SÉANCE
du mercredi 29 janvier 2025
47e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Marie-Pierre Richer.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
J'excuse l'absence du Premier ministre, qui s'est rendu à des obsèques.
Je salue notre nouveau collègue Jean-Marc Delia (M. Jean-Marc Delia se lève ; applaudissements), qui a remplacé Philippe Tabarot, nommé ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Je salue également le retour de nos collègues Agnès Canayer et Laurence Garnier. (Applaudissements) Nous les retrouvons avec plaisir. J'espère qu'elles aussi retrouvent avec plaisir cette douce maison.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Élias (I)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il avait 14 ans, il rentrait d'un entraînement de foot ; il n'aura jamais 15 ans, car il a trouvé sur sa route deux adolescents délinquants récidivistes qui en voulaient à son téléphone portable. Tous deux étaient connus de la justice des mineurs pour des vols ou des violences. Ils avaient été présentés devant un juge le 30 octobre ; un jugement définitif devait être rendu en juin 2025 ; en attendant, ils continuaient à terroriser tout un quartier, en toute impunité.
C'est toute la justice des mineurs qui est en cause : elle n'est plus adaptée à cette ultraviolence. Freud disait que l'indulgence est une « forme cachée de la carence d'autorité ». La constance de la peine, dès la première infraction, est exigence impérative.
Notre justice des mineurs fonctionne très mal ; pour Élias et pour toutes les victimes, quelles évolutions envisagez-vous ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Nous sommes tous des pères et des mères de famille et notre coeur se renverse lorsqu'un enfant trouve la mort pour un téléphone portable.
Nous devons condamner fermement les auteurs, mais aussi voir que trois choses ne vont pas dans notre justice des mineurs.
D'abord, une mesure éducative - qui précède la mesure répressive - non suivie n'est assortie d'aucune sanction. Je proposerai qu'une sanction - un enfermement dans un centre éducatif fermé - soit prise.
Ensuite, le parquet avait demandé l'enfermement, mais le magistrat a reporté la décision, conformément au code de la justice pénale des mineurs. Je suis favorable à la comparution immédiate des mineurs violents pour les faits les plus graves.
Enfin, les policiers ne sont pas informés des mesures d'interdiction de rencontre entre délinquants prises par la justice ; il faut améliorer cela. Nous le devons à Élias et à toutes les victimes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Vencorex
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je souhaitais m'adresser au Premier ministre, expert en planification. (Sourires)
L'urgence est d'arrêter l'hémorragie industrielle, avec un plan. Pendant que le CAC 40 distribue 100 milliards d'euros aux actionnaires, les plans de licenciement se multiplient, y compris dans des entreprises rentables : Michelin, General Electric, Fonderie de Bretagne, ArcelorMittal, Photowatt... Selon la CGT, 300 plans sont en cours, menaçant 300 000 emplois.
Alors que le chômage a augmenté de 3,9 % au dernier trimestre, vous continuez la politique de l'offre et distribuez des milliards d'euros sans contrepartie.
En Isère, Vencorex est un cas d'école. Sa fermeture annoncée sert de prétexte pour licencier et délocaliser : plus de 6 000 emplois sont menacés. C'est un enjeu de souveraineté. Voilà des mois que l'État doit agir ! Les salariés et les élus locaux réclament une nationalisation temporaire, à hauteur de 200 millions d'euros. Ne pas agir, c'est faillir. Cette nationalisation est un outil de planification.
Le Premier ministre va-t-il reprendre la main sur ce dossier, aller sur le site et nationaliser Vencorex ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Fabien Gay et Ian Brossat applaudissent également.)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Vous étiez à Bercy hier avec Marc Ferracci, pour évoquer le dossier Vencorex, qui illustre les difficultés de notre industrie.
Nous sommes mobilisés pour garantir notre souveraineté industrielle. La réindustrialisation est ma deuxième priorité, après le budget. La protection de notre industrie se joue aussi au niveau européen.
Le dossier Vencorex est complexe : malheureusement, l'entreprise est déjà en redressement judiciaire. Nous travaillons avec la filière pour maintenir les activités stratégiques - sur le nucléaire notamment. Nous proposerons un accompagnement individualisé à chacun des salariés. (M. Yannick Jadot lève les bras en signe de déception.)
Le Gouvernement considère que la nationalisation n'est pas la meilleure solution ni la plus économe de nos deniers publics. (Protestations sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées du RDPI)
Élias (II)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Si Élias est mort, c'est notre faute à tous. Je suis mère de deux enfants, rackettés dans le XIVe arrondissement. Je leur ai toujours dit de ne pas jouer les héros - je voulais juste être sûre qu'ils rentrent à la maison.
Comment s'étonner de l'hyperviolence des mineurs si nous ne fixons pas les bonnes règles ?
Un : les parents doivent être responsabilisés. On ne devrait pas avoir droit à un logement social quand on intimide les gens en bas de chez soi. Et pas d'allocations familiales si on profite du trafic ou du racket.
