Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles : quelles actions pour protéger les consommateurs et lutter contre les fraudes et la spéculation ? » à la demande du groupe Les Indépendants.
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Vous achetez des places pour un spectacle, des mois à l'avance, mais peu avant le jour J, patatras ! L'imprévu, la mouche dans le lait. Vous cherchez à récupérer au moins une partie de la somme, quitte à revendre votre place moins cher, pour en faire profiter quelqu'un. Sur le site d'achat, aucun remboursement possible ; pire, la revente à un particulier est interdite. C'est du vécu.
Et je ne suis pas seul. Les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux pour pallier cette carence s'exposent aux arnaques.
Non sans naïveté, j'ai donc déposé il y a plusieurs mois une question écrite, restée sans réponse. Madame la ministre, vous n'étiez pas encore en fonction à l'époque... Je vous remercie d'ailleurs de votre écoute. (Mme Véronique Louwagie apprécie.)
Je m'inquiétais qu'un organisateur interdise à un particulier de revendre le billet en dessous de sa valeur faciale. Face à l'absence de réponse, j'ai poursuivi ma réflexion et déposé une proposition de loi élargissant le sujet aux événements sportifs et culturels. Mon objectif était simple : permettre à un consommateur de revendre un billet à un prix inférieur plutôt que de perdre totalement son investissement, tout en favorisant l'accès aux événements pour le plus grand nombre. C'est une question de pouvoir d'achat mais aussi d'égalité, dans l'accès aux loisirs et à la culture, et entre ceux pouvant se permettre de perdre de l'argent et les autres.
L'article 313-6-2 du code pénal interdit la revente de billets sans autorisation des organisateurs.
Mon initiative a mis en lumière un sujet connu et a suscité des réactions des professionnels. Elle est sans doute perfectible, mais les auditions ont révélé que le droit actuel n'était pas satisfaisant, ni pour les consommateurs, ni pour les organisateurs, car la digitalisation a favorisé les pratiques déloyales - achats massifs pour ensuite revendre plus cher, fraude, spéculation outrancière. Ces dérives ont donné lieu à plusieurs contentieux, relatés dans la presse.
UFC-Que Choisir pointe les risques de fraude et de spéculation - prix gonflés ou billets invalides.
Autre problème, le manque de transparence et les difficultés de référencement sur internet. La confusion entre plateformes fiables et sites frauduleux entretient un climat de défiance voire d'insécurité.
Une piste serait d'interdire la revente de billets au-dessus de leur valeur faciale, ainsi que toute revente avant le lancement officiel de la billetterie.
J'ai transformé ma proposition de loi en débat, car le texte initial aurait eu des effets en cascade. L'encadrement des pratiques doit s'accompagner de garanties sur la traçabilité des billets, la clarté des transactions et la responsabilité des plateformes. Sans garde-fous, on risque d'aggraver le problème.
L'objectif du débat est de poser les bases d'une évolution législative.
Plutôt qu'un remboursement ingérable, il faut un mécanisme sécurisé de revente pour lutter contre la spéculation et rassurer les acteurs. Les organisateurs pourraient internaliser ou externaliser les procédures tout en conservant leur liberté contractuelle. Certains ont déjà mis en place des solutions vertueuses et efficaces ; il faut s'en inspirer.
Les auditions ont aussi révélé la diversité des organisateurs, avec d'importantes différences selon la taille et le caractère sportif ou culturel de la manifestation.
L'instauration d'un système de revente serait bénéfique pour les organisateurs, qui pourront ainsi contrecarrer les pratiques déloyales des plateformes frauduleuses, lutter contre les marchés parallèles et la spéculation à la hausse sur les prix. Toutefois, elle ne suffira pas. Le renforcement des sanctions et des dispositifs de lutte contre la fraude est une autre priorité.
