Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec.

Discussion générale

Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi .  - Je voudrais nous féliciter collectivement, et d'abord le groupe Les Républicains, d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de loi pour inaugurer le premier espace réservé transpartisan de notre assemblée. Je remercie Anne-Marie Nédélec pour notre travail commun.

Mieux protéger ceux qui nous protègent, telle est notre ambition, avec notre rapport de mai dernier comme avec cette proposition de loi.

Je rends hommage à tous les sapeurs-pompiers de France, professionnels ou volontaires, dont l'action est essentielle et qui oeuvrent au péril de leur santé. Il appartient à la représentation nationale de les défendre et de reconnaître les risques qu'ils courent.

Ce texte a pour ambition d'inscrire dans la loi l'obligation pour les Sdis de mettre en place des fiches d'exposition pour tous les sapeurs-pompiers. Ces fiches ont déjà été mises en oeuvre, à la suite de la publication de notre rapport, par une circulaire publiée en janvier dernier. Mais il faut aller plus loin, en inscrivant cette mesure dans la loi.

Selon les colonels de l'association Anamnesis, l'emploi des fiches d'exposition reste une initiative locale, dépendante des moyens octroyés aux Sdis et de la sensibilité des responsables. Du fait de l'autonomie de gestion des Sdis, il existe autant d'outils que d'établissements.

La généralisation des fiches, sur le modèle conçu par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), est donc fondamentale.

Les expositions sont multiples. Dès 2003, un rapport avait souligné l'absence de données épidémiologiques et la nécessité d'assurer une veille sanitaire des sapeurs-pompiers. Plus de vingt ans plus tard, aucun effort coordonné n'a pourtant été réalisé.

Ceci s'explique notamment par un désengagement des pouvoirs publics dans la recherche et l'influence des entreprises productrices de substances potentiellement cancérogènes.

Madame la ministre, j'en appelle à vous pour enfin mettre en oeuvre des études épidémiologiques sérieuses.

Nous devons aussi aller plus loin dans la reconnaissance du cancer comme maladie professionnelle.

En juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l'homme. Chez les sapeurs-pompiers, par exemple, le risque de développer un mésothéliome serait plus élevé de 58 % par rapport à la population générale, et de 16 % pour le cancer de la vessie.

La France connaît un retard important en matière de reconnaissance de ces maladies professionnelles. Seuls deux types de cancer sont présumés imputables au service des sapeurs-pompiers : le carcinome nasopharyngé et le carcinome hépatocellulaire.

Or 28 types de cancer peuvent être reconnus comme maladie professionnelle pour les sapeurs-pompiers du Nevada. C'est 19 en Ontario et 9 au Québec. Comment expliquer de telles disparités avec la France ? Il faut élargir la présomption d'imputabilité au service à l'ensemble des pathologies reconnues comme maladies professionnelles par le Circ.

Nous invitons donc le Gouvernement à créer un tableau de maladies professionnelles regroupant les pathologies liées à l'exposition au feu. Cependant, ces tableaux sont déterminés après consultation des partenaires sociaux, selon des logiques qui semblent ne pas tenir compte des réalités scientifiques. Comme le dit l'historien Paul-André Rosental, ce sont des maladies « négociées », qui font l'objet de conflits d'intérêts entre les représentants des industriels et les représentants des salariés qui luttent contre la sous-reconnaissance.

Ainsi, le cancer de la vessie et le mésothéliome ne sont pas considérés comme directement imputables au service. Dès lors, il revient aux sapeurs-pompiers eux-mêmes de prouver le lien entre leur maladie et leur fonction. Un comble !

Les pompiers sont exposés à des composés organiques volatils, à l'amiante, à des particules fines, à des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Plus récemment, le rôle des retardateurs de flamme a été mis en évidence. Les conséquences de la polyexposition restent méconnues. Pensons aussi à l'accumulation d'autres facteurs de risque, comme le travail de nuit ou le port de charges lourdes.

Une mise à jour régulière des tableaux est donc nécessaire pour garantir aux sapeurs-pompiers une protection efficace.

Il faut mieux reconnaître les maladies professionnelles, mais aussi mieux prévenir.