Deux : la punition va de pair avec l'éducation. De fait, la loi interdit les courtes peines de prison. Seulement 6 centres pénitentiaires pour mineurs et 54 centres éducatifs fermés - qui ne le sont d'ailleurs pas...
Trois : on doit être puni dès le premier délit, et pour ce que l'on a fait - pas pour la façon dont on se comporte par la suite, avec un éducateur. Oui, les deux meurtriers d'Élias avaient vu un juge, la belle affaire ! Avec le principe de la césure entre audience de culpabilité et audience de sanction, cette dernière est si lointaine - neuf mois plus tard !
Quatre : l'excuse de minorité devrait être motivée par le juge, au cas par cas. Les mineurs ne sauraient être jugés comme les adultes, mais ne les jugeons pas non plus deux fois moins sévèrement, par principe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP ; MM. Franck Menonville et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je suis favorable à la motivation de l'excuse de minorité par le juge. La proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale le prévoit. Nous y travaillerons, avec le Sénat.
La césure permet de traiter rapidement l'affaire. Mais vous avez raison, il faut une punition la plus rapide possible. Trois ans après sa mise en place, évaluons la césure, à l'aune de ces faits divers ignobles.
Je retirerai prochainement les instructions pénales qui prévoient « Moins de six mois de prison, pas de prison », car ce n'est pas la politique pénale que j'entends mener.
Un juge pour enfants pour 300 gamins, 650 places en centres éducatifs fermés, c'est insuffisant. D'où ma décision d'allouer les 50 postes de magistrats qu'il me restait aux tribunaux pour enfants.
Je suis favorable à la responsabilisation des parents, mais je connais aussi, comme vous, des femmes seules qui travaillent de nuit à l'hôpital de Tourcoing et dont le gamin a de mauvaises fréquentations. Que l'on sanctionne ceux qui insultent les policiers, les magistrats, les enseignants, oui. Mais il faut aider ceux qui galèrent à faire entendre l'autorité de la République à leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. François Patriat. - Très bien !
Tarifs des mutuelles
M. Xavier Iacovelli . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En septembre dernier, avec Marie-Claire Carrère-Gée, nous avons rédigé un rapport sur les complémentaires santé. La hausse des cotisations pousse encore trop de Français à renoncer aux soins - c'est inacceptable.
Après une hausse de leurs tarifs de 8,1 % en 2024, les mutuelles annoncent une nouvelle augmentation de 6 % pour 2025, arguant de transferts de charges liés à l'augmentation du ticket modérateur sur les médicaments - le Gouvernement y a pourtant renoncé...
Notre rapport formulait plusieurs propositions : systématiser la concertation entre l'assurance maladie, les complémentaires santé et le Gouvernement pour anticiper ces hausses ; améliorer les échanges d'informations entre l'assurance maladie et les mutuelles pour lutter contre la fraude et cibler la prévention ; et créer une complémentaire senior solidaire.
Que compte faire le Gouvernement pour éviter que ces hausses de tarifs n'aggravent les inégalités dans l'accès aux soins ? Que retiendrez-vous de notre rapport ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles . - Le rapport que vous avez rédigé avec Marie-Claire Carrère-Gée propose des solutions intéressantes.
Les dépenses de santé augmentent en France. Certes, notre pays a la chance de connaître un vieillissement de sa population - mais cela ne justifie pas tout.
Avec Yannick Neuder, nous sommes convaincus qu'il faut introduire de la pluriannualité dans nos discussions avec l'assurance maladie et les mutuelles.
La prévention est insuffisamment efficace en France. Nous devons travailler avec tous les acteurs, y compris les mutuelles, en n'hésitant pas à utiliser les données, dans le respect de la confidentialité. Je rencontrais hier le professeur Vellas pour en parler. Le programme iCope a été expérimenté ; j'entends le généraliser, au bénéfice de 2 millions de Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI, M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
Hydroélectricité
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'hydroélectricité, énergie renouvelable et décarbonée, couvre 25 % de nos besoins lors des pics de consommation. C'est un enjeu industriel et son potentiel de développement est important. C'est aussi le premier moyen de stockage.
Notre retard dans ce domaine a un impact sur le fonctionnement du réseau électrique, en raison d'un déficit de capacités de stockage - le nombre d'heures vendues à prix négatif a été multiplié par trois en 2024.
Il faut de nouveaux projets de stations de transfert d'énergie par pompage (Step), en sortant du régime de la concession. Trois possibilités : modifier la directive européenne - voilà dix ans que le Gouvernement s'y emploie - , reprendre des concessions en régie - ce qui poserait d'autres difficultés - , ou passer du régime de la concession à celui de l'autorisation.
De nombreux projets sont prêts sur nos territoires, comme en Corrèze et en Aveyron. Le régime de l'autorisation, qui existe dans de nombreux pays européens, n'est que l'extension de ce qui existe dans le nucléaire, le photovoltaïque et l'éolien. Cela permettrait de sortir du blocage de la Commission européenne et de relancer l'investissement dans les Step.
Pourquoi un tel retard ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Vous avez raison. La France compte 2 600 installations produisant 26 gigawatts. Ces barrages participent à la transition écologique et à la résilience du système. Les Step jouent un rôle essentiel de lissage de la consommation.