Notre droit doit évoluer. Je vous ai présenté plusieurs pistes, non exhaustives. Poursuivons ce débat de façon transpartisane, avec la sagesse qui caractérise notre Assemblée. Merci au groupe INDEP d'avoir permis ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Laurence Garnier applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. - Je vous remercie de porter ce sujet qui touche à la vie de nos concitoyens. Oui, nous devons réfléchir à l'encadrement de la revente des billets. Merci d'avoir transformé votre proposition de loi en débat, au vu des difficultés juridiques.
Pas moins de 42 % des Français de moins de 35 ans se déclarent coutumiers de ces pratiques, qui se sont développées avec les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP).
Je suis prête à engager une concertation ou un dialogue associant les organisateurs, les plateformes et les parlementaires.
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La revente illégale de billets menace l'intégrité des événements sportifs et culturels et met en danger les consommateurs. Je remercie le groupe Les Indépendants d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.
Le 28 mai 2022, la finale de la Ligue des champions a tourné au chaos. Des milliers de supporters munis de billets authentiques ont subi une attente interminable. Certains ont même été agressés. Une enquête de l'UEFA a conclu à une mauvaise organisation. Ces événements ont terni l'image de notre pays et ébranlé la confiance des spectateurs.
La protection des consommateurs et la lutte contre la fraude à la billetterie sont des problématiques récurrentes, contre lesquelles nous devons agir. Mais notre arsenal législatif n'est pas suffisant.
En dépit de la loi du 12 mars 2012, les plateformes illégales prospèrent. Elles vendent des billets à des prix exorbitants, pour des places parfois inexistantes.
Il faut d'abord renforcer contrôles et sanctions. La DGCCRF doit pouvoir intensifier ses contrôles. Les sanctions doivent être alourdies.
Il faut ensuite mieux encadrer la vente en ligne, en développant des partenariats entre plateformes, organisateurs et pouvoirs publics.
Enfin, il faut sensibiliser le public. Les campagnes d'information ont un réel impact sur la limitation de la demande sur le marché noir.
Mais la fraude ne connaît pas de frontières. Une réponse nationale ne suffira donc pas. Depuis la guerre en Ukraine, les fraudes visant les institutions culturelles et touristiques explosent. Exemple : le musée Anne Frank à Amsterdam est victime de nombreux sites miroirs, tenus par des hackers russes, qui vendent des billets 800 euros au lieu de 30...
La lutte contre la fraude à la billetterie doit s'adapter aux nouvelles pratiques du numérique et aux méthodes toujours plus sophistiquées des fraudeurs. Chaque scandale abîme la confiance des spectateurs et l'image de nos territoires. Nous devrons faire évoluer notre législation pour renforcer les contrôles, responsabiliser les plateformes et harmoniser les règles à l'échelle européenne.
Cette situation pénalise avant tout nos concitoyens, notamment ceux des classes populaires. Des billets sont revendus parfois à vingt fois leur prix initial ! Le sport et la culture doivent rester des espaces de passion, où la spéculation n'a pas sa place. Soyons des arbitres inflexibles ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Pierre-Antoine Levi . - La revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles est un sujet d'actualité, après les JOP qui ont mis en lumière les avantages et les limites du système actuel. Nous devons réfléchir à l'équilibre de notre cadre législatif.
L'article 313-6-2 du code pénal interdit la revente de billets sans l'autorisation des organisateurs, sous peine d'amende. Cette disposition est sécurisante mais peu adaptée aux pratiques contemporaines.
L'expérience des JOP l'a montré : la gestion centralisée de la billetterie a évité des incidents dramatiques, comme ceux qui ont marqué la finale de la Ligue des champions de 2022, mais de nombreux spectateurs ont regretté l'impossibilité de revendre des billets pour des épreuves moins courues, à un prix ajusté à la demande.
Le contrôle des entrées dans les stades et les salles de spectacle est lié à des impératifs de sécurité publique. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel en 2018, de nombreuses mesures de sécurité reposent sur l'identification précise des spectateurs : interdiction d'accès, contrôle du placement, etc. Elles seraient entravées par une libéralisation excessive de la revente sur des plateformes tierces, au risque de mettre en péril la sécurité collective.
