur les ressources naturelles de l'espace régional délimité par le projet (dans le cas d'un parc naturel tout particulièrement : la faune, la flore, les paysages, le patrimoine).
Le tourisme n'est pas seul en cause : l'agriculture, l'artisanat doivent avoir toute leur place.
Pour que le tourisme ne soit pas déstructurant pour les populations locales, il doit être encadré, l'effort devant porter en priorité sur la formation :
- la formation des acteurs locaux à l'accueil dans de petites structures légères. Il importe de former les hôtes en les instruisant des habitudes et des attentes des touristes (hygiène, nourriture) ;
- la formation des guides naturalistes (qui devront renseigner les touristes sur la faune, la flore, et leur apprendre à respecter et comprendre les coutumes et les traditions locales) :
- le problème de la formation étant réglée, il devient possible de mettre en place des structures d'accueil légères et peu coûteuses, soit individuelles, soit collectives ;
- l'étape suivante est le montage du produit et sa commercialisation : ce produit peut être vendu soit par une agence locale, soit par des tour-opérateurs internationaux qui intègrent cette offre dans leurs circuits.
Si l'on néglige une seule de ces phases, l'opération est vouée à l'échec.