La Commission européenne a engagé un précontentieux contre la France. Des concessions sont en danger, faute d'investissements.
Nous voulons relancer les projets bloqués, garder la pleine maîtrise de notre parc électrique, favoriser le partage des usages de l'eau et redistribuer de la valeur aux collectivités territoriales engagées.
Une mission d'information a été confiée aux députés Philippe Bolo et Marie-Noëlle Battistel. Dès leurs conclusions rendues, nous les mettrons en oeuvre. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)
M. Daniel Chasseing. - Il faut sortir de cette impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-Claude Anglars applaudit également.)
Eau et assainissement (I)
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Notre budget 2025 en détermine 35 000 autres : ceux des collectivités territoriales qui attendent de savoir sur quelles bases elles pourront mener leurs politiques. En cette fin de période des voeux, le seul voeu des maires est de lever les incertitudes.
Le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement au 1er janvier 2026 est dans tous les esprits. Encore ? Eh oui, parce que la question n'est toujours pas traitée.
Voici des années que le Sénat veut rendre aux communes rurales leur liberté d'action en matière d'eau et d'assainissement. L'ancien Premier ministre, Michel Barnier, avait souhaité revenir sur le transfert obligatoire de cette compétence, à condition que ledit transfert n'ait pas encore été réalisé. Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a déclaré : « mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus, comme l'eau, l'assainissement (...). »
Le 1er janvier 2026, c'est demain. Il va falloir mener des études, délibérer, recruter, prévoir des budgets - ou pas. Quelle que soit la décision prise, il faudra du temps pour la concrétiser.
Pouvez-vous nous garantir que ce transfert ne sera pas obligatoire au 1er janvier 2026 ? (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Nous allons beaucoup parler de ce sujet dans les temps qui viennent. Je sais que c'est un sujet qui intéresse tout particulièrement le Sénat.
Le maintien de la qualité de l'eau potable et la lutte contre son gaspillage sont des objectifs partagés par l'État et les collectivités. Celles-ci ont un rôle primordial pour sécuriser l'accès à la ressource et garantir l'efficience du service public de l'eau. L'État est à leurs côtés pour les accompagner.
Ma réponse est claire : je suis favorable à la différenciation, autant que je suis défavorable au retour en arrière. (Vives protestations à droite)
M. Olivier Paccaud. - Ce n'est pas clair !
M. François Rebsamen, ministre. - Je connais l'intelligence locale. (Exclamations à gauche) La différenciation territoriale est l'un des principes du plan Eau présenté par le Président de la République en septembre 2023. (Exclamations à droite)
M. Mathieu Darnaud. - Rien à voir !
M. François Rebsamen, ministre. - Je suis donc favorable à la suppression du transfert pour les collectivités territoriales qui ne l'ont pas encore réalisé. (« Ah » ! et applaudissements à droite) Mais la mutualisation à une échelle infracommunautaire demeure un objectif, que nous devons porter ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
Immigration
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je ne peux rester silencieux après les propos tenus par le Premier ministre lundi soir et réaffirmés hier devant l'Assemblée nationale (exclamations à droite et sur de nombreuses travées au centre ; applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Ian Brossat applaudit également), propos copieusement applaudis par les députés du Rassemblement national, sourire aux lèvres.
Un Premier ministre qui doit tout au front républicain ne peut se laisser submerger par le vocabulaire de l'extrême droite. Ne vous laissez pas submerger par les fantasmes et les contrevérités ! Le rôle d'un chef de gouvernement n'est pas d'attiser les peurs, mais de dire la vérité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
La question de l'immigration doit être abordée dans un climat apaisé, sans angélisme ni amalgame. Ce n'est pas un tabou : socialistes, nous regardons la réalité en face. (Exclamations ironiques à droite)
L'immigration doit être inclusive et raisonnée. Hélas, nous manquons de véritables politiques d'intégration. Il faut s'y atteler sérieusement, sans stigmatiser celles et ceux sans qui nos hôpitaux ou nos supermarchés ne pourraient fonctionner.
D'origine étrangère comme un Français sur cinq, le fils d'immigré juif polonais que je suis a été meurtri par ces propos, comme la majorité de nos concitoyens. Pour ma part, c'est la République qui m'a submergé ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K) Ce sont ses valeurs qui ont permis à ma famille de s'épanouir en France et à moi de la servir.
M. Barnier a été censuré pour s'être fourvoyé dans des négociations avec l'extrême droite (protestations et huées à droite). Voulez-vous dépendre, vous aussi, du Rassemblement national ? (Nombreuses marques d'impatience à droite, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.)
Parce que nous sommes responsables, nous avons accepté de discuter avec vous. Nous attendons du Premier ministre qu'il soit clair sur l'aide médicale de l'État et abandonne toute référence à la submersion migratoire ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K ; huées sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Le Premier ministre vous prie d'excuser son absence : il assiste aux obsèques de son ami Jean-François Kahn. Il m'a demandé de vous répondre en son nom.