Le fichier des interdits de stade est un outil de sécurité, protégé par le RGPD et contrôlé par la Cnil. Il n'est accessible qu'aux organisateurs d'événements. Permettre aux plateformes tierces d'intervenir dans la chaîne de billetterie impliquerait la transmission de données personnelles sensibles à des acteurs extérieurs, ce qui constituerait une violation grave des règles de confidentialité et de sécurité.
L'impossibilité pour ces plateformes de garantir une authentification fiable des spectateurs créerait des failles potentiellement dangereuses dans notre dispositif de contrôle.
Le contentieux lié à la revente illicite de billets a augmenté de 200 % entre 2018 et 2022, signe qu'il nous faut renforcer notre dispositif de contrôle et de répression.
Des plateformes comme Ticombo ont attaqué l'UEFA pour abus de position dominante. Elles estiment qu'en encadrant trop strictement les pratiques, on ne donne pas d'autre choix au consommateur que de se tourner vers les réseaux sociaux ou des plateformes non encadrées.
Il faut toutefois souligner les risques associés à une libéralisation excessive : marché noir, fraude... Des circuits non régulés favorisent la circulation de faux billets, comme on l'a vu dans le football.
Comment améliorer notre dispositif ?
Nous devons soutenir la DGCCRF dans ses missions de contrôle et de répression, en renforçant ses moyens humains et techniques.
Nous devons encourager les organisateurs à développer des plateformes de revente officielles plus performantes, flexibles et accessibles. La billetterie de Paris 2024, malgré quelques critiques, est un exemple ; une amélioration possible serait d'assouplir les prix de revente pour les événements moins demandés.
Nous pourrions aussi étudier la possibilité d'un agrément strict pour des plateformes de revente respectant un cahier des charges rigoureux.
Ce modèle, qui maintient le principe d'autorisation tout en l'élargissant à des acteurs sérieux, offrirait une voie d'évolution sans renoncer aux principes fondamentaux de notre système.
Enfin, une campagne d'information du grand public me semble indispensable. Nos concitoyens doivent être sensibilisés aux risques qu'ils encourent sur les plateformes non autorisées.
Alors que 42 % des moins de 35 ans revendent régulièrement des billets, nous devons encadrer cette pratique, non la nier. La lutte contre la fraude et la protection des données personnelles doivent demeurer des priorités, mais nous pouvons répondre aux attentes des consommateurs tout en préservant l'intégrité de notre modèle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jérémy Bacchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.) Après les réseaux de distributeurs comme France Billet et Ticketnet, nés dans les années 1990, l'avènement du commerce en ligne a vu le développement de la billetterie en ligne, qui s'est fortement accéléré.
Sur les 113 opérateurs de billetterie du marché, quatre se taillent la part du lion : France Billet, Ticketmaster, See Tickets et Veepee. Ce quasi-monopole d'acteurs financiarisés, souvent étrangers, fait primer les logiques capitalistiques au détriment des acteurs tiers. La diversité culturelle est l'un des biens les plus précieux de notre nation, or l'émergence de grands groupes soucieux de rentabilité immédiate conduit de facto à écarter les petits acteurs de diffusion.
Cette position dominante a conduit à des pratiques jugées anti-concurrentielles par l'Autorité de la concurrence. En 2012, la Fnac, France Billet et Ticketnet ont été condamnés pour entente ; en 2019, une enquête de la DGCCRF pour pratiques commerciales déloyales a révélé dix anomalies sur douze plateformes contrôlées.
Nous devons réagir face à cette domination du capital et à cette dépossession numérique. L'objectif devrait être non de maximiser les recettes et le remplissage, mais de promouvoir l'accès à la culture.
Il faut distinguer revendeurs professionnels et revendeurs occasionnels afin de viser les reventes organisées, spéculatives ou frauduleuses. Interdire une plateforme de revente occasionnelle inciterait les usagers à se tourner vers des offres illicites. Dans un cas, il s'agit de faire du business, dans l'autre, d'échanger entre particuliers.