Il existe certes une doctrine nationale de prévention éditée par la DGSCGC, mais tous les Sdis ne l'appliquent pas. Il faudrait améliorer la consultation d'aptitude à l'embauche, pour que les sapeurs-pompiers s'acculturent eux-mêmes à la prévention des risques.

Il faut aussi renforcer le dépistage, avec la mise en oeuvre de programmes nationaux, et renforcer le suivi post-professionnel, en dépit des difficultés rencontrées pour recruter des médecins du travail des sapeurs-pompiers. Les Sdis devraient proposer tous les cinq ans une visite de contrôle assurée par un médecin dédié.

Nous appelons le Gouvernement à accorder une dotation exceptionnelle pour équiper chaque sapeur-pompier de cagoules filtrantes de nouvelle génération, à l'efficacité scientifiquement prouvée.

Cette proposition de loi n'est qu'une première étape. La prévention reste une priorité. Nous devons aussi reconnaître l'imputabilité des pathologies lourdes au service, comme le font d'autres grandes nations. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDPI et du RDSE)

Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Alors que vient de prendre fin un épisode de feux de forêt dans la vallée de la Roya, rappelons-le : les sapeurs-pompiers font face à des risques graves, protéiformes, omniprésents.

Je me réjouis que la représentation nationale se mobilise ainsi. Cette proposition de loi a vocation à mieux les protéger, eux qui protègent les autres. Elle découle de la mission d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier. Je remercie Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec pour leur engagement.

La nature cancérogène des substances auxquelles sont exposés les sapeurs-pompiers est de mieux en mieux documentée, mais le nombre de maladies déclarées reste très bas, ce qui laisse présupposer une sous-déclaration d'ampleur.

Pourtant, l'activité de sapeur-pompier a été considérée comme cancérogène pour l'homme par le Circ, en raison du contact quotidien avec des produits toxiques contenus dans les mousses anti-incendie ou dans certains matériaux de construction.

Or seules vingt-quatre maladies professionnelles ont été recensées en 2023 pour les sapeurs-pompiers professionnels, soit moins de 1 % de la sinistralité pour cette catégorie professionnelle. Aucun cancer professionnel n'a en outre été détecté pour ces agents entre 2013 et 2025.

Cette sous-déclaration est inacceptable, pour qui connaît le dévouement des sapeurs-pompiers. Certains agents de Sdis, malades du fait de leur activité, sont injustement privés du bénéfice de l'allocation d'invalidité temporaire (AIT) et du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis).

Il revient aux agents de prouver le lien entre leur maladie et leur activité, faute d'un recensement dans les tableaux figurant dans le code de la sécurité sociale. Il est pourtant presque impossible pour eux d'objectiver ce lien lorsque la maladie survient plusieurs années après l'exposition.

Le décret du 5 novembre 2015 prévoit que l'autorité territoriale présente chaque année une synthèse des activités potentiellement exposantes pour l'agent. Ces documents sont en théorie conservés pour cinquante ans. Or, de l'aveu des directeurs de Sdis, cette obligation est très imparfaitement mise en oeuvre ; certains Sdis sont en décrochage.

La proposition de loi inscrit donc dans la loi l'obligation pour les Sdis de réaliser des fiches d'exposition. La consécration législative de cette obligation doit provoquer une réelle prise de conscience des employeurs et constitue une protection supplémentaire, cette obligation ne pouvant être amoindrie par des mesures réglementaires. Le texte prévoit aussi la publication de modèles standardisés de fiches d'exposition, pour que les Sdis s'en saisissent.

Cependant, la diversité des environnements dans lesquels sont amenés à intervenir les sapeurs-pompiers complexifie le suivi exhaustif des risques de contamination. Tout dépend en effet des missions confiées aux agents, du type de produit ou encore des équipements.

La DGSCGC a publié le 14 janvier des modèles nationaux de fiche d'exposition, à la suite du rapport de nos collègues. La publication de ces modèles et l'adoption du présent texte constituent une étape décisive pour que, partout sur le terrain, les agents se voient garantir une réelle prise en charge.

Les dispositions du texte sont toutefois indissociables de réels progrès en matière de prévention : protocoles de sécurité pour réduire l'exposition aux risques, port d'équipements de protection, suivi médical renforcé... La prévention est le premier rempart contre les maladies professionnelles des sapeurs-pompiers.