La question migratoire est source de tensions dans toutes les sociétés occidentales, et la nôtre n'y échappe pas. La traiter de façon passionnelle est le meilleur moyen de ne jamais y répondre.
Les mots sont des pièges. Y a-t-il un sentiment de submersion ? Dans les sondages, les deux tiers des Français expriment ce sentiment. Mais on ne retient que le mot « submersion », pas le mot « sentiment ». (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et du RDSE) Nous ne pouvons écarter ce que nos concitoyens éprouvent.
Si nous regardons les choses en face, nous serons en mesure de maîtriser la situation et d'accueillir correctement ceux qui viennent dans notre pays. Le problème, c'est la panne de l'intégration, qui fut la dynamique singulière de la société française, vécue par des millions de personnes.
Nous parlons de la vie de celles et ceux qui accompagnent nos enfants et nos aînés, travaillent dans nos restaurants ou nos services d'urgence, entreprennent. Tous contribuent à la richesse de notre pays.
Les instruments d'une intégration réussie sont le travail, la langue et les principes de la République, dont la laïcité : c'est l'héritage humaniste que nous devons transmettre. Mais ces instruments sont aussi dans la tourmente.
Si nous améliorons notre éducation, si nous sommes fiers de nos principes, si nous faisons respecter plus rigoureusement et efficacement la loi, l'intégration pourra être réussie. Ce sont ces réponses que nous devons reconstruire ensemble. (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes UC, INDEP, du RDPI et du RDSE ; Mmes Laurence Rossignol et Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)
Hausse du chômage
M. Alexandre Basquin . - Fin 2024, le chômage a connu la plus forte hausse depuis dix ans, hors covid : 3,9 %. Les jeunes de moins de 25 ans sont les plus touchés. Ce chiffre est à mettre en regard avec le nombre record de défaillances d'entreprises. Pas moins de 6,2 millions de personnes étaient déjà enregistrées à France Travail il y a un an. Derrière, ce sont autant de familles touchées. Entendez-vous les témoignages de ces salariés, qui se sentent invisibles, bafoués, mis de côté ?
Et ce n'est pas fini ! Quelque 300 000 emplois pourraient être détruits prochainement par des plans sociaux, conséquence directe de la politique ultralibérale de ces dernières années. (Murmures sur les travées du RDPI)
Le président Macron avait promis le plein emploi en 2027 ; nous en sommes loin.
Pendant ce temps, les 40 plus grandes entreprises se gavent et distribuent des dividendes aux actionnaires, toute honte bue.
Pendant ce temps, vous continuez à verser chaque année 200 milliards d'euros d'aides aux entreprises, sans contrôle réel de leur utilisation. Vous poursuivez cette politique de l'offre, qui a échoué.
Tout plaide pour un changement de cap. Comment inverser cette tendance mortifère et redonner de l'espoir ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Mickaël Vallet et Mme Colombe Brossel applaudissent également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Vous avez raison de rappeler que derrière les statistiques, il y a d'abord des vies, des familles affectées.
Derrière la détérioration de la situation de l'emploi, il y a d'abord une détérioration de la situation économique, avec des défaillances d'entreprises et des procédures collectives. La conjoncture économique européenne et mondiale, très difficile, touche des secteurs en profonde transformation : automobile, grande distribution, chimie... dans un contexte commercial qui se durcit, des prix de l'énergie encore hauts, et notre incertitude nationale.
M. Alexandre Basquin. - Non ! C'est facile !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Il faut le dire ! Vous connaissez le monde économique : les entreprises n'aiment pas l'incertitude. (Applaudissements sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
Avec Mme Vautrin et MM. Lombard et Ferracci, nous tentons d'anticiper avant que les plans sociaux ne détériorent la situation.
En cas de plans de restructuration, nous travaillons avec les préfets pour que la revitalisation et l'accompagnement soient de qualité. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe CRCE-K) Nous réactivons le dispositif de chômage partiel de longue durée, pour mieux accompagner.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Et, dans le budget, nous augmentons les moyens de France Travail pour accompagner les salariés. (M. François Patriat applaudit.)
Ingérence azérie en Nouvelle-Calédonie
M. Georges Naturel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Samedi dernier, en Nouvelle-Calédonie, un émissaire officiel de Bakou est intervenu par visioconférence au congrès indépendantiste du FLNKS pour créer un front international de décolonisation des outre-mer français et les encourager à s'insurger contre la France. Je condamne avec force cette initiative du groupe d'initiative de Bakou, officine liée à ce régime totalitaire, classé parmi les plus corrompus au monde. C'est une tentative flagrante de déstabilisation de notre République. (M. Mickaël Vallet acquiesce.)
Mme Catherine Conconne. - Très bien !
M. Georges Naturel. - Je regrette que les indépendantistes kanaks radicaux tombent dans le piège tendu par des agitateurs à la solde d'une dictature hostile à la France.
L'émancipation ne peut être revendiquée ainsi.
