III- LE CONTRÔLE DE L'APPLICATION DE LA CHARTE
Dans un souci de souplesse mais aussi de réalisme (les systèmes politiques et juridiques étant, en 1985, bien différents d'un pays à l'autre), la Charte européenne de l'autonomie locale prévoit, au même titre que la Charte sociale européenne, un « noyau obligatoire de dispositions (vingt paragraphes sur les trente que compte la première partie du document dont dix au moins appartiennent à un groupe de quatorze principes fondamentaux) auquel tout Etat adhérent doit immédiatement souscrire ; l'objectif étant, bien sûr, que tous les Etats membres soient progressivement en mesure d'appliquer l'ensemble des règles de la Charte.
Contrairement à la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et son dispositif juridictionnel (cour européenne des droits de l'homme ; voies de recours...), contrairement à la Charte sociale européenne de 1961 et son comité d'experts nommé par les gouvernements, la Charte de l'autonomie locale ne prévoit pas, pour sa part, de système de contrôle de son application dans les Etats qui l'ont signée ou ratifiée.
Tout au plus, son article 14 énonce-t-il que « chaque partie transmet au secrétaire général du Conseil de l'Europe ; toute information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prises dans le but de se conformer aux termes de la Charte » ; cette disposition étant, d'ailleurs, dépourvue de toute sanction.
Rappelons que l'article 52 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose, de son côté, que « toute partie fournira sur demande du secrétaire général du Conseil de l'Europe les explications requises sur la manière dont son droit interne assure l'application effective de toutes les dispositions de cette Convention ».
Le contrôle effectif de l'application de la Charte de l'autonomie locale s'est mis en place dans la décennie 1990 de façon souple , progressive et diversifiée .
- Souple car la méthode employée a toujours été incitative et non contraignante ou bureautique.
- Progressive car les étapes ont été nombreuses. Il a fallu attendre quinze ans, jour pour jour, à partir de l'ouverture du texte à la signature, le 15 octobre 1985, pour que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux se voit officiellement chargé par le Conseil de l'Europe (on devrait dire plutôt confirmé dans l'exercice d'une mission assumée de facto ) de « veiller à la mise en oeuvre effective des principes de la Charte » (résolution statutaire du comité des ministres du Conseil de l'Europe adoptée le 15 mars 2000 ). Les principes et méthodes mis au point au fil des années se sont ainsi retrouvés inscrits dans la Charte même du Congrès.
- Diversifiée car les initiatives, souvent décisives par l'influence qu'elles ont exercé, du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ont été mené parallèlement à celles des organes intergouvernementaux « décisionnels » du Conseil de l'Europe que sont le « Comité directeur des autorités locales », organe responsable au sein du Conseil de l'organisation et de la mise en oeuvre des activités intergouvernementales concernant la structure et le fonctionnement des collectivités locales, et, bien sûr, le Comité des ministres.
On rappellera brièvement les grandes étapes de la mise en place du dispositif de contrôle de l'application de la Charte.
Relevons tout d'abord qu'en 1985 , le rapport explicatif de la Charte, souvent cité, jugeait inutile la création d'un système spécifique de contrôle en faisant valoir que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux était largement en mesure d'assurer le contrôle « politique » souhaitable.
Le 20 mars 1991 , le Congrès (qui s'appelait encore la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux en Europe ou CPLRE) adoptait une résolution n° 223 qui appelait les membres européens à concevoir un « véritable système de contrôles » et plaidait pour la création d'un comité d'experts indépendants , sur le modèle du comité d'experts en charge du contrôle de l'application de la Charte sociale, élu par le comité des ministres.
Cette résolution initiale s'inscrivait dans la problématique du rôle des autorités locales et régionales dans l'intégration des pays de l'Europe Centrale et Orientale dans les institutions de l'Europe occidentale. Elle recommandait, par ailleurs, la mise au point de rapports généraux et périodiques suivis de recommandations ainsi que l'examen des « plaintes » éventuelles émanant des associations d'élus locaux ou des délégations composant le Congrès s'agissant de l'application de la Charte.
Réunis à Barcelone, au mois de janvier 1992 , les membres européens ont entériné ces orientations en suggérant notamment, dans la déclaration finale de la Conférence, que la CPLRE mette en place, dans le cadre de ses responsabilités politiques, un « système propre de contrôle ».
Il faut ensuite évoquer la résolution n° 233 adoptée par la CPLR le 18 mars 1992 , à la suite du rapport de M. Jean-Claude Cauwenberghe , qui charge une de ses commissions, la commission des structures , des finances et de la gestion , d'assurer le suivi de l'application de la Charte.
Cette commission mettra en place un groupe de travail ad hoc comprenant quinze experts nationaux et qui se réunira pour la première fois, à Strasbourg, le 8 novembre 1993.
Entre temps, le comité directeur des autorités locales et régionales , organe intergouvernemental, aura rendu, le 12 octobre 1992 , un avis entérinant l'idée d'un contrôle politique de l'application de la Charte par la CPLR, le futur Congrès.
Deux séries de textes méritent, ensuite, d'être signalés :
- La recommandation et la résolution, adoptées par le Congrès le 2 juin 1984, transformant notamment le « groupe de travail ad hoc » en « groupe de travail du Congrès ».