Prévention et prise en charge : telles sont les conditions d'un exercice sain et juste de la mission essentielle des sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER, du RDPI et du RDSE)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, ainsi que Laurent Marcangeli, tous trois totalement investis auprès des sapeurs-pompiers de notre pays.

Le Sénat a régulièrement prouvé sa grande attention aux services de lutte contre les incendies. Il le prouve encore aujourd'hui avec cette initiative transpartisane.

Le texte aborde une question grave : comment mieux protéger ceux qui nous protègent ? Comment prévenir les cancers imputables à l'activité des sapeurs-pompiers ?

Ces derniers sont exposés à des risques moins visibles que le feu : les agents cancérogènes et pathogènes. Malheureusement, nous connaissons mal ces risques d'un point de vue médical. Les travaux se multiplient à ce sujet, notamment à l'étranger.

Je n'ignore pas les difficultés rencontrées par les pompiers victimes de maladie pour faire reconnaître l'origine professionnelle de leur maladie. Nous devons donc agir.

Votre proposition de loi nous invite à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers à des agents toxiques.

Concernant l'exposition aux agents chimiques mutagènes ou toxiques pour la reproduction, les sapeurs-pompiers sont protégés par le code du travail, comme tous les travailleurs, et par le document unique d'évaluation des risques professionnels.

L'objectif est donc de mieux accompagner les Sdis et de rendre effective la traçabilité.

Depuis 2015, la mise en oeuvre du suivi par chaque Sdis est très inégale. Nous pouvons et devons mieux faire. C'est le sens de la circulaire du 14 janvier dernier, qui fournit aux Sdis des fiches de suivi. Sa publication a été saluée par les syndicats comme une avancée. Depuis 2024, l'Observatoire de la santé des agents des Sdis y travaille. Le dispositif, robuste, doit maintenant se traduire en actes. La DGSCGC y sera particulièrement attentive.

Améliorer la traçabilité facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles. Nous devons notamment actualiser les tableaux de maladies professionnelles. Nous avons engagé cette révision avec l'Anses, saisie à l'automne 2024. Les cancers concernant les pompiers seront traités en priorité.

J'observe une grande convergence de vues entre votre proposition de loi et les initiatives du Gouvernement. Les travaux de la mission d'information nous ont permis d'engager des actions utiles.

Le Gouvernement a quelques réserves techniques sur le dispositif proposé, mais il partage l'objectif de mieux protéger les pompiers. Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)

M. Joshua Hochart .  - Ce texte n'est pas une simple mesure bureaucratique ni un ajustement technique. C'est un impératif, un engagement que nous devons à ceux qui mettent leur vie en danger pour protéger la nôtre. Pompier, ce n'est pas un métier, c'est une vocation, un engagement total, où l'on accepte d'affronter les incendies, les inondations, les explosions, les accidents de la route, où chaque seconde compte, où chaque erreur peut être fatale.

Mais le danger ne disparaît pas une fois le feu éteint. Il s'infiltre, il ronge en silence. Les particules issues des matériaux brûlés sont cancérogènes. Amiante, dioxydes sont autant de poisons invisibles.

Pourtant, jusqu'ici, la reconnaissance de cette exposition et de ses conséquences est restée insuffisante. Les pompiers malades doivent trop souvent se battre pour faire reconnaître l'origine professionnelle de leur maladie, dans un parcours du combattant indigne du service qu'ils ont rendu à notre nation.

Cette fiche recensera précisément les substances auxquelles les sapeurs-pompiers sont exposés. C'est la voie vers une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles, qui permettra d'anticiper les risques sanitaires et d'offrir une prise en charge adaptée et digne.

Mais ce premier pas doit s'accompagner d'une réflexion plus large, pour améliorer les équipements de protection, moderniser les casernes et faire évoluer les protocoles d'intervention et de décontamination.

C'est surtout une question de justice pour ces hommes et ces femmes qui nous protègent. Derrière ces chiffres et ces maladies, il y a des visages, des familles brisées, des camarades endeuillés.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - L'engagement sans faille des sapeurs-pompiers au service de nos concitoyens les expose à des dangers considérables, et des expositions répétées ont des conséquences directes sur leur santé. Or aucune étude exhaustive sur leur santé n'est disponible aujourd'hui.