La France, qui détient un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, doit réagir à la hauteur de l'affront qu'elle a subi. Quelles sanctions énergiques notre pays compte-t-il prendre pour prévenir toute future ingérence qui menacerait la paix en Nouvelle-Calédonie et dans l'ensemble de nos outre-mer ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI, du RDSE et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Les agissements du Baku initiative group sont intolérables. Par des manoeuvres physiques et numériques, inauthentiques et malveillantes, qui visent les outre-mer et la Corse, ce groupe a montré sa volonté de s'ingérer dans notre débat public, en portant atteinte à notre intégrité territoriale et à la sécurité publique. Nous ne nous laisserons pas faire.
Le 19 novembre, j'ai convoqué l'ambassadrice d'Azerbaïdjan à Paris pour lui signifier notre réprobation absolue ; je lui ai demandé de faire cesser ces actions. En décembre, Viginum, qui détecte et attribue les menaces, a publié un rapport circonstancié sur l'ampleur des manoeuvres et leur échec.
M. Mathieu Darnaud. - Et ? (On renchérit à droite.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - L'intervention a eu lieu en visioconférence, précisément parce que nous avons empêché les autorités azéries de participer à ce forum organisé.
Nous appelons les Néo-Calédoniens à ne pas tomber dans le piège que Bakou a tendu. Nous appelons les Azéris à résoudre leurs différends avec la France par la diplomatie, non par les ingérences. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)
M. Georges Naturel. - Condamner c'est bien, agir c'est mieux - et en solidarité avec l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Otages français en Iran
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cécile Kohler et Jacques Paris sont retenus depuis mille jours comme otages d'État par la République islamique d'Iran ; Olivier Grondeau, depuis 843 jours. L'Iran souhaite ainsi faire pression sur notre pays. Je salue les comités de soutien qui se sont formés.
Ces otages sont à bout. Ils sont détenus dans des cellules de 8 mètres carrés, éclairées en permanence, avec des codétenus qui sont là pour les surveiller. Les autorités iraniennes n'ont autorisé que trois visites consulaires, au mépris de la convention de Vienne. Le dernier échange téléphonique avec leur famille date du 25 décembre.
L'état de santé de Cécile Kohler et de Jacques Paris se dégrade. Il faut maintenant aller plus loin. Le Sénat a écrit à l'ambassade. Il faut les faire sortir de la section 209, synonyme de conditions de détention inhumaines, et obtenir leur libération au plus vite. Nous devons agir vite.
Faut-il prévoir de nouvelles sanctions envers l'Iran ? Demander à la Cour internationale de justice (CIJ) d'agir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Merci d'attirer l'attention sur ces trois otages détenus par la République islamique d'Iran.
Détenus arbitrairement depuis bientôt mille jours, Cécile Kohler et Jacques Paris ont été contraints à des aveux forcés sous la menace ; ils dorment à même le sol, dans des cellules éclairées en permanence, sont privés de contacts avec leurs familles, sinon sous la pression de leurs geôliers, et de visites du consulat depuis plus d'un an. Ces conditions sont assimilables à de la torture en droit international. (M. Rachid Temal le confirme.)
Le 13 janvier dernier, Olivier Grondeau, détenu depuis plus de 800 jours, a eu le courage de s'exprimer à visage découvert, au risque de voir ses conditions de détention se dégrader plus encore.
Nous avons adressé un message très ferme aux autorités iraniennes : sans amélioration, sans libération de ces otages, aucun dialogue bilatéral n'est possible, aucune levée de sanction n'est envisageable. Le 17 octobre, j'ai reçu les familles des trois otages pour témoigner de notre mobilisation sans relâche. Lundi dernier, lors du Conseil des affaires étrangères, j'ai réclamé des sanctions de l'Union européenne contre les responsables de cette détention arbitraire.
Notre mobilisation devra se poursuivre après leur libération : les otages qui ont déjà été libérés peinent encore à se reconstruire après ces épisodes ravageurs. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et du groupe UC ; M. Khalifé Khalifé applaudit également.)
Dette de l'Algérie envers l'hôpital français
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs semaines, l'Algérie insulte et défie la France à la moindre occasion. Renvoi de l'influenceur Doualemn, expulsé vers l'Algérie ; loi obligeant la France à décontaminer le Sahara de déchets nucléaires ; convocation de l'ambassadeur de France pour de prétendus mauvais traitements d'Algériens à Roissy ; remise en cause de notre ministre de l'intérieur et campagne de haine à son égard ; prise en otage de l'écrivain Boualem Sansal, très malade, dont le seul délit est de se battre pour la liberté d'expression ; impensable prise de position du recteur de la grande mosquée de Paris contre la résolution du Parlement européen du 23 janvier réclamant sa libération.
Cerise sur le gâteau : une dette auprès de l'AP-HP de 45 millions d'euros en 2023, contre 27 millions d'euros en 2017 - ce montant avait été pointé par le Sénat -, conséquence d'un accord de 2007 entre Bernard Kouchner et son homologue algérien qui exempte de visa les détenteurs de passeports diplomatiques et permet à toute la nomenklatura algérienne de venir se faire soigner en France. (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
Il est temps de couper le cordon, de prononcer le divorce et de cesser d'accepter ces humiliations permanentes.