- La recommandation et la résolution, adoptée par le Congrès le 5 juillet 1996, qui confirment les orientations précédentes : le groupe de travail détient désormais un mandat direct du Congrès, le comité d'experts indépendants est consacré dans ses prérogatives.
La résolution n° 34 du 5 juillet 1996 précise en particulier les méthodes du contrôle de l'application de la Charte.
Le groupe de travail est donc investi d'un mandat de contrôle « d'office » ; il élabore des « rapports généraux et périodiques » (sur l'application de telle ou telle déposition de la Charte) avec l'assistance du comité d'experts indépendants et met au point des rapports particuliers à la demande d'associations d'élus locaux ou des délégations représentées au Congrès.
Il établira aussi, conformément au souhait exprimé par les ministres européens lors de la Conférence de Copenhague d'avril 1996, des rapports particuliers , pays par pays .
Il faut souligner que tout au long du processus de mise en place du dispositif de contrôle, les rapports tant généraux que particuliers du groupe de travail ont directement inspiré le contenu des résolutions et des recommandations du Congrès. Les experts indépendants ont sans doute exercé une influence déterminante sur la « philosophie » et les méthodes du contrôle.
Relevons encore que le premier rapport général (mars 1993) a eu trait à « l'applicabilité de la Charte », le second (décembre 1994) aux relations institutionnelles entre les autorités locales et les collectivités locales (ce rapport a largement débouché sur les résolutions et recommandations du Congrès du 5 juillet 1996), le troisième (mai 1998), composé de deux volets, à la question des ressources financières des collectivités par rapport à leurs compétences .
La méthode des « rapports particuliers à la demande » a notamment permis, en 1994, de mener une enquête sur la situation réelle de la démocratie locale en Roumanie, pays dans lequel 205 maires avaient fait l'objet d'une demande de destitution par les préfets. Le rapport du groupe de travail ad hoc, spécialement désigné par le Bureau du Congrès, a conduit la Roumanie à modifier sa législation d'une manière satisfaisante aux yeux des membres du groupe de travail.
Lors de la conférence de Copenhague d'avril 1996, les ministres européens ont pu, à bon droit, se féliciter de ce « succès ».
Après l'Italie et la Turquie, la France a fait l'objet d'un rapport particulier.
Le rapport sur la démocratie locale et régionale en France a été réalisé par MM. Bucci et Van Cauwenberghe au mois d'avril 2000 et a fait l'objet d'une résolution du Congrès en date du 25 mai 2000.
Après avoir esquissé un bilan de la décentralisation « à la française » (transferts de compétences et de moyens financiers ; transfert du pouvoir exécutif aux départements et aux régions, remplacement de la tutelle ; avènement de la région comme collectivité territoriale ; création d'une fonction publique territoriale ; déconcentration de l'administration centrale de l'Etat), le rapport analyse le mouvement comme « inachevé » et perçu comme « recentralisateur » .
Il pointe du doigt les difficultés de rationalisation du paysage communal, pose la question de la multiplicité des niveaux d'administration territoriale avant de s'inquiéter de l'enchevêtrement des compétences (qui s'oppose aux blocs de compétences homogènes souhaités par la Carte) et de l'étatisation progressive de la fiscalité locale (qui contrevient au principe d'autonomie financière locale).
MM. Bucci et Van Cauwenberghe concluent ainsi la première partie de leur rapport :
« Cette évolution que la décentralisation a connue en France dans les années quatre-vingt-dix ne manque pas d'alimenter chez nombre d'élus territoriaux rencontrés par la délégation au cours des déplacements qu'elle a effectués dans des communes, départements ou régions en plus de ses deux visites à Paris, une inquiétude ou un mécontentement s'exprimant généralement par l'idée qu'on assiste depuis le début des années 1990 à une « rupture du contrat avec l'Etat » et, de manière plus générale, à un phénomène de recentralisation qui succèderait à la décentralisation. Même si tous les facteurs qui alimentent ces sentiments ne sont pas tous le fait de l'Etat et participent pour certains d'entre eux d'une évolution globale de la société se traduisant par des contraintes qui peuvent aussi retentir sur le pouvoir central, ceux-ci ne sont pas dépourvus de fondements ».
Afin de « relancer » la décentralisation en France, le rapport préconise notamment :
- le passage de « l'intercommunalité » à la « supra-communalité » ;
- la reconnaissance du principe « d'auto-organisation » dans une France diversifiée ;
- l'amélioration des formules de partenariat entre collectivités locales ;
- la préservation de l'autonomie fiscale des collectivités ;
- la ratification par la France de la Charte européenne de l'autonomie locale.
Sur ce dernier point, le rapport juge qu' « aucun obstacle réel ne s'oppose dès lors à la ratification de la Charte. La France ne ferait ce faisant que conforter sa marche vers la décentralisation en levant le malentendu que peut provoquer le fait que, tout en satisfaisant à la plupart de ses exigences par un haut degré d'autonomie locale, elle n'est pas partie à un traité jugé de plus en plus fondamental pour la substance de la démocratie et dont la ratification a d'ailleurs été considérée comme condition aux pays d'Europe centrale et orientale lors de leur entrée au Conseil de l'Europe ».