En 2022, le Circ a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérigène, mais le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire sont les deux seuls cancers reconnus en France. Nous accusons un retard indéniable, et les sapeurs-pompiers ont du mal à faire reconnaître le lien entre leur métier et leurs maladies.

L'article unique de la proposition de loi introduit dans le code général de la fonction publique l'obligation pour les Sdis de réaliser des fiches d'exposition. Il prévoit aussi la publication de modèles de fiches. Légiférer en la matière offre une portée supplémentaire au dispositif. Notre groupe soutient cette démarche, qui permettra une meilleure reconnaissance et une prise en charge adaptée pour les sapeurs-pompiers.

Toutefois, il faut l'accompagner de mesures de prévention. Face à l'évolution des connaissances, il est indispensable de renforcer les équipements, les protocoles de sécurité et la formation.

La sécurité des sapeurs-pompiers est une priorité absolue. Je leur rends hommage, particulièrement au Sdis 59.

Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Mme Anne-Marie Nédélec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans nos départements et surtout en ruralité, les sapeurs-pompiers sont souvent le seul recours en cas de problème. Leur disponibilité est totale et je leur rends hommage. Il est normal de s'intéresser à leur sécurité et à leur santé. Je souligne la création en 2024 de l'Observatoire de la santé des agents des Sdis.

Il fallait poursuivre le travail réalisé avec Mme Poumirol lors de la mission d'information sénatoriale. La proposition de loi vise donc à rendre obligatoire un modèle national de fiche d'exposition en intégrant les fumées aux agents toxiques. Depuis 2015, un suivi professionnel a été mis en place, mais la surveillance médicale pendant et après l'activité de sapeur-pompier doit être renforcée. Nos politiques de prévention ne sont pas à la hauteur des enjeux et du dévouement des sapeurs-pompiers.

Je vois un premier problème d'organisation. Les Sdis sont autonomes et il n'existe pas de coordination nationale ; d'où des disparités. Le remplissage des fiches n'est ni généralisé ni complet.

Seules deux études ont été réalisées sur le sujet, en 1995 et 2012. Elles concluent à une mortalité plus faible chez les sapeurs-pompiers que dans la population générale. Cela s'explique par le phénomène dit du « travailleur sain » : les sapeurs-pompiers sont en meilleure santé physique que l'ensemble de la population. La seconde étude relevait une surmortalité modérée sur certains types de cancer, tandis que la première notait une surreprésentation des cancers urogénitaux, respiratoires et digestifs.

Nous regrettons l'absence de données épidémiologiques exploitables. Les sapeurs-pompiers exercent une activité professionnelle les exposant aux agents cancérogènes ou mutagènes. Si le lien entre l'exposition à des fumées toxiques et le développement de cancers est intuitif, la France n'a pas d'analyse sur le sujet. Nous travaillons à partir de données internationales, souvent disparates.

Le Circ a classé l'activité de sapeur-pompier cancérogène pour l'homme. La reconnaissance de ces maladies imputables au service diffère dans le monde. Au Canada, 9 maladies sont reconnues imputables à cette activité, contre 19 en Ontario.

Je salue les ministères de l'intérieur et du travail, qui, conscients des enjeux, ont rédigé une circulaire en janvier dernier sur les fiches d'exposition. Notre texte en précise le cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Patricia Schillinger .  - Chaque jour, nos 253 000 pompiers sont en première ligne. Face aux flammes et substances dangereuses, ils risquent leur vie, et insidieusement leur santé. Ils méritent la reconnaissance et la solidarité de la nation, qui doivent se traduire en actes concrets : tel est l'objet de ce texte.

Les risques auxquels les sapeurs-pompiers sont confrontés sont multiples : PFAS, retardateurs de flamme... En 2024, le Circ a classé cette activité comme cancérogène. Pourtant, la reconnaissance des maladies professionnelles reste un parcours du combattant. En 2023, seules vingt-quatre maladies professionnelles ont été recensées, soit 0,55 % de la sinistralité.