Êtes-vous prêt à remettre en cause cet accord, qui n'a rien à voir avec l'accord de 1968 - qu'il faudra d'ailleurs un jour aussi dénoncer, comme le souhaite l'immense majorité des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Stéphane Ravier et Aymeric Durox applaudissent également.)
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins . - Le système de santé français dispense des soins à des ressortissants étrangers qui, par définition, ne sont pas des assurés sociaux. Des accords internationaux leur permettent de venir se soigner en France. Cela représente environ 800 millions d'euros par an ; 99 % des patients sont des ressortissants de l'Union européenne et de la Suisse. Dans 50 % des cas, ces soins sont dispensés par les hôpitaux publics, qui, globalement, recouvrent les frais.
J'en viens à l'Algérie.
M. Stéphane Ravier. - Oui !
M. Yannick Neuder, ministre. - Entre 2007 et 2023, les dépenses de soins représentent 150 millions d'euros ; 2,58 millions d'euros restent à recouvrir. Ces chiffres concernent le secteur public, pour lequel nous avons une grande lisibilité.
Dans le cas que vous évoquez, l'impact est autre. Ces patients algériens se font soigner à 75 % dans les établissements de l'AP-HP, pour un volume financier d'environ 159 millions d'euros par an, sur lequel nous pouvons donc agir. (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
Nous pourrons appliquer une tolérance zéro vis-à-vis de la fraude, en modernisant et en sécurisant le système d'information ainsi que la carte Vitale. (M. Bruno Sido s'impatiente.)
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Yannick Neuder, ministre. - Dans la majorité des cas, ces soins sont programmés. Avant de les accepter, nous exigerons une entente préalable et un devis avec financement en amont.
Souveraineté numérique
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Combien de temps encore allons-nous tolérer que les géants du numérique, américains ou chinois, défient nos lois, mettent en danger nos enfants, manipulent les opinions et s'ingèrent dans nos élections pour saper nos démocraties ? L'activisme politique du propriétaire de X et le chantage inadmissible du président Trump sur la Commission européenne pour qu'elle abandonne les enquêtes sur les plateformes sont inacceptables.
Merci à Pedro Sanchez qui, à Davos, a appelé à « se rebeller » et à proposer des alternatives.
Quelle est la stratégie de la France, au sein du Conseil européen, pour convaincre ses partenaires que la survie économique et politique de l'Union est en cause ?
Allez-vous exiger la stricte application, voire le renforcement des règlements numériques européens ? En matière industrielle, quelles mesures défendez-vous pour briser notre dangereuse dépendance technologique, dont MM. Draghi et Letta font le dramatique constat ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, du GEST et du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Mme Laurence Rossignol. - C'est amusant que vous soyez plus applaudie à gauche qu'à droite !
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Je connais votre expertise, votre engagement, qui ont concouru aux avancées enregistrées en la matière sous la présidence française du Conseil.
La Commission européenne doit faire respecter les règles. En Roumanie, l'élection présidentielle a dû être annulée en raison de manoeuvres de désinformation sur TikTok ! Ces règles sont simples : les plateformes de réseaux sociaux doivent veiller à ce que leurs services ne perturbent pas la santé, la sécurité et le débat publics, sous peine d'une amende allant jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires, voire d'une restriction d'accès. La Commission a diligenté un certain nombre d'enquêtes, qu'elle doit maintenant clôturer pour procéder à des sanctions, gage de la crédibilité de ces règles nouvelles.
Lundi, je l'ai rappelé à la commissaire Virkkunen ; mardi, Benjamin Haddad a remis à ses homologues une lettre appelant la Commission à agir prestement. Des parlementaires comme Aurore Lalucq et Marie-Claire Carrère-Gée ont déposé une plainte devant l'Arcom, transmise à la Commission. Bref, celle-ci n'a plus d'excuse : il lui faut agir, sans quoi les États membres agiront à sa place.
À l'avenir, nous devons nous détacher de nos dépendances, être propriétaires de nos outils. C'est l'enjeu du sommet mondial sur l'intelligence artificielle qui se tiendra bientôt à Paris, et affirmera notre volonté de faire de la France et de l'Europe une puissance numérique souveraine, indépendantes des milliardaires américains ou chinois. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et du groupe Les Républicains)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Il faut un sursaut industriel si nous ne voulons pas que la France et l'Union européenne soient écrasées dans la guerre homérique à laquelle se livrent Américains et Chinois. Le plan Horizon 2030, défaillant, doit être assorti d'un financement européen stratégique, associant recherche et développement dans une logique open source, et d'une doctrine assumée de la commande publique pour renforcer notre souveraineté. Nos données sont stratégiques, elles ne sont pas négociables contre du gaz !
Tenons un discours volontariste lors du sommet de Paris. Rien ne serait pire que d'y dérouler le tapis rouge à Musk, Zuckerberg et leurs acolytes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, du RDSE, du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
République démocratique du Congo
M. Christophe-André Frassa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis trente ans, un conflit ensanglante le Kivu et l'est de la République démocratique du Congo (RDC), sans que la communauté internationale ne prenne une position claire. À chaque drame, elle se contente de condamner...