Un dialogue entre les organisateurs de spectacle et les plateformes d'échange pourrait aboutir à une meilleure traçabilité des billets, ou à étaler dans le temps la mise en vente pour limiter le risque d'achat massif et d'anticipation des revendeurs. Oui à l'encadrement des plateformes de revente agissant en qualité de tiers de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du GEST)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La revente de billets pour les événements sportifs et culturels a pris de l'ampleur avec l'essor des plateformes numériques. Si elle répond à un besoin des consommateurs, elle est un terreau fertile pour la fraude et la spéculation.
La loi interdit par défaut la revente de billets sans l'autorisation des organisateurs, moyennant des sanctions pouvant aller jusqu'à 15 000 euros d'amende, 30 000 euros en cas de récidive. Cela préserve le contrôle des organisateurs sur la tarification et la distribution de billets.
Alors que certains revendeurs acquièrent des billets en masse pour les revendre à des prix exorbitants, ce contrôle est indispensable.
Mais des problèmes demeurent. Lors des JOP de Paris 2024, la plateforme officielle de revente imposait des règles strictes : la revente devait se faire au prix d'achat, même en cas de demande faible.
Toutefois, interdire la revente n'est pas une solution viable et serait même contreproductif pour lutter contre les abus. De nombreux spectateurs sont contraints de revendre leurs billets pour des raisons personnelles. Sans alternative officielle ou si les conditions sont trop contraignantes, ils se tournent vers des marchés parallèles peu sécurisés.
Des pistes existent pour concilier contrôle et liberté de revente encadrée. Nous pourrions ainsi envisager une certification des plateformes de revente.
Derrière la revente de billets, il y a le combat pour la démocratisation du sport et de la culture. Les passionnés doivent pouvoir continuer à accéder aux événements. Alors que le contexte est à la baisse des crédits pour le sport et la culture, avec la suppression du pass Culture pour les moins de 17 ans, la culture et le sport doivent rester des espaces de partage et d'émotion accessibles à tous.
Profitons de ce débat pour envisager des solutions pérennes d'encadrement des plateformes de revente. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE-K et INDEP)
M. Jean-Jacques Lozach . - Nous nous accommodons du retrait de la proposition de loi, dont nous cernions mal l'origine et l'objectif réel. Elle libéralisait la revente sans fournir de garanties suffisantes aux organisateurs et aux consommateurs.
Les spectateurs détenteurs de billets doivent pouvoir accéder en toute sécurité à des manifestations organisées sur le territoire national.
La loi du 12 mars 2012 a marqué une avancée dans la lutte contre la fraude. L'incrimination pénale de la revente illicite a eu un effet dissuasif.
Des contrôles sont menés par la DGCCRF et des contentieux contre certaines plateformes de revente ou d'échange sont engagés. Mais la procédure est longue avant la condamnation, et n'est pas une réponse adaptée pour lutter contre le développement des pratiques frauduleuses.
Les incidents survenus lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai 2022 ont occasionné des troubles à l'ordre public et d'importants risques sécuritaires. Le préfet Michel Cadot recommandait dans son rapport d'adopter une chaîne cybersécurisée de vente de billets électroniques, non transférables, uniquement transmis par l'organisateur et munis d'un QR code rotatif utilisant la technologie blockchain.
Un décret a précisé en 2023 les conditions dans lesquelles les organisateurs de manifestations sportives sont soumis à l'obligation de prévoir des titres d'accès nominatifs, dématérialisés et infalsifiables.
Roland-Garros et la Coupe du monde de rugby de 2023 ont anticipé ces évolutions. L'utilisation de ces dispositifs lors des JOP a concouru à leur succès, en garantissant la sécurité.
La revente spéculative nuit à tout l'écosystème sportif. Elle obère l'accès à des événements qui doivent rester populaires et pénalise les organisateurs, qui sont propriétaires et seuls détenteurs du droit d'exploitation des manifestations sportives qu'ils organisent. C'est un droit de propriété incorporelle sui generis, comme pour les oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Fragilisés par un contexte atone et par la baisse du financement public et privé du sport, les organisateurs subissent un important manque à gagner puisqu'ils ne touchent aucune rémunération sur la revente de billets par des plateformes avec lesquelles ils n'ont pas contractualisé.