Les raisons de la sous-déclaration sont multiples : manque de traçabilité ou de reconnaissance de lien entre activité et maladies. Il revient aux sapeurs-pompiers eux-mêmes de prouver ce lien, ce qui est souvent impossible en l'absence d'un suivi rigoureux.

Cette proposition de loi prend tout son sens en systématisant la recension de ces facteurs cancérogènes, grâce à la fiche d'exposition. Une circulaire du ministre de l'intérieur a encouragé ce dispositif en janvier dernier. C'est un outil essentiel de prévention et de reconnaissance des maladies professionnelles.

Protéger ceux qui nous protègent est un impératif. Le Sénat y travaille depuis plusieurs années. Je salue le travail de Mmes Poumirol et Nédélec. La mission d'information flash du Sénat a mis en lumière une réalité trop longtemps ignorée. Il est urgent de protéger ces femmes et ces hommes.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera ce texte. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Nous sommes réunis pour examiner cette première proposition de loi discutée dans le cadre d'une niche transpartisane. Elle fait suite au rapport d'information sénatorial de mai dernier. Mais, dès 2017, un rapport de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales alertait sur la surmortalité des pompiers par cancer.

Seuls deux types de cancers sont actuellement reconnus comme maladie professionnelle par la France : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire. Nous sommes très loin d'autres pays : le nombre de cancers reconnus aux États-Unis est de 28 ; il est de 12 en Australie et de 9 au Québec.

La traçabilité est une tâche ardue en raison de l'absence de fiches d'exposition. On constate un phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles. Il s'agit donc de rattraper notre retard et d'adapter notre droit pour améliorer la prévention.

Ce texte amendé par la rapporteure prend en compte les récentes évolutions en la matière, comme la publication du modèle de fiche d'exposition de janvier dernier.

L'article unique inscrit dans la loi deux obligations importantes : élaboration de modèles de fiches d'exposition, obligation de remplir une fiche d'exposition après chaque situation dangereuse. Voilà qui répond aux attentes de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Actuellement, le remplissage de ces fiches n'est ni systématique ni généralisé.

Dans le Lot-et-Garonne, les sapeurs-pompiers sont solidaires de toutes les campagnes de sensibilisation et de récolte de fonds pour lutter contre le cancer.

Le groupe RDSE votera ce texte. Je rends hommage aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires qui sont la preuve de ce que les hommes et les femmes peuvent produire de meilleur. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MmePatricia Schillinger et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

M. Pascal Martin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il est des sujets intimes qui touchent au coeur même de notre pacte républicain. Cette proposition de loi est une reconnaissance à l'égard de ceux qui oeuvrent chaque jour à la protection de tous : sapeurs-pompiers, gendarmes, policiers. Ils portent tous un uniforme, qui, bien plus qu'une fonction, symbolise un engagement et une exigence de chaque instant.

La famille des sapeurs-pompiers m'est particulièrement chère, y ayant très longtemps appartenu ; elle force l'admiration de tous. Elle ne cherche ni les honneurs ni les acclamations. Nous admirons la bravoure de ces femmes et ces hommes qui affrontent des dangers tous les jours.

Mais la profession impose à leurs corps une usure et des souffrances invisibles. Des poisons chimiques s'infiltrent insidieusement dans leurs corps.

Aujourd'hui, deux cancers seulement sont imputables à leur profession. En outre, il est à la charge des sapeurs-pompiers de prouver le lien entre leur profession et leur maladie. Comment accepter qu'ils luttent seuls pour faire reconnaître leurs blessures ? À leur dévouement sans faille, peut-on leur imposer l'épreuve du doute ? La gratitude, même sincère, ne suffit pas : il faut des mesures de protection effectives. C'est pourquoi je salue cette proposition de loi.

La fiche d'exposition sera obligatoirement remplie après chaque intervention, assurant une meilleure traçabilité, et, à terme, une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles. C'est un changement attendu et nécessaire.

Notre premier devoir est de prévenir, et donc d'assurer une protection renforcée aux sapeurs-pompiers dès qu'ils affrontent le danger. Équipements, véhicules, système de ventilation, tout doit être repensé.