Avec la prise de Goma par le M23, nous atteignons un point de bascule. Là encore, simple soutien à la RDC, simple condamnation du M23 et du Rwanda.
Hier, notre ambassade à Kinshasa a été attaquée. Cela en dit long sur la perception de l'inaction de la communauté internationale face aux crimes de guerre commis en RDC.
N'est-il pas temps de prendre enfin des sanctions ciblées contre le M23, et surtout contre les deux pays qui l'arment, le Rwanda et l'Ouganda ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du GEST et du groupe SER ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Je rends hommage aux agents et diplomates de notre poste à Kinshasa, dont un des bâtiments a été incendié. Leur dévouement et leur courage forcent notre respect.
La France condamne fermement l'offensive du M23, soutenue par les forces armées rwandaises, qui porte atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté congolaise et aggrave une crise humanitaire qui a déjà fait 400 000 déplacés depuis le début de l'année - après deux millions en 2024. La mission onusienne, la Monusco, est mise à rude épreuve, et trois casques bleus ont déjà payé leur engagement de leur vie.
Dans ce contexte, la France se mobilise. Le Président de la République s'est entretenu avec les chefs d'État concernés pour tenter de rétablir le dialogue. Au Conseil de sécurité des Nations unies, nous avons soutenu la demande de la RDC d'organiser deux réunions d'urgence et porté une déclaration condamnant les agissements du M23, soutenu par les forces rwandaises.
M. Yannick Jadot. - Et l'armée rwandaise ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - À Bruxelles, c'est sous notre impulsion que la haute représentante de l'Union a condamné l'offensive et appelé à un cessez-le-feu. (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
Nous continuons de soutenir les processus de Luanda et de Nairobi. C'est par le dialogue et la diplomatie que l'escalade sera jugulée. C'est en s'attaquant aux causes profondes du conflit, économiques, et minières, que la région retrouvera paix, stabilité et prospérité. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; M. Yannick Jadot secoue la tête.)
M. Christophe-André Frassa. - On condamne, mais on oublie de dire que l'Union européenne finance à hauteur de 20 millions d'euros l'armée rwandaise pour intervenir au Mozambique - sans garantie que ce financement ne va pas ailleurs. (Applaudissements sur quelques travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Yannick Jadot. - Voilà !
M. Christophe-André Frassa. - Le Rwanda est un exportateur de coltan, alors qu'il n'y en a pas un gramme sur son sol - mais 80 % des réserves mondiales se trouvent, comme par hasard, à l'est de la RDC...
Je relaie l'appel solennel des 95 parlements francophones pour demander des sanctions contre le Rwanda et l'Ouganda. Ce serait l'honneur de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Fermetures de classes
Mme Colombe Brossel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La mobilisation des socialistes pendant le débat budgétaire a obtenu l'annulation de la suppression de 4 000 postes dans l'éducation nationale, dont 3 155 dans le premier degré. L'annonce du Premier ministre, le 15 janvier, a été un grand soulagement pour les équipes éducatives. La baisse démographique pourrait être l'occasion d'alléger le nombre d'élèves par classe, a même avancé Mme Borne.
D'où notre incompréhension en découvrant les suppressions de classes dans les écoles et les collèges, en ville comme en zone rurale, annoncées par les rectorats dans le plus grand chaos. On supprime des classes dans des écoles aux effectifs stables, voire en hausse !
Oublié, l'engagement présidentiel de ne pas fermer de classe sans l'avis du maire. L'opacité des décisions, à contre-courant des engagements du Premier Ministre, entretient la confusion et le désarroi.
À Paris, mais aussi dans le Lot, le Gers, la Nièvre, la Gironde ou la Moselle, l'incompréhension prévaut. L'école a besoin de cap et de stabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je vous prie d'excuser Mme Borne, retenue en Conseil supérieur de l'éducation.
Les moyens pour la rentrée 2025 ont été fortement revus à la hausse par rapport au projet de loi de finances présenté en octobre, alors même que l'année scolaire 2025-2026 sera marquée par une nouvelle baisse des effectifs : moins 92 700 élèves, dont 80 000 dans le premier degré.
Nous avons proposé de revenir intégralement sur les suppressions de postes initialement prévues, et espérons que la CMP conclura en ce sens.
La baisse démographique doit être un levier pour améliorer l'école et réduire les inégalités entre élèves et entre territoires.
En 2025, le nombre d'élèves par classe atteindra un niveau historiquement bas : 21,1 élèves en moyenne, contre 23,2 en 2017. (MM. Michel Savin et Olivier Paccaud s'exclament.) Cela permet de consolider des brigades de remplaçants. À la rentrée 2025, Paris perdra 3 000 élèves dans le premier degré : le nombre d'élèves par classe, l'un des plus bas de France, passera sous la barre de 20 élèves en moyenne. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Mme Colombe Brossel. - Je ne suis pas sûre que vous ayez compris ni ma question, ni mon interpellation. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
Eau et assainissement (II)
M. Alain Joyandet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 17 octobre dernier, le Sénat, dans sa sagesse, a voté à une large majorité contre le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités au 1er janvier 2026. Ce vote a été acquis avec l'avis favorable du gouvernement Barnier.