Leur intérêt légitime est de contrôler au plus près la chaîne de valeur générée par l'événement, de fixer eux-mêmes leurs conditions générales de vente, alors que la billetterie représente une recette vertueuse. Nombre d'entre eux ont internalisé leur système de billetterie et développé leur propre bourse de revente ou d'échange sécurisée. La plateforme centralisée de Paris 2024 illustre ce succès, avec 874 000 billets rétrocédés sur les 12 millions de billets vendus.
Ainsi sommes-nous favorables au maintien du cadre actuel et rejetons ce qui pourrait le fragiliser.
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La proposition de loi de notre collègue a suscité de nombreuses réactions : des incompréhensions, mais aussi nombre de soutiens. Preuve que le débat est nécessaire.
Il n'est pas rare qu'un imprévu vous empêche d'assister à un événement pour lequel vous aviez acheté un billet. Or il n'est pas toujours possible de se faire rembourser ou de revendre son billet.
Des spectateurs, en dernier recours et faute d'alternative, revendent leur billet sur des plateformes aux pratiques parfois répréhensibles - au détriment des organisateurs.
Les auditions ont montré qu'une évolution du cadre législatif était nécessaire. La proposition de loi revenait sur l'interdiction de revente par des tiers, conçue pour protéger les consommateurs des pratiques déloyales, mais qui, dans les faits, les empêche de revendre sereinement leurs billets.
Les organisateurs doivent pouvoir maîtriser les modalités de revente des billets. Ils ont besoin d'être protégés, surtout les plus petits, face aux plateformes, souvent installées à l'étranger. C'est l'absence de système de revente qui a contribué au développement d'un marché parallèle.
Il faut lutter contre la fraude et la spéculation à la hausse sur les prix. Des plateformes achètent les billets en masse dès leur mise en vente puis les revendent bien plus cher, quand le site officiel affiche complet. Cette pratique est vieille comme le monde, mais prend des proportions industrielles avec internet. On ne peut laisser perdurer ces dérives.
Les organisateurs ne disposent pas tous des mêmes leviers face à ces pratiques. Les moyens financiers ne sont pas les mêmes. Ainsi, le monde du sport s'est adapté plus rapidement que celui de la culture.
Juridiquement, les billets sont des droits d'accès, et l'organisateur reste maître dans l'attribution des places. Il peut ainsi interdire l'accès à un match sur critère nominatif afin d'éviter de potentielles violences.
Une réforme de notre droit est indispensable pour lutter contre la fraude et la spéculation et mieux protéger les consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Laurence Garnier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On dit parfois que le législateur traite de problèmes complexes qui n'intéressent pas nos concitoyens. Ce matin, nous nous adressons à tous les Français qui aiment le sport et la culture.
Comment protéger le consommateur ? Comment lui permettre de revendre des places de concerts ou d'événements sportifs auxquels il n'a pas pu se rendre ? Beaucoup de Français ont déjà été arnaqués en achetant des billets sur des plateformes illégales. En dix ans, le nombre de litiges a été multiplié par trois. Merci à M. Chevalier de mettre en lumière ces risques.
Avant de faire évoluer la loi, nous devons analyser le cadre juridique existant, ses vertus et ses manques.
Le code pénal interdit la vente de billet sans autorisation de l'organisateur et la punit de 15 000 euros d'amende. Cela constitue de fait un monopole de la revente par l'organisateur, défavorable au consommateur, et entraîne un risque de contournement via l'achat ou la revente sur les réseaux sociaux.
Mais si on libéralise trop rapidement ce système, les Français nous reprocherons à juste titre de les avoir exposés aux fraudes.