J'ai récemment échangé avec le directeur du Sdis de Seine-Maritime. Il m'a fait part d'avancées, comme l'équipement complet des véhicules en kits de dépollution. Il faut mieux former aux risques, instaurer des zonages pour limiter la dispersion des polluants, favoriser les techniques innovantes d'intervention, élaborer un suivi médical rigoureux pour toutes les matières toxiques... Bref, une réflexion globale.

Les sapeurs-pompiers sont les gardiens de nos valeurs. Ce texte ne leur accorde ni faveur ni indulgence. Nous rappelons simplement à ces héros du quotidien que la nation sait protéger ceux qui la protègent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme Céline Brulin .  - Les sapeurs-pompiers suscitent souvent l'unanimité de nos décisions. Cette proposition de loi améliore la reconnaissance des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers. C'est encore plus vrai lors d'un incendie comme celui de Lubrizol, au cours duquel près de 10 000 tonnes de produits sont parties en fumée, dont 7 000 tonnes de produits dangereux.

Les expositions lors des incendies entraînent un risque de mésothéliome plus élevé de 58 % ; c'est 16 % pour les cancers de la vessie.

La mission d'information du Sénat a fait dix recommandations. Cette proposition de loi reprend celle ayant trait à l'élaboration d'une fiche d'exposition. C'est donc une première réponse. Elle doit être complétée par un renforcement de la prévention, mais aussi des réparations à l'égard des malades.

Un examen régulier des poumons doit être mis en place, via un scanner annuel obligatoire.

Une dotation exceptionnelle versée aux Sdis pour acquérir de nouveaux équipements doit être envisagée, comme les cagoules-filtres. L'État doit s'engager, d'autant plus que les finances des Sdis sont mises à mal par l'augmentation des cotisations à la CNRACL.

Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. Nous devons protéger les sapeurs-pompiers comme ils nous protègent au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je salue les autrices de la proposition de loi, Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, ainsi que la rapporteure Françoise Dumont pour son engagement.

J'espère que l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour dans le premier espace transpartisan augure d'une sensibilité accrue à la santé environnementale.

À ceux qui, chaque jour, mettent en péril leur vie pour nous, je dis : merci ! Mais les remerciements ne suffisant pas. Par leur activité, les sapeurs-pompiers font face à des cancérogènes notables, à un niveau de risque qui a conduit le centre international de recherche sur le cancer à placer leur activité elle-même comme cancérogène.

C'est le cas des Pfas, que les écologistes combattent de longue date, utilisés dans leurs tenues et les mousses anti-incendie. Le GEST avait demandé leur interdiction au moins lors des formations et entraînements, en vain.

Les écologistes ont testé la présence des Pfas chez les pompiers volontaires, en partenariat avec leurs organisations syndicales ; le plus jeune pompier était le plus contaminé aux Pfas, mais tous l'étaient, sans exception.

L'Agence européenne des produits chimiques a proposé de les interdire dans les mousses anti-incendie à horizon 2027 ; madame la ministre, je vous appelle à défendre soutenir cette mesure dès la révision du règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques (Reach) cet automne, et en France dans les meilleurs délais.

La médecine préventive des pompiers doit aussi être renforcée. En ce sens, j'avais interrogé le ministre de l'intérieur sur la transmission d'un rapport à ce sujet.

Le risque de sous-déclaration doit entraîner une révision des tableaux : seuls deux cancers sont reconnus comme maladie professionnelle présumée chez les pompiers. Nous ne pouvons pas légiférer pour chaque maladie. Il faut que le système soit revu dans son ensemble.

Nous appelons à ce que l'exposition des pompiers aux toxiques soit prise en compte dans la pénibilité pour la retraite.

Portons une attention particulière aux femmes sapeurs-pompiers. Lors d'une conférence que j'ai organisée le 10 mars, les scientifiques Claire Philippat et Robert Barouki ont en effet souligné les effets particuliers de ces toxiques sur les organismes féminins. Madame la ministre, je compte sur vous pour soutenir la recherche en la matière.

Le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Evelyne Corbière Naminzo et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

M. Hussein Bourgi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi est le fruit d'un travail transpartisan, témoin de notre capacité à transcender les clivages pour défendre les sapeurs-pompiers.

Je salue le travail précieux d'Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, qui ont mis en lumière des lacunes dans la prise en charge des risques sanitaires auxquels les pompiers sont exposés.