M. Michel Savin. - Très bien !
M. Alain Joyandet. - Le Gouvernement Bayrou est-il sur la même ligne ? Si oui, selon quel calendrier ? Il y a urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - La question vous taraude... (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mathieu Darnaud. - Il y a de quoi !
M. François Rebsamen, ministre. - Je l'ai dit au sénateur Roux, je suis favorable à la différenciation territoriale, donc à la fin du caractère obligatoire du transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les EPCI. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Pour autant, je suis défavorable à tout retour en arrière qui reviendrait sur les transferts déjà réalisés.
Élu local, je suis persuadé des bénéfices de la mutualisation de la compétence, même si elle ne s'opère pas au niveau de l'EPCI mais d'un syndicat de communes ou d'un syndicat mixte.
M. Olivier Paccaud. - Chaque cas est particulier.
M. François Rebsamen, ministre. - J'y vois un gage de la préservation de la ressource en eau, de la capacité à investir, une garantie de cohésion territoriale.
Nous ne pouvons reculer sur cette ambition.
Il nous faut trouver le meilleur véhicule législatif. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) La proposition de loi Eau et assainissement sera examinée à l'Assemblée nationale. L'objectif est d'apporter une réponse législative dès que possible. (Rires à droite ; M. Bernard Buis applaudit ; M. Max Brisson s'exclame.)
M. Alain Joyandet. - Le texte du Sénat ne comporte pas de retour en arrière : il ne vise que ceux qui n'ont pas encore transféré la compétence.
Nous n'avons pas d'argent pour les collectivités territoriales, donnons-leur au moins de la liberté ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MM. André Guiol et Vincent Louault applaudissent également.) Faisons confiance à nos élus, qui, eux, gèrent leur collectivité en bon père de famille. Ils font souvent beaucoup avec très peu.
Ma première proposition de loi sur ce sujet date de 2017... Huit ans de galère, pour aboutir à une solution que des milliers de communes attendent ! Je ne conteste pas l'intérêt de l'intercommunalité, mais donnons de la liberté aux communes. Les territoires ne se ressemblent pas. Simplifions, de grâce ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)
Prise en charge du covid long dans le Grand Est
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les équipes des CHU de Strasbourg et de Colmar et l'ARS Grand Est m'ont alertée sur la fin des financements destinés aux centres de recensement et de prise en charge des covid longs. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), cette pathologie touche deux millions de personnes, notamment des jeunes actifs. C'est devenu une maladie chronique, aux symptômes lourds : dysfonctionnements cognitifs et musculaires, troubles cardiovasculaires, anomalies immunologiques, inflammations diffuses, entre autres.
La loi du 24 janvier 2022 créait une plateforme de recensement et de prise en charge des malades. Faute de décrets d'application, celle-ci n'a pas vu le jour.
M. Laurent Somon. - Absolument !
Mme Laurence Muller-Bronn. - En janvier 2025, on nous annonce que les centres covid long n'ont plus de financement. Dans le Grand Est, quatre centres risquent d'être supprimés, condamnant les patients à l'errance médicale. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins . - Sur cette affection, dont le mécanisme physiopathologique est encore mal connu, nous avançons pas à pas : une étude de l'Anses en 2021, des critères de la HAS, une définition de l'OMS. Chaque ARS a reçu des fonds d'amorçage pour la prise en charge de ces patients. Plus de 200 symptômes ont été recensés, parfois lourds. Progressivement, les patients se sont intégrés dans des circuits de consultation, de soutien psychologique, d'hospitalisation et de centres de réadaptation qui les font basculer à terme dans le droit commun. C'est pourquoi nous avons préféré augmenter l'Ondam, pour assurer leur prise en charge.
Nous avons privilégié l'efficacité : sur Santé.fr, chaque médecin traitant peut trouver le centre de référence de proximité où adresser ses patients. Prise en charge coordonnée, plutôt que fond dédié.
L'ARS Grand Est a perçu 1 million d'euros de fonds d'amorçage. Sa directrice générale n'a pas relevé de difficulté. Aucun patient ne sera abandonné, chacun sera pris en charge, à l'hôpital ou en ville, selon sa pathologie. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Muller-Bronn. - Ce ne sont pas les retours de terrain. J'ai eu l'ARS Grand Est en ligne hier : en 2022, 700 000 euros ont été attribués pour ces quatre centres ; en 2024, 278 000 euros - le deuxième semestre a été financé sur fonds propres. J'ai été alertée par les médecins : plus de 450 malades traités dans les CHU de Colmar et Strasbourg ne peuvent plus être pris en charge - et je ne parle pas de Nancy, Reims et Metz. Venez rencontrer les médecins dans le Bas-Rhin, il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Christine Herzog applaudit également.)
La séance est suspendue à 16 h 20.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.