Les événements sportifs récents ont éprouvé le cadre juridique actuel. Mai 2022, la vente de faux billets par centaines contribue à la cacophonie et à l'anarchie lors de la finale de la Ligue des champions. Juillet 2022, la commission d'enquête sénatoriale remet ses conclusions et formule des recommandations. Juillet 2024, les JOP se déroulent remarquablement. Les organisateurs étaient seuls gestionnaires de la billetterie, entièrement numérique, avec une plateforme unique de revente officielle qui a permis de revendre près de 900 000 billets.
Le cadre juridique existant n'est pas parfait, l'UFC-Que Choisir en a souligné les limites. Mais il a évité la spéculation sur le prix des billets et les fraudes massives constatées en 2022. Avant de changer le cadre légal, pesons bien les risques que l'on ferait peser sur les consommateurs, au regard du gain attendu.
Sensibiliser les consommateurs au cadre légal les protégerait dans un premier temps - d'autant qu'aucune étude n'affirme que libéraliser le marché limiterait les fraudes.
L'idée du tiers de confiance est à étudier, sous réserve de lever certaines incertitudes juridiques. La possibilité de modifier le prix des billets uniquement à la baisse est aussi une piste. Il faut également réfléchir aux contrôles et aux sanctions concernant les activités de billetterie en ligne - je pense à l'hameçonnage des données bancaires sur les sites internet du parc Astérix et du musée d'Orsay.
Madame la ministre, vous avez là un beau dossier. Je conclus en saluant l'engagement des agents de la DGCCRF. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Teva Rohfritsch . - Ce sujet devait initialement faire l'objet d'une proposition de loi encadrant l'activité des plateformes de revente de billets agissant en qualité de tiers de confiance afin de lutter contre la spéculation et les marchés parallèles.
La loi du 12 mars 2012 a interdit la revente de billet sur des plateformes sans autorisation expresse de l'organisateur. Si l'objectif recherché par le législateur était légitime et a été en partie atteint, cela crée des difficultés.
Je remercie le groupe Les Indépendants de nous donner l'occasion d'en débattre.
Les Français, notamment les plus jeunes, sont nombreux à acheter des billets à des intermédiaires quand les organisateurs n'en proposent plus, soit sur les bourses officielles, ou, plus souvent, sur des plateformes tierces ou des réseaux sociaux où ils s'exposent aux arnaques.
La proposition de loi tirait la conséquence de l'inadéquation entre le droit et les pratiques.
Elle prévoyait le droit de tout consommateur de revendre ses billets sur une plateforme numérique agréée, cassant ainsi le monopole des organisateurs. Cela entraînait des difficultés, notamment sur le caractère nominatif de certains billets et la concurrence entre les plateformes agréées et les autres.
La lutte contre les fraudes et la spéculation participe à la protection des consommateurs. Les épisodes de fraude massive récents ont montré les limites de la loi du 12 mars 2012. En témoigne l'exemple désolant de la finale de la Ligue des champions de 2022, qui avait donné lieu à des scènes de chaos logistiques et sécuritaires, notamment liées à ce problème de billets.
Les faux billets circulent aussi dans le monde de la culture, notamment à cause de sites miroirs frauduleux dont le musée d'Orsay et Notre-Dame de Paris ont fait les frais récemment. Nous nous réjouissons de l'annonce par la ministre de la culture de la publication prochaine d'un décret sanctionnant ces arnaques.
Une des solutions réside dans la généralisation des bourses aux billets. De nombreux organisateurs s'en sont dotés, comme ceux des JOP, avec 815 000 billets olympiques et 59 000 paralympiques revendus. Mais ce n'est pas infaillible : de nombreux sites miroirs ont été créés lors des jeux. En outre, les plus petites structures ne peuvent se doter de tels supports numériques.
Le débat reste ouvert et nous serons ravis, madame la ministre, d'entendre vos réflexions. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Adel Ziane . - Ce débat pose la question de l'accès à la culture et celui des dérives. Notre législation doit être à la hauteur des enjeux. Nous, législateurs, devons être exigeants.
La proposition de loi que nous devions examiner nécessite un travail d'approfondissement pour éviter de consacrer la légalisation d'un système qui pénalise les ayants-droits, les organisateurs et les consommateurs.