Des risques accrus sont avérés pour d'autres cancers que ceux qui sont reconnus, comme ceux du côlon et de la prostate. Cela appelle un suivi médical post-professionnel.

L'une des principales difficultés est l'absence de données scientifiques fiables sur ces risques. En 2003, le rapport Fournier avait préconisé une veille sanitaire, notamment par une banque nationale de données pour mener des études épidémiologiques.

Hélas, il n'y a pas de suivi réel et les études disponibles sont souvent contradictoires.

Un rapport de l'Anses de 2019 appelle pourtant à mieux prendre en compte les risques auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés. Il faut arrêter de lanterner, de tergiverser ; ce serait irresponsable juridiquement, mais aussi moralement : nous parlons de la santé - donc de la vie - des sapeurs-pompiers.

Il est urgent de mettre en place un suivi médical post-professionnel. La CNRACL joue un rôle central, notamment son fonds national de prévention qui met à disposition son logiciel Prorisq et finance des études épidémiologiques.

Les sapeurs-pompiers bénéficient d'une présomption d'imputabilité, mais seulement pour deux cancers, alors qu'ils sont bien plus nombreux dans d'autres pays. En outre, chaque Sdis agit à sa guise. Depuis dix ans, la CNRACL n'a enregistré que 21 demandes d'allocations temporaires d'invalidités liées à des cancers professionnels, dont aucun ne provenait d'un sapeur-pompier. En 2022, seules 31 maladies professionnelles ont été répertoriées dans ce corps de métier. Cela laisse penser que la sous-déclaration est importante, sans doute en raison de la difficulté à prouver l'exposition et l'absence de prise en compte de la polyexposition.

Je me réjouis que cette proposition de loi améliore la traçabilité des expositions en imposant une fiche d'exposition pour chaque intervention.

Si elle va dans le bon sens, il reste des progrès à accomplir, notamment dans la généralisation des bonnes pratiques sur le territoire. Il faut renforcer la prévention des risques grâce à des équipements de protection ; je salue à ce propos le nouveau modèle de cagoule filtrante.

Mais ces équipements ont un coût. Le Gouvernement pourrait accompagner l'investissement des Sdis. Nous parlons souvent des pactes capacitaires pour le matériel. Il serait bon d'y inclure la protection des sapeurs-pompiers.

Dans une circulaire du 14 janvier 2025, le DGSCGC a rappelé l'obligation de tenir un relevé des expositions des sapeurs-pompiers aux toxiques et présenté un modèle unique de fiche. Un amendement a été adopté en commission pour en tenir compte.

Le groupe SER votera cette proposition de loi et s'associera à toute démarche témoignant de notre reconnaissance aux sapeurs-pompiers. Nous ne leur rendons jamais suffisamment hommage, alors que chaque jour ils sont sur le terrain pour sauver des vies. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE)

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Consommables, de la passion au poison : ainsi s'intitule le documentaire choc réalisé par les sapeurs-pompiers des Alpes-Maritimes et diffusé sur Public Sénat ; ce film immersif, loin du cliché des héros infaillibles, évoque la difficulté de la reconnaissance des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers, sur laquelle j'interpelle les gouvernements successifs.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne de l'excellent rapport d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol. J'espère qu'elle sera votée à l'unanimité.

La fiche d'exposition a déjà été mise en place dans certains Sdis. Sa généralisation est un symbole fort qui apportera une véritable efficience.

Je remercie l'engagement de Bruno Retailleau qui, par le biais d'une circulaire, a généralisé la traçabilité des expositions.

Nous devons continuer à mener ensemble ce travail collectif.

À ce jour seules deux maladies sont reconnues comme imputables à l'activité de sapeur-pompier.

En décembre dernier, le Gouvernement avait indiqué que le ministère du travail avait entamé les démarches de révision des tableaux de maladies professionnelles. La ministre vient de le confirmer. Je souhaite que ce soit fait rapidement.

Le groupe Les Républicains votera évidemment cette proposition de loi. Je rends hommage aux 258 000 sapeurs-pompiers de France, qui incarnent les plus belles valeurs d'humanité et de solidarité de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur quelques travées du RDSE ; Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

Discussion de l'article unique

L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.

M. le président.  - Belle unanimité !

(Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.