Des plateformes comme Viagogo ont déjà été condamnées à plusieurs reprises pour leurs pratiques frauduleuses. Libéraliser sans garantie, c'est leur donner un blanc-seing. Le groupe SER se félicite donc du retrait de la proposition de loi.
Pour autant, le statu quo n'est pas satisfaisant. La spéculation sur les titres d'accès aux lieux culturels est une menace. Comment accepter les tarifs exorbitants de certains billets revendus ?
La plateforme de revente officielle de l'Opéra de Paris laisse le revendeur fixer librement le prix de revente, mais ce dernier ne peut excéder la valeur faciale du billet. C'est une initiative vertueuse, mais inaccessible aux petites salles et aux festivals indépendants.
Les condamnations tombent, mais les pratiques perdurent. Il est inadmissible que des consommateurs se fassent flouer en toute impunité. Ne tombons pas dans le piège du laxisme, mais évitons aussi l'immobilisme.
Le groupe SER considère qu'un marché encadré de la revente de billets pourrait constituer une solution viable s'il est régi par trois principes : les plateformes doivent être gérées par les organisateurs eux-mêmes ou des tiers agréés ; le prix de revente doit être encadré ; il faut renforcer la lutte contre la fraude.
Qu'en pense le Gouvernement ? Nous vous appelons à travailler avec les ayants droit et les associations de protection des consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je salue l'initiative du sénateur Chevalier, qui ouvre un débat nécessaire sur une pratique largement répandue chez les Français, notamment les plus jeunes.
Le Gouvernement demeure ouvert à un dialogue constructif et approfondi à l'avenir.
La décision de transformer la proposition de loi en débat est particulièrement louable ; elle traduit une méthode de travail exemplaire, marquée par une véritable écoute des différents acteurs concernés. Monsieur le sénateur, je vous en remercie chaleureusement.
L'idée de faciliter la revente de billets est en effet séduisante pour de nombreux concitoyens. Cependant, les incidents comme ceux de la finale de l'Euro au Stade de France montrent que les risques de fraude aux faux billets restent très élevés.
La loi de 2012 ne permet pas à la DGCCRF d'intervenir, sinon sous l'angle des pratiques commerciales trompeuses. Les plateformes étrangères sont difficilement atteignables.
Le Gouvernement n'aurait pas pu soutenir la proposition de loi en l'état. Un billet ne représente qu'un droit d'accès soumis à certaines conditions, et non un droit de propriété. Ce principe essentiel serait remis en cause par une revente sans autorisation de l'organisateur.
De plus, le texte soulevait un enjeu sérieux de sécurité publique, car les personnes interdites de stade pourraient ainsi accéder aux matchs.
La proposition de loi ne contenait pas de garanties de droit suffisamment solides. Elle entraînait un risque de fraude et de marché noir accru. Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'existant.
Notre approche sera fondée sur la concertation avec les acteurs. Vous avez été nombreux à formuler des propositions, qui nourrissent opportunément le débat.
Je souligne la volonté du Gouvernement de poursuivre le travail engagé en collaboration avec la ministre des sports, la ministre de la culture, et toutes les parties prenantes, dont vous-même, monsieur Chevalier.
Nous chercherons à atteindre un consensus efficace. Je reste à votre disposition. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants . - Je vous remercie sincèrement, chers collègues, de la pertinence et de la qualité de vos interventions.
J'ai apprécié les éclairages des différents groupes, notamment méthodologiques, et leurs propositions de pistes de travail.
Il faut toucher ces textes avec prudence, le remède pouvant être pire que le mal. J'ai senti néanmoins l'envie collective de faire évoluer les choses, y compris de votre côté, madame la ministre.
Le travail n'est pas achevé, avec l'envie collective d'éviter la fraude et les arnaques tout en permettant à nos concitoyens d'accéder facilement aux manifestations sportives et culturelles. (M. Adel Ziane applaudit.)
La séance est suspendue à 13 heures.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.